Laurent, pour débuter cet entretien, peux-tu
me dire pourquoi tu t'es spécifiquement orienté vers la
basse quand tu as décidé de te lancer dans la musique ?
Spécifiquement je ne sais pas
Je pense que ce sont tes oreilles qui te mènent à cela,
il y a des gens qui doivent entendre les fréquences basses et d'autres
les fréquences hautes (rires). Le fait de choisir tel ou tel instrument
doit aussi probablement correspondre au caractère des individus.
Moi, c'était la basse, on a qu'à en déduire ce que
l'on veut (rires).
Cela remonte-t-il à longtemps ?
Maintenant oui, mais j'ai commencé tardivement. C'est à
dire en 1984-85.
Etais-tu déjà sensible à
cet instrument quand, plus jeune, tu écoutais des disques ?
Je pense qu'il y a des personnes qui entendent plus l'infrastructure que
les autres choses et c'est mon cas. Encore une fois j'ai du mal à
expliquer cela. Je ne suis pas rivé sur la basse sinon je jouerais
beaucoup mieux. J'aime faire de la musique en fait et il se trouve que
c'est la basse.
Jeune, je n'entendais que ça, c'était dans mon oreille
En plus il se trouve que c'était à une époque où
la basse était bien mise en valeur, la mode était à
des artistes tels que Joe Jackson, Police ainsi qu'à la vogue Funk.
Justement, peux-tu me parler de tes influences
musicales ?
Elles sont très variées donc j'aurais du mal à te
préciser tout cela.
J'aimais les Beatles, les artistes du label Motown etc
C'est très difficile à dire, d'ailleurs j'aime l' "
esprit chanson " ainsi que le Jazz.
On retrouve ta trace, pour la première
fois, à la fin des années 80 aux côtés de Bill
Deraime donc assez rapidement après que tu aies débuté
la basse. Comment s'est passée cette première expérience
avec le milieu professionnel ?
Ça s'est bien passé!
Il faut dire que je jouais déjà dans les Clubs depuis un
moment. En fait j'ai très peu étudié mais me suis
très vite mis à me produire en public. C'est d'ailleurs
une très bonne façon d'étudier, surtout pour la basse
qui n'est pas forcément un instrument de virtuose. Surtout de la
façon dont je la pratique.
Je me suis donc très rapidement orienté vers les Clubs où
je me produisais aux côtés de Claudia Philips, Mauro
Serri et Jean-Jacques Milteau. C'est justement Mauro qui a
fait la connexion avec Bill Deraime qui, à l'époque,
avait besoin d'un bassiste.
Le Blues était déjà une musique
importante à tes yeux à ce moment-là ?
Oui mais sans être un spécialiste. J'adore ce genre comme
plein d'autres. Je ne me revendique pas de tel ou tel style, j'ai du mal
avec les étiquettes.
Ceci dit, plus tu avances, plus tu vois que le Blues est une musique
d'un abord simple mais qui, comme toutes les choses simples, notamment
au niveau harmonique, nécessite d'y mettre beaucoup de cur,
de swing ou de groove.
C'est vraiment très intéressant de s'y plonger et il y a
tant de gens qui s'y expriment si bien, comme BB King dont nous parlions
hors micro.
Tu dis que tu n'es pas un virtuose pourtant tu
t'es vite retrouvé dans le groupe d'un grand virtuose du violon
et du Jazz, à savoir Didier Lockwood. Je sais que c'est une étape
très marquante dans ta carrière, pourrais-tu, un peu, y
revenir ?
J'étais jeune et cette expérience m'a fait faire de nombreux
concerts et voyages, sans parler des dimensions humaine, culturelle, musicale
et amicale du personnage. Je partageais aussi ces moments avec Jean-Marie
Ecay et Loïc Pontieux, ce qui ne gâche rien. Le
fait de me produire avec de tels musiciens m'a fait prendre une grande
confiance en moi ce qui est très important dans un parcours.
Tu sais : quand il y a un virtuose sur scène, il faut aussi qu'il
y ait des gens qui bâtissent derrière quelque chose qui soit
solide. C'est une autre forme de virtuosité à la limite.
Je ne cherche pas à me dénigrer ou à dénigrer
ceux qui font comme cela.
On apprend que c'est un rôle important qui est apprécié
même des gens qui voient la musique et leurs instruments différemment.
