Note de l’auteur : Long Chris (Christian Blondieau pour l'état civil) compte parmi les pionniers du rock’n’roll « made in France ». De Paris à Memphis, en passant par Londres, ses « voyages musicaux » lui ont permis d’obtenir une connaissance « sans limites » du sujet.
Enregistrer cet entretien avec Chris, l’intarissable passionné, a été un plaisir. Pourtant, au moment de le transcrire, une légère frustration m’a gagné.
Je me suis, en effet, rendu compte qu’un après-midi entier n’était pas suffisant pour évoquer un tel parcours dont voici un bref résumé… en quelques questions « made in Route 66 ». DB
Chris, toi qui a vécu l'émergence du rock'n'roll en France. Peux-tu me parler de la manière dont, à titre personnel, tu as découvert cette musique ?
Dans mon école communale, j'avais un copain qui était plus évolué que ses camarades sur tout sujet se rapportant au domaine musical.
Il faut dire qu'à l'âge de 13 ou 14 ans nous n'avions pas encore, pour la plupart d‘entre nous, été touchés par la question...
Ceci était lié au fait que nos parents écoutaient encore des artistes tels que Tino Rossi.
Ce type de chanteurs, à titre personnel, me laissaient complètement indifférent...
Un jour, à la surprise générale, ce copain (Gérard) est venu nous voir avec un petit Teppaz et un vinyle 25cm qui regorgeait de negro spirituals.
Nous nous sommes tous exclamés "il a un disque, il a un disque!", c'était une véritable révolution dans le quartier (rires) !
Il nous a passé ces enregistrements et, pour la première fois, j'ai fait la connaissance de titres tels que l'inévitable "When the saints go marching in" (rires).
Nous avons tous trouvé cela fameux. C'était physique, nous bougions en écoutant ces rythmes... c'était extraordinaire !
Un peu plus tard, quand j'ai quitté l'école, je suis devenu étalagiste dans un magasin de "fringues" pour hommes, Boulevard Saint-Michel. C'était à proximité d'un cinéma et de la rue de la Huchette où se situe le fameux Caveau du même nom.
J'avais 16 ans et, à cette époque, mes collègues vendeurs étaient considérés comme des "anciens" car ils en avaient 18 !
Ce sont eux qui, un soir, m'ont emmené au Caveau. Il y avait Maxim Saury qui jouait un morceau "La Réchauffée" à la clarinette (j'en ai d'ailleurs acheté le disque chez Ducret et Thomson), c'était de la musique "new-orleans"...
Naturellement, je suis passé de Maxim Saury à Sidney Bechet puis de ce dernier à Claude Luter etc...
Ne pouvant m'acheter tous les disques et ne sachant même pas où les dénicher, des copains m'ont conseillé de m'inscrire au club américain, rue du Dragon, où il était possible d'en emprunter.
C'est ainsi que je suis devenu un vrai amateur de jazz West Coast et d'artistes tels que Thelonious Monk.
Cela est, avec le recul, assez surprenant...
Puis, un jour, j'ai vu un gars passer dans le hall du club (où il y avait des cabines qui permettaient d'écouter des disques). Il tenait sous le bras un album dont la pochette montrait un cow-boy avec un ciel rouge en fond... A cette époque on ne parlait pas de country music mais de chansons de cow-boys (rires) !
Curieux, j'ai emprunté le vinyle et suis devenu, à mon tour, "raide dingue" de ces "chansons de cow-boys" !
Je me demande même, maintenant que tu me poses la question si je n'avais pas découvert cette forme musicale plus tôt... Décidément, il ne faudrait pas vieillir jeune homme (rires) !
En effet, il y avait une base US en face de mon école, rue Corbon dans le 15 arrondissement... C'est là que certains copains allaient acheter leurs cigarettes pour "3 ronds" à des américains.
C'est aussi là que nous avons pu nous procurer (pour 1 dollar ou 5 francs !) nos premiers jeans, des Levi's que nous appelions des "culottes à clous".
C'est donc, à ces américains que j'avais demandé mes premiers disques de cow-boys !
Les soldats gagnaient, ainsi, un peu d'argent en nous fournissant ces superbes 33 tours, en éditions américaines, avec leurs pochettes en carton.
Un jour, mon "dealer en disques" est parti en Allemagne afin d'y terminer son service dans une autre base.
C'est un noir qui l'a remplacé à Paris. Je lui ai demandé, à lui aussi, des vinyles....
Bizarrement, il ne m'a pas ramené des enregistrements de Chuck Berry ou de Little Richard mais le premier album d'un chanteur blanc nommé Elvis Presley (rires) !
Arrivé chez moi j'ai écouté ce truc et me suis dit "mais ça fait beaucoup de bruit", bref ça ne m'a pas du tout plu...
Je l'ai donc offert un l'un de mes copain, un arménien qui ressemblait beaucoup à Dean Martin, qui s'appelait Jeannot. C'est parce qu'il était fou de rock'n'roll que je lui ai donné ce disque...
Un jour, dans l'arrière salle d'un café parisien, lors d'une "boum" j'écoutais la musique pendant que les autres dansaient (pour ma part, je n'ai jamais dansé de ma vie). Jeannot est arrivé avec le fameux 33 tours... Lorsqu'il l'a passé, j'ai vu tous les gens commencer à se trémousser. Je me suis alors dit "mais quelle connerie que j'ai fait de filer ce disque au Jeannot", déjà qu'il avait de très beaux cheveux et portait déjà une banane à la Dean Martin (rires) !
Dès ce moment là, j'ai regretté de lui avoir donné cet album.
Heureusement j'en ai eu d'autres par la suite...
Un jour j'ai revu Jeannot qui m'annonçait qu'il déménageait, à Londres, avec ses parents. Il avait changé de "look" et ne portait plus sa belle banane. Il avait aussi décidé de ne plus écouter que du jazz et des artistes tels que Frank Sinatra. Il a ajouté "Ton disque je te le rends si tu souhaites le récupérer" (rires).
J'en étais très heureux, j'ai continué ma découverte d'Elvis Presley en achetant ses 45 tours chez Raoul Vidal, un disquaire situé en face de l'église de St-Germain-des-Prés. Il y avait aussi le Drugstore mais, aujourd'hui, en dehors de l'église et des Deux Magots plus rien n'existe (rires).
A cette époque là, nous devions être 3 personnes à écouter du rock'n'roll dans le 15ème arrondissement...
J'allais, parfois, à la Patinoire St Didier où le disc jockey ne passait que des chansons de Dalida ("Marino Marini"), des choses un peu plus rapides (pour la minute de vitesse) ou du classique...
