Nda : Si la musique de Leon Newars est réalisée dans le plus pur respect des traditions, elle fait également preuve d’un esprit d’ouverture qui lutte en permanence contre les esprits chagrins, ainsi que contre les attitudes passéistes et figées. Leon Newars c’est avant tout Vinz, un artiste complet possédant un CV à faire pâlir le plus blasé des alligators du bayou. Treize ans après l’avoir découvert, au sein du groupe Mudzilla, dans un bar cognaçais, mon plaisir a été grand de le retrouver sur ces mêmes terres charentaises afin de revenir sur son passé, parler du présent et évoquer un avenir que je lui souhaite radieux.
Vinz, tu es originaire de Bordeaux où la scène musicale est particulièrement vivace. De manière générale, le sud-ouest regorge de musiciens de blues. Comment expliques-tu ce phénomène ?
Je l’explique par la présence d’un club qui a été ouvert pendant une quinzaine d’années. Il s’appelait le Cricketers…
Nous sommes nombreux à être passés par cet endroit et, si j’ai découvert le blues par d’autres connaissances, ce lieu a été celui où j’ai pris mes plus grosses « claques » musicales. J’ai pu y débarquer en tant que jeune pianiste et j’ai pu y côtoyer des géants de la scène internationale, qu’ils viennent de Chicago, d’Austin ou de La Nouvelle-Orléans.
Il y a donc beaucoup de musiciens du sud-ouest qui ont fréquenté le Cricketers et qui sont, aujourd’hui, actifs au sein de formations de blues. Je pense à Mig Toquereau ou aux Flyin’ Saucers par exemple… De ce fait, le sud-ouest est une terre relativement fertile en termes de musiciens de blues. Pour en revenir, plus particulièrement, à Bordeaux il est bon de préciser que cette ville est traversée par la Garonne qui y coule et y forme le Port de la Lune. Il est donc facile de faire un parallèle avec La Nouvelle-Orléans que l’on surnomme « La ville au Croissant ». Ceci parce que le fleuve Mississippi décrit aussi un croissant. De ce fait, beaucoup de musiciens américains qui venaient se produire au Cricketers (Kenny Neal par exemple) avaient l’impression d’y être « comme à la maison », c’est-à-dire en Louisiane. Ils y retrouvaient des sensations dignes de leurs « chez eux » !
A titre personnel, quel est ton premier souvenir lié au blues puisque ce dernier semble être antérieur à ta découverte du Cricketers ?
Ce premier souvenir est lié à un ami d’enfance, que j’ai retrouvé alors que nous nous étions perdus de vue depuis une dizaine d’années. J’ai commencé le piano dans une école de musique alors que j’étais gamin. Cette expérience a duré 4 ans. J’ai arrêté car je me battais avec ma mère et mon professeur. Les cahiers volaient dans la maison, donc on peut dire que ça ne marchait pas trop bien. Puis, alors que j’avais 18 ans j’ai retrouvé ce pote d’enfance qui se souvenait que je faisais du piano à l’époque. Il était avec son oncle qui était un américain, à la fois, texan et communiste (ce qui constitue un cocktail assez détonant). Il était aussi guitariste et il avait « branché » son neveu afin de constituer un groupe. Il m’a passé une cassette sur laquelle étaient gravées des chansons d’Otis Spann, de Muddy Waters, de BB King et quelques autres. Le coup de foudre pour cette musique a été immédiat !
Avant ce coup de foudre, étais-tu déjà un amateur de musiques américaines ou tes goûts étaient-ils plus larges voire complètements différents ?
Ils étaient complètement différents ! Il faut dire que, suite aux problèmes « pianistiques » de mon enfance, j’ai ressenti un véritable écœurement pour la musique. Si j’appréciais le piano, j’avais un véritable souci avec le solfège. Il y a donc eu une période durant laquelle j’allais vers la musique mais sans complètement pouvoir « rentrer » dedans. En fait, j’étais assez passif par rapport à cela… Ceci, jusqu’au moment où je suis tombé sur cette fameuse cassette. C’est grâce à elle que je suis vraiment « tombé » dedans !
