Little Bob
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Aussi fidèle à l’émission Route 66 que nous le sommes vis-à-vis de son travail, Little Bob m’a accordé cette nouvelle interview après un concert particulièrement dense de près de deux heures. Sur les coups d’une heure du matin, je l’ai donc rejoint dans sa loge où il s’est (une fois de plus) montré particulièrement généreux. Personnage entier et sincère, il n’a pas mâché ses mots et a répondu à mes questions avec la franchise qu’on lui connait. Chanteur hors norme et sans âge de l’histoire d’une musique qu’il a vu naitre, il a encore prouvé ce soir-là (accompagné par The Blues Bastards) qu’il n’a rien perdu de son énergie et de sa voix. Une énième performance scénique qui ne peut que nous conforter dans notre conviction… Le nom de Little Bob brille et brillera, pour toujours, au firmament du rock international.

La dernière fois que nous avons eu l’occasion de converser, c’était au moment de la sortie de ton autobiographie « La Story » (Editions Denoël - 2010). Par la suite, on a pu te voir au générique du film « Le Havre » d’Aki Kaurimäski (2011) avant que tu ne reviennes sur le devant de la scène musicale accompagné par un nouveau groupe, The Blues Bastards. Pourquoi as-tu décidé de t’ancrer encore plus solidement dans cette musique, le blues, alors qu’elle était déjà régulièrement mise à l’honneur sur tes précédents opus ?
C’est vrai… Depuis mes débuts, on trouve du blues dans mon répertoire. Par exemple, sur l’album « High time » (Arcane - 1976) il y avait la chanson « You’ll be mine » de Willie Dixon qui était, à l’origine, interprétée par Chester Arthur Burnett dit Howlin’ Wolf. J’ai donc souhaité revenir vers ce que j’aime avec les Blues Bastards. Mes premières influences sont le rock’n’roll black (Little Richard, Chuck Berry, Bo Diddley…), bien que j’appréciais aussi certains artistes blancs (Eddie Cochran, le Presley des débuts…) lorsque j’étais môme. Puis, les sixties m’ont fait plonger dans le blues via les groupes anglais qui reprenaient cette musique (Rolling Stones, Animals, Pretty Things, Small Faces, Spencer Davis Group…). C’est par leur biais que je me suis lancé à la découverte d’Howlin’ Wolf… cela m’est resté. D’ailleurs, j’ai appris que ce dernier était aussi l’artiste préféré de Lee Brilleaux (chanteur originel du groupe Dr. Feelgood), qui, tout comme moi, est né un 10 mai. Comme je ressentais un manque, en ce qui concerne le blues, dans le rock que je produisais jusqu’ici… j’ai souhaité m’y consacrer davantage. Ceci en conservant mon côté rock’n’roll et en « bâtardisant » ce blues. J’ai donc formé The Blues Bastards avec l’aide involontaire d’Aki Kaurismäki. En effet, ce dernier m’avait dit « je me sens comme un bâtard Bob, parce que je continue à lever le coude et à fumer comme un pompier alors que ma femme souhaiterait que je me calme ». Il a ajouté qu’il désirait que je lui écrive une chanson qui dise à peu près ceci « I feel like a bastard… ».  Tout est donc parti de là…66
De plus je trouvais que le terme bastard associé au mot blues sonnait bien. D’autant plus que, comme je le disais, nous « bâtardisons » cette musique. La chanson « Feel like a bastard » est donc née de cet échange avec le réalisateur finlandais. Elle me colle aussi à la peau car mon épouse, Mimie, me demandait aussi de me calmer sur le rythme de mes concerts. Une chose impossible puisque, tant que j’aurai la pêche, je continuerai. 
Pour bien affirmer mon retour au blues, j’ai décidé de reprendre quelques chansons d’artistes emblématiques du genrre. Cela va de Howlin’ Wolf à Captain Beefheart, car j’aime les choses différentes. Je n’apprécie pas le blues tel que certains artistes français ont l’habitude de l’exécuter. J’aime le faire sortir de ses retranchements, lui mettre de la couleur et lui donner de mon âme. C’est parti comme cela….
J’avais constaté que mon neveu (Jérémie Piazza), qui est un batteur de jazz à l’origine et qui excelle aussi dans le rock’n’roll, avait toutes les capacités pour me suivre dans cette aventure. Du coup, j’ai eu envie de former un groupe plus blues, tout en conservant celui qui m’accompagnait depuis des années. Jérémie a immédiatement été d’accord et j’ai proposé le concept  à mon formidable contrebassiste Bertrand Couloume ainsi qu’à Gilles Mallet, qui est mon incontournable guitariste depuis 1981. Ce dernier ne se considère pas comme un guitar hero, c’est un « riffeur » et cela me convient parfaitement. Je n’en ai rien à battre des supers techniciens qui font mille notes à la minute… je cherche des choses profondes, qui soient vraiment « rough » ! Pour compléter ce joli tableau, j’avais envie d’y adjoindre un harmoniciste. De ce fait, j’ai proposé à Mickey Blow (ex membre de The Stunners ! et ex accompagnateur de Johnny Thunders) de nous rejoindre. Il avait déjà travaillé avec nous à l’époque de l’album « Ringolevio » (Accord - 1987) et on peut dire qu’il a du poids, du savoir vivre et de la profondeur… des ingrédients essentiels pour monter à bien ce projet. Dès nos premières répétitions, nous nous sommes sentis bien. C’est une chose qui se vérifie facilement car il n’y a que des sourires sur scène, on se marre… il y a vraiment une bonne entente entre nous tous. Nous avons donc enregistré un premier album ensemble. Il est composé de nombreuses reprises (Howlin’ Wolf, JB Lenoir, Joe Tex etc…) et de quelques compositions originales. Je n’ai pas beaucoup écrit pour ce disque puisque je traversais une période difficile, car ma femme était gravement malade. Maintenant qu’elle est guérie, je me sens totalement libéré. Je vais donc recommencer à écrire. J’ai déjà quelques titres en passe d’être finalisés. Nous les répèterons cet été afin de pouvoir terminer l’enregistrement d’un nouveau CD à la fin du mois de novembre 2014.