Un beau jour, j'y ai amené un 45 tours pressage américain ("All shook up") de Presley afin d'essayer de le persuader de le passer.
Le mec a fait la moue et m'a demandé ce que c'était. Je lui ai répondu "Tu vas voir c'est du rock, c'est génial !". Il rallait mais il a, finalement, consenti à me faire plaisir et l'a diffusé.
J'étais tellement content que je me suis lancé sur la piste en chantant à haute voix "A well I bless my soul etc..." (Chris se met à fredonner, nda). J'étais vraiment fou de joie, je me sentais pousser des ailes et je tournais en rond à toute vitesse. A un moment donné, je freine, m'accroche à la barrière et me retrouve face à un grand blond avec une coupe au rasoir...
Pour faire du patin à glace j'avais des jeans mais lui portait déjà une veste en cuir sur un pantalon gris en flanelle.
En le regardant je continue de chanter "I'm in love I'm all shook up".... A ma grande stupéfaction, en me fixant dans les yeux, il termine ma strophe "Uh huh ohh..." (rires) !
Nous avons continué à chanter la chanson à deux voix. Je lui dis alors "Mais tu connais ça toi ?", ce à quoi il me répond "Oui parce que mon frère est américain (faisant alors référence à son cousin qui l'a élevé) et il me ramène des disques du rock'n'roll! » (d’un magasin américain, situé à Versailles, qui était chargé de trésors made in USA pour tous ces jeunes d'après guerre qui manquaient de beaucoup de chose, nda). Je me rappellerai toute ma vie de sa phrase "Oui j'ai tous les disques d'Elvis Presley et de tous les autres aussi"...
J'étais estomaqué et j’ai répliqué "Ah bon, il y en a d'autres" (rires) !
Il m'a alors parlé de Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent etc...
Tu as deviné que ce grand blond était Johnny Hallyday, à qui je présenterai Eddy Mitchell peu après.... Nous étions une toute petite poignée de jeunes à écouter du rock'n'roll sur Paris à ce moment là. Petit à petit ce cercle d'initiés à cette musique est passé de 5 personnes à 12, puis à 30 et tu vois où nous en sommes maintenant...
Avant cette découverte du rock'n'roll. Etais-tu déjà intéressé par la culture américaine, le cinéma ou les comics par exemple ?
La culture américaine de mon enfance était très réduite. La base en était les westerns...
Gamin, dans les squares, je me baladais avec le chapeau de mon père (que j'avais arrangé pour en faire celui d'un cow-boy) et un pistolet en carton. Je faisais vraiment partie des "cow-boys français, d'après guerre, en shorts" (rires).
Je n'avais pas encore découvert les comics et la chanson encore moins.
Quand je suis entré dans la connaissance de la musique américaine, je l'ai appréciée dans toutes ses variantes (des negro spirituals jusqu'au jazz), en m'arrêtant en 1960.
Ma seule et unique "dérogation" à ce sujet étant Bob Dylan. Il est impossible de passer à travers...
Comme lui, je suis un "fureteur" (Long Chris est antiquaire depuis 1970, nda), j'ai besoin de connaitre les origines des choses, de savoir ce qu'il s'est passé.
Dylan, me hantait avec ses textes (je traversait alors ma période surréaliste et mystique comme tous les jeunes de 18 ou 20 ans), c'était "infernal" et irréalisable en français. Non seulement il était un contestataire de gauche mais il était surtout fantastique dans le sens propre du terme. Il fait de la musique et des textes "fantastiques"... Il possède son propre argot, son langage à lui...
Il est aussi capable de mélanger les tranchées de la guerre du Vietnam avec Alice au Pays des Merveilles... Il y a un truc qui, pour moi, est vraiment extrêmement riche !
J'ai voulu savoir, comme toi tu le fais à travers ton travail, l'étymologie et la base de tout cela. Ainsi, j'ai appris que son véritable patronyme est Robert Zimmerman et qu'il a emprunté son nom de scène au poète gallois Dylan Thomas. J'ai donc acheté et lu avec empressement (et beaucoup de plaisir) les deux recueils de ce dernier.
Cependant je n'ai pas "retrouvé" Bob Dylan dedans...
Je me suis perfectionné en anglais puis, tout a coup, j'ai senti qu'il y avait du Steinbeck qui transpirait à travers ses chansons. Il se réclamait de la beat generation et, de ce fait, j'ai acheté tout ce que je pouvais chez Brentano’s (la librairie américaine située Avenue de l'Opéra) et chez Shakespeare & co en face de Notre Dame. J'ai "dévoré" toute l'œuvre d'Allen Ginsberg, ça allait très loin.
Au sein des auteurs de ce mouvement il y avait un seul français "d'admis", Alain Bosquet. Il est devenu l'un de mes surréalistes préférés, je le considère comme une montagne aux côtés de Henri Michaux et de Joseph Delteil.
Tu vois, au niveau de la culture, ce qu'un simple disque de "cow-boy" peut apporter, c'est vraiment très riche !
Je me suis un peu moins intéressé à la musique à partir du moment où j'ai arrêté mon activité de parolier. J'ai, cependant, continué à jouer de la country music pour mon propre plaisir pendant une vingtaine d'années.
Je n'ai jamais été sensible à la musique anglaise des Beatles. Comme tu me le disais, avant cet entretien, "Nous préférons la musique qui sent sous les bras" (rires) !
J'aime le côté "routier" de Jimmie Rodgers ou de Woodie Guthrie, l'art populaire...
Les Beatles c'est trop riche, trop "bien fait", trop propre... je n'y retrouve pas ce côté "rough", ce n'est pas "On the road again".
Parmi les américains, j'ai suivi Bob Dylan car je le considère comme le troisième pilier de la musique américaine avec Hank Williams et Elvis Presley.
Je l'ai suivi très longtemps mais, malheureusement mon métier ma vraiment trop accaparé pour continuer. J'ai, cependant, toujours des "relents"...
Dernièrement je me suis rendu dans une "grande surface culturelle" afin d’y acheter le "rouleau". Le manuscrit complet (dans sa version originale!) de "Sur la route" de Jack Kerouac. Un drôle de dénouement pour ce livre écrit sur un véritable rouleau dont la fin avait été bouffée par un chien (rires). J'adore cela !
Au même titre, j’ai toujours rêvé que Johnny Hallyday tourne dans un film adapté de "Tortilla Flat" (roman de John Steinbeck datant de 1935, nda), oh putain... ça aurait été quelque chose...
