Malted Milk (Arnaud Fradin)
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Depuis sa formation en 1998 (dans une formule duo), le groupe Malted Milk n’a jamais cessé d’évoluer sur un point de vue strictement musical, ainsi que dans sa configuration. C’est avec la chanteuse américaine Toni Green, que le combo nantais a décidé de rendre un nouvel hommage à la soul music. Il résulte de cette collaboration (basée sur la créativité, l’ouverture d’esprit et l’écoute) l’album « Milk & Green » paru à la fin de l’année 2014 sur le label Nueva Onda. Un disque en passe de devenir culte, qui conduit encore tout ce joli petit monde sur les scènes européennes. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une étape strasbourgeoise qu’Arnaud Frandin (fondateur, chanteur et guitariste de Malted Milk) s’est, une nouvelle fois, confié à mon micro.

Arnaud, dans quelles circonstances as-tu connu Sébastian Danchin, qui est à l’origine de la collaboration du groupe Malted Milk avec la chanteuse américaine Toni Green ?66
C’est par l’intermédiaire de Jean-Hervé Michel (Nueva Onda), qui est notre tourneur, que j’ai rencontré Sébastian. Il le connait depuis pas mal de temps… Ensemble, ils ont œuvré afin d’organiser cette rencontre avec Toni Green.

Etais-tu surpris qu’il souhaite travailler avec le groupe ?
Il est juste à côté de nous, peut-être devrions-nous lui poser la question (rires) ? Quoiqu’il en soit, je pense que cette connexion était évidente…ne serait-ce que par rapport à la musique que nous jouons. Tout s’est déroulé de manière très naturelle.

En amont de votre collaboration, le groupe connaissait-il déjà Toni Green ?
Non, pas du tout, bien qu’elle soit venue plusieurs fois jouer au festival de soul de Porretta en Italie. Par le passé, elle n’a eu l’occasion de se produire en France qu’à une ou deux reprises. Donc, je ne la connaissais pas avant notre rencontre.

Le résultat final sonne comme un véritable travail d’équipe. On sent que tout le monde à « mis la main à la pâte » (au niveau des compositions par exemple). Peux-tu revenir sur la manière dont vous avez tous travaillé ensemble ?
Il y a eu plusieurs façons de travailler. Avant notre rencontre avec Toni, nous avions déjà élaboré certaines compositions afin de lui suggérer quelques idées avant son arrivée parmi nous. Puis, en janvier 2014 à Nantes, nous avons passé 5 jours afin de tout peaufiner en sa compagnie. De son côté, elle nous a amené des morceaux déjà écrits que nous avons réarrangés. Puis nous avons constitué un répertoire se répartissant entre ses textes et ses mélodies, nos chansons ainsi que quelques idées de reprises. Certaines sont restées très fidèles aux versions originales (comme la chanson « Slipped, tripped and fell in love » d’Ann Peebles). Enfin, Sébastian Danchin nous a beaucoup aidés, ne serait-ce justement que pour choisir ces reprises. Il a trouvé des titres peu connus, très intéressants à travailler.

Quelle a été l’implication de Toni Green en studio. S’est-elle vraiment «fondue » au groupe ou s’est-elle simplement comportée comme une chanteuse lead ?
Une petite période d’observation nous a été nécessaire afin de bien nous connaitre. La présence de Sébastian, en studio, nous a encore une fois été très utile afin d’établir la bonne connexion. Il faut dire qu’il a passé beaucoup de temps aux Etats-Unis et qu’il a parfaitement assimilé la culture noire américaine. Il a su établir une ambiance tranquille durant les sessions, c’était très détendu. Nous jouions tous ensemble dans la même pièce (Toni étant, malgré tout, dans une autre pour la captation de sa voix). Nous avons simplement guidé la chanteuse, qui possède naturellement ce côté brut et spontané que nous désirions. Le but final était d’obtenir un amalgame parfait entre cette spontanéité et un côté plus travaillé.
Lors de la première session d’enregistrements, nous avons fait tous les morceaux. Elle est simplement revenue en juin 2014 (à l’occasion d’un concert commun en France) afin de finaliser le mixage. Cela nous a permis de lui faire réécouter le chant et de peaufiner certains détails. Puis, elle a acquis tout le répertoire sur scène. Cela était une chose très intéressante…le cheminement de l’album qu’il a fallu faire vivre sur scène. Notre première tournée commune lui a permis d’être complètement intégrée au groupe. Notre challenge était d’éviter de faire de Malted Milk le backing band de Toni Green. Nous voulions créer une sorte de nouveau groupe au sein duquelles tâches soient équitablement réparties. D’autant plus que je chante aussi dans ce projet.
Nous ne voulions pas de l’appellation Malted Milk featuring Toni Green, nous souhaitions devenir Malted Milk & Toni Green. C’est pour cela que nous avons mis un point d’honneur à lui offrir un maximum de place, afin qu’elle puisse s’exprimer au mieux. Si un deuxième album voit le jour (ce qui est en discussion), je pense que je serai davantage présent au niveau vocal. En tout cas, je trouve très intéressant de travailler avec quelqu’un qui vient de cette culture et qui connait les trois quarts des musiciens et chanteurs que nous aimons. Elle a toujours des histoires à nous raconter. Il était très important pour nous d’intégrer une personnalité qui possède un tel background.