Comment expliques-tu cette découverte « tardive » du blues, puisque tu avais 18 ans à ce moment-là. Est-ce l’aspect musical qui t’a le plus touché… ou l’émotion que tu pouvais ressentir à l’écoute de certains artistes ?
C’est une musique qui me parlait directement. Je sentais que ces gens jouaient avec leurs tripes. Un aspect que j’ai retrouvé en me rendant au Cricketers et en voyant sur scène des artistes tels que Junior Wells, Johnny Copeland ou encore Lucky Peterson à ses débuts. On retrouvait une réelle intensité dans leurs prestations, ainsi qu’une manière de jouer qui faisait penser qu’ils vivaient leurs derniers moments. Je me souviens que Jimmy Johnson m’avait dit qu’il faut toujours jouer comme si c’était ton dernier concert. Il faut donc mettre ses tripes sur la table… Tu ne peux pas mentir quand tu fais cette musique qui est tellement vraie. Quand tu fais du blues, tu es ce que tu joues. Cette musique me parlait a m’a donné l’envie d’en savoir davantage sur ses origines.
C’est au début des années 2000 que je t’ai découvert, ici-même, au Cognac Blues Passions puisqu’avec ton groupe Mudzilla tu donnais toujours un concert la veille de l’ouverture officielle de la manifestation (dans un bar de la Place François 1er). As-tu connu d’autres formations avant de te lancer dans cette aventure ?
Mudzilla est né en 2000, soit l’année de mon retour en France après avoir vécu aux Etats-Unis. En effet, de 1998 à 2000 j’ai habité à La Nouvelle-Orléans où j’accompagnais le chanteur-guitariste Bryan Lee. J’avais rencontré cet artiste via le Cricketers puisque j’avais eu l’occasion de l’accompagner sur cette scène avec le groupe maison Shake On Shake. Par la suite nous avons fait sa première partie sur toute sa tournée estivale française. Comme, à ce moment-là, il n’avait pas de clavier au sein de sa propre formation il m’a proposé de devenir son accompagnateur, puis de le suivre à La Nouvelle-Orléans. J’ai donc joué avec lui dans un club de Bourbon Street, puis en tournée à travers tous les Etats-Unis. Nous avions, notamment, fait les premières parties de Kenny Wayne Shepherd peu après la sortie de son album « Ledbetter Heights », qui avait été disque de platine aux USA… car à l’époque où on vendait encore des disques (rires) ! Bryan était très proche de Kenny car il avait été le premier à faire monter sur scène ce dernier (qui avait alors douze ans) à The Old Absinthe House Bar de New Orleans. Du coup, le père de Kenny (Ken Shepherd qui était le manager de Stevie Ray Vaughan) lui a « renvoyé la balle » en proposant à Bryan cette tournée (sur la côte est des USA, de grandes salles situées entre le nord de la Floride et le sud du Québec) avec son fils….
A cette époque, il y avait un véritable « vivier » de musiciens français qui travaillaient à la Nouvelle-Orléans. Je pense, entre autres, à Freddy Koella (qui accompagnait Zachary Richard, Willy Deville etc…). As-tu eu l’occasion de fréquenter certains d’entre eux ?
J’ai rencontré Freddy par l’intermédiaire de l’harmoniciste de Bryan Lee, qui était aussi un français. Ils se connaissaient bien car ils avaient travaillé ensemble pour Willy DeVille. Lorsque je suis arrivé à la Nouvelle-Orléans, en 1998, j’ai été hébergé par cet harmoniciste qui m’a proposé de rencontrer Freddy qui possédait alors un petit studio d’enregistrement. A ce moment-là, il n’avait pas encore travaillé pour Johnny Hallyday (mais aussi pour Bob Dylan, K.D. Lang etc…, nda).
Pour en revenir à Mudzilla, groupe qui doit constituer une belle page de ton aventure musicale, pourrais-tu évoquer ton parcours au sein de celui-ci ?