Je suis français depuis plusieurs générations, je me demande vraiment comment j'ai été à ce point touché par la culture américaine.... avec ce qu'elle a apporté de bien et de mal.
Nous étions tous des gamins "100% américains" entre juke box, coca cola et rock'n'roll.
Certains d'entre nous se sont, cependant, détournés de cette état d'esprit (en raison de la guerre du Vietnam par exemple).
J'ai beaucoup lu sur les américains et je peux t'affirmer qu'ils ne sont pas "blancs blancs"....
Je ne veux pas faire de mauvais jeux de mots en disant cela car il ne faut pas oublier que les premiers américains, qui sont arrivés par le Détroit de Behring, étaient des mongols (avant les indiens). Il y en avait peut être même avant, c'est passionnant !
Enfant, j'avais l'image de l'américain des années 1950 avec son t-shirt blanc et ses socquettes de la même couleur. Aujourd'hui c'est, au même titre que le Brésil, une vraie nation cosmopolite et, de plus en plus, latino.
J'ai lu jusqu'au dernier bouquin d'Alexis Tocqueville, celui d’Alain Genestar (« Le baraquement américain ») ainsi que l’ouvrage de Bernard-Henry Levy qui a repris le trajet de Tocqueville à travers "American Vertigo". Je ne suis pas toujours d'accord avec ce dernier mais je l'aime bien quand même (rires) !
Je m'attendais à mieux de sa part, il explique la chose avec l'esprit d'un philosophe actuel...
Tout cela pour te dire que je continue à beaucoup m'intéresser aux américains, même s'il faut faire la part des choses en ce qui concerne leurs actions.
Tu as abordé Bob Dylan, un sujet sur lequel nous reviendrons plus tard. Auparavant, j'aimerais évoquer tes débuts en tant que chanteur. Tu étais, alors, accompagné par Les Daltons (puis par les Cowden). Comment vos premiers enregistrements ont-ils vu le jour et comment t'es-tu, à titre personnel, retrouvé devant un micro ?
Je n'étais pas du tout préparé à cela...
Au Golf Drouot, la grande mode était de "monter" des groupes dans la lignée des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages.
Pour ma part, je ne sais pas comment cette idée "saugrenue" m'est venue, c'est incroyable (rires) !
J'avais rencontré deux guitaristes dont l'un accompagnait la chanteuse Claire Ferval (qui a, également, enregistré sous son vrai nom de Claire Chevalier au milieu des années 1960, nda). Ce dernier préférait jouer du rock avec un garçon et m'a sollicité. Je me suis alors improvisé chanteur, moi qui n'avait aucune qualité pour cela (rires).
Pour tout te dire, lorsque j'étais à l'école, la phrase que l'on entendait le plus souvent pendant les cours de chant était "Bondieau sortez, à la porte !" (rires).
Je me suis donc retrouvé à "chantailler" du rock'n'roll à l'arrière salle des cafés ou dans des boums. J'avais l'avantage d'avoir le physique pour et ça plaisait ...
Je me souviens, qu'à mon retour du service militaire, alors que j'étais étalagiste (avant de partir sous les drapeaux j'étais tailleur de diamants mais j'avais décidé de devancer l'appel, et de partir dans la marine, tant cette profession m'ennuyait), Johnny m'a demandé ce que je voulais faire. Il m'a dit "Fais comme moi, chante du rock!" (rires).
Je lui ai répondu "Bon ben ok, je vais chanter du rock" (rires) !
Nous avons trouvé une première maison de disques, Pacific, où les gens étaient très gentils.
Johnny trouvait que cette firme n'était pas assez importante et a fait le nécessaire pour me faire signer chez Philips.
Je me suis laissé faire, c'était normal, Philips avait davantage de moyens pour lancer la carrière d'un groupe de rock.
Avec le recul, je dois avouer que nous n'avons pas été très "chouettes" avec ces sympathiques personnes de chez Pacific. Je le regrette mais nous étions jeunes et portés par notre enthousiasme...
Je me suis donc retrouvé chez Philips et confronté à de nouveaux problèmes. On m'a demandé d'interpréter des titres en français et d'apprendre à chanter dans cette langue, ce que je ne voulais absolument pas (rires). Je voulais m'exprimer comme Elvis Presley et Eddie Cochran, avec le peu d'anglais que je connaissais alors...
Malheureusement, le label, voulait des rockers français pas des rockers qui chantent en anglais...
J'ai donc appris à chanter en français et ça a été l'horreur. Je n'arrivais pas à caser le bon nombre de pieds et ne retrouvais pas la force des textes originaux.
Par la suite, j'ai suggéré d'interpréter quelques morceaux (d'origine américaine) de mon choix. Malheureusement, ils n'étaient pas encore édités en France... aucun éditeur ne possédait ces titres en catalogue. Finalement, on m'a apporté des chansons qui étaient déjà faites depuis très longtemps. Elles me semblaient désuètes mais, il faut avouer, que les textes américains originaux n'étaient pas toujours meilleurs. Un jour, je me suis rendu compte que ce que je chantais n'étais pas très "joli-joli" au niveau vocal. J'ai même lu dans des journaux que j'avais été engagé chez Philips pour la qualité de mon physique et non pour ma voix. Je reconnais d'ailleurs, que je n'étais pas un grand chanteur et que je n'aimais pas les mots que l'on me proposait.
Lorsque je suis devenu parolier, il m'a semblé normal de devenir l'interprète de mes propres créations. Le fait d'écrire était une volonté forte que j'avais en moi...
J'ai donc fait quelques uns de mes premiers textes comme "La petite fille de l'hiver", "La voix du poète", "Névralgie particulière", "La ballade du fils indigne", "Plan de fugue" etc...
J'étais toujours très influencé par Bob Dylan mais je me suis vite affranchi et mes textes sont devenus du "Long Chris Rive Gauche".
A cette époque mon directeur artistique était Claude Dejacques (qui était, justement, le directeur artistiques des Frères Jacques mais aussi de Barbara) m'a permis de rencontrer Anne Sylvestre, que j'appréciais particulièrement, au même titre que (tout rocker que j'étais) Bécaud, Brel et Brassens...
Georges Brassens, je l'adorais pour ses tournures particulières, il maniait la langue française avec une habilité exceptionnelle. On peut s'en rendre compte avec certains de ses vers tels que "Sans ton amour que j'idolâtre, las ! que fussé-je devenu ?" (extrait de "Si le bon dieu l'avait voulu", nda). En entendant de tels mots dans la bouche d'un chanteur, on se met à remonter les origines de la langue française et à lire Molière et Corneille.
