Mojo, pour commencer, peux-tu me présenter les différents membres du groupe Mannish Boys ?
Mojo Bruno : Il y a Benjamin Naud à la batterie, Jeff « Great Sound » Cazorla à la basse, Mickael Mazaleyrat à l’harmonica et, moi-même, Mojo Bruno à la guitare et au chant.

Peux-tu me parler de vos parcours respectifs avant de fonder le groupe ?
Mojo Bruno : J’ai fondé Mannish Boys au début des années 1990. A ce moment là Jeff était déjà présent avant de vivre quelques autres expériences musicales. Avec Mickael nous sommes ensemble depuis presque 10 ans alors que Benjamin a rejoint le groupe il y a, environ, deux ans. Ce dernier se produisait depuis longtemps au sein de formations de jazz ou de reggae. Une véritable volonté de se joindre à un combo de blues l’animait. Jeff et Mickael, quant à eux, gravitaient déjà dans cet idiome…

De quelle manière le groupe, dans sa formule actuelle, s’est-il rassemblé ?
Mojo Bruno : Tout s’est fait par le biais de connaissances communes. Ce sont souvent des musiciens extérieurs qui me proposaient « d’essayer » tel ou tel gars. Notre équipe actuelle est très soudée…

Vous existez depuis une bonne vingtaine d’années. Le groupe est-il le plus ancien, toujours en activité, de la région toulousaine ?
Mojo Bruno : Je ne pourrais pas répondre avec exactitude à cette question. Bien sûr il y a des gens, avant nous, qui ont fait du blues à Toulouse…

Justement, pourrais-tu me parler de cette scène particulièrement vivace ? Il y a beaucoup de musiciens de blues qui sont issus de la « Ville Rose ». Avez-vous beaucoup de contacts entre vous ?
Mojo Bruno : Oui, nous somme par exemple des amis du groupe Awek. Leur bassiste, Joël, était membre des Mannish Boys à nos débuts.
Il y a beaucoup de musiciens à Toulouse, c’est une ville étudiante…
Ceci-dit, je pense que la légende est plus belle que la réalité. A l’heure actuelle, c’est comme partout. Les endroits où jouer se font de plus en plus rares. Se produire dans cette ville devient, malheureusement, de plus en plus complexe…

Votre blues est très traditionnel, peux-tu l’évoquer plus en détails ?
Mojo Bruno : C’est comme un gant qui nous va bien…
On ne se pose pas trop la question de savoir pourquoi. Nous nous y sentons bien tout simplement.
Notre blues va des sons traditionnels du Mississippi jusqu’à des choses plus « funky » de la Nouvelle-Orléans, en passant par Chicago. Cela nous offre une palette assez large et nous avons de quoi nous faire plaisir.

Avez-vous déjà eu l’occasion de vous rendre aux Etats-Unis, voire de vous y produire, d’y faire des jams sessions ou d’y rencontrer d’autres musiciens ?
Mojo Bruno : Non malheureusement, c’est un rêve qui reste encore à réaliser.

Par contre les Etats-Unis sont venus à vous puisque vous avez eu l’occasion de partager la scène avec de nombreux artistes américains. Quelles sont, en la matière, vos plus belles rencontres ?
Mojo Bruno : La plus importante date du début du groupe, vers 1989. Nous faisions, alors, la première partie d’Albert King.
C’était quelqu’un de très humble…
Pendant que son groupe chauffait la salle, il est venu nous serrer la main et nous féliciter pour notre prestation. Ce souvenir reste impérissable…
Cette expérience s’est souvent reproduite avec de très nombreux artistes différents comme le guitariste anglais Otis Grand, Jimmy Johnson etc….
Y compris des gens un peu plus en « marge » comme Ali Farka Touré.
Nous avons toujours rencontré des gens qui étaient à notre écoute, qui étaient prêts à discuter et qui cherchaient à savoir pourquoi des « petits français » s’investissaient autant dans le blues.
Tout cela a été, pour nous, une grande leçon…

Quelles étaient leurs réactions. Le fait de voir un groupe français aussi bien connaitre ce registre était-il leur plus grosse surprise ?
Mojo Bruno : Il y avait, en effet, de la surprise mêlée à un grand contentement de constater que cette musique étaient reprise par tant de groupes en France. Ils étaient enchantés de constater que le tradition se perpétue aussi de ce côté de l’Atlantique.

