Joël, quelle a été ton éducation
musicale, le blues faisait-il déjà parti de tes influences
dans ton enfance?
Cela remonte à longtemps...
J'ai eu la chance d'avoir un père qui était amateur de musique.
De ce fait, il y a toujours eu une radio à la maison. Il adorait
l'accordéon et le musette, alors que moi je détestais ça.
Ma vie a changé à partir du moment où Europe 1 s'est
monté. Cela devait se passer en 1954, je devais avoir 7 ou 8 ans.
La musique a toujours été une chose qui m'a passionné.
J'avais un oncle qui habitait Alès la Grand' Combe.
C'est là bas qu'une émotion m'a transpercé en écoutant
la Clique des Mineurs d'Alès dont l'un des membres, à l'époque,
était Maurice André. Les cuivres sonnaient de façon
hallucinante, rien que d'en parler, j'en ai encore la chaire de poule...
Cela a peut être été ma première grande émotion
par rapport à la musique vivante.
Dès lors, tout petit, j'ai commencé à rafler tous
les prix de musique. J'avais un professeur au cours préparatoire
qui a détecté mes facultés pour la musique et la
poésie. De ce fait, bien qu'habitant les deuxièmes fonds
de cour du XVIème ; puisque je ne suis pas un bourgeois, j'ai pu
fréquenter les beaux milieux en faisant du théâtre.
C'était un théâtre magnifique à côté
du Palais de Chaillot qui m'a fait connaître ma première
sensation scénique. Arrivé en classe de 6ème, j'ai
intégré les scouts où - là aussi - j'ai fait
du théâtre avec mon camarade de classe, Martin Lamotte
qui a attrapé le virus de la comédie à cette période.
Puis sur Europe 1, ce fût les débuts de l'émission
"Pour ceux qui aiment le jazz" (de Franck Ténot
et Philippe Fillipachi qui fondèrent plus tard " Salut
les Copains ", Nda). De ce fait je me suis tapé tout le
jazz moderne pour pouvoir écouter 1 ou 2 bluesmen qui passaient
à ce moment là.
Pour être exact, ce n'était pas le blues que j'ai découvert
en premier mais le gospel. Quand j'ai entendu ces noirs du Mississippi
qui chantaient dans les églises je me suis dit :" Si c'est
ça l'église, j'y passerai tous les jours du matin au soir
et j'y prierai avec eux!".De surcroît c'était au
moment des évènements de Montgomery et de la discrimination
raciale. Je ne pourrai pas expliquer pourquoi mais j'étais complètement
impliqué dans cette histoire. J'étais scandalisé
de voir de la façon dont on traitait ces noirs aux Etats-Unis.
D'autant plus que c'était eux qui avaient libéré
l'Europe et tant fait pour la démocratie dans le monde à
ce moment là.
J'écoutais Mahalia Jackson, Sister Rosetta Tharpe, Evelyn Freeman,
Clara Ward, c'était la voie du bon Dieu...
J'ai alors constaté qu'il y avait une voie identique qui parlait
des femmes, d'alcool et de la vie, c'était le blues....
La trame musicale des deux genres est exactement la même, j'ai alors
décidé d'approfondir ma culture avec le delta etc...
Quand j'ai entendu le premier album des Rolling Stones avec le
morceau "I'm a king bee" (Joël chante alors quelques
paroles de la chanson) je suis resté tétanisé,
me disant que c'était vraiment là ma musique! J'ai alors
découvert des gens comme Eric Clapton en Angleterre. Il
avait intégré alors le réseau des puristes aux côtés
de Alexis Korner et de tous les autres artistes de cette école.
De mon côté j'étais vraiment seul en France où
il était impossible de trouver le moindre disque de blues.
Cette musique s'est démocratisée dans notre pays avec l'arrivée
de Ray Charles, puis il y a eu la vague du rythm and blues avec
Wilson Pickett, Aretha Franklin, Sam & Dave, Otis Redding etc...