Quand j'ai commencé avec Didier, je ne pensais pas savoir grand-chose
et c'est là que j'ai réalisé que c'est comme une
discussion avec des gens. On peut parler avec tout le monde même
si on ne partage pas le même langage ou les mêmes opinions
politiques.
A partir du moment où on s'exprime et que l'on passe de bons moments,
ça devient vraiment agréable. On apprend alors que les personnes
peuvent t'apprécier même si tu es soit disant moins fort
ou expérimenté.
Cette période de la vie m'a permis d'enfoncer le clou de la confiance
tout en essayant de faire du mieux que je pouvais, à un moment
précis.
A cette époque tu as voyagé à
travers le monde entier, as-tu pu alors t'intégrer aux groupes
de musiciens locaux et participer à des " jam sessions "
?
M'intégrer, je ne sais pas mais j'ai fait beaucoup de " jams
". Comme Didier Lockwood était souvent invité, nous
allions aussi beaucoup le voir. C'était formidable.
Je me souviens d'une prestation à Goa où il y avait Ravi
Shankar et même des groupes folkloriques en Indonésie ou
en Amérique du Sud. Cela fait aussi partie de l'ouverture "
d'oreille " et d'esprit, c'est très important.
Par la suite il y a eu de nombreuses collaborations.
Parmi celles-ci il y en a une qui me tient particulièrement à
cur c'est celle avec Jean-Jacques Milteau, lors de l'enregistrement
de son album " Memphis " produit par Sébastian Danchin
Je connaissais Jean-Jacques depuis 1987-88. Nous jouions souvent à
l'Utopia et lors de concerts à travers toute la France, en alternance
avec un autre bassiste, Guy Delacroix.
Un jour il m'a proposé de devenir directeur musical de ce projet
dans lequel j'étais un des rares français (cet album
avait été réalisé avec la crème des
musiciens de Memphis, notamment de la firme STAX, Nda). Mon travail
était de finir les morceaux avec lui, penser aux " couleurs
" et aux structures musicales
Avec Jean-Jacques et Sébastian nous n'étions que 3 français
à travailler sur ce projet mais cela s'est très bien passé.
Il faut dire que les musiciens américains étaient vraiment
des mecs super !
Pour anecdote, as-tu participé au re-câblage
du fameux Royal Studio (studio mythique de la grande période soul
des années 60 qui n'était presque plus utilisé, Nda)
aux côtés du producteur Jay Newland ?
Oui ! Si je me souviens bien, il a dû passer une nuit blanche la
veille du premier jour d'enregistrement (rires).
Ta collaboration avec Claude Nougaro a aussi été
importante à tes yeux
Oui c'était de 1993 à 1999 sur
scène avec Maurice Vander, Arnaud Dunoyer de Segonzac,
Loïc Pontieux, puis Denis Benarrosh etc
Puis j'ai participé au disque " Embarquement immédiat
" avec Yvan Cassar. Malheureusement je n'ai pas pu faire la tournée
qui a suivi car j'avais d'autres engagements. J'y ai simplement
participé à la fin, vers 2001...
Encore une belle période avec un artiste qui était tellement
au top de l'expression que s'en était très marquant. En
plus c'était avec tous mes amis
J'avais appris son répertoire qui était une mine d'or niveau
textes et musiques, sans parler du contact avec le pianiste Maurice Vander.
Vivre une telle expérience, aussi jeune, c'était miraculeux
Aujourd'hui tu as intégré le groupe
de Johnny Hallyday, comment cela s'est-il passé ?
C'est Yvan Cassar (Le directeur musical de JH, Nda) qui m'a proposé
de faire cette tournée au dernier moment car le groupe était
" en panne " de bassiste.
Comment vis-tu, au quotidien, un rassemblement
de personnalités aussi diverses puisque dans ce groupe il y a aussi
bien des américains, que des anglais, que des canadiens ?
Au bout du compte ça devient pareil car les amitiés se forment
de la même manière. Il y a juste la barrière de la
langue, surtout pour le sens de l'humour, qui est parfois un peu difficile.
Ils sont tous extrêmement professionnels, donc ça ne peut
que bien se passer. Ils sont vraiment bons
Enfin il y a Johnny qui est profondément humain et d'une très
grande gentillesse.
Depuis que je l'accompagne, tous les soirs, sur scène je comprends
pourquoi son public est tellement fidèle...
Aimerais-tu, dans l'avenir, t'engouffrer davantage
dans le domaine de la production et t'occuper d'autres artistes ?
