Pour débuter, Johan, peux-tu nous parler
de tes premiers frissons musicaux ?
Cela a commencé en 1969-1970 à la grande époque avec
Jimi Hendrix, Creedence Clearwater Revival, les Beatles qui étaient
en phase de séparation à ce moment-là, les Stones,
T Rex, Alice Cooper. Bref, tout ce qui pouvait se passer à cette
époque qui était très foisonnante.
Il y avait aussi des groupes tels que Deep Purple, Ten Years After, enfin
tous ces groupes-là.
Cependant mes premières vraies influences étaient Jimi Hendrix
d'une part et T-Rex d'autre part.
La personnalité de Marc Bolan était vraiment fascinante
.
Au moment où tu découvrais ces groupes,
est ce que tu pratiquais déjà d'un instrument de musique
et baignais-tu dès ton enfance dans un environnement musical ?
Mes parents étaient des musiciens classiques, mon père était
violoniste et ma mère chanteuse.
De ce fait, dès mon plus jeune âge, mon père a essayé
de me faire commencer le violon mais je me suis découragé
très vite.
C'était un instrument tellement difficile et exigeant que je n'avais
vraiment pas la patience.
Puis je me suis tourné un peu vers le piano et finalement c'est
la guitare qui a été un détonateur.
J'ai supplié ma mère de m'acheter ma première guitare
quelques jours après avoir feuilleté un numéro de
" Salut les Copains " en 1970 dans lequel il y avait un reportage
sur le Festival de l'Ile de Wight. En tournant les pages je suis tombé
sur une photo d'Hendrix sur cette fameuse scène et j'ai complètement
craqué. Je suis donc allé acheter mon premier 33 tours et
à partir de là je me suis mis à la guitare et ça
ne m'a plus quitté.
J'ai grandi dans une ambiance de musique classique assez cosmopolite car
beaucoup de musiciens venaient à la maison.
J'ai aussi reçu rapidement beaucoup d'encouragements de mes parents,
ce qui a été un plus considérable par rapport à
beaucoup d'autres musiciens.
Comment en es-tu venu à la musique folk
et as tu des mentors dans ton style de jeu qui est le pickin'?
Ma toute première période musicale était influencée
par Hendrix, mais j'ai essayé d'apprendre simultanément
les deux versants.
La guitare acoustique, via le penchant acoustique de Marc Bolan et la
guitare électrique, via Hendrix et tous les gens qu'il a pu influencer,
Randy California, Johnny Winter, Rory Gallagher etc
.
J'ai aussi été inspiré par toute une partie de la
discographie de Dylan que j'ai découvert au fil des années
70.
Je jouais de la guitare sèche tout seul dans mon coin tout en cherchant
à former des groupes dans lesquels je me voyais guitariste électrique.
Je parlais d'Alice Cooper tout à l'heure car ça me semblait
être le bon équilibre car je cherchais une formation à
la Stones ; 2 guitares, basse, batterie et le chanteur.
Le temps est passé et il y a eu des expériences de groupes
plus ou moins bien réussies etc
.
A l'arrivée des années 80 j'ai joué et chanté
dans un groupe qui s'appelait les Froggies avec lequel j'ai fait 2 albums.
C'était une sorte de groupe garage-punk mais je continuais à
écouter des choses acoustiques.
Après l'expérience des groupes, je me suis retrouvé
en 1986-87 à réfléchir un petit peu à ce vers
quoi je voulais me diriger.
Je me suis rendu compte que je me trouvais très bien tout seul
dans mon coin à écrire des chansons. De là j'ai voulu
continuer ma route en solitaire.
A partir du moment où tu joues en solo, tu commences à
avoir une prédilection pour tout ce qui est acoustique. Je me suis
donc mis à réécouter ou à découvrir
des tas de choses que je ne connaissais pas du tout. Ceci dans le domaine
de la folk et des songwriters de la fin des années 60, des choses
que j'avais " zappé " à l'époque. Je m'y
suis senti vraiment bien et à partir de là j'ai développé
mon propre truc.
Voilà ma trajectoire sur 25 ans
.
Dans la musique folk c'est le côté
musical ou le côté parfois revendicatif qui t'intéressait
le plus ?
Le côté revendicatif, je pense qu'il a toujours existé.
Par exemple si tu prends des vieilles chansons traditionnelles des Iles
Britanniques qui ont voyagé et se sont retrouvées aux USA
à la fin du 19ème siècle, tu y retrouveras ce côté
revendicatif dans le sens où ces chansons parlent essentiellement
de gens dans des conditions très pauvres ; que ce soit des ouvriers,
des marins, des charpentiers, des fermiers etc
.