Quant tu es ouvert à toutes les qualités spirituelles et culturelles, la musique permet de déverrouiller une porte cers des horizons extraordinaires.
Je me suis donc retrouvé dans le milieu du show business sans en avoir la vocation...
Johnny possédait la vocation, c'était un "enfant de la balle", né dans un milieu d'artistes. Il a été éduqué pour en devenir un. Moi, j'appartenais à la petite bourgeoisie et quand j'ai dit à mes parents que je voulais devenir un chanteur de rock, ça a été l'horreur.
De nos jours ça ne doit déjà pas être facile, pour un gamin, d'annoncer la chose à ses parents... En 1958 c'était une chose vraiment inacceptable.
Avant de parler de ce "Long Chris Rive Gauche" j'aimerais revenir sur Long Chris et Les Daltons. Tu véhiculais, alors, une forte imagerie "western". Est-ce ta passion pour le genre que tu as réussi à imposer ou bien Philips l'a-t-elle utilisée dans un but qui touchait purement au marketing (puisque personne, avant toi, en France ne s'habillait de la sorte) ?
Je me suis toujours habillé en cow-boy....
Il existe même un reportage photographique où on me voit descendre les Champs Elysées sur un cheval, avec mon chapeau, mon lasso et tout l'attirail...
Curieusement sur la pochette de notre 1er 45 tours (chez Pacific), tout le groupe est en costume-cravate...
Figure toi qu'au début nous voulions nous appeler "Lucky Luke et Les Daltons" en raison de ma ressemblance avec le personnage de Morris, j'étais assez grand et "déglingué" (rires) !
Finalement (et heureusement) nous avons eu peur d'avoir des droits à payer. Le nom de groupe, Les Daltons, a par contre pu être utilisé car les Daltons ont vraiment existé. De plus, c'est un nom très fréquent aux USA, comme Dupont en France.
A l'époque nous étions, vraiment, tous des fans de westerns. Tu peux le constater avec Eddy Mitchell... Je ne veux pas le flatter en le situant dans la lignée de John Wayne mais il mérite, cependant, bien qu'on le dise. Il a été au bout de sa démarche et, à l'heure où nous enregistrons cet entretien, il doit encore avoir des bottes aux pieds.
La personne qui prenait nos photos (pour les pochettes de disques par exemple) était Jean Laulhé qui deviendra connu sous le nom de Tony Frank.
C'était aussi ses toutes premières photos (rires)...
Je l'ai revu il n'y a pas très longtemps, c'est vraiment un mec bien...
L'origine de mon propre pseudonyme provient d'une mode qui existait à l'époque. Certaines caractéristiques physiques étaient dévoilées à travers le nom des artistes, particulièrement en ce qui concerne la taille. Par exemple il y avait Little Richard aux USA et Little Tony en Italie...
Au début des années 1960, nous devions tous avoir un nom à consonance américaine... on m'a donc proposé de m'appeler "Long Christian" (rires) !
Finalement je suis devenu Long Chris, un nom qui permettait à Carlos de me taquiner. Il insistait sur le terme Long qui, avec la prononciation anglaise, faisait "longue".
C'était bon enfant et, de toute façon, je me vengeais en le surnommant "court" (rires).
Tu es un grand amateur de musique folk et de country, d'ailleurs dans ton univers musical se croisent Hank Williams et Bob Dylan. As-tu eu l'occasion de rencontrer ce dernier, notamment lors de sa venue en France en 1966 ?
Non, malheureusement, je n'en ai jamais eu la possibilité. C'était déjà une immense vedette et ses allées et venues étaient très organisées. Johnny l'a rencontré et l'a accueilli chez lui mais, pour moi, c'était impensable. Dylan c'est le soleil, à ses côtés je ne suis qu'un homme dans l'ombre. De plus, je ne voulais pas faire le groupie et courir après lui dans les hôtels afin de pouvoir lui dire un mot. Si j'avais été à table avec Johnny et Bob Dylan, j'aurais pris un malin plaisir à faire ce que tu fais actuellement. Lui poser des questions sur l'écriture de ses textes... il y a une matière extraordinaire avec lui, j'aurais eu mille choses à lui demander...
J'avais adapté l'un de ses morceaux, "She belongs to me" ("Elle m'appartient" en français, nda). L'éditeur avait exigé que mon texte colle parfaitement à l'original car il serait présenté à Dylan afin qu'il donne, ou non, son autorisation. Il avait raison car, à l'époque, un français aurait été capable de mettre n'importe quoi sur l'un de ses chefs d'œuvre.
Il fallait vraiment respecter son texte et ne pas l'amocher.
Je trouve cela tout à fait justifié ! Les artistes qui procédaient comme lui avaient raison !
Qu'est-ce qui t'a décidé à écrire toi même tes textes ? Pensais-tu que les chansons qu'on te proposait ne te correspondaient pas ?
Oui j'avais parfois du mal à chanter ce que l'on me mettait sous le nez. Je trouvais cela "bêbête", désuet...
De plus Johnny me demandait de faire des chansons pour lui. Il fallait donc que je m'applique car c'est une "autre pointure" ...
Après lui avoir écrit le texte de "La génération perdue", je me suis pris au jeu. Bien qu'autodidacte je possédais un certains vocabulaire en raison de mes lectures multiples. Je pouvais jongler avec un large choix de mots. Au bout d'un moment, je me suis dit que si je pouvais le faire pour Johnny, je pouvais le faire pour moi aussi.
Quand j'ai fait "La petite fille de l'hiver", c'était pour moi. Quand Johnny l'a écoutée, il a souhaité l'enregistrer (avec un texte sensiblement différent).
A titre personnel, sans vouloir te flatter, je te considère comme le premier vrai songwriter (au sens américain du terme) français. Tu as été le premier jeune de ta génération à parler de la sorte des faits de société qui t'étaient contemporains... Quand on écoute des titres comme "La génération perdue" ou "Paris se saborde" on se rend compte qu'ils étaient même en avance sur leur temps. Ils annonçaient presque les prémices de Mai 1968...
Oui c'est vrai... bravo !
On peut, en effet, y lire des choses troublantes qui se vérifieront quelques mois ou années plus tard.
Je ne me suis, pourtant, pas trop impliqué lors des évènements de mai 1968. Je suis allé, un jour, apporter des médicaments aux gens qui se battaient. J'étais avec mon copain Claude Dejacques. Malheureusement, nous n'avons pas pu accéder jusqu'aux barricades...
