Joël Daydé
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Joël, quelle a été ton éducation musicale, le blues faisait-il déjà parti de tes influences dans ton enfance?
Cela remonte à longtemps...
J'ai eu la chance d'avoir un père qui était amateur de musique. De ce fait, il y a toujours eu une radio à la maison. Il adorait l'accordéon et le musette, alors que moi je détestais ça.

Ma vie a changé à partir du moment où Europe 1 s'est monté. Cela devait se passer en 1954, je devais avoir 7 ou 8 ans. La musique a toujours été une chose qui m'a passionné. J'avais un oncle qui habitait Alès la Grand' Combe.
C'est là bas qu'une émotion m'a transpercé en écoutant la Clique des Mineurs d'Alès dont l'un des membres, à l'époque, était Maurice André. Les cuivres sonnaient de façon hallucinante, rien que d'en parler, j'en ai encore la chaire de poule...

Cela a peut être été ma première grande émotion par rapport à la musique vivante.
Dès lors, tout petit, j'ai commencé à rafler tous les prix de musique. J'avais un professeur au cours préparatoire qui a détecté mes facultés pour la musique et la poésie. De ce fait, bien qu'habitant les deuxièmes fonds de cour du XVIème ; puisque je ne suis pas un bourgeois, j'ai pu fréquenter les beaux milieux en faisant du théâtre.
C'était un théâtre magnifique à côté du Palais de Chaillot qui m'a fait connaître ma première sensation scénique. Arrivé en classe de 6ème, j'ai intégré les scouts où - là aussi - j'ai fait du théâtre avec mon camarade de classe, Martin Lamotte qui a attrapé le virus de la comédie à cette période.

Puis sur Europe 1, ce fût les débuts de l'émission "Pour ceux qui aiment le jazz" (de Franck Ténot et Philippe Fillipachi qui fondèrent plus tard " Salut les Copains ", Nda). De ce fait je me suis tapé tout le jazz moderne pour pouvoir écouter 1 ou 2 bluesmen qui passaient à ce moment là.

Pour être exact, ce n'était pas le blues que j'ai découvert en premier mais le gospel. Quand j'ai entendu ces noirs du Mississippi qui chantaient dans les églises je me suis dit :" Si c'est ça l'église, j'y passerai tous les jours du matin au soir et j'y prierai avec eux!".De surcroît c'était au moment des évènements de Montgomery et de la discrimination raciale. Je ne pourrai pas expliquer pourquoi mais j'étais complètement impliqué dans cette histoire. J'étais scandalisé de voir de la façon dont on traitait ces noirs aux Etats-Unis. D'autant plus que c'était eux qui avaient libéré l'Europe et tant fait pour la démocratie dans le monde à ce moment là.

J'écoutais Mahalia Jackson, Sister Rosetta Tharpe, Evelyn Freeman, Clara Ward, c'était la voie du bon Dieu...
J'ai alors constaté qu'il y avait une voie identique qui parlait des femmes, d'alcool et de la vie, c'était le blues....
La trame musicale des deux genres est exactement la même, j'ai alors décidé d'approfondir ma culture avec le delta etc...

Quand j'ai entendu le premier album des Rolling Stones avec le morceau "I'm a king bee" (Joël chante alors quelques paroles de la chanson) je suis resté tétanisé, me disant que c'était vraiment là ma musique! J'ai alors découvert des gens comme Eric Clapton en Angleterre. Il avait intégré alors le réseau des puristes aux côtés de Alexis Korner et de tous les autres artistes de cette école. De mon côté j'étais vraiment seul en France où il était impossible de trouver le moindre disque de blues.
Cette musique s'est démocratisée dans notre pays avec l'arrivée de Ray Charles, puis il y a eu la vague du rythm and blues avec Wilson Pickett, Aretha Franklin, Sam & Dave, Otis Redding etc...

J'ai eu ma première guitare en 1961 et tous comme des dizaines de milliers de guitaristes j'ai commencé en jouant "What'd I say", je n'ai jamais arrêté...

Tu es donc un autodidacte...
Complètement, il n'y avait pas de méthode à ce moment-là. A l'époque tu devais faire de la guitare classique ou rien du tout, même l'accordéon n'était pas admis dans les cours nationaux de musique. Tu pouvais choisir entre le piano ou le violon - voir le saxophone, mais le saxophone classique...

