Arnaud, peux-tu me présenter les membres qui constituent le groupe Malted Milk aujourd’hui ?
Nous sommes, actuellement, cinq musiciens sur scène. Il y a Igor Pichon à la basse et aux chœurs, Gilles Delagrange la batterie, Yann Cuyeu à la guitare, Nicolas Mary aux claviers et aux chœurs et moi-même à la guitare et au chant. Dans la plupart des cas, une section de cuivres (constituée d’un trompettiste et d’un saxophoniste) se joint à nous.
Peux-tu me parler des origines de ce groupe dont tu es le membre fondateur ?
Le groupe a été créé en 1998. A la base il s’agissait d’un duo au sein duquel j’officiais aux côtés de l’harmoniciste Manu Frangeul (dit « Mississippi Sax Manu », nda). La configuration a évolué puisque qu’un bassiste et un batteur ont intégré le groupe. Notre répertoire était, alors, orienté vers le Chicago blues. De fil en aiguille notre jeu et devenu plus funky pour en arriver, aujourd’hui, à une formation qui joue de la musique « noire américaine » au sens large.
En effet, nous ne nous arrêtons pas au blues dans sa définition la plus « stricte ». D’ailleurs, au départ, nous nous appelions Malted Milk Blues Band ce qui n’est plus le cas actuellement. Nous voulons défendre cette musique en la présentant dans toute sa largeur (en y incluant les côtés gospel, soul, funk etc..). Je tiens, cependant, à préciser que ma manière de jouer de la guitare reste très roots.
Ce nom de Malted Milk a-t-il été choisi en référence à la chanson de Robert Johnson ou a un goût prononcé pour cette boisson lactée absolument immonde ?
(rires) Il s’agit, bien sûr, d’un hommage à Robert Johnson (à travers son titre « Malted Milk« datant de 1937, nda). C’est l’un des premiers guitaristes que j’ai découvert. J’ai beaucoup travaillé ses chansons puisqu’au début je faisais énormément de concerts en formule acoustique. Lorsque le moment est venu de choisir un nom de groupe, avec Manu Frangeul, nous avons opté pour ce nom, d’autant plus que la signification en est assez drôle. Aujourd’hui cette dernière représente aussi un mélange de choses qui correspond bien à la direction artistique que nous empruntons. La signification du nom du groupe a évolué en même temps que notre musique…
Pour quelles raisons, avez-vous décidé, de faire évoluer votre musique de la sorte ?
Cela s’est fait naturellement en découvrant toutes les musiques qui « découlent » du blues. Au départ j’écoutais beaucoup de blues traditionnel ainsi que de la musique folk avec des artistes tels que Bob Dylan. Puis j’ai découvert des guitaristes comme Albert King, Albert Collins etc…
Par la suite je me suis plongé dans la soul music avec des artistes comme Al Green et tous ses homologues de Memphis. Ce sont surtout les disques de la firme Hi Records (Ann Peebles, Syl Johnson etc…) qui, au départ, m’ont séduit…
Ce sont des artistes « crossover »… D’ailleurs Syl Johnson est aussi bien un chanteur de blues que de soul…
En les écoutant j’ai découvert d’autres sensibilités, des harmonies différentes… Grâce à eux, nous sommes un peu sortis du traditionnel plan en « 12 mesures ». Les harmonies de nos morceaux sont, actuellement, plus proches de la soul music…
Cette évolution musicale s’est faite petit à petit, au gré de la découverte de nouveaux artistes et de l’élargissement de notre culture musicale. C’est en fonction de cela que le nombre de musiciens constituant Malted Milk a, aussi, évolué.
Tu as prononcé le mot « culture ». T’es-tu, également, penché sur l’aspect socio-culturel, voire politique, de ces musiques afin d’y puiser ton inspiration ?
Je suis allé aux Etats-Unis plusieurs fois et eu l’occasion d’y rencontrer des musiciens afro-américains. J’ai pu, ainsi, découvrir leur environnement, la manière dont-ils vivent et dont ils travaillent. Je me souviens de certains quartiers à Memphis…
En sortant des sentiers battus, nous sommes allés jouer dans des clubs qui n’avaient rien de « touristiques ». Les ambiances étaient incroyables, parfois même un peu « flippantes ».