Tout
cela s'est recentré sur des événements politiques
au fil des années 30-40, la grande dépression aux USA ainsi
que sur la guerre du Vietnam, la crise de Cuba et tous ces trucs là.
J'ai l'impression que ce sont les mêmes choses réactualisées
au fil du temps dans la mesure où ce sont des histoires de gens
qui se bagarrent pour leurs idéaux, leur mode de vie etc
Cela ne peut que me toucher dans la mesure où ça nous concerne
complètement. Je pense qu'il n'y a pas de grandes différences
dans ce sens là entre une vieille chanson folk qui a 2 siècles
et du rap. Après il y a la forme qui change mais le fond n'est
pas très éloigné.
Sur la stricte forme musicale, ce qui m'a étonné quand j'ai
découvert tout ce monde là, c'était les grands guitaristes
acoustiques des années 60 qui eux mêmes avaient beaucoup
écoutés les bluesmen : de Robert Johnson jusqu'à
Blind Willie Mc Tell en passant par Big Bill Broonzy etc
.
C'est vraiment un puit sans fond tout cela
.
Quand tu tombes dans ce truc là tu n'en fini pas. C'est un peu
comme dans le monde de la peinture ou de la littérature où
tu peux aller de découverte en découverte. C'est ce qui
fait que cette vie là est vraiment passionnante.
Quand on parle de ce style de musique il y a deux
noms qui me viennent à l'esprit à savoir Pete Seeger et
Odetta, c'est des gens qui tu as pu écouter et as-tu étudié
leurs textes ?
Je ne suis pas allé jusque là
.
Pete Seeger et Odetta sont des gens qui tiennent une place essentielle
dans le folk américain. Par exemple Pete Seeger est à la
base de chansons qui ont fait le tour du monde et qui sont toujours reprises
actuellement
.
Il a été tellement important et a été de tous
les mouvements, piquets de grève et festivals. Ce n'est pas quelqu'un
qu'on connaît beaucoup mais il a influencé de nombreux musiciens.
Sa musique et l'importance du personnage sont phénoménales.
Quant à Odetta, je sais que c'est une des premières influences
de Bob Dylan. Au départ ce dernier était essentiellement
intéressé par le bon vieux rock'n'roll, il jouait du piano
dans des petits groupes de rock. Puis il a découvert Woodie Guthrie
et a trouvé sa " voie " à travers lui. Je sais
que Dylan a mis Odetta dans son Panthéon personnel parmi les 3
ou 4 plus grandes figures du folk.
C'est une grande chanteuse, j'ai quelques albums mais je fais parti de
cette génération qui se retrouve davantage dans les artistes
qui ont été influencé par des gens comme Seeger ou
Odetta. Leur importance est prépondérante
.
Tu t'es tissé au fil des albums un univers
personnel, peux-tu nous en parler ?
C'est un monde que je me créé et que je trimballe avec moi
depuis assez longtemps. Il est habité par différentes choses,
que ce soit des bouquins, des films, des rencontres à travers le
monde, des disques qui m'ont brûlé la vie
.
A partir de là, tu prends toutes ces choses et tu essayes de créer
ton univers. A titre personnel, on ne peut pas dire que j'essaye consciemment,
je ne cherche pas absolument à créer quelque chose d'authentiquement
personnel.
Il faut faire les choses comme on les sent et un jour ou l'autre ça
peut finir par être considéré par X personnes comme
quelque chose de réellement personnel.
Je pense qu'il faut avant tout chercher à faire un truc authentique.
Je crois que tout a été déjà fait, c'est difficile
d'arriver en espérant apporter quelque chose de complètement
nouveau
.
Je reviens d'un concert à Cardiff où j'ai joué avant
hier et je parlais avec des gens qui disaient qu'on sentait complètement
chez moi les ambiances anglo-américaines sans pour autant dire
(ne sachant pas que je suis français) si je suis anglais ou non.
Il y aurait un point d'interrogation car il reste une petite touche continentale,
ce pourrait être italien ou autre mais les anglais décèlent
cette chose qui leur plaît.
Pourquoi ce choix de mener une carrière
en anglais ?
J'ai écris des chansons en français mais je n'ai pas eu
l'occasion de les enregistrer alors qu'il était question que je
fasse un album en français il y a une dizaine d'années.
Ce devait être un concept album autour d'un lieu à Paris
mais aucun financement n'a suivi.
Je suis donc revenu à des morceaux en anglais qui me viennent naturellement
car ça fait 35 ans que je le fais.