J'ai eu ma première guitare en 1961 et tous comme des dizaines
de milliers de guitaristes j'ai commencé en jouant "What'd
I say", je n'ai jamais arrêté...
Tu es donc un autodidacte...
Complètement, il n'y avait pas de méthode à ce moment-là.
A l'époque tu devais faire de la guitare classique ou rien du tout,
même l'accordéon n'était pas admis dans les cours
nationaux de musique. Tu pouvais choisir entre le piano ou le violon -
voir le saxophone, mais le saxophone classique...
Beaucoup de gosses ont été dégoûtés
de la musique par les méthodes d'enseignement de cette période,
coups de règle sur les doigts etc...
Heureusement que cela a évolué à partir des années
60, mais auparavant, à moins d'avoir un père musicien c'était
très difficile d'obtenir un bon apprentissage.
Très tôt, tu as profité de
ton passage au club le "Blue Note" à Paris, en tant que
barman, pour rencontrer de nombreux jazzmen, est-ce des gens qui t'ont
aiguillé dans tes choix musicaux?
J'en ai un souvenir incroyable; je m'étais fait engagé en
tant que commis de bar pendant les vacances scolaires, alors que je n'avais
que 15 et que j'étais un guitariste autodidacte. J'y ai rencontré
le pianiste Kenny Drew, Larry Ritchie, Bud Powell, Mae Maecer le
guitariste belge René Thomas....
Je préparais les oeufs au bacon pour les chanteuses de blues qui
s'y produisaient. Je n'étais vraiment là que pour ça.
Il faut dire que je gagnais 30 balles ce qui était vraiment misérable.
René Thomas me prêtait souvent sa guitare, une Gibson à
caisse et il me montrait des plans.
Nous allions déguster le meilleur steak tartare de Paris, rue de
Berri ensemble et j'ai fumé ma première pipe d'herbe avec
eux.
Il y avait aussi dans la bande le grand Johnny Griffin, un saxophoniste
terrible, qui est toujours en activité.
J'étais un môme et ces artistes voyaient à quel point
j'étais passionné. J'ai aussi eu la chance de fréquenter
le grand Dizzy Gillepsie en chair et en os....
Cependant mon truc c'était le blues, j'ai ainsi eu la chance de
rencontrer Champion Jack Dupree qui jouait à la "Grande
Séverine" ou encore Memphis Slim, cela restera
gravé à tout jamais.
A l'époque je pouvais aussi voir des gens comme Willie Dixon,
John Lee Hooker etc.... Ce club était tenu par deux dames,
il est devenu aujourd'hui un tripot pour touristes, il n'a plus aucune
âme. J'étais réellement un fan de musique noire, si
il n'y avait eu que la variété, je n'aurai jamais fait de
musique....
Ce qui était bizarre, quand j'allais assister à des concerts
de blues, c'est que je voyais que les gens tapaient dans les mains. Cependant
je ne participais pas avec eux, car j'avais remarqué qu'ils tapaient
sur le premier temps, ce qui est une aberration, car le swing c'est sur
le deuxième temps, c'est à dire le temps faible.
Aujourd'hui quand on regarde la télévision, on constate
que les gens font toujours la même erreur, ce qui rend fous les
musiciens et principalement les batteurs.
On a beau indiquer le bon temps aux gens, lorsqu'on arrête de taper
avec eux, ils refont la même erreur, il n'y a rien à faire....
Tu as aussi rencontré Pierre Louiss, le
père d'Eddy Louiss (très grand organiste français,
Nda), peux tu me parler des circonstances de cette rencontre?
J'étais militaire dans l'infanterie de marine à Toulon,
quelle horreur......
Un jour je suis rentré chez moi en douce pour aller récupérer
ma guitare que j'ai ramenée à la caserne. A cette époque
nous étions consignés en quartier car nous avions reçu
un nombre important de vaccins car nous partions outre mer.