Grâce à cela nous avons été confrontés à une tradition qui se perd peut-être un peu…
Les musiciens américains ont beaucoup de mal à vivre de leur art, c’est très compliqué…
Nous avons de la chance, en France, d’avoir ce statut d’intermittents du spectacle. La réalité, pour les musiciens américains, est beaucoup plus compliquée… c’est évident…
Ces musiciens américains étaient-ils impressionnés de voir de jeunes musiciens blancs et européens s’intéresser, de la sorte, à leur culture ?
Cela a souvent été le cas…
A chaque voyage nous avons participé à des « bœufs ». Les américains se montraient curieux vis-à-vis de nous, avant d’apprécier notre démarche.
En 2007, nous avons participé à l’International Blues Challenge de Memphis. Cela nous a permis de présenter, aux américains, un set complet déclinant toutes nos facettes. Ils étaient surpris d’entendre ce mélange de la part d’européens. D’autant plus que nous mettons un point d’honneur à y inclure notre touche personnelle…
Sur place, quelles sont les rencontres les plus marquantes que vous ayez faites ?
A titre personnel, ça a été la visite du studio Hi Records…
C’était en 2002...
Nous y accompagnions alors le bassiste américain Joe Turner, qui vivait à Tours.
Il y avait un membre de sa famille qui n’était d’autre que le fils de Willie Mitchell (célèbre producteur américain, nda). C’est grâce à cela que j’ai pu rencontrer ce dernier et, par son intermédiaire, sentir tout le poids du passé et l’histoire hallucinante de ce studio. Nous avons aussi visité le studio Stax… cela a été très fort…
Le fait de voir la cabine d’enregistrement avec cette vieille console…
Nous sommes aussi allés voir Al Green dans son église. Le fait de constater que tout cela n’est pas qu’une légende te donne une grande claque (rires) !
Pour en revenir à ta question, ma rencontre la plus marquante est celle avec Willie Mitchell. C’était un homme humble, accessible. Malgré l’âge, il continuait de se rendre au studio et de travailler. Quand j’y étais ses petits-fils y enregistraient du rap… C’était intéressant de suivre, sur place, cette évolution.
J’ai aussi adoré la Nouvelle-Orléans… d’autant plus que j’apprécie, particulièrement, le funk qui est produit dans cette ville. J’ai toujours fait le maximum pour m’imprégner de l’histoire musicale de chaque ville que j’ai visitée. Entre Memphis et la Nouvelle-Orléans, les musiques sont différentes même si la racine est commune.
Un nom tel que celui de Willie Mitchell avait-il encore une certaine « résonance » auprès de la population afro-américaine ?
Auprès des musiciens et des « vieux loups » de Memphis : oui.
Il y a un petit milieu qui est encore très imprégné par cette culture, ils connaissent les anciens musiciens de studio etc…
Je pense que Willie Mitchell était autant reconnu, à Memphis, que son homologue Sam Phillips qui était le fondateur du label Sun Records. C’est gens là, au même titre qu’Ike Turner, sont très importants dans l’évolution de la musique née dans cette ville.
Revenons en au groupe… Vos prestations scéniques enflamment le public. A titre personnel, que puisez-vous dans cet échange avec les gens qui viennent vous voir ?
Nous rechargeons nos batteries et vivons à 100% ce qui se passe sur scène. Nous essayons de garder une certaine fraîcheur et une spontanéité même si nous sommes rigoureux lors de nos répétitions.
Nous devons être concis pour jouer cette musique. La structure des morceaux doit être solide même si nous laissons une place d’honneur au feeling. Nous employons des cuivres, ce qui nous oblige également à respecter certaines règles. Sinon c’est un peu le bordel (rires) !
J’essaye de vivre chaque show de la manière la plus intense possible et d’échanger un maximum avec les gens (les faire chanter, danser…).
Tu es originaire de la région nantaise. Le groupe est-il « atypique » dans ce secteur géographique ou la scène locale y est-elle riche en combos de blues ?
