Nda : Avant d’être révélé au public européen, Linsey Alexander a consciencieusement arpenté les scènes des clubs du « North Side » de Chicago. Pendant plus d’une vingtaine d’années, il y a dévoilé ses talents de chanteur-guitariste de blues tout en se produisant, à l’occasion, aux côtés de figures marquantes du genre telles que B.B King, Buddy Guy, Magic Slim ou encore A.C Reed. Ses qualités d’auteur-compositeur lui ont, de surcroît, permis de signer sur l’emblématique label Delmark Records. C’est pour ce dernier qu’il a (à ce jour) gravé deux CD qui ont fait date ; « Been There Done Than That » (en 2012) et « Come Back Baby » (en 2014). C’est en prélude à sa deuxième tournée française que l’artiste m’a accordé l’entretien qui suit…
Linsey, afin de débuter cet entretien, peux-tu revenir sur tes origines exactes et sur ton enfance dans le Mississippi ?
Mon nom est Linsey Alexander et je suis né à Holly Springs, dans le Mississippi, le 23 juillet 1942. J’ai, cependant, grandi et été élevé à Memphis dans le Tennessee où je me suis installé avec ma mère et ma sœur alors que j’avais une douzaine d’années. J’y ai vécu de bonnes expériences mais aussi des mauvaises. Si on ne tient pas compte de ces dernières, on peut dire que j’ai connu une vie heureuse… malgré la misère qui était la nôtre à cette époque.
Conserves-tu un souvenir précis de ton premier contact avec la musique ?
Mon premier souvenir lié à la musique remonte à ma plus tendre enfance, par l’intermédiaire de mon grand-père qui me faisait écouter des disques. En effet, ce dernier m’a fait découvrir cet art lors de fêtes durant lesquelles nous dégustions du poisson frit. Puis, après m’être installé à Memphis, un gars venait souvent me rendre visite à la maison. Il s’appelait Otis et il est devenu mon ami. Il jouait de la guitare et m’a appris deux ou trois chansons. Un jour il est parti et je ne l’ai plus jamais revu. Il m’avait, cependant, laissé sa guitare et je me suis mis à m’exercer assidument afin de devenir le meilleur possible.
Pour quelle raison as-tu décidé de faire du blues ?
La raison pour laquelle j’ai commencé à faire du blues est celle-ci. Lorsque j’ai déménagé à Chicago, j’y ai assisté à des prestations d’artistes tels que McKinley Mitchell, Bobby Rush et bien sûr Howlin’ Wolf que l’on pouvait voir tous les soirs à cette époque. C’est ainsi que je me suis, réellement, mis à aimer le blues. Avec un gars qui était batteur et un autre qui était bassiste, nous avons formé un groupe qui se produisait le dimanche à l’occasion de concerts voués à faire découvrir de jeunes talents. Chaque dimanche, nous proposions une nouvelle chanson que nous apprenions au préalable. Je me souviens qu’un jour, quelques gars m’ont demandé d’aller jouer un peu de blues pour l’un de leurs amis qui était en prison. J’avais reçu de l’argent pour cela, même si le fait de ne pas en avoir est préférable pour interpréter cette musique (rires). Puis, j’ai commencé à donner de plus en plus de concerts et à, réellement, d’intégrer à la scène musicale de Chicago. Dans un premier temps, c’était dans le South Side avec des groupes nommés Hot Tomatoes puis Equitable Band. Par la suite, j’ai davantage joué dans la partie nord de la ville et je suis, actuellement, un artiste qui se produit régulièrement au Kingston Mines de Chicago…lorsque je ne suis pas en tournée à travers le monde.
Quand t’es-tu, précisément, installé à Chicago ?
Je me suis installé à Chicago durant l’année 1959… J’avais un peu plus de 16 ans…
Selon toi, quelle est la période la plus intéressante de ta carrière ?