Puisque j'avais été remarqué avec ma guitare, on
m'a demandé d'animer le bal des sous officiers, ce que j'ai fait,
c'était en 1966. C'est à dire l'année des "Elucubrations"
d'Antoine, tube à la mode que je leur ai joué. Le
Colonel m'a remarqué et de ce fait j'ai eu l'autorisation de me
produire au cercle des Officiers à Toulon. Après cela j'ai
été nommé en Martinique et dans mon bataillon il
y avait un orchestre dans lequel se produisait Pierre Louiss qui
était guitariste et trompettiste. Pierre Louiss n'était
pas militaire avec moi car bien plus agé... Il avait son orchestre
et jouait dans les grands clubs de la Martinique (Le Lido entre autres)
et me permettait de faire le boeuf .
Nous avons fait le "boeuf" ensemble, saisissant sa guitare j'ai
interprété des blues et des rythm & blues.
Ceci m'a permis par la suite de trouver des petits contrats de musiciens
qui me permettaient de gagner un peu d'argent. Après j'ai fait
les bals de Gendarmerie puis j'ai monté un groupe, un trio qui
nous permettait de nous produire dans le plus grand hôtel de l'île.
A l'époque nous avons même eu droit aux éloges de
la presse locale.
C'était en 1966, donc à ton retour
tu as dû avoir le choc de ta vie en découvrant Jimi Hendrix...
Ouf!!!! Putain la claque!
Je l'ai raté en 1966 quand il est passé à l'Olympia
parce que j'étais en Martinique. J'ai entendu pour la première
fois "Hey Joe" sur Radio Sainte-Lucie dans les caraïbes
anglaises. C'était une radio qui passait, par exemple, un groupe
nommé les "Merrymen" qui faisait des adaptations
de chansons jamaïcaines....
J'adorais les rythmes des caraïbes qui n'étaient pas encore
le reggae ni le ska, c'était encore la biguine traditionnelle....
Je pratiquais cette musique ce qui n'était pas forcément
du goût des habitants de la Martinique qui envisageaient difficilement
qu'un blanc fasse de la musique de noir.
Cependant je jouais beaucoup avec des percussionnistes locaux par exemple.
C'est aussi là bas que j'ai découvert Otis Redding qui a
été connu aux USA et dans les îles bien avant de l'être
en France. C'était formidable, une époque incroyable.
A mon retour dans l'hexagone, Procol Harum cartonnait avec "A
Whiter Shade of Pale". Ça été un tournant
bizarre mais je me suis vite adapté tout en gardant une grosse
racine blues.
Y avait-il déjà une scène
blues en France à ce moment là, puisque finalement tu étais
là avant les Verbeke, Milteau et autres Giroux?
Non il n'y avait personne, le seul à faire du blues à ce
moment là était Henri Salvador qui chantait sur des
textes de Boris Vian, "Le blues du dentiste" etc....
Il enregistrait à l'époque sous le nom de Henri Cording.
Ces disques sont devenus des pièces de collection.
A un moment il y a eu aussi Colette Magny qui m'impressionnait
car elle jouait de la guitare vraiment bien et qu'elle était vraiment
dans l'esprit du blues.
Est-ce à ce moment là que tu as
intégré le groupe ZOO?
En rentrant du service militaire j'ai décidé d'arrêter
la guitare et de m'acheter une conduite. Cependant au bout de 3 mois je
n'en pouvais plus. Donc j'ai emprunté de l'argent à ma grand
mère pour me racheter un ampli et une Gibson. J'ai ainsi monté
un groupe avec lequel j'ai fait le Golf Drouot, nous avons même
gagné le tremplin.

En descendant les marches du Golf, deux mecs m'attendaient pour me proposer
de les accompagner comme chanteurs et de partir avec eux 15 jours plus
tard....
Gagnant plus en tant que musicien qu'avec mon petit boulot, j'ai dit oui
tout de suite et j'ai tout lâché. Nous sommes parti en mai
1968, le soir même où la Bourse de Paris brûlait, direction
le Club Méditerranée.