Justement, est-ce que cette expérience vous a été utile en studio ?
Oui, tout à fait ! Cependant Toni, si elle est une excellente chanteuse, a davantage l’attitude de quelqu’un qui est là pour chanter ses morceaux et qui attend des conseils de notre part. Elle est très à l’écoute et il est de notre devoir de la guider, pas l’inverse. Elle a enregistré pour Stax et Hi Records où elle devait déjà être aiguillée. Sébastian Danchin a été l’intermédiaire parfait. Il lui a parfaitement expliqué le résultat que nous souhaitions.

Avant cette interview, Toni Green me disait que de deux entités différentes en est née une troisième. C’est donc la définition parfaite de votre objectif de départ ?
Oui, il y a cette idée-là. Nous avons chacun une carrière de notre côté et notre projet commun est quelque chose de différent. Nous voulions créer quelque chose ensemble.

Le son final est-il conforme à ce que vous espériez en amont de l’enregistrement, ou avez-vous « dévié » votre ligne artistique durant les sessions ?
Il y avait de nombreuses maquettes finalisées avant l’enregistrement et nous avions trouvé un son. Le but n’était pas de produire un résultat trop vintage. Le résultat n’est pas hyper moderne, il possède un aspect roots réalisé avec les moyens de notre époque. Nous aurions aimé enregistrer sur des bandes (ce qui coute actuellement très cher) mais cela ne donne pas systématiquement un résultat vintage. Le son est simplement plus gras et plus chaud. Je suis donc très content de ce que nous avons fait et, notamment, du mix réalisé par Albert Milauchian (qui travaille avec nous depuis longtemps, aussi bien en studio qu’en live). Il a proposé des choses et nous d’autres. Au final, cela correspond au vrai son du groupe.66

Tu évoquais les reprises présentent sur ce disque. Peux-tu me parler, plus en détails, du travail de sélection pour ces dernières ?
Le morceau d’Ann Peebles n’a pas été réarrangé par rapport à la version originale. Il ne peut pas sonner différemment ! Sébastian trouvait que c’était une bonne chose de proposer un titre qui reste fidèle à l’esprit Hi Records. Puis, pour les autres reprises, nous nous sommes inspirés de productions très différentes les unes des autres. J’ai écrit la chanson « Deep inside » avec le groupe, elle est lancinante est possède cet esprit propre à la soul et au blues.
Une autre reprise est « As long as I have you » de Garnet Mimms. Je ne connaissais pas ce morceau que Sébastian m’a fait découvrir. Nous l’avons repris en le réarrangeant. Le résultat est un mélange de soul et de blues. « I can do bad all by myself » (Mary J. Blige) est intéressant parce que c’est un choix de Sébastian qui sonne très R & B actuel. Au départ je trouvais cette chanson très sirupeuse et qu’elle ne collait pas à notre univers. Nous en avons, finalement, fait une version qui pourrait avoir été enregistrée à Memphis dans les années 1970. Nous avons inversé les choses, fait d’un morceau actuel une chose plus roots qu’à l’origine. Je préfère donc nettement notre version à celle de Mary J. Blige ! Cela nous permet de nous rendre compte que des morceaux que nous n’aimons pas particulièrement au départ sont, malgré tout, de belles chansons. Quelles sont bien écrites et que l’orchestration peut leur donner un style différent. Ce travail est très intéressant !