Avant de parler de ton prochain album, j’aimerais évoquer le premier que tu as enregistré avec les Blues Bastards « Break Down The Walls » (Dixiefrog - 2012). Selon toi le blues a-t-il déjà, par le passé, permis de briser des murs, des tabous, des interdits… ?
Oui, je le pense. Cette musique a forcément aidé le peuple noir en ce qui concerne sa libération. Ces gens-là chantaient leurs malheurs, tant ils étaient présents en eux. Malgré tout, ils vivaient et n’hésitaient pas à aborder des instants plus festifs, voire le sexe, dans leurs chansons. Ils savaient vivre…
Un type comme Howlin’ Wolf était un vrai « dingue », un « monstre » possédant une voix incroyable. Ces sons m’ont toujours tiré vers un truc plus profond. Avec eux, c’est l’âme et le cœur qui chantent. Faire une telle musique n’est pas une chose anodine et à notre tour, avec les Blues Bastards, c’est ce que nous essayons de reproduire… avec un maximum de sincérité.

Dans notre société actuelle, il reste beaucoup de murs à abattre… Quels sont ceux que tu aimerais voir tomber en priorité ?
Il y en a tellement… De plus, en ce moment, on est vraiment mal gouverné. C’est le cas depuis plus de vingt ans. Je suis plutôt un mec de gauche mais il est clair que ne sont pas les bons qui sont là. Le seul moyen de libérer est d’aller chercher l’argent là où il est. Je ne dis pas qu’il faut dépouiller, faire une nouvelle révolution française et bouffer tous les aristocrates. Il faut simplement que les gens richissimes puissent partager un peu de leurs bénéfices avec les autres. On ferme les boites dans notre pays afin de les ouvrir dans les nations de l’est ou en Afrique du Nord. Tout cela pour faire plus de bénéfices… mais, si les gens n’ont plus de boulot ici, comment vont-ils pouvoir consommer ? Cela créé une situation ridicule, c’est le bordel complet. C’est un mur à abattre…
Les gens sont trop passifs car ils ont peur de perdre leurs places. Ils savent que, compte tenu de la conjoncture, il y aura vite quelqu’un d’autre pour les remplacer tant il y a de chômage. La mondialisation n’a pas été faite pour aider les gens. Je suis un pro européen (plus de frontières, une monnaie unique…) mais l’Europe a été mal faite. Malheureusement, il y a quelque chose qui ne va pas. On n’a pas pu tout contrôler et on a fait intégrer l’Europe à des pays qui n’avaient pas le niveau pour assumer cela. Aujourd’hui ces pays en crèvent. Il suffit de voir la Grèce où même les habitants les plus riches ne veulent pas y payer d’impôts. Cela me fait sursauter ! Il ne faut pas oublier que les impôts servent à construire des écoles, des routes, des hôpitaux et à continuer à faire avancer les choses. Ces mecs ne se rendent pas compte qu’ils vont mourir avec leur pognon. Ce monde qui tourne mal, cette pollution… ce sont aussi des murs à abattre ! Je me demande ce que vont devenir les enfants actuels, ce que le futur leur réserve.
Quand tu vois que, par amour du gain, des types (en Chine ou en Russie) protègent des dictateurs… Ce qui se passe en Ukraine me révolte aussi. Je me demande où est-ce que l’on va… y compris dans des pays comme l’Espagne et la France. Il faut que les gens réagissent et qu’ils disent qu’ils en ont marre. Il n’y a qu’eux qui peuvent le faire. Actuellement, je ne vois pas un seul dirigeant politique, y compris à gauche, qui puisse mener à bien la France. C’est pareil partout, y compris en Italie qui est mon pays de naissance. Tout cela me rend triste mais me pousse encore davantage à retourner sur scène afin de pouvoir offrir un minimum de bonheur aux spectateurs. J’aime les voir rentrer avec le sourire…