L'avion est parti de Bruxelles et a dû atterrir d'urgence à
Milan car un moteur était en feu. Nous avons fait le reste du voyage
en bus malgré quelques lampes d'amplis Fender foutues et de surcroît
introuvables en Italie à ce moment là. Une fois sur place
nous avons travaillé comme des fous tous les jours, notre répertoire
passant d'une dizaine à une centaine de titres.
En rentrant à Paris nous avons continué, le premier nom
du groupe a été "La Question". Grâce
à des relations de musiciens nous nous sommes produits au Club
Saint Germain, Le Bilboquet où les maisons de disques ont commencé
à venir. Nous avons été finalement signé par
Bernard De Bosson et Philippe Rault qui s'occupaient de l'international
chez Barclay. Le nom de ZOO a finalement été retenu car
nous jouions parait-il comme des bêtes.
Notre disque n'étant pas sorti tout de suite nous avons été
considéré injustement comme une redite de Blood Sweet &
Tears ou de Chicago Transit....La musique s'éloignant de plus en
plus du rythm & blues pour devenir de plus en plus délirante
et instrumentale, j'ai décidé d'un commun accord avec les
autres membres du groupe de quitter celui-ci.
Le jour où j'ai signé ma rupture de contrat avec Barclay,
Léo Missir qui était là a ressorti un autre contrat
et m'a dit "Maintenant, je te veux toi!".
J'ai eu droit à 6 mois pour préparer un bel album. Je suis
donc allé à Londres où je voulais me rendre après
avoir rencontré Rory Gallagher de Taste et Chapman de Family
à l'Olympia. Voilà comment l'histoire a démarré....
A Londres tu as fréquenté l'Olympic
Studio....
Evidement et j'allais bouffer au Speak Easy qui était le club restaurant
branché de la ville. J'y mangeais aux côtés des mecs
de Deep Purple comme Ian Pace etc....
Quand je suis arrivé à l'Olympic Studio, j'étais
tétanisé sachant que les Beatles, les Rolling Stones, le
Spencer Davis Group etc.... y avaient fait leurs meilleurs albums, c'était
le studio mythique. Le fait de travailler avec des musiciens anglais était
aussi un rêve.....
Bizarrement le syndicat des musiciens était tellement fort à
l'époque qu'un artiste français qui venait là bas
et qui était musicien ne pouvait pas jouer dans le studio. J'étais
donc obligé de montrer les plans aux musiciens anglais sinon j'aurai
eu des dédommagements à payer au syndicat.....
Un syndicat là bas ça veut dire quelque chose, ce n'est
pas comme en France où c'est n'importe quoi....
Ils ont bien raison puisque après tout c'est eux qui ont révolutionné
la musique avec les Shadows puis avec les Beatles!
C'est à ce moment que survient l'incroyable
aventure de ton hit international "Mamy Blue"....
C'est une drôle d'histoire car j'avais sorti un premier album sous
la houlette de Léo Missir avec Claude Engel à la
guitare qui est un musicien formidable et qui mériterait d'être
aussi connu que Peter Green.
J'ai fait l'album exactement comme je le voulais, j'avais carte blanche
à 100%. Malheureusement ce disque n'a eu qu'un succès d'estime,
devenant disque de la semaine au "Pop Club" de José
Arthur qui était le nec plus ultra à l'époque. C'est
Patrice Blanc-Francard qui en signait la programmation. A cette
époque être sélectionné dans cette émission
c'était avoir les deux étoiles de Général!
Voyant qu'il y avait un potentiel, Léo Missir m'a convoqué
dans son bureau pour me faire écouter la démo de "Mamy
Blue". J'ai suggéré alors de faire ce morceau de
façon plus "gospel" et je lui ai proposé de l'enregistrer
à Londres.