Ma meilleure expérience remonte à quelques années. J’étais au Brésil et il y avait tellement de monde qui s’enthousiasmait pour ma musique que je n’arrivais pas à le croire. En 14 jours, j’y ai gagné autant d’argent qu’habituellement en 6 mois. C’est, vraiment, mon meilleur souvenir depuis que je suis dans le circuit du blues. Mon autre grande expérience est ma collaboration avec le label Delmark Records. Cette maison de disques m’a aidé à devenir ce que je suis et à parcourir le monde. Si j’en suis là et si je vis de mon art, c’est grâce à elle !
Pour toi, quelles sont les différences les plus notables entre la scène blues de Chicago et celles des autres villes américaines ?
Je pense que Chicago demeure, aux USA, l’endroit où il y a le plus de lieux afin de jouer du blues. Il est encore possible de se produire 18 nuits par mois dans cette ville. Il est aussi possible de jouer beaucoup en vivant à Memphis, St Louis ou encore à New-York. Ce sont des villes qui possèdent des scènes musicales actives mais qui n’arrivent pas à rivaliser avec « la cité des vents ». C’est pour cette raison que de nombreux bluesmen s’installent encore à Chicago. Si tu es bon, tu peux y travailler quasi continuellement…
La scène de Chicago a-t-elle, malgré tout, changé depuis que tu y as débuté en 1959 ?
Elle a, bien sûr, un petit peu changé. Des jeunes y ont apporté certaines modifications, en ce qui concerne le son par exemple. Cependant, le blues reste le blues ! Des artistes tels que moi continuent de faire perdurer la tradition et jouent un chicago blues authentique. Parmi les nouveaux artistes, beaucoup font l’effort d’apprendre le concept du blues en lui-même. Ils arrivent avec une musique qui s’en éloigne sensiblement mais parviennent à se rattacher aux vraies valeurs de cette musique et à en retrouver la substantifique moelle.Il y a, encore, un vrai intérêt qui subsiste pour cette musique.
Quelle est, selon toi, la vraie définition du blues ?
Le blues, actuellement, est toujours une sorte de documentaire sur la vie. Il reflète le bonheur, mais aussi la tristesse et tous les autres états par lesquels une existence humaine peut passer. Quelque part, je me moque de savoir qui tient la guitare. Les meilleurs bluesmen sont ceux qui arrivent à exprimer au mieux tous ces sentiments. Le niveau technique n’est, finalement,qu’un aspect secondaire de la chose. Même si un artiste possède un niveau musical médiocre, il peut se révéler être un bon bluesman…à partir du moment où il arrive à te faire comprendre la réelle portée de son message et à bien l’exprimer en chanson… Le blues c’est la vie, la mort…c’est un homme au cœur brisé, un autre qui a perdu son travail… Le blues est partout ! C’est, en tout cas, l’idée que je me fais de cette musique.
Quelle sont les meilleures jams auxquelles tu as pu participer à Chicago ?
Certainement celles qui se sont déroulées au Buddy Guy’s Legends…
Après toutes ces années au service du blues. Quels sont les conseils que tu souhaites prodiguer aux jeunes artistes ?
Mon conseil le plus essentielle est : Ne soyez pas comme quelqu’un d’autre, soyez vous-mêmes ! N’essayez pas de jouer comme une autre personne le fait déjà, jouez comme vous le ressentez. Créez votre propre signature musicale. Albert King, BB King, Stevie Ray Vaughan, Little Milton et tant d’autres nous ont apporté un son original. On peut s’inspirer d’eux mais il faut garder à l’esprit le fait de produire quelque chose d’original. C’est, en tout cas, ce que je m’efforce de faire. Je n’essaye pas de jouer comme quelqu’un d’autre, j’exprime ce que je suis. Je veux être moi-même !
Justement, peux-tu me décrire ton propre style ?