Beaucoup de gosses ont été dégoûtés de la musique par les méthodes d'enseignement de cette période, coups de règle sur les doigts etc...
Heureusement que cela a évolué à partir des années 60, mais auparavant, à moins d'avoir un père musicien c'était très difficile d'obtenir un bon apprentissage.

Très tôt, tu as profité de ton passage au club le "Blue Note" à Paris, en tant que barman, pour rencontrer de nombreux jazzmen, est-ce des gens qui t'ont aiguillé dans tes choix musicaux?
J'en ai un souvenir incroyable; je m'étais fait engagé en tant que commis de bar pendant les vacances scolaires, alors que je n'avais que 15 et que j'étais un guitariste autodidacte. J'y ai rencontré le pianiste Kenny Drew, Larry Ritchie, Bud Powell, Mae Maecer le guitariste belge René Thomas....

Je préparais les oeufs au bacon pour les chanteuses de blues qui s'y produisaient. Je n'étais vraiment là que pour ça. Il faut dire que je gagnais 30 balles ce qui était vraiment misérable. René Thomas me prêtait souvent sa guitare, une Gibson à caisse et il me montrait des plans.
Nous allions déguster le meilleur steak tartare de Paris, rue de Berri ensemble et j'ai fumé ma première pipe d'herbe avec eux.
Il y avait aussi dans la bande le grand Johnny Griffin, un saxophoniste terrible, qui est toujours en activité.

J'étais un môme et ces artistes voyaient à quel point j'étais passionné. J'ai aussi eu la chance de fréquenter le grand Dizzy Gillepsie en chair et en os....

Cependant mon truc c'était le blues, j'ai ainsi eu la chance de rencontrer Champion Jack Dupree qui jouait à la "Grande Séverine" ou encore Memphis Slim, cela restera gravé à tout jamais.

A l'époque je pouvais aussi voir des gens comme Willie Dixon, John Lee Hooker etc.... Ce club était tenu par deux dames, il est devenu aujourd'hui un tripot pour touristes, il n'a plus aucune âme. J'étais réellement un fan de musique noire, si il n'y avait eu que la variété, je n'aurai jamais fait de musique....

Ce qui était bizarre, quand j'allais assister à des concerts de blues, c'est que je voyais que les gens tapaient dans les mains. Cependant je ne participais pas avec eux, car j'avais remarqué qu'ils tapaient sur le premier temps, ce qui est une aberration, car le swing c'est sur le deuxième temps, c'est à dire le temps faible.

Aujourd'hui quand on regarde la télévision, on constate que les gens font toujours la même erreur, ce qui rend fous les musiciens et principalement les batteurs.
On a beau indiquer le bon temps aux gens, lorsqu'on arrête de taper avec eux, ils refont la même erreur, il n'y a rien à faire....

Tu as aussi rencontré Pierre Louiss, le père d'Eddy Louiss (très grand organiste français, Nda), peux tu me parler des circonstances de cette rencontre?
J'étais militaire dans l'infanterie de marine à Toulon, quelle horreur......
Un jour je suis rentré chez moi en douce pour aller récupérer ma guitare que j'ai ramenée à la caserne. A cette époque nous étions consignés en quartier car nous avions reçu un nombre important de vaccins car nous partions outre mer.
Puisque j'avais été remarqué avec ma guitare, on m'a demandé d'animer le bal des sous officiers, ce que j'ai fait, c'était en 1966. C'est à dire l'année des "Elucubrations" d'Antoine, tube à la mode que je leur ai joué. Le Colonel m'a remarqué et de ce fait j'ai eu l'autorisation de me produire au cercle des Officiers à Toulon. Après cela j'ai été nommé en Martinique et dans mon bataillon il y avait un orchestre dans lequel se produisait Pierre Louiss qui était guitariste et trompettiste. Pierre Louiss n'était pas militaire avec moi car bien plus agé... Il avait son orchestre et jouait dans les grands clubs de la Martinique (Le Lido entre autres) et me permettait de faire le boeuf .

Nous avons fait le "boeuf" ensemble, saisissant sa guitare j'ai interprété des blues et des rythm & blues.
Ceci m'a permis par la suite de trouver des petits contrats de musiciens qui me permettaient de gagner un peu d'argent. Après j'ai fait les bals de Gendarmerie puis j'ai monté un groupe, un trio qui nous permettait de nous produire dans le plus grand hôtel de l'île. A l'époque nous avons même eu droit aux éloges de la presse locale.