Par contre à aucun moment on m'avait dit qu'une version française
était prévue et qu'un groupe espagnol était aussi
prêt à enregistrer cette chanson. Arrivé à
l'Olympic Studio de Londres, le premier tempo retenu par le chef d'orchestre
ne m'a pas plu, je lui ai donc expliqué ma façon de voir
la chose et il a apprécié le résultat. Le premier
enregistrement fait en do mineur était en fait destiné à
Nicoletta puisque ma tonalité naturelle est le la mineur...je
ne l'ai su que plus tard....
Rentré en France je participe au Festival de Vaison la Romaine
où j'étais programmé grâce mon premier album.
Le cachet étant payé à Paris, je me suis rapidement
retrouvé sans argent. Au bout de quelques jours et après
avoir fait la manche pour vivre je me suis résigné à
rentrer à Paris pour toucher le cachet qui m'était dû.
Pour cela la Maison Barclay m'a envoyé un mandat de 300 francs
afin que je puisse prendre le train.
Environ 1 semaine plus tard ma tronche se retrouvait placardée
en 3 mètres sur 4 sur les Champs Elysées.
Cela a démarré le 15 août et je te promets que ça
fait vraiment bizarre. Quand une chose comme celle là t'arrive
il faut vraiment t'accrocher car tu ne domines plus rien du tout....
A l'époque il n'y avait que 2 chaînes de télé,
autant dire que quand tu passais dans une émission toute le France
te regardait.
Pour moi ça a été l'enfer. D'autant plus que ce n'était
pas une chanson que j'avais écrit, bien que j'y avais mis toute
mon âme.
A l'arrivée je me suis rendu compte qu'on s'était servi
de moi comme d'un bon citron qu'on a bien pressé. Par la suite
je n'ai plus été maître de ce que j'enregistrais,
je ne pouvais glisser que quelques morceaux à moi, le reste m'était
imposé.
Mon public initial, de ce fait, s'est détourné de moi,
me reprochant un côté commercial....
A partir de ce moment-là dans mes concerts, j'avais les grands
parents avec leurs petits enfants qui venaient me voir alors que j'attendais
des mecs avec des cheveux longs et des jeans pattes d'éléphants.
Erreur de casting que j'ai payé très très très
très cher (long silence).......
Lors de tes sessions anglaises, tu as côtoyé
des grands musiciens tels que ceux du groupe YES ou King Crimson, quelles
étaient leurs réactions vis à vis de toi?
Il ont été très ouverts et m'ont même défendu
lors d'une altercation avec Yvan Julien, l'arrangeur, qui était
très conventionnel et ne voyait pas le blues de la même façon
que moi. De surcroît il y avait une histoire de nana entre nous,
ce qui n'arrangeait rien...
C'était à l'époque de l'enregistrement de l'album
"White Soul", où je ne dirigeais plus rien. Les musiciens,
eux, m'encourageaient et m'aidaient à tenir le coup face à
l'arrangeur et au directeur artistique. Ils ont été formidables....
Tu as connu un deuxième succès pourtant
avec "What a way to go"...
Oui et j'ai connu la même mésaventure qu'avec "Mamy
Blue", la version française de cette chanson a été
enregistré par Nicole Croisille "Parlez moi de lui".
L'enregistrement s'est fait à Paris et j'ai souhaité avoir
un choeur de Gospel lors de celui-ci. De ce fait j'étais très
en avance puisque le gospel en France n'est "démocratisé"
que depuis quelques années. Nous avons trouvé le groupe
"The stars of faith of black nativity" qui était
en tournée en Europe. Nous sommes donc allés à Bienne
en Suisse où elles se produisaient et elles m'ont fait les choeurs.
Pareil, je n'étais pas au courant qu'une version française
était prévue....
De ce fait ma version en France n'a eu aucun succès alors que c'est
devenu un tube en Australie....
Est-ce pour cette raison que tu t'es de plus en
plus mis à chanter en français par la suite?
