Lee Fields
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : A l’inverse d’artistes auxquels il est régulièrement comparé (Charles Bradley, Sharon Jones…), Lee Fields a débuté sa carrière très tôt (en 1969, alors qu’il était âgé de 18 ans). Ce n’est pourtant qu’à compter du début du XXIème siècle que sa notoriété a commencé à franchir les frontières du sud des USA lorsque, lui aussi, a débuté une fructueuse collaboration avec Gabriel Roth et Philippe Lehman…initiateurs du label Desco, puis de Daptone Records. Dès lors, le chanteur est devenu une figure incontournable de la scène soul internationale, accumulant les disques et les tournées. Fatigué mais loquace, « Little JB » (surnom donné à Lee Fields en raison de sa ressemblance avec James Brown) m’a reçu dans sa loge au lendemain d’un concert particulièrement marquant pour lui, à l’Olympia de Paris. Peu avant de retrouver son groupe (The Expressions), pour de nouvelles balances, il est revenu sur son parcours basé sur la foi et l’amour.

Lee, tu t’es produit hier soir sur une scène qui a vue défiler les plus grands noms du rhythm & blues et de la soul music, à savoir l’Olympia de Paris. Que ressens après ta prestation dans cette salle mythique ?66
Je me sens très reconnaissant vis-à-vis de tous mes fans qui étaient présents. Ils étaient nombreux et la soirée s’est merveilleusement déroulée. Je me sens vraiment bien depuis cette soirée…

Peux-tu revenir sur la manière dont s’est déroulée ton enfance en Caroline du Nord et, plus particulièrement, sur ce qu’était l’environnement musical au sein duquel tu évoluais alors ?
J’ai grandi dans un endroit, en Caroline du Nord, où la musique la plus diffusée à la radio à cette époque était le country & western. C’était le cas en semaine car les week-ends, c’est la soul music qui était mise en avant par les programmateurs.

Ma croissance s’est donc davantage déroulée au son des chansons de Dolly Parton, de Porter Wagoner etc. J’estime que cela est une bonne chose car, dans la country music, de nombreux morceaux possèdent un rythme rapide. Quand j’écoutais de la soul le week-end, il y avait un DJ de Nashville qui s’appelait John R (son nom de famille était Richbourg). Il était animateur à Nashville pour WLAC et a terminé sa carrière en 1973. WLAC, à l'époque, était la meilleure station de Rhythm & Blues.

Elle couvrait non seulement la région locale de Nashville mais elle était, aussi, très écoutée dans tout le sud-est des États-Unis. Grâce à lui et à tous ces sons émis depuis le Tennessee, mes journées étaient vraiment amusantes !

Ressens-tu un feeling identique entre ce que dégagent la country music et la soul music ?
Oui… J’ai grandi en écoutant beaucoup de country music et ce genre m’a permis d’apprécier d’autres formes musicales. Bien sûr, je me suis mis à écouter beaucoup de soul music mais aussi beaucoup d’autres genres, qu’il s’agisse de musique classique ou latine. J’ai vraiment développé une forme d’appréciation pour la musique dans sa globalité….

Quels sont les premiers artistes de soul qui ont eu un impact sur toi ?
Ma première influence, dans le domaine de la soul music, est Sam Cooke. Il a été le premier à me toucher, car ma mère pratiquait le gospel. De ce fait, elle suivait déjà ce que faisait cet artiste lorsqu’il se produisait dans ce registre, avant de se lancer dans une carrière consacrée à la soul. Il était, alors, membre d’un groupe très réputé qui se nommait The Soul Stirrers. Il avait rejoint cet ensemble (fondé en 1926) en 1951…soit l’année de ma naissance. J’ai donc été bercé au son de sa voix et j’ai beaucoup entendu The Soul Stirrers à la maison.

J’ai, aussi, beaucoup écouté Nat King Cole, Brook Benton puis Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett etc. Ceci dit, j’ai également été touché par The Beatles. Un groupe qui m’a donné l’envie de devenir un artiste moi-même. J’ai vu ce quartet à la télévision, dans l’Ed Sullivan Show, avant de découvrir James Brown. C’était en 1964 et, sur le coup, j’ai pensé que ces gars venaient d’une autre planète. Tout était différent chez eux. Cela allait de leurs coupes de cheveux jusqu’à leur musique.

Je conserve, aussi, de cette prestation un véritable choc visuel car si John Lennon, Paul McCartney et Georges Harrison se produisaient sur le sol, la batterie de Ringo Starr était, quant à elle, surélevée. Puis, à la même période, j’ai découvert James Brown & The Famous Flame à travers un film, « The T.A.M.I Show » (réalisé par Steve Binder en 1964, nda). C’était un concert filmé réunissant de nombreux grands noms du rock’n’roll et du rhythm & blues. Cette vision m’a conforté dans mon idée de devenir artiste !