Pour en revenir à l'écriture, il est bon de préciser que Johnny, lui aussi, en avait assez des textes qui étaient généralement conçus pour le rock'n'roll français. Il y avaient pourtant des gens exceptionnels qui, eux, réussissaient à écrire de très beau textes. Je pense à Georges Garvarentz (le beau-frère de Charles Aznavour) et à une jeune fille nommée Manou Roblin (qui avait fait un excellent travail sur "Les rocks les plus terribles" de Johnny en 1964). La plupart des autres étaient vraiment lamentables...
Un jour, en tournée, Johnny m'a "chopé" à la fin d'un repas. Il m'a fait monter dans sa chambre, en même temps qu'une bouteille de vin rouge, afin de me parler.
Il m'a dit "Ecoute, j'ai des paroles qui me font chier et qui ne représentent pas suffisamment les problèmes des jeunes. C'est toujours la même chose, je voudrais un parolier qui raconte notre histoire, les conflits avec nos aînés etc...". Hallyday avait déjà compris que les jeunes devaient "prendre le pouvoir". Comme tu le dis, tu as tout à fait raison, ce sont les prémices lointains de mai 1968 qui se dessinaient alors. Il a ajouté "Toi tu as toujours vécu avec moi, tu m'a suivi, tu connais le truc, c'est à toi de la faire !".
J'étais complètement désorienté car je n'avais jamais rien écrit de ma vie. Il m'a alors fredonné une musique lancinante qu'il venait de composer... ce qui m'a rendu perplexe. Nous avons bu un verre de vin et continué à discuter. Au bout d'un moment, Johnny a ajouté "Tu prends la bouteille, tu montes dans ta chambre avec mon enregistreur et tu redescendras quand tu auras mon texte". A cette époque je n'étais que son secrétaire mais "le maître" avait parlé, il fallait donc que je trouve une solution.
Je n'ai pas bu une goute de la bouteille.... D'ailleurs, j'estime que l'alcool est un mauvais ami pour l'inspiration. Il faut savoir s'arrêter après deux verres de vin ou un verre de whisky, ce que la professeur de piano de Johnny appelait "la démarrante" (après lui avoir offert un verre de Cognac)...
Si j'avais bu la bouteille, je crois que je n'aurais jamais pu écrire "La génération perdue", du coup elle aurait vraiment été perdue pour tout le monde (rires) !
Je n'ai pas beaucoup dormi de la nuit mais je l'ai fait. Il y a eu un déclic, il s'est vraiment passé un truc... Comment j'ai pu faire ça ?
C'est très bizarre, je ne l'avais pas en moi cette chanson... c'est Johnny qui l'avait en lui...
Nous étions tous les deux comme un seul homme, il a senti que j'étais au centre des préoccupations des jeunes de l'époque.
De plus, il savait que j'avais toujours des histoires à raconter. J'étais un narrateur et il aimait bien me trimballer, tel le "singe savant", à ses diners. J'amusais les gens avec mes histoires.
Il avait besoin d'un changement radical dans ses textes. Il y a vraiment eu un déclic....
Quand j'y pense, je me dis que c'est vraiment dingue....
Bref, je suis allé le voir le lendemain avec mon texte. Il a pris sa guitare, a joué sa mélodie en chantant mes mots. Il a dit "C'est ça !"...
Il m'a juste fait changer quelques paroles et trois jours après il "balançait" la chanson sur scène, puis a enregistré le disque à Londres...
Hors micro, tout à l'heure, tu me disais que tu apprécies également des artistes tels que Pete Seeger ou Woody Guthrie. Estimes-tu que tes textes, à l'époque, étaient aussi à leur manière des textes contestataires ?
Pete Seeger et Woody Guthrie étaient des vrais Beatniks. Ils appartenaient au "flanc gauche" de la musique folk que j'écoutais.
Par contre je n'estime pas que mes propres textes étaient contestataires. A une époque c'était un peu à la mode avec des mecs comme Antoine mais ce n'étais pas mon truc. Je l'ai, peut être, fait une fois plus ou moins adroitement.
C'était dans "La ballade du fils indigne" où je disais quelque chose comme "Et au loin là-bas sur les Champs Elysées, la Garde Républicaine rutilante de quincaillerie etc...".
C'est péjoratif et anti militariste alors que je ne suis pas antimilitariste puisque je m'intéresse à l'armée française, surtout celle de Napoléon, de par mon métier....
Je ne suis pas spécialement content de cela, c'était un phénomène de mode...
Etant complètement apolitique, il m'est difficile de m'engager sur un tel terrain.
Je préfère le fantastique et le rêve...
Il y a un autre aspect et je pense que c'est, en partie, pour celui-ci que je suis ici aujourd'hui. En effet, quand on parle des grands auteurs de la chanson française on passe, quasi-systématiquement, des grands noms d'après guerre (Brassens, Brel, Ferré etc...) aux mérites de certains artistes de hip-hop actuels. Une partie des médias et "pseudos spécialistes" occulte totalement les auteurs de la "génération rock'n'roll". Je te considère, quelque part, comme un grand oublié qui navigue entre ces deux courants...
C'est très gentil à toi...
La mise en avant de certains artistes issus des banlieues est normale, c'est un phénomène de société... comme le rock en a été un.
Pourtant, dans ma génération, je pense qu'il y a de nombreux auteurs de la "sphère rock" qui ont beaucoup plus de talent que moi.
Je suis resté dans l'ombre car j'étais celui qui ne faisait pas ce qu'on lui demande. Quelque part, je n'étais pas pro... je n'étais qu'un petit rocker...
Mais ne penses-tu pas que le fait d'être un rocker balance des clichés aux yeux de certains. Que cela sous entendrait que vos textes ne peuvent pas être pris au sérieux ?
Si, je comprends parfaitement ce que tu veux dire...
Il y a une barrière à un moment donné...
J'ai, cependant, écrit certaines chansons comme "La voix du poète" et "Les murs blancs" qui ont été saluées.
L'un des plus beaux compliments que l'on m'ait fait est à mettre à l'actif de Pierre Delanoë.
Nous étions au Studio BLANQUI avec Johnny Hallyday alors que celui-ci posait sa voix sur la musique de "Voyage au pays des vivants", enregistrée à Londres.
Quand on me l'a présenté, je me suis dit "Oh la la... s'il rentre dans la cage et qu'il entend mes textes psychédéliques, on est foutus !" (rires).