Pour moi la musique c'était en anglais, mais par la force des choses
je me suis mis au français.
J'ai travaillé avec Boris Bergman, qui écrit aussi
bien en français qu'en anglais. Ce dernier à un talent rare
et il parle 6 ou 7 langues différentes dont le japonais...
C'est un type formidable et nous travaillons toujours ensemble!
J'avais commencé à chanter en français en 1976 et
même obtenu un petit succès avec "Les matins de pluie".
Là encore c'est une histoire de fou puisque ce titre est sorti
l'année de la grande canicule. Il n'a pas plu pendant six mois,
ceci a handicapé l'ascension de mon morceau dans les hits.
Deux ans auparavant il m'était arrivé le même genre
de mésaventure avec "J'me fais la valise". Alors
qu'il allait devenir un tube, il est passé à la trappe car
il est sorti au moment de la mort du Président Pompidou....
Le morceau s'est même fait la valise des ondes....
On peut dire que je suis vraiment né avec le blues; j'ai à
la fois le blues et la guigne...
Crois tu avoir aussi été victime
de l'arrivée des groupes de rock français des années
70?
A partir de la fin des années 70 avec l'arrivée de groupes
tels que Téléphone ou Trust, les gens de ma génération
sont devenus un peu des "has been"....
C'est au découragement que l'on doit ton
silence discographique qui a suivi?
Non, j'ai quitté Barclay car je ne voulais pas faire de la variété.
Je suis d'abord un chanteur de groupe, un bluesman et puis basta!
Par la suite je suis tombé sur Gérard Bacquet qui était
rédacteur en chef de la revue "Extra" et qui m'a annoncé
qu'il était devenu directeur de la production française
chez Phonogram. Il m'a fait cadeau d'un peu d'argent et j'ai signé....
J'ai fait un album où j'ai repris "HLM Blues"
que j'ai pu enfin enregistrer comme je l'entendais.
Cependant il faut dire que l'avantage chez Barclay, c'était la
proximité. Par exemple je pouvais aller voir Monsieur Barclay quand
je le voulais et déjeuner avec lui.
Chez Phonogram je me suis retrouvé derrière Hallyday et
tous les autres artistes, comme un yaourt quelconque dans une usine laitière....
Un jour, j'ai demandé un rendez-vous car j'avais enregistré
un morceau "Mamaé" avec Carole Fredericks
et Yvonne Jones qui venaient d'arriver des USA et de démarrer
en France. Elles m'ont fait les choeurs gratuitement car elles adoraient
le morceau. On a fait une opération RTL, le public a bissé
lors de mes prestations radiophoniques en direct et Madame Lemarcy (programmatrice
de RTL à l'époque, Nda) m'a demandé de rejouer
1 heure plus tard. Malgré cela, Phonogram m'a indiqué que
le disque ne serait pressé qu'à 800 exemplaires. Ils n'y
croyaient pas !
Je me suis donc fâché avec les gens du label sur place.
Quelques minutes plus tard, Francis Cabrel qui venait de sortir
son premier album m'a demandé de faire le boeuf avec lui. Comme
j'étais énervé, je lui ai dit "Mais qui t'es
toi etc....". Je l'ai envoyé chier avec beaucoup de force,
ce que j'ai regretté. Heureusement nous nous sommes revus 10 ans
plus tard, ce qui m'a permis de régler cette fâcheuse mésentente
en lui expliquant le pourquoi du comment de ma réaction et lui
disant pourquoi il était mal tombé à ce moment-là.
J'ai donc demandé à Phonogram de me rendre mon contrat.....
Comme à l'époque à part Barclay et Phonogram il n'y
avait pas grand chose je me suis retrouvé sans maison de disques...
Il faut dire que mon dernier rendez-vous avec le PDG de Phonogram s'est
très mal passé. Lui c'était le PDG très 16éme
et moi j'étais le bluesman. J'ai dis tout haut ce que beaucoup
pensaient tout bas, j'ai mis un grand coup de pied dans la fourmilière
et là aussi je l'ai payé très cher....