Considères-tu, qu’avant d’être conçue pour les disques, la soul music est une musique de scène ?
La soul music est, avant tout, relative à l’esprit. Dieu est auprès de tout le monde et je le sens à mes côtés. Ceci parce que je sais que, grâce à lui, je parviens à ressentir tous les sentiments…les bonnes choses comme les mauvaises. Je travaille au milieu de nombreux fantômes qui hantent cette planète. Je le fais précautionneusement car je sais que l’ombre peut tuer. Je vis avec cette sensation parce que je crois que Dieu est avec tout le monde. C’est de là que vient mon appréciation pour la soul music car je sais que cette musique vient de l’esprit et que cet esprit vient de Dieu.

La première chose que je fais le matin, en me levant, n’est pas une action conduite par moi-même mais bien par l’esprit de Dieu. C’est aussi l’essence du gospel et beaucoup de gens me demandent pourquoi je ne m’aventure pas dans ce registre. En fait, je pense qu’il y a déjà beaucoup de chanteurs de gospel actuellement sur la planète…et beaucoup de « preachers ». Le monde a donc, davantage, besoin de soulmen car Dieu est présent à travers toutes les formes d’amour. C’est pour cela que je vis, car j’estime que l’amour est ce qui structure l’humain. Aujourd’hui, nous devenons trop égoïstes et nous ne pensons qu’à nous-mêmes. L’amour reste la fondation principale pour que ce monde puisse continuer à tourner. Tous pour un et un pour tous…

Te souviens-tu des circonstances qui t’ont permis d’enregistrer ta première chanson en 1969 ?
J’avais lu le texte d’une chanson qui m’avait particulièrement touché. Il s’agissait de « Bewildered » de James Brown. Il s’agit là de la première chanson que j’ai enregistrée. Nous étions en 1969 et je n’arrêtais pas de lire ce texte dans tous les sens.

Tu sais, plus tard, dans les années 1980, j’ai connu une période plus calme dans ma carrière. Je pense que Dieu veillait sur moi et qu’il m’a aidé à me retrouver. Ainsi, je suis me suis plongé dans le savoir. J’ai souhaité apprendre un maximum de choses et cela est passé par la lecture. Je me suis même immergé dans un immense dictionnaire en deux volumes. Le premier couvrait les lettre A à L et le second les lettres M à Z. C’était très plaisant et j’ai considéré ces ouvrages comme une vraie mine d’or. Je me suis intéressé à l’étymologie puis j’ai découvert la Bible du Roi Jacques (La « King James Version » est l'œuvre d'une équipe de traducteurs dont le travail s'est étendu sur plusieurs années. Elle a exercé une influence déterminante sur la littérature anglaise et la langue anglaise dans leur ensemble, nda).

Ceci parce que je crois que ces temps sont toujours d’actualité. La langue a évolué et il est bon de découvrir ne serait-ce qu’un seul mot par jour. Il en résulte une sorte de cuisine qui est très enrichissante. Vraiment, cette période que certains pourraient qualifier de « creuse » m’a permis de procéder à un travail intérieur qui m’a déterminé dans mes choix pour la suite de ma carrière. A partir de ce moment-là, je savais exactement où je voulais aller avec ma musique. Je n’ai plus voulu chanter que des choses positives, en continuant d’interpréter des textes plus sombres que lorsque cela était vraiment nécessaire. J’ai voulu devenir l’interprète de ce que je voyais, en le faisant dans un état d’esprit qui soit le plus positif possible.

De quelle manière l’idée de travailler avec le groupe The Expressions est-elle venue à toi ?
Tout a commencé grâce à Gabriel Roth et à Philippe Lehman, qui venaient de fonder le label Desco Records. Ils recherchaient des artistes, afin de leur faire enregistrer des morceaux qu’ils avaient en réserve. Nous étions au milieu des années 1990 et j’entends encore résonner le téléphone alors que j’étais chez moi. C’était Philippe Lehman qui m’a alors avoué qu’il connaissait bien ma carrière et qu’il souhaitait me faire entrer en studio. Son idée était, en effet, de trouver des artistes possédant de l’expérience, afin de les faire enregistrer avec des musiciens plus jeunes.Je me suis rendu à Long Island, au studio, où j’ai rencontré les deux hommes. J’ai donc fait la connaissance de tous ces gars avec lesquels j’ai mis en boite un premier 45tours, « Let man do what he wanna do/Steamtrain ».