C'était en 1966, donc à ton retour tu as dû avoir le choc de ta vie en découvrant Jimi Hendrix...
Ouf!!!! Putain la claque!
Je l'ai raté en 1966 quand il est passé à l'Olympia parce que j'étais en Martinique. J'ai entendu pour la première fois "Hey Joe" sur Radio Sainte-Lucie dans les caraïbes anglaises. C'était une radio qui passait, par exemple, un groupe nommé les "Merrymen" qui faisait des adaptations de chansons jamaïcaines....

J'adorais les rythmes des caraïbes qui n'étaient pas encore le reggae ni le ska, c'était encore la biguine traditionnelle....
Je pratiquais cette musique ce qui n'était pas forcément du goût des habitants de la Martinique qui envisageaient difficilement qu'un blanc fasse de la musique de noir.

Cependant je jouais beaucoup avec des percussionnistes locaux par exemple. C'est aussi là bas que j'ai découvert Otis Redding qui a été connu aux USA et dans les îles bien avant de l'être en France. C'était formidable, une époque incroyable.
A mon retour dans l'hexagone, Procol Harum cartonnait avec "A Whiter Shade of Pale". Ça été un tournant bizarre mais je me suis vite adapté tout en gardant une grosse racine blues.

Y avait-il déjà une scène blues en France à ce moment là, puisque finalement tu étais là avant les Verbeke, Milteau et autres Giroux?
Non il n'y avait personne, le seul à faire du blues à ce moment là était Henri Salvador qui chantait sur des textes de Boris Vian, "Le blues du dentiste" etc....
Il enregistrait à l'époque sous le nom de Henri Cording. Ces disques sont devenus des pièces de collection.
A un moment il y a eu aussi Colette Magny qui m'impressionnait car elle jouait de la guitare vraiment bien et qu'elle était vraiment dans l'esprit du blues.

Est-ce à ce moment là que tu as intégré le groupe ZOO?
En rentrant du service militaire j'ai décidé d'arrêter la guitare et de m'acheter une conduite. Cependant au bout de 3 mois je n'en pouvais plus. Donc j'ai emprunté de l'argent à ma grand mère pour me racheter un ampli et une Gibson. J'ai ainsi monté un groupe avec lequel j'ai fait le Golf Drouot, nous avons même gagné le tremplin.

En descendant les marches du Golf, deux mecs m'attendaient pour me proposer de les accompagner comme chanteurs et de partir avec eux 15 jours plus tard....

Gagnant plus en tant que musicien qu'avec mon petit boulot, j'ai dit oui tout de suite et j'ai tout lâché. Nous sommes parti en mai 1968, le soir même où la Bourse de Paris brûlait, direction le Club Méditerranée.

L'avion est parti de Bruxelles et a dû atterrir d'urgence à Milan car un moteur était en feu. Nous avons fait le reste du voyage en bus malgré quelques lampes d'amplis Fender foutues et de surcroît introuvables en Italie à ce moment là. Une fois sur place nous avons travaillé comme des fous tous les jours, notre répertoire passant d'une dizaine à une centaine de titres.
En rentrant à Paris nous avons continué, le premier nom du groupe a été "La Question". Grâce à des relations de musiciens nous nous sommes produits au Club Saint Germain, Le Bilboquet où les maisons de disques ont commencé à venir. Nous avons été finalement signé par Bernard De Bosson et Philippe Rault qui s'occupaient de l'international chez Barclay. Le nom de ZOO a finalement été retenu car nous jouions parait-il comme des bêtes.

Notre disque n'étant pas sorti tout de suite nous avons été considéré injustement comme une redite de Blood Sweet & Tears ou de Chicago Transit....La musique s'éloignant de plus en plus du rythm & blues pour devenir de plus en plus délirante et instrumentale, j'ai décidé d'un commun accord avec les autres membres du groupe de quitter celui-ci.

Le jour où j'ai signé ma rupture de contrat avec Barclay, Léo Missir qui était là a ressorti un autre contrat et m'a dit "Maintenant, je te veux toi!".
J'ai eu droit à 6 mois pour préparer un bel album. Je suis donc allé à Londres où je voulais me rendre après avoir rencontré Rory Gallagher de Taste et Chapman de Family à l'Olympia. Voilà comment l'histoire a démarré....