J'ai " tâté " la production, sans vraiment en faire,
aux côtés de Jean-Jacques Milteau et quelques autres copains
comme ça, juste pour rigoler.
Ça peut être intéressant mais c'est beaucoup de pression,
de désaccords entre la prod' et les artistes. Je pense qu'il faut
vraiment avoir la confiance de tous, ce qui n'est jamais gagné.
Je ne voudrais pas passer pour le branleur de service mais je m'aperçois
qu'être un musicien qui travaille est une chose très agréable.
On t'appelle pour faire quelque chose, qu'à priori, tu sais faire
et qui est vraiment très sympa. Tu passes un bon moment en studio
ou en concert, tu vas manger, tu rigoles. De ce fait, je ne suis pas frustré
de ne pas encore faire de production.
Ceci dit, si un jour je rencontre des gens avec lesquels cela se passe
vraiment bien, ce sera volontiers!
Pour toi, la musique est-elle toujours une chose
mouvante, en perpétuelle évolution et, si oui, est-ce ce
qui t'intéresse le plus ?
Oui et c'est d'ailleurs le reflet de ma discothèque où il
y a plein de choses différentes.
Ce que j'aime c'est la musique. Un coup c'est du Rock, un coup c'est de
l'Africain, un coup c'est du Jazz, du Blues

C'est l'expression qui me passionne. J'aime les gens qui me touchent et
il n'y a, à mon sens, pas de barrières de styles. Je ne
me considère pas comme un spécialiste d'un genre mais je
pense être sensible à tous les climats et au groove. Si une
chose ne m'intéresse pas au départ, je fais tout mon possible
pour la comprendre.
C'est pour cette raison que j'ai travaillé avec tant d'artistes
différents (Le parcours de Laurent l'a amené à
travailler avec des gens aussi divers que Liza Minnelli, Roger Hogdson
de Supertramp, Zachary Richard, Pascal Obispo, le Paris Jazz Band, Barbara
etc
il a plus de 500 participations à des albums à
son actif, Nda).
Je ne prétends pas beaucoup varier mon jeu de basse mais c'est
peut être aussi une caractéristique propre à cet instrument.
C'est le même rôle, il faut juste s'adapter aux nuances de
chacun.
As-tu un rêve en terme de collaboration
?
Non car si c'est une personne que je ne connais pas encore, je pourrais
m'apercevoir que c'est un con ou je ne sais pas quoi (rires).
Par contre j'aurais vraiment aimé jouer sur les anciens disques
de Stevie Wonder ou de gens comme lui
Malheureusement c'est trop tard donc impossible.
C'est pour cette raison que je n'ai pas de rêve sinon celui de continuer
à faire de la musique avec des gens que j'aime bien.
Si, en plus, il y a du monde aux concerts, qu'on est bien payé,
qu'il y a des filles et qu'on se fait un bon restaurant après
tu
vois (rires) !
En fait ce n'est pas lié à un artiste en particulier, je
peux me retrouver à jouer toute ma vie dans un Club avec des copains
et ce sera génial.
As-tu déjà eu de mauvaises surprises
en ce qui concerne tes contacts avec certaines vedettes ?
Non je n'ai aucun mauvais souvenir, franchement
Ça peut paraître un peu idéaliste ou faux et pourtant
Dans une tournée comme celle-ci, aux côtés
de Johnny, tout est-il écrit ou les musiciens ont-ils une possibilité
de pouvoir s'exprimer comme ils le souhaitent ?
Nous avons carte blanche, sachant que le bon sens fait qu'il faut prendre
la direction que tout le groupe pense être la bonne. Nous avons
chacun trouvé nos parties pendant les répétitions
et Yvan Cassar a dirigé tout le monde. Ce n'est pas du tout brimé
ou trop cadré.
Dans cette tournée nous n'avons pas du tout l'impression d'être
rivés à une partie ou quelque chose comme ça. J'ai
l'impression de jouer ce que je veux tout le temps.
Pour conclure, puisque tu enregistres beaucoup,
as-tu une appréhension par rapport à l'avenir du disque
?
Je ne connais pas vraiment le sujet mais, quand on voit ce qui ce passe,
j'ai vraiment l'impression de faire partie d'une des dernières
générations qui a connu la belle période.
Cependant je pense que c'est plus une mutation qu'un réel désastre
; même si la période actuelle semble bien trouble. J'ai eu
la chance de ne jamais être victime de cela. De toute façon
il ne faut jamais avoir peur et il faut s'adapter!
www.myspace.com/laurent
vernerey
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