Nda : Suivant les traces de son père, James (chanteur, guitariste et gérant du club le Governor’s Inn, à Buffalo), Lucky Peterson s’est plongé corps et âme dans l’art du blues alors qu’il n’était âgé que de 3 ans. Jeune prodige des clavierset de la guitare, il a côtoyé tous les grands noms de cette musique (de Muddy Waters à Willie Dixon, en passant par Buddy Guy, Junior Wells et Koko Taylor) avant de la marquer à son tour, de manière définitive, dès 1989 (avec la sortie d’un premier album sous son nom, « Lucky Strikes ! », sur le label Alligator). De disque en disque, l’artiste a abordé tous les sons inhérentsà son registre de prédilection (du gospel avec Mavis Staples, jusqu’au funk avec Bootsy Collins). En 2017, sous l’impulsion de Jazz Village, c’est à Jimmy Smith que Lucky a décidé de rendre hommage. Ceci par l’intermédiaire d’un brûlot qui tranche dans sa riche production, puisque plus orienté jazz qu’à l’accoutumé et plus sincère que jamais. Il faut dire que le légendaire organiste, en tant que professeur, a noué des liens indéfectibles avec cet élève hors du commun. C’est afin de revenir sur ce vibrant « Tribute To Jimmy Smith », que Lucky Peterson m’a reçu dans sa loge pour l’entretien que voici .
Comment l’idée d’enregistrer un album en hommage à Jimmy Smith est-elle venue à toi ?
Il était l’un de mes professeurs. De plus, personne n’avait réalisé la chose avant moi. Je voulais être le premier et c’était une bonne chose à faire…car il était l’un des plus fabuleux organistes de la planète.
Etait-il un bon professeur ?
Oui, c’était un professeur très amusant ! Bon et amusant…
Bill Doggett a également été ton professeur d’orgue. Selon toi, en quoi Jimmy Smith était-il différent de ce dernier ?
Bill Doggett est celui qui m’a amené à l’orgue. C’est une bonne question que tu me poses là tu sais… Avant de découvrir Bill Doggett, par l’intermédiaire de mon père, je ne savais pas que l’on pouvait jouer de l’orgue de la sorte. Mon père me disait que lorsque je voyais Bill Doggett jouer, mes yeux s’écarquillaient et devenaient énormes. J’ai toujours souhaité suivre sa voie et faire des trucs à sa manière. Voir d’où sa musique venait… Bref, j’étais totalement fasciné par lui et il a eu un rôle prédominant sur ma manière d’appréhender et de jouer de l’orgue.
Penses-tu que Jimmy Smith a contribué au fait de briser les frontières entre le jazz et le blues ?
Oui ! Jimmy Smith a introduit l’orgue dans le jazz et aussi dans le blues. Avant lui, cet instrument était uniquement utilisé dans les églises. Jimmy a été un précurseur et il a apporté quelque chose d’unique et de différent dans la musique. En l’entendant pour la première fois, on ne pouvait s’écrier que « Wouah quel son, je n’ai jamais entendu cela auparavant ! ».
Peux-tu revenir sur ta collaboration avec Archie Shepp sur ce disque, le fait de l’inviter était-il ton idée ?
Non, il ne s’agissait pas de mon idée. C’est mon manager Seydou Barry, ainsi que mon producteur Catherine Vallon-Barry, qui sont à la base de cette collaboration. Ils m’ont demandé si je le connaissais, mais je n’avais jamais entendu parler de lui. Ils m’ont, alors, expliqué qu’il avait eu l’occasion de jouer avec Jimmy. Durant les sessions, il était vraiment cool. Il voulait tout prendre en main et j’ai dû lui expliquer qu’il s’agissait de mon disque (rires). Il était vraiment très drôle et entrainant. Il faut dire qu’il a beaucoup d’expérience et de connaissances. Il écoutait attentivement ce que je lui disais et, lui-même, n’était pas avare en histoires…
Comment l’enregistrement s’est-il déroulé ?
Nous avons travaillé de manière live, à Paris. C’était, plus précisément, à Malakoff au Studio Sextant. C’est Vincent Mahey qui nous a enregistrés. En plus de moi (à l’orgue et au chant sur 2 titres), les musiciens présents étaient Herlin Riley (à la batterie) et Kelyn Crapp (à la guitare). Le trompettiste Nicolas Folmer ainsi que le guitariste Philippe Petrucciani sont, chacun, intervenus sur un morceau. Archie Shepp, quant à lui, joue du saxophone et donne de la voix sur « Jimmy wants to groove ». Il montre également toute l’étendue de son talent d’instrumentiste sur « Back at the chicken shack ». L’ambiance était très conviviale, nous buvions du café, déjeunions tous ensemble. Il m’était, également, possible de me reposer entre deux prises. Puis, nous avions le plaisir de jouer des morceaux de Jimmy Smith. Tout était agréable, nous nous installions à nos instruments et tout roulait !