A Londres tu as fréquenté l'Olympic Studio....
Evidement et j'allais bouffer au Speak Easy qui était le club restaurant branché de la ville. J'y mangeais aux côtés des mecs de Deep Purple comme Ian Pace etc....
Quand je suis arrivé à l'Olympic Studio, j'étais tétanisé sachant que les Beatles, les Rolling Stones, le Spencer Davis Group etc.... y avaient fait leurs meilleurs albums, c'était le studio mythique. Le fait de travailler avec des musiciens anglais était aussi un rêve.....

Bizarrement le syndicat des musiciens était tellement fort à l'époque qu'un artiste français qui venait là bas et qui était musicien ne pouvait pas jouer dans le studio. J'étais donc obligé de montrer les plans aux musiciens anglais sinon j'aurai eu des dédommagements à payer au syndicat.....

Un syndicat là bas ça veut dire quelque chose, ce n'est pas comme en France où c'est n'importe quoi....
Ils ont bien raison puisque après tout c'est eux qui ont révolutionné la musique avec les Shadows puis avec les Beatles!

C'est à ce moment que survient l'incroyable aventure de ton hit international "Mamy Blue"....
C'est une drôle d'histoire car j'avais sorti un premier album sous la houlette de Léo Missir avec Claude Engel à la guitare qui est un musicien formidable et qui mériterait d'être aussi connu que Peter Green.

J'ai fait l'album exactement comme je le voulais, j'avais carte blanche à 100%. Malheureusement ce disque n'a eu qu'un succès d'estime, devenant disque de la semaine au "Pop Club" de José Arthur qui était le nec plus ultra à l'époque. C'est Patrice Blanc-Francard qui en signait la programmation. A cette époque être sélectionné dans cette émission c'était avoir les deux étoiles de Général!

Voyant qu'il y avait un potentiel, Léo Missir m'a convoqué dans son bureau pour me faire écouter la démo de "Mamy Blue". J'ai suggéré alors de faire ce morceau de façon plus "gospel" et je lui ai proposé de l'enregistrer à Londres.
Par contre à aucun moment on m'avait dit qu'une version française était prévue et qu'un groupe espagnol était aussi prêt à enregistrer cette chanson. Arrivé à l'Olympic Studio de Londres, le premier tempo retenu par le chef d'orchestre ne m'a pas plu, je lui ai donc expliqué ma façon de voir la chose et il a apprécié le résultat. Le premier enregistrement fait en do mineur était en fait destiné à Nicoletta puisque ma tonalité naturelle est le la mineur...je ne l'ai su que plus tard....

Rentré en France je participe au Festival de Vaison la Romaine où j'étais programmé grâce mon premier album. Le cachet étant payé à Paris, je me suis rapidement retrouvé sans argent. Au bout de quelques jours et après avoir fait la manche pour vivre je me suis résigné à rentrer à Paris pour toucher le cachet qui m'était dû.
Pour cela la Maison Barclay m'a envoyé un mandat de 300 francs afin que je puisse prendre le train.
Environ 1 semaine plus tard ma tronche se retrouvait placardée en 3 mètres sur 4 sur les Champs Elysées.
Cela a démarré le 15 août et je te promets que ça fait vraiment bizarre. Quand une chose comme celle là t'arrive il faut vraiment t'accrocher car tu ne domines plus rien du tout....

A l'époque il n'y avait que 2 chaînes de télé, autant dire que quand tu passais dans une émission toute le France te regardait.
Pour moi ça a été l'enfer. D'autant plus que ce n'était pas une chanson que j'avais écrit, bien que j'y avais mis toute mon âme.

A l'arrivée je me suis rendu compte qu'on s'était servi de moi comme d'un bon citron qu'on a bien pressé. Par la suite je n'ai plus été maître de ce que j'enregistrais, je ne pouvais glisser que quelques morceaux à moi, le reste m'était imposé.

Mon public initial, de ce fait, s'est détourné de moi, me reprochant un côté commercial....
A partir de ce moment-là dans mes concerts, j'avais les grands parents avec leurs petits enfants qui venaient me voir alors que j'attendais des mecs avec des cheveux longs et des jeans pattes d'éléphants. Erreur de casting que j'ai payé très très très très cher (long silence).......