Ma façon de jouer du blues… Lorsque je me lève, je prends ma guitare sans savoir ce que je vais jouer. Puis je me laisse aller en fonction de mon humeur du moment. Il en ressort des notes qui représentent ce que je suis à ce moment-là. Je joue ce que je suis, comme personne d’autre. Tout ce que je fais me représente…
Tu es, actuellement en tournée française et tu te produis régulièrement en Europe. Es-tu surpris par l’accueil chaleureux qui y est fait à ta musique ?
Non, je ne suis pas surpris…mais je suis très heureux ! Je suis heureux d’être là et de la manière dont je suis reçu. Je suis aussi content de constater que cela se produit également dans les autres parties du monde dans lesquelles je donne des concerts, les gens m’apprécient ! Pour l’heure, c’est mon deuxième voyage en France car j’étais déjà là en 2013 (à l’occasion de la tournée du Chicago Blues Festival, nda) et j’y étais resté quelques temps. Cela m’avait permis de découvrir Paris. Après la tournée actuelle, je rentrerai chez moi puis je retournerai au Brésil et j’irai probablement me produire en Inde.
Comment as-tu rencontré Gaspard Ossikian (Gas) qui t’accompagne en France avec son groupe ?
J’ai rencontré Gas par le biais de Toronzo Cannon (que Gas a, également, accompagné en France, nda) qui est, tout comme moi, signé sur le label Delmark. C’est ce dernier qui a dû lui parlé de moi. De ce fait Gas m’a appelé car, de nos jours, il est très facile de communiquer même lorsqu’un océan vous sépare.
Est-il facile, pour toi, de travailler et de t’adapter aux habitudes d’un groupe français ?
Oui, d’autant plus que ces gars sont très bons. Ce n’est pas, tout à fait, comme jouer avec mon propre groupe mais changer de musicien est, un peu, comme changer de docteur. Un docteur m’aidera sur un certain point alors qu’un autre peut m’être utile pour autre chose. Je ressens cela avec Gas, qui m’apporte une vision nouvelle et qui me sensibilise sur certains aspects de la musique que je n’avais pas encore explorés.
Comme tu le disais, depuis quelques années, tu enregistres pour le fameux label Delmark Records. Peux-tu revenir, en particulier, sur ton dernier album réalisé pour cette structure fondée par Bob Koester ?
Mon dernier album s’appelle « Come Back Baby ». Il est constitué de quelques chansons que j’ai écrites il y a de nombreuses années et que je n’avais pas encore gravées. Mon précédent opus (« Been There Done Than That ») paru en 2012 avait été le premier sorti par Delmark Records. Comme il a très bien marché, on m’a demandé de refaire un disque relativement vite. C’est vraiment une très bonne chose pour moi !
Qu’aimes-tu le plus exprimer à travers tes chansons ?
La vie de manière générale… On y trouve, par exemple, une chanson dont le titre est « Call my wife ». Cette dernière relate une mésaventure qui m’était arrivée. J’avais tellement bu et si peu mangé… que j’avais perdu mes clés de voiture et celles de la maison. J’avais donc demandé à ce que l’on contacte ma femme afin qu’elle puisse m’aider…avec la joie que l’on devine. Il me suffit, souvent, de m’assoir et d’attendre qu’une chanson me vienne naturellement afin de l’écrire. C’est comme si l’idée se convoquait d’elle-même. Je reste alors comme enfermé dans un cercle avec cette chanson et il ne me reste qu’à la peaufiner jusqu’à qu’elle soit terminée.
Afin de conclure cet entretien, souhaites-tu ajouter un mot à l’attention de ton public français ?
Je tiens simplement à le remercier car il me permet de venir me produire dans ce pays. J’espère poursuivre cette belle relation au fil des kilomètres passés sur la route. Donc « merci beaucoup » (prononcé en français, nda) à tout le monde (rires) !
Remerciements : Gaspard Ossikian et Benoit Van Kote (BVK Production)
www.linseyalexander.com
https://www.facebook.com/Linsey-Alexander-and-the-Linsey-Alexander-Blues-Band-180414475327702
|
|
Interviews: |