Comment as-tu sélectionné les morceaux pour cet album ?
L’album débute par le classique de Jimmy Forrest, « Night train », créé à l’origine en 1951. Jimmy l’avait enregistré en 1966, sur son album « Jimmy & Wes : The Dynamic Duo », réalisé en collaboration avec le guitariste Wes Montgomery. Le but était de reprendre des titres créés par Jimmy ou des standards qu’il avait interprété à sa manière. On y trouve, également, trois morceaux originaux et « Singing this song 4 U » de Leon Russell, que j’ai réarrangé à ma manière. Mon leitmotiv était d’avoir un gros son.
Dans le futur, serais-tu prêt à enregistrer un nouvel album en hommage à un autre musicien ?
Actuellement, je me consacre à un disque sur le thème de l’amour. Je l’enregistrerai avec ma femme Tamara Peterson qui est chanteuse. Nous collaborerons dessus et y recevrons des invités spéciaux. Ce disque sera produit dans un registre « easy listening » et, probablement, de manière plus acoustique. Ce sera de la musique romantique pour les couples. Je pense, également, me consacrer à un album hommage aux trois King. Nous y trouverons de ce fait des titres d’Albert King, de B.B. King et de Freddie King. Je vais m’y consacrer avec les meilleurs musiciens. De gens tels que le batteur Tony Coleman, qui a joué avec B.B. King, ou le guitariste Rico McFarland qui a accompagné Albert King. Il y aura beaucoup de personnes qui ont eu l’occasion de travailler pour ces trois légendes du blues. Ça va secouer !
La première fois que je t’ai rencontré, tu faisais justement la première partie de B.B. King. C’était en 1994 au Festival de Jazz d’Antibes Juan-les-Pins. Conserves-tu des souvenirs, en particulier, de vos échanges scéniques ?
Oui, je conserve des photos (rires) ! J’ai beaucoup de souvenirs, des autographes…des choses comme cela (rires) !
Mais tu as joué avec lui à plusieurs reprises sur scène !
Oui, nous avons en effet eu l’occasion de faire des jams ensemble…
Le 10 avril 2018 (soit deux jours avant l’enregistrement de cet entretien, nda), Yvonne Staples nous a malheureusement quittés. En 1996, tu avais enregistré un splendide album (« Spirituals & Gospel : Dedicated To Mahalia Jackson ») et effectué une inoubliable tournée avec sa sœur Mavis Staples. Souhaites-tu dire un mot à ce sujet… ?
Cette nouvelle m’a profondément choqué. J’avais, également, effectué une tournée avec Yvonne et Mavis en Turquie. Je conserve de précieux souvenir de cette personnalité et de nos échanges qui étaient très riches. Qu’elle repose en paix… J’ai une pensée pour tous les Staples, des gens qui ont marqué l’histoire de la musique américaine. Yvonne était une personne formidable et, à l’image de tous les membres des Staples Singers, une incroyable chanteuse. Tu sais, j’ai du mal à y croire…
Aujourd’hui, tu représentes une sorte de lien entre le blues des grands anciens et une nouvelle génération de musiciens. Parmi les nouveaux venus, apprécies-tu certains artistes en particulier ?
En effet, j’apprécie certains musiciens issus de la nouvelle génération. Poussé par mon cœur, je peux te dire que mon artiste préféré est tout simplement ma fille…Lucki Azariah Stovall Peterson. Je le dis aussi en toute franchise car, en plus de suivre de brillantes études à Philadelphie, elle est dotée d’un grand talent. D’ailleurs, je te ferai écouter l’un de ses morceaux. Tu seras l’un des premiers à le découvrir…et ce sera juste après cet entretien (rires) !
Où puises-tu toutes les ressources nécessaires afin d’effectuer de telles tournées ?
Je ne sais pas… Moi et mon épouse voyageons continuellement…C’est devenu une habitude… Il faut dire que j’aime ce que je fais, c’est un métier passionnant. C’est ce que c’est !
Tu es toujours aussi proche de la France en tout cas…
La France est un pays qui me soutien depuis longtemps. Les gens, ici, apprécient ma musique et mes spectacles. C’est devenu une « deuxième maison » et, depuis tout ce temps, je devrais vraiment pouvoir parler le français. Je vais apprendre, c’est promis ! Bien sûr, le public américain est aussi présent à mes côtés mais avec la France il s’est, vraiment, passé quelque chose de spécial. J’adore venir ici !
Souhaites-tu ajouter une dernière chose à cet entretien ?
Venez me voir, venez assister à mes spectacles. Venez voir le vrai Lucky Peterson, ainsi que Tamara… Puis, bien sûr, achetez mes disques (rires) !
Remerciements : Alice Caspard, Gregory Frantz et Hervé Duflot.
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