Lors de tes sessions anglaises, tu as côtoyé des grands musiciens tels que ceux du groupe YES ou King Crimson, quelles étaient leurs réactions vis à vis de toi?
Il ont été très ouverts et m'ont même défendu lors d'une altercation avec Yvan Julien, l'arrangeur, qui était très conventionnel et ne voyait pas le blues de la même façon que moi. De surcroît il y avait une histoire de nana entre nous, ce qui n'arrangeait rien...

C'était à l'époque de l'enregistrement de l'album "White Soul", où je ne dirigeais plus rien. Les musiciens, eux, m'encourageaient et m'aidaient à tenir le coup face à l'arrangeur et au directeur artistique. Ils ont été formidables....

Tu as connu un deuxième succès pourtant avec "What a way to go"...
Oui et j'ai connu la même mésaventure qu'avec "Mamy Blue", la version française de cette chanson a été enregistré par Nicole Croisille "Parlez moi de lui".

L'enregistrement s'est fait à Paris et j'ai souhaité avoir un choeur de Gospel lors de celui-ci. De ce fait j'étais très en avance puisque le gospel en France n'est "démocratisé" que depuis quelques années. Nous avons trouvé le groupe "The stars of faith of black nativity" qui était en tournée en Europe. Nous sommes donc allés à Bienne en Suisse où elles se produisaient et elles m'ont fait les choeurs. Pareil, je n'étais pas au courant qu'une version française était prévue....
De ce fait ma version en France n'a eu aucun succès alors que c'est devenu un tube en Australie....

Est-ce pour cette raison que tu t'es de plus en plus mis à chanter en français par la suite?
Pour moi la musique c'était en anglais, mais par la force des choses je me suis mis au français.
J'ai travaillé avec Boris Bergman, qui écrit aussi bien en français qu'en anglais. Ce dernier à un talent rare et il parle 6 ou 7 langues différentes dont le japonais...

C'est un type formidable et nous travaillons toujours ensemble!
J'avais commencé à chanter en français en 1976 et même obtenu un petit succès avec "Les matins de pluie". Là encore c'est une histoire de fou puisque ce titre est sorti l'année de la grande canicule. Il n'a pas plu pendant six mois, ceci a handicapé l'ascension de mon morceau dans les hits.

Deux ans auparavant il m'était arrivé le même genre de mésaventure avec "J'me fais la valise". Alors qu'il allait devenir un tube, il est passé à la trappe car il est sorti au moment de la mort du Président Pompidou....
Le morceau s'est même fait la valise des ondes....
On peut dire que je suis vraiment né avec le blues; j'ai à la fois le blues et la guigne...

Crois tu avoir aussi été victime de l'arrivée des groupes de rock français des années 70?
A partir de la fin des années 70 avec l'arrivée de groupes tels que Téléphone ou Trust, les gens de ma génération sont devenus un peu des "has been"....

C'est au découragement que l'on doit ton silence discographique qui a suivi?
Non, j'ai quitté Barclay car je ne voulais pas faire de la variété. Je suis d'abord un chanteur de groupe, un bluesman et puis basta!
Par la suite je suis tombé sur Gérard Bacquet qui était rédacteur en chef de la revue "Extra" et qui m'a annoncé qu'il était devenu directeur de la production française chez Phonogram. Il m'a fait cadeau d'un peu d'argent et j'ai signé....

J'ai fait un album où j'ai repris "HLM Blues" que j'ai pu enfin enregistrer comme je l'entendais.
Cependant il faut dire que l'avantage chez Barclay, c'était la proximité. Par exemple je pouvais aller voir Monsieur Barclay quand je le voulais et déjeuner avec lui.
Chez Phonogram je me suis retrouvé derrière Hallyday et tous les autres artistes, comme un yaourt quelconque dans une usine laitière....

Un jour, j'ai demandé un rendez-vous car j'avais enregistré un morceau "Mamaé" avec Carole Fredericks et Yvonne Jones qui venaient d'arriver des USA et de démarrer en France. Elles m'ont fait les choeurs gratuitement car elles adoraient le morceau. On a fait une opération RTL, le public a bissé lors de mes prestations radiophoniques en direct et Madame Lemarcy (programmatrice de RTL à l'époque, Nda) m'a demandé de rejouer 1 heure plus tard. Malgré cela, Phonogram m'a indiqué que le disque ne serait pressé qu'à 800 exemplaires. Ils n'y croyaient pas !