Justement, pour retrouver le sourire, nous allons continuer en parlant de musique. Puisque tu bouscules le blues dans sa forme. J’aimerais savoir quels sont pour toi les artistes actuels qui, si ce n’est dans forme, on le plus l’esprit du blues originel dans le fond ?
Il y en a quelques-uns… Je pense  au Jon Spencer Blues Explosion, Tom Waits mais aussi à des groupes plus récents comme The Delta Saints… Ces jeunes mecs sont incroyables !J’aimais aussi The Imperial Crowns… un groupe qui, malheureusement, n’existe plus. Dernièrement, j’ai écouté deux titres du nouvel album de Chuck E.Weiss qui mélange blues et rock’n’roll. C’est un mec que j’adore… Il y a aussi Beth Hart, qui chante comme une déesse…66

Lors de notre interview, à la Laiterie à Strasbourg en octobre 2002, tu me parlais de ton admiration pour The White Stripes. Suis-tu toujours ce que fait Jack White en solo ?
Oui et j’aime bien ce qu’il fait. Cependant, je trouve qu’il est devenu un peu trop « doux ». Je le préfère quand il est davantage « dirty » et « destroy ». C’est pour cette raison que j’aimerais toujours  Jon Spencer car lui, il est vraiment « destroy » de naissance. J’ai aussi beaucoup aimé le dernier album de Jesus Volt « Vaya Con Dildo » (Grounded Music - 2013) qui est plus rock’n’roll que les précédents… même si j’aimais bien leur côté blues, qui détonnait complètement. Des groupes français tels que celui-ci, c’est vraiment rare !

Au début de notre entretien, tu évoquais Lee Brilleaux. Le guitariste Wilko Johnson, qui a créé Dr. Feelgood à ses côtés, a sorti récemment un disque (« Going Back Home » - Chess Records - 2014) avec le chanteur des Who Roger Daltrey. As-tu déjà eu l’occasion de l’écouter ?
Je n’en ai écouté qu’une chanson pour le moment. Cependant, je vais essayer de passer en revue l’album complet dès que possible. Ce doit être étonnant d’écouter Daltrey chanter du rock’n’roll comme quand il était môme. Quant à Wilko, il est promis à la mort depuis longtemps mais il est toujours là heureusement ! C’est magnifique…

Que penses-tu de l’intérêt que suscite Wilko Johnson depuis qu’on le sait malade. Ceci, venant aussi d’autres artistes anglais, alors qu’il était un peu tombé dans l’oubli. Ne trouves-tu pas que c’est un peu lugubre ?
Oui c’est lugubre mais j’ai vu pire…  Trois mois avant le décès de Dominique Laboubée (chanteur du groupe français The Dogs, nda), ce dernier avait fait un concert chez lui à Rouen (à l’Exo 7). Il n’y avait que 250 spectateurs… Puis, il y a eu un concert en hommage après sa disparition (le 9 octobre 2002, nda). Tout le monde avait alors joué quelques-uns de ses morceaux. Pour m’a part, j’avais préféré chanter deux de mes titres qu’il appréciait (« Never cry about the past » car cela ne sert à rien de revenir sur le passé et «Slave to the beat » car lui aussi était un esclave du tempo).
 De plus, je me voyais mal interpréter des titres des Dogs, car les textes ne correspondaient plus vraiment à l’âge que j’avais alors. J’avais envie de dire à d’autres groupes présents « vous n’avez pas honte, vous êtes tous là pour le vénérer alors que lors de son dernier concert à Rouen il n’y avait presque personne ». Pour Wilko c’est pareil. Maintenant qu’il est voué à la mort, tous les artistes anglais lui disent qu’ils l’aiment. On va se contenter de penser qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire….