A cette époque, le groupe qui m’accompagnait s’appelait The Soul Providers et nous avons, par la suite, donné quelques concerts ensemble en Angleterre ainsi qu’en France. Ces musiciens étaient membres de plusieurs groupes. Certains d’entre eux jouaient, par exemple, au sein de The Sugarman 3 qui était un ensemble plus réduit avec lequel je me suis également produit. Ainsi, je pouvais jouer dans tous les types d’endroits, y compris dans des lieux plus confidentiels tels que des clubs ou des bars. A cette époque, Sharon Jones était ma choriste…elle réalisait, également, des harmonies vocales sur mes disques.

Par la suite, elle a débuté sa carrière solo en étant, également, accompagnée par The Soul Providers qui, petit à petit, a changé son nom pour devenir The Dap-Kings. Lehmann et Roth, en compagnie de Neal Sugarman (le saxophoniste et fondateur de Sugarman 3) ont décidé de lancer un nouveau label qui allait devenir très prestigieux…Daptone Records. J’ai enregistré quelques 45tours pour ce dernier, en étant accompagné par diverses formations telles que The Sugarman 3 ou The Dap-Kings.

Certains membres du dernier groupe cité m’ont suivi sur le label Truth & Soul et ont fondé un ensemble qui allait devenir The Expressions. Nous avons enregistré un premier 45tours ensemble en 2004. Puis, aux alentours des années 2006 ou 2007 j’ai commencé à réunir des titres pour un nouvel album. Ce dernier est paru en 2009 et s’appelle « My World ». Depuis 2008, avec The Expressions, nous avons commencé à parcourir les routes et nous n’avons jamais cessé depuis. Je n’ai jamais été aussi occupé avec n’importe quel autre groupe. C’est vraiment une bonne chose, chacun sait ce qu’il a à faire !

Te considères-tu, aujourd’hui, comme un survivant de la soul music ?
Je me considère, en effet, comme un survivant de la soul car j’ai traversé les générations. J’ai débuté en 1969 et j’ai toujours été très occupé. Il n’y a que dans les années 1980 que mon activité s’est réduite. Cependant, comme je te le disais précédemment, je l’ai mise à profit afin d’apprendre énormément de choses. A ce moment-là, je suis aussi allé davantage à l’église et je me suis rapproché de Dieu.

J’avais besoin de savoir ce que représente l’esprit avant de recommencer à chanter plus intensément. C’est donc au début des années 1990, avec l’album « Meet Me Tonight », que ma carrière a repris un rythme plus intensif et que je me suis montré très présent sur le « southern soul circuit » où je suis devenu très populaire. J’y croisais alors des artistes tels que Johnnie Taylor, Tyrone Davis, Bobby « Blue » Bland, B.B. King etc. B.B. King a eu la capacité de plaire à tout le monde mais beaucoup d’autres artistes n’étaient des vedettes que dans le sud des Etats-Unis.

J’ai pu fréquenter B.B. King de manière proche et c’est lui qui m’a ouvert des portes dans ma carrière. J’ai essayé de m’inspirer de sa personnalité et de sa manière de faire afin de pouvoir élargir ma notoriété. C’est aussi, indirectement, un peu grâce à lui que j’ai pu me produire des scènes blues du sud des USA jusqu’à l’Olympia de Paris.

Tu as été, pour cela, jusqu’à collaborer avec des DJs ou artistes de trip hop tels que Martin Solveig ou Wax Tailor. A ton avis, l’avenir de la soul music passe-t-il par de tels mariages ?
Lorsque j’ai travaillé avec martin Solveig, je n’ai pas changé ma façon de faire en tant qu’artiste. Je me suis conformé à ce qu’il attendait de moi. Je suivais son instinct et ses idées mais j’ai tenu à conserver l’âme de ma musique... de ce que j’aime par-dessus tout.Il ne faut pas oublier que je suis un survivant de la soul music mec !

Peux-tu me parler de tes projets les plus immédiats ?
Je suis sur le point de finaliser un album, dont quelques chansons ont été enregistrées juste avant le début de cette tournée. Il nous reste des morceaux à terminer afin de pouvoir le compléter. Cela sera bouclé l’été ou l’automne prochain…et nous pourrons envisager une sortie en 2019. C’est le projet auquel je me consacre le plus actuellement…

Souhaites-tu ajouter quelque chose à l’attention de ton public français ?
Je voudrais leur dire que l’amour est la réponse. Chaque jour, lorsque je lis les journaux ou que je vois les informations, je me dis que tout se passerait beaucoup plus facilement si les gens changeaient d’attitude. L’amour sera toujours plus fort que la haine. Je crois donc au fait que l’amour est la réponse et que le monde sera bien mieux grâce à lui. Nous sommes dans une situation globale qui peut amener une importante rupture. Il est temps que les gens en prennent conscience et qu’ils se servent de l’amour afin que tout aille mieux.

Remerciements : Alice Caspard, Grégory Frantz et Arthur Romijn.

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Interview réalisée aux
Tanzmatten - Sélestat
le 28 janvier 2018

Propos recueillis par David BAERST

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