Il y avait d'autres paroliers dans le studio (comme George Aber, Gilles Thibault, Ralph Bernet)...
Delanoë était dans la cabine, avec le preneur de son, quand Johnny a attaqué "Le jour de ma naissance un scarabée est mort, je le porte autour de mon cou..."
Delanoë a lentement répété la phrase puis a dit "Très fort, très fort.... " avant de se tourner vers notre petite bande et de nous demander qui d'entre nous était à l'origine de ce texte.
Je me suis avancé et, hésitant, j'ai avoué qu'il s'agissait de moi.
Le célèbre parolier m'a alors dit "très fort jeune homme, très fort...". Il m'a vraiment fait un beau compliment ce jour là...
Je crois que tu as très bien vécu, de l'intérieur, le mouvement psychédélique...
Oui, c'est une mode que j'ai préférée au twist par exemple (rires) !
Même le mouvement beatnik, je ne l'ai pas trop apprécié en France. Le beatnik français qui rentre tous les soirs chez papa et maman pour foutre ses pieds sous la table pour diner... très peu pour moi...
Les vrais beatniks européens étaient les suédois, les allemands, les anglais qui étaient "on the road again" !
Un soir, à Bruxelles, je participais à un petit Festival de folk dans un théâtre de la ville. Il y avait beaucoup d'américains et, moi, j'étais le petit français qui chantait du Woody Guthrie en anglais (rires) !
Tous les autres artistes présents dormaient (ils étaient au moins 8) ensemble dans une petite chambre avec leurs instruments.
Les beatniks, en plus de leurs engagements et de leur côté pacifiste, c'est ça !
Le mouvement psychédélique a été, davantage, synonyme de défonce et de drogues....
Quoiqu'il en soit, j'en suis toujours revenu au rock'n'roll original... celui d'avant les années 1960, les racines... les racines...
J'aimerais évoquer tes grandes rencontres dans le milieu de la musique. Aux côtés de Johnny (que ce soit lors de tournées ou de sessions d'enregistrement), tu as pu côtoyer de nombreuses grandes stars du rock. J'aimerais, en premier, évoquer Donovan avec toi... Il est, pour beaucoup, considéré comme un sous-Dylan
Ceci est profondément injuste...
Il est vrai que la première fois que nous avons entendu "Catch the wind" sur les ondes, nous pensions que c'était Bob Dylan...
Maintenant que je me suis bien "encombré" les oreilles de Dylan et de Donovan. Je peux t'affirmer qu'il s'agit de deux branches totalement différentes.
Nous avions rencontré Donovan à Londres, je me souviens qu'il boitait légèrement. C'était un garçon très gentil, très aimable et très doux. j'avais été très impressionné par quelques uns de ses textes comme "Bring me word o' the banjo man with a tattoo on his hand" (extrait de la chanson "Epistle to Derroll", nda) et par son album "A gift from a flower to a garden" (1967,nda). Ce genre de titre fait partie du surréalisme, doublé de fantastique, que j'aime.
"Le cadeau d'une fleur à un jardin", non mais tu imagines...
Il y a une poésie anglo-saxonne qui n'existe pas en France...
Par exemple je suis resté longtemps accroché sur... "Alice au pays des merveilles".
Ici nous en avons une autre, qui est admirable bien que différente, avec Les haschichins (club voué à l'étude et à l'expérience de drogues menés par Jacques-Joseph Moreau et Théophile Gautier et quelques membres dont Charles Baudelaire, Alexandre Dumas etc..., nda).
L'autre personnalité qui m'a le plus marqué lors de mes voyage avec Johnny est Jimi Hendrix.
J'avais, depuis Chuck Berry, un peu décroché avec la musique "black". Hendrix a été Le renouveau du genre. Il était exceptionnel à tous les points de vue.
Nous l'avions rencontré dans une boite de Londres. Il chantait déjà "Hey Joe"...
Johnny a, littéralement, été subjugué et l'a ramené en France où il lui a permis d'effectuer sa première tournée.
Nous étions tous sous le charme de son charisme, sa manière inédite de jouer de la guitare...
Bref il avait tout pour lui : le style, le charisme, le physique, la gentillesse... c'était un personnage exceptionnel...
Quel dommage qu'il se soit bousillé la gueule comme ça... pfff.... (Chris semble vraiment troublé en évoquant Jimi Hendrix, nda).
Il est l'un des derniers artistes à m'avoir touché de la sorte, un mec formidable...
Il me semble aussi que tu l'as emmené aux Puces de Saint-Ouen...
Oui absolument, c'est là qu'il a commencé à s'habiller en militaire....
On te doit donc une partie de son "look" (rires)...!
Cela a commencé autrement...
J'ai toujours aimé les anciens uniformes militaires. Surtout ceux de hussards, j'ajouterais un peu romantiques pour éviter qu'on me taxe de militariste (rires)...
Un jour à Londres, avec Johnny, nous nous promenions dans un marché aux puces du côté de Picadilly Circus.
Nous avions acheté des vestes militaires des gardes anglais.
Il y a d'ailleurs eu, plus tard, un 33 tours ("Johnny 67", nda) sur lequel tu vois Johnny avec une pipe dans le bec et l'une de ces vestes...
Nous étions très beaux comme cela et on se baladait fièrement dans les rues anglaises (rires)...
C'est dans une boite, en France, que Jimi a remarqué ces vêtements et qu'il a demandé où il pouvait en acheter ici (regrettant de ne pas l'avoir fait en Angleterre).
Johnny l'a aiguillé vers moi en lui indiquant que je m'y connaissait. Comme je savais où en trouver, nous sommes allés un samedi matin aux puces se Saint Ouen où nous avons acheté une tenue de Hussard de l'époque 1900. Il y avait un photographe avec nous (probablement Alain Dister, nda) qui a pris un cliché nous réunissant.
Je possède une autre photo très marrante avec Jimi Hendrix.
A chaque Olympia ou dernière d'un spectacle dans cette salle, la tradition était que tous les musiciens et tout le personnel de la tournée montait sur scène avec Johnny.
De ce fait, tu avais parfois 45 ou 50 personnes qui se pointaient à la fin du show (parfois même les électriciens qui faisaient les cons avec une guitare ou un autre truc).
Il y a des photos de cela où tu vois Johnny avec 50 mecs derrière, avec des tenues incroyables, qui foutent le bordel.
En ce qui nous concerne, à l'occasion de ce moment, tout a coup Jimi est monté sur scène et s'est installé à côté de moi.