Je me suis donc fâché avec les gens du label sur place.
Quelques minutes plus tard, Francis Cabrel qui venait de sortir son premier album m'a demandé de faire le boeuf avec lui. Comme j'étais énervé, je lui ai dit "Mais qui t'es toi etc....". Je l'ai envoyé chier avec beaucoup de force, ce que j'ai regretté. Heureusement nous nous sommes revus 10 ans plus tard, ce qui m'a permis de régler cette fâcheuse mésentente en lui expliquant le pourquoi du comment de ma réaction et lui disant pourquoi il était mal tombé à ce moment-là.

J'ai donc demandé à Phonogram de me rendre mon contrat.....
Comme à l'époque à part Barclay et Phonogram il n'y avait pas grand chose je me suis retrouvé sans maison de disques...
Il faut dire que mon dernier rendez-vous avec le PDG de Phonogram s'est très mal passé. Lui c'était le PDG très 16éme et moi j'étais le bluesman. J'ai dis tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, j'ai mis un grand coup de pied dans la fourmilière et là aussi je l'ai payé très cher....

Quasiment au même moment émerge une nouvelle scène blues en France avec Patrick Verbeke et Benoit Blue Boy par exemple. Comment se comportaient-ils vis à vis de toi, étais-tu un "grand frère spirituel" ou étaient-ils distants?
Un jour, à cette époque, j'ai rencontré Bill Deraime qui sortait son premier 45 tours "C'est dur". Le son de celui-ci correspondait exactement à ce que j'avais en tête.
J'ai donc commencé à me renier, car jusqu'à présent j'avais dû faire des concessions alors que j'aurai dû continuer à faire ce que je voulais....

Concernant Patrick Verbeke, je le connaissais car il était copain avec des musiciens avec lesquels je jouais. Cependant j'étais considéré comme un concurrent par lui et Benoît Blue Boy, nous n'avons pas beaucoup d'affinités.
Par la suite Bill Deraime a un peu pété les plombs en faisant du raggea, "Babylone tu déconnes", je trouvais ça facile comme rime....

Tout le monde se targue du blues, mais en fait ce n'est pas vrai, du blues en France il n'y en a pas!
Je n'ai aucune animosité contre des gens comme Patrick Verbeke, Deraime, Benoit Blue Boy ou encore Paul Personne. Je suis content pour eux mais c'est lourd pour moi quand on sait ce que j'ai vécu et ce que je suis capable de donner sur scène.

Il y a beaucoup de gens en France qui se croient des spécialistes alors qu'ils ne connaissent Robert Johnson que depuis 10 ans. Les Anglais eux, ont eu la chance d'avoir des marins qui traversaient la mer et ramenaient des disques. Il suffit de voir les Beatles à Liverpool, tout est venu des ports.
Idem pour Brian Jones qui a appris aux côtés d'Alexis Korner dans le circuit blues underground anglais.
Ce qui est sûr c'est que le blues est la musique qui a révolutionné le 20ème siècle. Tous les grands jazzmen ont d'abord joués du blues. Quand ils ne savent plus quoi jouer sur scène, c'est du bon vieux blues qu'ils font....

La parenthèse discographique s'est alors fermée mais as tu continué à composer?
Je n'ai jamais arrêté!
J'ai même réarrangé deux ou trois titres d'Howlin' Wolf comme Eric Clapton a pu le faire avec ses albums de reprises de standards du blues.

J'ai du matériel de prêt mais pas de maison de disques. Ces dernières sont intéressées par la Star Ac', pas par des vieux briscards comme moi...
Le drame de l'histoire c'est que je n'arrive même pas à obtenir une compilation de mes titres préférés....
C'est d'autant plus rageant que de nombreuses personnes l'attendent, à commencer par Philippe Manoeuvre de Rock'n'Folk qui est le monsieur rock en France...

Comment se fait-il qu'ils ne sortent pas ma compil' alors qu'ils ont toutes mes bandes et qu'il ressortent des compils' de compils' de compils' de compils' d'autres artistes ?
J'en suis là pour le moment....

Au milieu des années 90 il y a eu le projet avorté de ton album "Spleen Blues" (très bon album autoproduit qu'il est possible de se procurer sur le site de Joël, Nda) puis en 1998 la compilation de titres de Buddy Holly interprétés par des artistes français et produite par Boris Bergman qui en a signé toutes les adaptations (Holly Days, Odeon records 1998). Peux tu me parler de cette collaboration puisque tu figures au générique du disque?
J'ai toujours gardé de bons contacts avec Boris et nous partageons des valeurs communes.