Il y a pas mal de groupes sur Nantes. J’ai des potes qui jouent dans des registres de blues différents. Il est, cependant, exact que la plupart de ces groupes ne tournent pas énormément. Il y a aussi une scène d’amateurs dont le niveau est très bon.
Nul n’est prophète en son pays mais vous avez, cependant, également connus de grands moments scéniques en France…
Absolument !
Il y a eu de très beaux moments, même si leur nombre reste limité…
Je pense au Prix reçu au Festival Blues Passions de Cognac (en 2006, nda) qui nous a, entre autres, permis de jouer sur la grande scène l’année suivante (en première partie des Fabulous Thunderbirds, nda). Nous avons, également, participé au festival Jazz à Vienne. Le site y est superbe, c’était immense de se retrouver dans cet amphithéâtre devant autant de monde (7000 spectateurs). Je reste surpris de la facilité avec laquelle le public s’est prêté au jeu. Cela s’est fait naturellement. C’était un évènement pour nous, nous avions travaillé tout l’hiver dans cette optique. Un peu comme un tennisman qui prépare un grand tournoi (rires).
Nous savions qu’une partie de notre avenir pouvait se jouer sur la qualité de ce concert.
Peux-tu évoquer la discographie du groupe ?
Nous avons sorti un album, « Sweet Soul Blues » sur le label Dixiefrog en 2010. Et, depuis quelques jours, nous avons à disposition un EP 5 titres « Soul Of A Woman ».
Avant cela il y avait « Easy Baby », en 2006. Ce disque n’est plus disponible…
Notre premier album « Peaches, Ice Cream & Wine » date, en fait, de 1999. C’est un tremplin, gagné à Villeneuve-sur-Lot, qui nous a permis de l’enregistrer. C’était le « premier jet » du groupe, ce n’est pas forcément un album que j’aimerais ressortir aujourd’hui. Il y a, pourtant, des gens qui aiment bien ce disque …
En ce qui concerne « Easy Baby », je souhaiterais le ressortir et le vendre lors de nos concerts. Des personnes qui nous ont découverts via « Sweet Soul Blues » aimeraient le découvrir, c‘est une démarche que je comprends !
« Sweet Soul Blues » est un disque qui se démarquait aussi car le groupe y utilisait des instruments traditionnels africains (kora, calebasse…). Est-ce un univers que vous pourriez explorer davantage à l’avenir ?
Dans un premier temps nous allons continuer à développer, sur notre prochain album, tout le côté soul et funk du groupe. J’adore les couleurs africaines et maliennes en particulier. Il est important pour moi de les exploiter. C’était une occasion de rendre hommage à Ali Farka Touré qui est un musicien qui m’a beaucoup touché. Son approche de la musique et son feeling se rapprochent du blues pur.
J’ai aussi présenté des morceaux dans des arrangements différents, comme cela était le cas pour « Hard time killin’ floor blues » de Skip James. C’est un morceau que j’avais beaucoup joué en concert et il me semblait important de le présenter sous une autre forme. C’était une bonne occasion de montrer une autre couleur du blues…
Quels sont les projets du groupe ?
Maintenant que le EP est sorti, nous allons nous consacrer à l’enregistrement du prochain album. Il se déroulera en septembre 2011...
La sortie du CD est programmée pour le début de l’année 2012.
Nous avons la chance d’avoir un tourneur qui travaille bien (Nueva Onda, nda). De ce fait les concerts se succèdent à un rythme important. Dans les semaines à venir nous allons jouer en Finlande, en Norvège ainsi que dans quelques Festivals en France. Tout cela est très positif pour nous… Nous avons une actualité, des concerts et des échéances précises. Notre luxe est de pouvoir bénéficier de temps pour pouvoir travailler sur nos prochains morceaux, écrire des textes et réfléchir à ce que nous voulons présenter sur le prochain CD, la production etc…
As-tu une conclusion à ajouter ?
Tous les membres du groupes sont ravis de vivre cette aventure. Nous tenons à ce qu’elle se poursuive le plus longtemps possible…
Remerciements : Jennifer Lambert et Robin Godet.
http://www.malted-milk.com
http://www.myspace.com/maltedmilkmusic
|
|
Interviews: |