J'ai fait un agrandissement et, maintenant, je dis aux gens "Tu vois, ça c'est l'époque où Jimi Hendrix m'accompagnait" (rires) !
Sinon, plus sérieusement, avez-vous eu l'occasion de jouer ensemble entre les concerts, dans les chambres d'hôtels etc... ?
Non, je n'en ai pas eu l'occasion. Johnny a fait une très bonne version de son "Hey Joe".
Nous avons passé des moments magiques avec lui, c'était un excellent compagnon.
Il avait un bon sens de l'humour, il était agréable à vivre, pas bêcheur pour un sou...
Un homme simple...
C'est vraiment con qu'un type comme ça soit parti si vite. Il serait, peut être, devenu désagréable comme d'autres par la suite mais, à la base, il était tellement gentil...
C'était un copain que l'on aurait voulu garder éternellement...
Puis quel musicien !!!
Les guitaristes n'arrêtaient pas de regarder son doigté... Pffff, c'est vraiment une des dernières légendes de la musique...
Mourir jeune pour un musicien noir... il y a là un symbole vraiment chiant.... C'est terrible...
La musique noire est à la base de tout ce qu'on aime...
Ce que nous aimons, c'est la musique du peuple afro-américain !
J'aimerais revenir à tes textes. Tu pouvais en écrire des particulièrement osés. N'a-t-il pas été difficile d'imposer à ta maison de disques un titre comme "Haschich" que tu as enregistré en 1966 ?
J'ai voulu faire de la provoc' et... c'est passé comme une lettre à la poste (rires) !
Cela aurait pu mal se dérouler si nous avions gardé le titre original "Cocaïne".
C'était un peu trop fort et nous avons jugé qu'il était préférable de remplacer ce terme par "Haschich".
Au début du disque, on entend la fameuse respiration du fumeur qui "tire" sur son joint.
Nous voulions vraiment provoquer et que cette chanson soit interdite sur les ondes afin d'avoir des retombées commerciales.
Malheureusement… ça s'est très bien passé (rires) !
Outre les auteurs de la "beat generation" (tels que Allen Ginsberg ou Jack Kerouac) et les poètes que tu as déjà cités, je crois que tu as aussi beaucoup apprécié "Les chants de Maldoror" du Comte de Lautréamont" (Isidore Ducasse)...
Oui et, avant lui, il y a eu Alfred de Musset.
Je me suis inspiré de l'un de ses poèmes "La nuit de mai" pour ma chanson "L'orphelin et le tambourin".
J'écris, encore actuellement, pas mal de textes surréalistes. J'étais capable d'écrire une chanson en 5 minutes sur une nappe en papier de restaurant en disant à Johnny "voila ton texte", comme je pouvais connaître le drame de la page blanche pendant des jours entiers.
J'écrivais pas mal de poèmes surréalistes. Un jour j'en ai montré un à Claude Dejacques qui me dit "oui, c'est pas mal ton truc mais c'est du Lautréamont".
Je ne le connaissais pas du tout et ne savais pas encore ce qu'était le surréalisme.
Du coup, il a pris une fiche sur son bureau et y a inscrit quelques références de livres (André Breton : "Manifeste du surréalisme", Le Comte de Lautréamont : "Les chants de Maldoror" éditions Corti, André Breton : "Nadja" etc...). Je me suis procuré les bouquins en question et, en lisant Lautréamont, je me suis dit "mais, il écrit comme moi ce mec..." (rires) !
Je me suis donc rendu compte que, sans le savoir, j'écrivais dans la même optique que lui. Plus tard j'ai été "effrayé" par ses textes et j'ai arrêté. Son œuvre est vraiment "ardue", il ne faut pas tout prendre...
Je suis, tout de suite, "rentré" dans "Le manifeste du surréalisme" puis j'ai lu Henri Michaux, Philippe Soupault et des revues spécialisées.
Baignant dans cette littérature, mes propres textes en ont été touchés.
On peut, par exemple, reparler de "Voyage au pays des vivants".
C'était l'anniversaire de Johnny et je ne savais pas quoi lui offrir. Je suis donc allé à un marché aux puces où j'ai trouvé un médaillon en argent qui contenait un très beau scarabée. Au verso, la date anniversaire de Johnny y était gravée. Je lui ai offert, ce qui a donné le début de la chanson "Le jour de ma naissance un scarabée est mort, je le porte autour de mon cou".
J'ai vu des chambres de soldats morts au combats qui m'ont inspiré la suite "jouets de soldats morts, poursuivants des enfants, ils courent dans ma direction...".
Petit à petit, tu t'échappes de tes modèles pour devenir toi même avant d'être, peut être, copié à ton tour.
As-tu déjà eu l'idée de sortir des livres qui compileraient tes travaux d'auteur ?
Oui, bien sûr....
J'ai beaucoup de romans qui pourraient être édités. J'avais même un projet de roman avec Johnny....
D'ailleurs, pour en revenir à Lautréamont, je lui avais fait un texte inspiré du livre "Les chants de Maldoror".
Le morceau se nomme "Je te salue vieil océan". Je lui avais même soumis l'idée d'un 33 tours "Johnny chante Maldoror", ça aurait été fabuleux...
Tu voix Johnny chanter "Je te salue vieil océan".... à cette époque là, il pouvait tout se permettre... Dommage, ça n'a jamais été gravé...
Peux-tu m'en dire davantage sur cette idée de roman avec Johnny Hallyday ?
Il est venu me voir un jour en m'annonçant que lui et Nathalie Baye se séparaient. Il ne voulait pas aller à l'hôtel, tant il en avait marre d'y passer ça vie. Il envisageait d'acheter un appartement près de chez moi, dans le quartier de la Tour Eiffel. Il m'a demandé si je pouvait l'abriter, le temps de prospecter et de trouver ce qui lui convienne.
Il est donc venu avec une petite valise, son chapeau de cow-boy et une guitare. Ayant la chance d'avoir un appartement assez grand, je lui ai proposé une chambre.
Petit à petit, les secrétaires ramenaient de nouvelles valises (rires)... résultat, il est resté un an.
Tu peux imaginer les soirées que nous avons passées....
Un soir nous avons regardé "Zoulou" (de Cyril R. Endfield, 1964, nda), un film anglais absolument magnifique.
Johnny a été vraiment touché en le voyant et s'est écrié "voila ce que je veux faire, il n'y a que des anglo-saxons pour sortir de tels films!".