Quasiment au même moment émerge une
nouvelle scène blues en France avec Patrick Verbeke et Benoit Blue
Boy par exemple. Comment se comportaient-ils vis à vis de toi,
étais-tu un "grand frère spirituel" ou étaient-ils
distants?
Un jour, à cette époque, j'ai rencontré Bill Deraime
qui sortait son premier 45 tours "C'est dur". Le son
de celui-ci correspondait exactement à ce que j'avais en tête.
J'ai donc commencé à me renier, car jusqu'à présent
j'avais dû faire des concessions alors que j'aurai dû continuer
à faire ce que je voulais....
Concernant Patrick Verbeke, je le connaissais car il était
copain avec des musiciens avec lesquels je jouais. Cependant j'étais
considéré comme un concurrent par lui et Benoît
Blue Boy, nous n'avons pas beaucoup d'affinités.
Par la suite Bill Deraime a un peu pété les plombs en faisant
du raggea, "Babylone tu déconnes", je trouvais
ça facile comme rime....
Tout le monde se targue du blues, mais en fait ce n'est pas vrai, du blues
en France il n'y en a pas!
Je n'ai aucune animosité contre des gens comme Patrick Verbeke,
Deraime, Benoit Blue Boy ou encore Paul Personne. Je suis content pour
eux mais c'est lourd pour moi quand on sait ce que j'ai vécu et
ce que je suis capable de donner sur scène.
Il y a beaucoup de gens en France qui se croient des spécialistes
alors qu'ils ne connaissent Robert Johnson que depuis 10 ans. Les Anglais
eux, ont eu la chance d'avoir des marins qui traversaient la mer et ramenaient
des disques. Il suffit de voir les Beatles à Liverpool, tout est
venu des ports.
Idem pour Brian Jones qui a appris aux côtés d'Alexis Korner
dans le circuit blues underground anglais.
Ce qui est sûr c'est que le blues est la musique qui a révolutionné
le 20ème siècle. Tous les grands jazzmen ont d'abord joués
du blues. Quand ils ne savent plus quoi jouer sur scène, c'est
du bon vieux blues qu'ils font....
La parenthèse discographique s'est alors
fermée mais as tu continué à composer?
Je n'ai jamais arrêté!
J'ai même réarrangé deux ou trois titres d'Howlin'
Wolf comme Eric Clapton a pu le faire avec ses albums de reprises de standards
du blues.
J'ai du matériel de prêt mais pas de maison de disques. Ces
dernières sont intéressées par la Star Ac', pas par
des vieux briscards comme moi...
Le drame de l'histoire c'est que je n'arrive même pas à obtenir
une compilation de mes titres préférés....
C'est d'autant plus rageant que de nombreuses personnes l'attendent, à
commencer par Philippe Manoeuvre de Rock'n'Folk qui est le monsieur rock
en France...
Comment se fait-il qu'ils ne sortent pas ma compil' alors qu'ils ont toutes
mes bandes et qu'il ressortent des compils' de compils' de compils' de
compils' d'autres artistes ?
J'en suis là pour le moment....
Au milieu des années 90 il y a eu le projet
avorté de ton album "Spleen Blues" (très bon album
autoproduit qu'il est possible de se procurer sur le site de Joël,
Nda) puis en 1998 la compilation de titres de Buddy Holly interprétés
par des artistes français et produite par Boris Bergman qui en
a signé toutes les adaptations (Holly Days, Odeon records 1998).
Peux tu me parler de cette collaboration puisque tu figures au générique
du disque?
J'ai toujours gardé de bons contacts avec Boris et nous partageons
des valeurs communes.
Il a pensé à moi pour ce titre ("J't'aim'rai encore
tout à l'heure" adaptation de "I'm gonna love you too",
Nda). Mais encore une fois le projet n'a pas reçu l'accueil espéré,
puisque le directeur artistique qui l'avait signé est parti entre
temps....