En revenant de la Nouvelle-Orléans, j’ai commencé à prôner l’infidélité dans le milieu musical. En effet, si j’étais vraiment plongé dans le blues traditionnel à mes débuts…le fait d’avoir été confronté à l’explosion d’influences différentes en Louisiane a changé mon point de vue. On considère New Orleans comme la véritable capitale des Caraïbes, ce qui est vrai car on y retrouve des sons très diversifiés (Caraïbes, Cuba, Jamaïque etc…). La musique sud-américaine y est vraiment très présente… en plus du blues, du funk, du jazz, du gospel, de la folk et du côté cajun. Le français y est aussi à l’honneur même si, lorsque je parlais avec des cajuns, il m’arrivait de ne rien comprendre à leurs propos (rires) !On y trouve donc toutes ces présences et tous ces courants musicaux qui m’ont ouvert l’esprit. Sans le savoir, j’ai alors trouvé un lien entre toutes ces musiques, même si les styles étaient différents… il y avait une logique. J’ai donc eu envie de leur rendre un hommage avec Mudzilla, sans forcément les reprendre note par note et mettre en exergue leur aspect le plus traditionnel.En effet, j’ai souhaité y amener ma touche personnelle et mes compositions que, pour beaucoup d’entre elles, j’avais écrites en Louisiane. Pour moi Mudzilla c’était du « blues génétiquement modifié » (on prend une cellule souche et on y rajoute de la soul, du funk, du jazz et on se retrouve dans la musique afro-américaine au sens large).
Qu’a été l’après Mudzilla, qu’as-tu fais entre cette aventure et la fondation de ton nouveau groupe ?
Il s’est passé pas mal de choses… Mudzilla s’est arrêté en 2009. Si je continuais à écrire, j’avais également envie de réorienter mon travail vers les voix. J’étais le seul chanteur de Mudzilla et je souhaitais davantage utiliser cet « instrument » qui est le premier qui touche les gens. D’ailleurs, quand tu discutes avec quelqu’un d’un concert qu’il vient de voir, cette personne te parlera presque systématiquement du chanteur en premier lieu. Nous avons tous cet « instrument » en nous, donc il nous « parle » automatiquement. Je voulais vraiment retrouver ces harmonies et ces couleurs (gospel etc…). Pour cela, il me fallait m’entourer… Cette recherche a pris quatre ans. Durant cette période je suis intervenu comme pianiste au sein de différents groupes, ce qui m’a permis de faire des rencontres. Une d’entre elles a été déterminante. Une jam vocale était organisée tous les mercredis à Bordeaux (dans un club nommé Dibiteri). Elle était animée par un trio vocal de rocksteady appelé The Jouby’s. J’ai immédiatement trouvé le pendant de ce que je recherchais au niveau de la puissance que peut posséder un trio vocal. Après quelques « bœufs », nous avons commencé à travailler ensemble (après leur avoir fait écouter ce que je faisais). A partir de là, nous avons décidé de collaborer ensemble. Je ne savais pas, qu’en plus d’être chanteurs, les membres du trio étaient aussi instrumentistes. Nous avons donc fondé Vinz & The Mystery Machine. J’y travaillé comme choriste, avec une section rythmique classique. Nous étions huit sur scène, ce qui était un peu difficile à faire tourner…Comme l’un des chanteurs était également batteur et guitariste, que le deuxième était aussi batteur et que le troisième était guitariste, je leur ai demandé d’accentuer leur présence en tant que musiciens. Le résultat a donné naissance au projet avec lequel je tourne actuellement. Il s’appelle Leon Newars & The Ghost Band. Son nom est un hommage à New Orleans puisque c’est une anagramme constituée des mêmes lettres qui forment le nom de cette ville. Ce personnage, inventé de toutes pièces, vient de là !
Justement ce personnage, sorti de ton imagination, semble assez « théâtral ». Est-ce un aspect que tu souhaiterais développer au sein des shows du groupe ?
C’est un truc sur lequel je travaille mais, pour l’instant, le concept n’est que purement musical. Je ne maitrise pas encore suffisamment l’art du théâtre mais je pense davantage m’y consacrer dans l’avenir. D’ailleurs, la pochette de notre album me montre avec le visage grimé, puisque j’y reprends le masque du Baron Samedi qui est un personnage de la culture vaudou à New Orleans. J’avais envie, avec ce côté sombre et ce côté clair, d’exprimer une certaine forme de dualité. Nous avons tous ces deux parts en nous et ça… j’ai vraiment ressenti le besoin de l’exprimer à travers ce projet.