Es-tu surpris par l’engouement médiatique qu’a suscité l’album ? On vous a vus aussi bien dans la presse spécialisée que généraliste et même sur Canal + où « Milk & Green » a été sacré « Album de la Semaine » !
Le fait de voir Canal + qui s’intéresse à nous était la cerise sur la gâteau. La chaine a fait un focus sur le groupe et nous ont demandé de venir dans ses studios. En nous adjoignant une chanteuse américaine de cette envergure, nous voulions réunir un maximum de forces. Le résultat fait démarrer une carrière européenne à Toni et permet d’amener Malted Milk plus loin sur la route des festivals. Il y a quelque chose entre sa voix et le groupe. Dans mon expérience de chanteur, il est très enrichissant de pouvoir me produire à côté d’elle. C’est une vraie chance et une belle inspiration pour l’avenir. Malted Milk continuera à vivre seul et cette expérience avec Toni nous poussera, peut-être, à travailler avec d’autres gens.

Avant l’enregistrement, vous êtes-vous inspirés d’autres réunions connues entre des chanteuses et des groupes venant de milieux différents ?
Pas forcément… Nous n’avions pas d’étalon même si nous avons écouté de nombreuses choses différentes. Nous nous sommes, cependant, inspirés de projets qui viennent d’Angleterre où des labels proposent des albums intéressants. Nous ne voulions, malgré tout, pas nous poser trop de questions sur ce que nous voulions faire et surtout ne pas copier quelque chose d'existant. Nous avons notre manière de procéder et nous désirions lui rester fidèles, sans reproduire des trucs entendus par ailleurs. Ce n’est pas évident… S’il y a un autre album avec Toni, nous continuerons à nous poser des questions et à explorer des pistes nouvelles. Nous adorons la funk music, la soul et le blues…il y a donc de nombreux chemins à explorer.
Sur le premier album, nous avons intégré des violons. C’était nouveau pour nous et, au final, j’aime beaucoup le résultat que cela donne. Je ne suis pas toujours sensible aux productions Motown où il y a parfois trop d’instruments et d’orchestrations…l’intimité du chanteur ou du groupe s’y perd. Je suis donc content de constater que notre résultat personnel est réussi. C’est, par exemple, le cas sur la ballade « The weather is still fine » écrite par Igor Picon (bassiste de Malted Milk, nda). Toute l’harmonie des violons, qui arrivent dans le morceau, me touche. C’est, finalement, une bonne idée…

Le fait de vous retrouver, régulièrement, sur scène avec Toni vous permet-il d’aller plus loin dans votre démarche artistique, voire de modifier la structure des morceaux ?
Nous avons fait tout un travail sur le live car il a fallu réadapter certains titres. Il y a même un morceau de l’album que nous ne faisons pas sur scène car Toni n’est pas suffisamment à l’aise avec. Nous estimons que, lors d’un concert, les gens ne sont pas là pour écouter un disque mais pour danser et s’amuser. Aujourd’hui, après nous être posé bien des questions (ordre des morceaux etc.), notre set est véritablement rodé. C’est à la fois très huilé et rigoureux car, en raison des arrangements réalisés pour les différents instruments (les cuivres par exemple) nous ne pouvons pas nous permettre de faire n’importe quoi. Ceci-dit, nous arrivons à nous détacher de ce cadre afin de pouvoir jouer avec plus de liberté. Nous nous éclatons complètement alors… C’est un travail très différent de celui d’un groupe de blues pur et dur qui peut davantage jouer dans la spontanéité. Dans la soul music, les choses sont plus « carrées ». Cependant tous nos solistes (claviers, cuivres, guitares…) peuvent se lâcher à travers leurs solos. C’est ce qui fait la différence avec d’autres formations de soul, dont le chanteur est mis en avant, alors que les autres intervenants sont davantage considérés comme des accompagnateurs. Notre but est de continuer à garder un certain équilibre entre Malted Milk et Toni Green. C’était aussi une volonté de Sébastian Danchin qui nous a poussés, afin que nous sortions de nos retranchements. A titre personnel, en tant que leader du groupe, je me devais d’affirmer ma présence auprès de Toni, ce qui n’est pas évident… A l’inverse, il fallait aussi ne pas « l’écraser » dans le but de lui laisser toute la place nécessaire pour qu’elle puisse s’exprimer en toute liberté. Nous pouvons dire, qu’aujourd’hui, nous nous sentons tous bien ensemble !