Celui qui est arrivé à la place ne voulait pas prendre le
bébé avec l'eau du bain....
Nous nous sommes retrouvés avec un projet arrivé à
terme mais qui n'a pas eu ni la mise en place, ni la promotion qu'il aurait
mérité....
Aujourd'hui, scandaleusement, on ne te trouve
dans aucun bac chez les disquaires, mais tu continues à te produire,
la scène reste-t-elle ton moteur?
Disons que chanteur, musicien, auteur etc...ce n'est pas un métier.
C'est d'abord un sacerdoce. Si on croit qu'on va devenir milliardaire,
il faut vite changer de voie et faire de grandes études, puis être
pistonné puis aller travailler dans une grande multinationale.
Bien qu'on y sera aussi traité comme de la merde.....
J'en été arrivé à un tel point que je voulais
monter un petit club bouffe-musique. J'ai donc pris une année sabbatique
et je suis allé en Lycée Hôtelier où j'ai suivis
un cursus culinaire complet, y passant le C.A.P et le B.P. J'ai même
fait des stages en entreprise et eu la chance de travailler avec Eric
Briffard au Plaza Athénée avant que l'établissement
ne soit démolit et repris par Alain Ducasse.
Avec cette expérience en poche, je suis allé voir les banquiers
pour faire aboutir mon projet. Ces derniers m'ont gentiment envoyé
promener, refusant de me prêter de l'argent si ne n'avais pas 90%
de la somme totale....
J'en suis là......
De temps en temps, quand je suis à l'agonie je fais un peu la cuisine,
mais ma vie est avant tout la musique...
Comme je connais bien la position d'un Chef, à chaque fois que
je me produis dans un club, je vais d'abord dire bonjour au patron puis
au Chef cuisinier. Aujourd'hui je parle de cuisine comme je parlerai de
musique avec un musicien.
Nous sommes en 2006, que pouvons nous te souhaiter
et que pouvons nous faire pour changer les choses?
D'abord d'avoir la santé, puis peut être un miracle, peut
être sait on jamais....
Ce ne sera qu'en suivant mon chemin de pèlerin avec mon bâton
et ma guitare sur le dos que je pourrai m'en sortir. En allant voir les
gens là où on voudra bien me faire l'honneur de me réclamer...
On dit qu'on fait tout pour promouvoir la musique vivante alors qu'on
fait tout pour fermer les endroits où on en trouve. Les gens qui
tiennent ces endroits, il faut vraiment les encourager, les remercier
et être solidaire, ce n'est pas évident pour eux, on leur
fait la vie très triste...
As tu une conclusion à ajouter?
Qu'on enseigne la musique d'une façon différente, moins
académique. Si quelqu'un tape naturellement sur le contre temps,
qu'on le laisse faire !
Qu'on s'attache un peu moins à la "nouvelle chanson"
qui est comme la nouvelle cuisine, un argument de marketing. Il y a la
nouvelle chanson tous les 8 ans, puis on s'aperçoit qu'avec cette
nouvelle chanson on est au même niveau qu'avec André Claveau
avant guerre, on retombe dans le même délire....
J'aimerai que les jeunes soient curieux et qu'ils écoutent ce qui
s'est passé avant eux. Je crois que la musique est un éternel
recommencement. Pour preuve on redécouvre aujourd'hui Mozart car
c'est l'année Mozart. Le pauvre, quand on sait qu'il n'a eu que
son chien derrière son corbillard pour l'accompagner....
Il n'y a pas grand chose qui a vraiment changé sur la terre, ce
qui est assez désespérant.
Pour les artistes, de leur vivant, c'est très très très
dur....
Par contre, qu'est ce qu'on a comme talent une fois qu'on est mort....
!
C'est hallucinant mais c'est comme ça. Je crois que l'être
humain est ainsi fait, malheureusement
|
|
Interviews: |