C'est une chose qui m'a passionné très vite, je pense que
c'est la même chose pour des gens comme Little Bob ou Dominique
des Dogs qui n'est plus avec nous.
Ce sont des gens que j'écoutais avant de faire mes premiers albums,
on provient des mêmes sources et nous sommes passés par les
mêmes influences.
Tu as même des fans au Japon, comment t'es
tu retrouvé distribué dans ce pays ?
J'ai été contacté par un critique d'art qui s'appelle
Tsu Yoshi Kawasoe qui est un fou furieux de la langue française
et de la culture européenne en général mais qui est
également un grand spécialiste de Andy Wahrol. Comme beaucoup
de japonais il a cette passion pour les " swinging sixties "
londoniennes et m'a contacté à travers la connexion T.Rex
et parce qu'il avait adoré mon premier album solo. Il s'est mis
en tête de me trouver un label pour l'album que je venais d'enregistrer
en 2001. Puis il m'a trouvé un contact avec un label plus spécialisé
dans les choses " étranges " genre maquettes, inédits
etc
.
Ce label a donc sorti deux autres albums qui sont des enregistrements
que j'avais dans un tiroir depuis une dizaine d'années. Il s'est
aussi occupé des pochettes qui sont assez psychédéliques.
Il y a vraiment une grande curiosité qui vient du japon.
Je n'y ai encore jamais joué mais cela pourrait ce faire à
la fin de l'année lors d'un Festival qui est en train de se monter.
Peux tu nous parler plus spécifiquement
de ton nouvel opus qui sort chez Willing Prod ?
C'est " Amber songs ", il est directement influencé par
les musiques traditionnelles anglo-américaines, bien que la plus
grande partie des chansons soit d'inspiration plus celtique.
Il y a dix chansons sur cet album qui ont des textes relativement longs
qui sont narratifs.
Ce sont des histoires influencées par certaines légendes
.
L'instrumentation est acoustique et le disque a été enregistré
rapidement dans des conditions " live " avec quelques copains
musiciens.
C'est le type d'album que je voulais faire depuis un moment et c'était
le bon moment pour le faire.
Tu es aussi connu pour divers ouvrages, peux tu
nous en dire plus ?
Ce sera vite fait car la première chose signifiante c'était
un recueil de poèmes datant des années 70 et 80. Il s'appelle
" Cendres amères " sorti en 1991. En 1995 il y a eu cette
biographie de Marc Bolan qui est avant tout une discographie illustrée
avec un texte biographique et une cinquantaine de photos (éditions
parallèles 1995). C'est un joli petit livre que je suis très
content d'avoir fait qui a intéressé les japonais, les russes,
les allemands et mêmes les anglais.
J'ai fait d'autres plaquettes de poèmes et j'ai un projet de roman
.
As-tu d'autres projets et serait-il possible que
tu reviennes à des sons plus électriques dans le futur ?
Les projets immédiats c'est un album en compagnie de la chanteuse
anglaise Charlotte Greig que j'ai rencontré et qui habite à
Cardiff. Elle est très spécialisée dans les chansons
traditionnelles des Iles Britanniques mais qui est aussi une fan d'americana
et de groupes et d'artistes américains.
Nous avons fait des maquettes par rapport à ce projet et j'espère
que nous allons pouvoir l'enregistrer au courant de l'année. Le
disque sera enregistré à Cardiff en compagnie de musiciens
traditionnels gallois. Je vais aussi faire quelques concerts entre l'Italie,
l'Angleterre et la Belgique.
Nous essayons aussi de trouver une distribution pour l'Allemagne. Quant
à un éventuel retour à l'électrique, ça
ne me manque pas car je suis complètement immergé dans le
monde de la guitare acoustique, j'y trouve un tel bonheur
.
On verra, Dieu sait ce que réserve l'avenir (rires)
.
As-tu autre chose à ajouter ?
Je dirai simplement qu'il serait bien que les gens fassent attention en
ce qui concerne le piratage. On l'a tous fait, je ne veux pas être
moralisateur. Il faut essayer de penser à une chose : si les artistes
ne sont pas rétribués pour ce qu'ils font, un jour ou l'autre
il n'y aura plus d'artiste et plus de musique.
Ce ne sera mieux pour personne, il faudrait arriver à trouver un
moyen pour baisser le prix des disques et des bouquins. A titre d'exemple
à Cardiff je suis rentré dans un musée et c'était
complètement gratuit comme tous les musées là-bas.
C'est la première fois de ma vie que j'ai vu des tableaux de Monnet
ou de Gaughin sans payer un centime.
C'est dommage d'aller à Cardiff pour cela
|