Tu me dis que le fait de travailler dans une telle configuration nécessite de la rigueur. Est-ce pour « t’échapper » de cette forme de contrainte que tu as décidé de créer un nouveau projet parallèle en duo ?
Cela me trottait dans la tête depuis longtemps. Notre logistique est imposante (tourneur, partenaires divers, manager…) et le fait de pouvoir m’appuyer sur de tels collaborateurs me dégage un peu de temps, afin de faire d’autres choses. C’est dans une formule duo que Malted Milk a débuté et j’ai voulu y revenir en travaillant avec un harmoniciste (en l’occurrence Thomas Troussier, nda). Avec Igor Pichon et Richard Housset (batteur de Malted Milk) nous créons également, en ce moment, un quartet acoustique dans un registre blues roots. Nous croyons en ce projet et envisageons même de commencer à tourner puis d’enregistrer avec. Ce retour aux sources me fait beaucoup de bien. Cette autre facette de ce que je fais n’a jamais été exploitée sur les festivals auparavant, alors que cela reste la base de la musique que je joue avec Malted Milk aujourd’hui.

En termes de conclusion à cet entretien. Peux-tu me dire ce que, au final, tu retiendras de cette collaboration avec Toni Green. Qu’en restera-t-il dans ton cursus de musicien ?
J’avais déjà un contact avec Memphis avant de connaitre Toni, je savais donc d’où elle venait. J’ai passé du temps sur place et je m’y suis produit dans des petits clubs excentrés. Je connaissais donc ce type de chanteurs qui passent allègrement du blues à la soul. Toni m’a, essentiellement, montré à quel point un interprète est capable de porter un groupe avec sa voix pour tout outil. La première fois que nous l’avons entendue chanter à nos côtés, nous nous sommes retrouvés transportés des années en arrière. Elle m’impressionne sur scène et en studio. Quand elle « envoie » des trucs, c’est vraiment impressionnant…elle envoie tout et possède une dynamique énorme !
En plus, malgré sa puissance, elle sait aussi se montrer très subtile. Elle m’a donné envie de retourner aux Etats-Unis et d’y passer davantage de temps. Lors de mon dernier périple à Memphis j’ai croisé la route de plusieurs copains de Toni. Ils sont tous excellents… J’ai aussi compris que cette ville était visitée tel un musée. Les touristes y vont pour écouter ce qu’ils connaissent (Sun Records, Stax et tout l’âge d’or de la soul). Cela entraine, malheureusement, un faible renouvellement de la musique sur place. Parmi les artistes qui font bouger la scène locale j’apprécie particulièrement John Nemeth dont le dernier album a été enregistré avec le groupe les Bo-Keys. J’ai, par ailleurs, eu l’occasion de jouer avec le claviériste de ce combo aux USA. Cette production, dans l’esprit Hi Records, est très intéressante. Je trouve, aussi, qu’il se passe de belles choses en Europe. Notamment en Angleterre où sortent d’excellentes productions inspirées par le son originel de la soul de Memphis. Ces dernières ont le mérite de proposer des chansons originales et de sortir du ronron des vieux standards mille fois entendus.
C’était le but de notre album qui, je le pense, pourrait avoir une vie aux Etats-Unis. Il a été envoyé à pas mal de gens là-bas. Sébastian Danchin est un proche de Bruce Iglauer (patron du label Alligator Records) et lui a fait écouter le disque. Ce dernier a trouvé cela très bien. Le seul problème réside dans le fait que monter une tournée américaine est nécessaire pour pouvoir le sortir là-bas. Cela n’est pas légalement évident et, de plus, faire venir 7 musiciens français coûte beaucoup d’argent. Toni a, aussi, donné le disque a de nombreux DJs sur place. Tous ont trouvé le résultat génial. On verra ce qu’il en adviendra plus tard mais ramener cette musique (revisitée à notre manière) dans son pays d’origine, serait pour nous le plus grand des honneurs…

Remerciements : Yohann (Nueva Onda), Tanguy (You Agency), Sébastian Danchin, Benoit Van Kote.

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Interview réalisée
Au Camionneur - Strasbourg
le 14 mars 2016

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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