Je lui ai précisé qu'il y a eu des faits d'armes tout aussi extraordinaires en France en lui citant, pour exemple, des armées révolutionnaires et ce qui s'était passé pendant la guerre de 1870. Il m'a, alors, demandé d‘écrire un scénario sur ce thème. Je me suis exécuté et, dans la foulée, j'en ai fait un roman. Cela parlait de la légion étrangère qui part au Mexique (Bataille de Camerone durant laquelle 63 légionnaires se sont battus contre 2000 mexicains)....
Malheureusement le projet n'a pu aboutir, bien que j'avais suggéré de tourner au dessus de Montpellier afin d'alléger les coûts.
J'ai, cependant, proposé mon bouquin de 350 pages à Patrick Mahé (qui avait déjà édité mon livre sur Johnny "A la cour du roi" aux éditions Filipacchi en 1986).
Il a souhaité le rebaptiser "Le livre dont Johnny est le héros", ce qui aurait été un bon coup commercial. Mais cela ne s'est, non plus, pas fait (rires) !
Après, il y a eu le mariage avec ma fille... Nous n'étions pas d'accord sur cet évènement qui a provoqué une fâcherie, ça s'est arrêté là...
Après de nombreuses années passées hors "music business" tu m'as appris, il y a quelques semaines, que tu avais décidé de renouer avec ton activité de chanteur. Peux-tu m'en dire davantage ?
Patrick Mahé m'a annoncé, un jour, qu'il écrivait un bouquin sur le rock français (« Rock made in France ») avec Jean Veidly (bassiste du groupe Les Pirates). Il m'a proposé de rencontrer ce dernier.
J'avais coupé les ponts, avec le show business, depuis de nombreuses années mais je me suis dit "pourquoi pas ?".
Jean Veidly est, aujourd'hui, un monsieur qui fait très sérieux et qui s'habille de façon élégante. Il est très intéressant et a un bon "maintien".
Je me suis ouvert à lui et j'ai appris à le connaitre à travers ses activités. Nous déjeunions une fois par semaine ensemble afin de parler de nos souvenirs, alors que dans les années 1960 nous nous croisions très peu... Avec Les Daltons et Les Pirates, Nous avions du faire une ou deux tournées ensemble mais n'étions pas vraiment liés.
Un soir, je suis allé voir Jean Veidly chanter au Petit Journal Montparnasse. A la table voisine de la mienne, il y avait Vic Laurens (chanteur d'un autre groupe des années 1960, Les Vautours, nda) que depuis je vois, également, presque toutes les semaines. Lors de cette soirée, ils m'ont fait interpréter deux chansons et ça s'est relativement bien passé (rires) !
J'ai été surpris par l'engouement des spectateurs autour de nous. Tous ces gens qui nous tapent dans le dos, nous offrent des coups à boire, veulent des photos, des autographes etc...
Tous nous poussent à recommencer en nous disant qu'ils ont besoin de nous, que nous sommes les "vrais" etc...
Du coup, nous nous sommes dit "Si on faisait un truc ?"...
Nous allons donc essayer d’enregistrer un CD de 15 titres afin de relater l'atmosphère des années 60 mais... en lui donnant un coup de peinture.
Le but est de est de conserver le climat sixties, sans y ajouter des chansons, des textes ou du vocabulaire actuels.
La plupart des musiciens ont nos âges mais nous allons essayer d'y introduire des jeunes musiciens qui sont très talentueux. Je pense, par exemple, au guitariste Alex Mazzoleni.
Rien que le fait d'en parler m'a motivé afin de reprendre ma guitare. Depuis je fais deux heures de country music ou de vieux rocks par jour, dans mon bureau.
C'est une thérapie extraordinaire et je prends beaucoup de plaisir à chanter et à réapprendre des paroles anglaises. Je me suis même aperçu que ma voix est, aujourd'hui, bien meilleure qu'au début des années 60.
Cette expérience m'a aussi permis de revoir Erick Bamy, l'ancien choriste de Johnny. C'est un garçon exceptionnel, il a une voix extraordinaire qui n'est pas assez exploitée. Il n'est pas connu et reconnu à sa juste mesure... Son aisance scénique fait plaisir à voir et il est très émouvant. J'ai été surpris de constater toutes ses qualités...
J'ai, également, rencontré Peter Conrad que tu aimerais beaucoup. Il fait du bon blues et a une pêche terrible.
Tous ces mecs sont formidables !
Tout ce que je pouvais entendre à travers les radios était asexué, c'était rien... c'était de l'eau.
Tout à coup, je vois ces mecs et je me dis que les vrais sont là !
Il y a un public pour ça merde, ce sont des bons !
Parmi les musiciens de rock'n'roll de la jeune génération. Quels sont ceux qui te touchent le plus ?
Sans hésitation, le guitariste Alex Mazzoleni dont nous parlions précédemment.
Il a le physique des années 1950, la chemise du petit ricain bien propre, à la Ricky Nelson quoi (rires) !
Il en est de même pour sa façon de jouer, j'ai tendance à fixer mes yeux sur lui lorsque je le vois sur une scène...
Je suis, aussi, devenu copain avec le bassiste de tout ce beau petit monde....
Dommage, qu'il n'y a avait pas des musiciens de cette qualité quand j'ai débuté...
Il doit y en avoir d'autres, que je ne connais pas, mais il ne faut oublier que je "re-débarque" (rires) !
Tu as fait (et tu fais toujours) tant de choses dans ta vie. Tu dois être un homme accompli mais que pouvons-nous te souhaiter pour l'avenir ?
Découvrir le plus de choses possibles.... Je suis avide de connaissances et toujours prêt à "m'éclater" dans tous genres de collections.
Mes collections vont des boites d'allumettes à la poterie gréco-romaine en passant par les timbres, les bottes de cow-boys, les guitares et les uniformes du 1er Empire.
Je collectionne tellement de choses que je dis toujours aux gens "je vais d'abord commencer par vous dire ce que je ne collectionne pas" (rires) !
As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien que j'aurais pu poursuivre des heures entières ?
j'étais très content de bavarder avec toi sur... mon sujet (rires) !
Cela m'a permis de revenir sur un passé qui était, quand même, très chouette.
Je t'ai raconté des choses qui sont venues spontanément. Certaines me sont revenues pendant que nous parlions...
Cela m'a fait très plaisir...
De plus, voir que tu appartiens à la jeune génération et que tu t'intéresses avec beaucoup de savoir à ma période de prédilection me touche beaucoup.
Il est rassurant de constater que, dans les jeunes générations, il demeure des irréductibles passionnés.
Cela prouve que nous n'avons pas fait tout cela pour rien et que ça avait vraiment un intérêt !
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