Avec le groupe, vous souhaitez donc réellement véhiculer une image…
Oui absolument ! Même si cela ne passera, probablement, pas par l’utilisation d’un maquillage sur scène… car Kiss l’a déjà fait avec beaucoup de talent (rires) ! Par contre nous sommes sur un projet de résidence consacrée à la scénographie et à la création des lumières. Nous pourrons peut être, dans l’avenir, nous retrouver avec des projections sur les visages. C’est un travail qui est en cours...
Peux-tu me parler du premier album de Leon Newars & The Ghost Band « The Birth Of Leon Newars ». Comment a-t-il été élaboré et de quoi est constituée son atmosphère musicale ?
C’est un album que j’ai enregistré (en février 2012) à Montréal pour Iguane Records (créé par le batteur Nicky Estor). Auparavant, j’avais déjà été embauché par ce label en tant que musicien de studio (afin, justement, de jouer sur le disque de Nicky). J’y suis revenu afin d’y réaliser des sessions pour Ben Racine, Rick L Blues, Richard Carr…Au bout d’un certain temps, Nicky a voulu que je lui fasse écouter ma musique. Le résultat lui a immédiatement parlé et il a souhaité produire un disque pour moi. J’ai réalisé ce dernier presque tout seul (y jouant de la basse, de la guitare, des claviers…) avec Nicky à la batterie. Nous avons, cependant, fait appel à des musiciens de Montréal (Franky Thiffault au sax, Rachel Therrien à la trompette, Ben Racine à la guitare et au chant sur un titre et Mark Robertson ainsi que Kid Koala aux guitares) afin qu’ils nous donnent un petit coup de main. Le résultat final résume mes vingt ans de carrière sur scène. On y trouve le blues comme point de départ puis il y a une ouverture vers la folk, la soul, le funk, le jazz. De plus, j’y fais entrer la langue française, ce qui est le point le plus nouveau par rapport à ce que j’ai pu faire dans le passé. J’ai choisi d’écrire dans la langue de Molière parce que je voulais que les gens me comprennent immédiatement, sans avoir besoin de prendre un dictionnaire…Ces ballades en français, apportent une atmosphère un peu différente...
Quelle est la teneur de tes textes ?
Je parle de choses simples, du quotidien… C’est le principal point commun qu’il puisse y avoir la tradition du blues qui, elle-même, découle des griots africains… qui racontent ce qui se passe dans leurs villages. Mes chansons parlent aussi d’amour, la chose qui nous tient tous et qui nous fait avancer. Si mes textes peuvent évoquer les amours déçus, ils parlent aussi d’espoir car je pense qu’il faut savoir se raccrocher à des valeurs simples… qui nous permettent d’avancer et d’évoluer…
Quels sont tes souhaits les plus chers, en ce qui concerne l’avenir de ce nouveau concept ?
Le souhait principal est de pouvoir porter ce projet le plus loin possible. Il y a aussi un challenge dans le fait de présenter un album qui est un peu « inclassable ». Je n’aime pas les étiquettes et être rangé dans une catégorie spécifique (blues, rock ou autre). L’idée est également d’amener un maximum de personnes à découvrir ces musiques. Provoquer un intérêt pour ces sons. Pour autre chose que ce qui passe systématiquement à la télévision et sur certaines radios. Il faut que le public se rende compte qu’il y a des alternatives à tout cela. Bien sûr, nous souhaitons également tourner au maximum…
As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
J’aimerais revenir sur les 20 ans du Cognac Blues Passions… Je crois qu’en 2013, ce Festival propose sa plus belle programmation depuis sa création. C’est une affiche portée vers l’avenir, qui reste ancrée dans le respect des traditions et de ce qu’a été cette manifestation depuis ses débuts. Elle propose des choses nouvelles… Un modèle que j’essaye de suivre dans ma musique…Il est temps que les gens fassent confiance à des festivals tels que celui-ci et y viennent en nombre. Soyez curieux !
Remerciements : Valérie, Rebecca & Chloé (R&V Hayat Chatelus), l’ensemble du service de presse du Cognac Blues Passions ainsi que Natty.
http://www.vinz.mu
https://www.facebook.com/LeonNewars
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