Il a pensé à moi pour ce titre ("J't'aim'rai encore tout à l'heure" adaptation de "I'm gonna love you too", Nda). Mais encore une fois le projet n'a pas reçu l'accueil espéré, puisque le directeur artistique qui l'avait signé est parti entre temps....

Celui qui est arrivé à la place ne voulait pas prendre le bébé avec l'eau du bain....
Nous nous sommes retrouvés avec un projet arrivé à terme mais qui n'a pas eu ni la mise en place, ni la promotion qu'il aurait mérité....

Aujourd'hui, scandaleusement, on ne te trouve dans aucun bac chez les disquaires, mais tu continues à te produire, la scène reste-t-elle ton moteur?
Disons que chanteur, musicien, auteur etc...ce n'est pas un métier. C'est d'abord un sacerdoce. Si on croit qu'on va devenir milliardaire, il faut vite changer de voie et faire de grandes études, puis être pistonné puis aller travailler dans une grande multinationale. Bien qu'on y sera aussi traité comme de la merde.....

J'en été arrivé à un tel point que je voulais monter un petit club bouffe-musique. J'ai donc pris une année sabbatique et je suis allé en Lycée Hôtelier où j'ai suivis un cursus culinaire complet, y passant le C.A.P et le B.P. J'ai même fait des stages en entreprise et eu la chance de travailler avec Eric Briffard au Plaza Athénée avant que l'établissement ne soit démolit et repris par Alain Ducasse.
Avec cette expérience en poche, je suis allé voir les banquiers pour faire aboutir mon projet. Ces derniers m'ont gentiment envoyé promener, refusant de me prêter de l'argent si ne n'avais pas 90% de la somme totale....

J'en suis là......
De temps en temps, quand je suis à l'agonie je fais un peu la cuisine, mais ma vie est avant tout la musique...
Comme je connais bien la position d'un Chef, à chaque fois que je me produis dans un club, je vais d'abord dire bonjour au patron puis au Chef cuisinier. Aujourd'hui je parle de cuisine comme je parlerai de musique avec un musicien.

Nous sommes en 2006, que pouvons nous te souhaiter et que pouvons nous faire pour changer les choses?
D'abord d'avoir la santé, puis peut être un miracle, peut être sait on jamais....
Ce ne sera qu'en suivant mon chemin de pèlerin avec mon bâton et ma guitare sur le dos que je pourrai m'en sortir. En allant voir les gens là où on voudra bien me faire l'honneur de me réclamer...

On dit qu'on fait tout pour promouvoir la musique vivante alors qu'on fait tout pour fermer les endroits où on en trouve. Les gens qui tiennent ces endroits, il faut vraiment les encourager, les remercier et être solidaire, ce n'est pas évident pour eux, on leur fait la vie très triste...

As tu une conclusion à ajouter?
Qu'on enseigne la musique d'une façon différente, moins académique. Si quelqu'un tape naturellement sur le contre temps, qu'on le laisse faire !

Qu'on s'attache un peu moins à la "nouvelle chanson" qui est comme la nouvelle cuisine, un argument de marketing. Il y a la nouvelle chanson tous les 8 ans, puis on s'aperçoit qu'avec cette nouvelle chanson on est au même niveau qu'avec André Claveau avant guerre, on retombe dans le même délire....

J'aimerai que les jeunes soient curieux et qu'ils écoutent ce qui s'est passé avant eux. Je crois que la musique est un éternel recommencement. Pour preuve on redécouvre aujourd'hui Mozart car c'est l'année Mozart. Le pauvre, quand on sait qu'il n'a eu que son chien derrière son corbillard pour l'accompagner....

Il n'y a pas grand chose qui a vraiment changé sur la terre, ce qui est assez désespérant.
Pour les artistes, de leur vivant, c'est très très très dur....
Par contre, qu'est ce qu'on a comme talent une fois qu'on est mort.... !

C'est hallucinant mais c'est comme ça. Je crois que l'être humain est ainsi fait, malheureusement…

 


 
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joeldayde.com
libertalia-paris.com

Interview réalisée au Libertalia à Ivry sur Seine le 24 Février 2006

Propos recueillis par David BAERST

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