Comme tu comptes donner une suite à « Break Down The Walls », peux-tu me dire comment ce disque sera produit ? Sera-t-il encore enregistré en live et de manière spontanée ? 
Ce sera, certainement, de manière spontanée mais on va bien le préparer et passer davantage de temps en studio. Pour « Break Down The Walls », j’ai chanté avec un micro SM58 au milieu des gars. Des conditions qui ne te laissent aucune pitié si ta voix commence à être fatiguée dans l’après-midi. Là je vais me prendre le temps de pouvoir chanter comme il faut. Nous allons commencer à travailler les premiers titres bientôt. Il y en a un que j’aimerais appeler « Dirty blue ass hole » (commence alors une discussion, avec Gilles Mallet, sur le mot blue qui selon ce dernier revient trop souvent)… bref, j’aimerais que ce titre soit dédié au Front National (traduction « sale trou du cul bleu »). C’est un peu violent…
Une autre chanson sera consacrée à une fille SDF qui dort dans une voiture (Bob m’interprète alors le refrain de cette chanson a capella, nda). Une autre s’intitulera « Apach’s » et évoquera mon tout premier groupe (The Apach’s, formé en 1962, nda). Le rythme de cette dernière sera jungle, un peu à la Bo Diddley mais en plus speed. Il faut encore que l’on travaille sur tout cela, mais ça va le faire ! Maintenant que je connais la direction que nous devons suivre, ça va aller vite !

Pour ce disque, souhaiterais-tu l’appui d’un producteur ? 
J’aimerais bien, mais cela coute très cher… Pour l’album « Time To Blast » (Dixiegrog - 2009), je voulais avoir Steve Jordan qui, à mon sens, avait produit les deux meilleurs albums du Jon Spencer Blues Explosion… Ces derniers bénéficiaient d’un son incroyable. Il était aussi le batteur de Keith Richards and The X-pensive Winos. Je l’avais appelé et il avait apprécié ce que je faisais. Il m’avait, cependant, demandé 20.000 dollars pour dix jours de travail (plus le voyage, l’hôtel, son propre ingénieur du son etc…). Cela s’est donc révélé être irréalisable pour moi, qui produit mes disques seul. Ce genre de plans, c’est bon si tu as une grosse major derrière toi, comme cela avait été le cas pour « Lost Territories » (EMI – 1993). C’est comme ça…

Tu viens de donner un concert très dense et tu as été très loquace durant cette interview. Je vais donc te laisser te reposer… Aurais-tu, toutefois, une conclusion à apporter à ce nouvel entretien ?
J’ai envie de revenir très vite en Alsace, car le public était très bon ce soir. C’est parfois difficile car, à titre d’exemple, une salle comme La Laiterie à Strasbourg n’a pas voulu que l’on y rejoue. Elle ne jure que par la « musique actuelle ». Je me demande bien ce qu’est « la musique actuelle » de nos jours... Cet art tourne, c’est un éternel recommencement, un va et vient. Je suis trop rare dans l’est et c’est dommage. Je me souviens de concerts au Domino’s à Lemberg (57) où nous avions fait le plein. Il faut que je retrouve des gens qui ont envie de me faire venir. Sans une volonté de la part d’organisateurs d’évènements ou de programmateurs de salles, c’est une chose qui s’avère impossible. Puis, si je reviens, cela nous permettre de nous revoir. A moins que ce soit, avant, à Paris en compagnie de nos amis communs Nadia Sarraï-Desseigne (attachée de presse de Bob, nda) et Dom S-D (graphiste de Bob, nda). Quoiqu’il arrive, tu peux être sûr que tu auras mon prochain album parmi les tous premiers, afin de pouvoir le présenter en exclusivité à tes auditeurs….

Remerciements : Nadia Sarraï-Desseigne (Kat Spirit Promo), Myriam Piazza, Yvan « Dr Mojo » (The Doctors)


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Interview réalisée au
Cinéma Le Trèfle
le 12 avril 2014

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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