Te souviens-tu de beaucoup d’anecdotes issues de cette période. De choses imprévues qui se serraient passées sur ou en dehors de la scène ?
Mojo Bruno : J’aimerais, pour te répondre, en revenir à Albert King. Pendant que nous jouions sur scène il était derrière le rideau. Nous lui faisions un hommage et lorsque je me suis retourné, je l’ai vu…
Cela a été un grand choc (rires) !

D’autant plus qu’il était aussi imposant par son physique que par son talent…
Mojo Bruno : Oui, absolument (rires) !

Outre vos concerts, j’ai constaté qu’il vous arrive de vous produire dans le cadre d’animations auprès des jeunes et des scolaires. Peux-tu évoquer ces expériences ?
Mojo Bruno : Nous retraçons une histoire du blues illustrée par des chansons. Cela va des grandes classe de maternelles jusqu’aux adolescents. Ce sont toujours des rencontres très intéressantes… autant pour eux que pour nous !
Voir comment ils abordent cette musique qui, au départ, est toujours assez hermétique pour eux. A chaque fois, nous apprenons autant qu’eux…

Justement, quelles sont les remarques qui reviennent le plus régulièrement. Que disent ces jeunes après avoir découvert le blues ?
Mojo Bruno : Ils sont toujours interpellés par l’histoire de ces noirs déportés. Ils sont, également, surpris de constater la joie et la communication qui émanent de cette musique.

C’est ainsi qu’on se rend compte que les gens qui ne connaissent pas bien cette musique la prennent pour quelque chose d’assez taciturne…
Mojo Bruno : Oui, la majorité des gens en ont cette image. Celle d’un gars qui joue seul au coin d’une rue…
On oublie qu’il s’agit, avant tout, d’une musique de fête. Compte tenu de la vie que menaient les afro-américains, ils n’auraient pas pu tenir le coup avec une musique trop sombre…

Vous vous êtes, aussi, produits dans des prisons. Là, quel y était l’accueil puisque la plupart des détenus actuels ne connaissent que très mal le blues ?
Mojo Bruno : Ces concerts sont toujours mémorables et exceptionnels. L’attente des détenus est toujours très importante. Ils ne demandent qu’à « absorber » cette musique. Il en résulte de très grands moments…
Un jour, à la maison centrale de Muret (près de Toulouse), un jeune beur qui était détenu (et qui possédait une guitare et un ampli) est venu faire le « bœuf » avec nous…

De quelle manière se montent ces concerts dans des prisons. Est-ce vous qui êtes contactés ou bien faites-vous les démarches ?
Mojo Bruno : Il y a des services sociaux qui font des cagnottes afin de monter des spectacles. Il suffit de se présenter à eux…

Lorsque vous vous produisez dans ce genre d’établissements, y effectuez-vous des concerts « standards » ou bien donnez-vous aussi des conférences sur l’histoire du blues ?
Mojo Bruno : Ce sont des concerts assez « standards ». Je pense que les détenus n’ont pas besoin de trop de « bavardage ». Ils préfèrent l’action (rires)…

De quelle manière travaillez-vous vos compositions ?
Mojo Bruno : Chacun amène ses idées… En tant que chanteur, c’est souvent moi qui élabore les textes de nos chansons. Les arrangements, quant à eux, sont le fruit d’un travail collectif.

Qu’aimez-vous évoquer à travers vos chansons ?
Mojo Bruno : Les thèmes habituels du blues, les jolies filles par exemple (rires) !
Nous n’hésitons pas à donner, à notre musique, des accents gospel voire cajun.
Mickael Mazaleyrat : Nous avons même évoqué le blues du désert. Ce titre avait été préparé pour un concert en première partie de Tinariwen. Il s’est, par la suite, retrouvé sur un album live…

Il est drôle de constater que le blues contemporain, qui découle des musiques africaines, est souvent employé aujourd’hui par les artistes de world music…
Mojo Bruno : Oui, c’est une chose très intéressante que j’ai constatée chez Ali Farka Touré et Tinariwen. C’est un peu un « retour vers le futur » !

Je crois que vous avez, à ce jour, sorti 8 albums…
Mojo Bruno : C’est exact, le dernier en date est sorti il y a deux ou trois mois.
J’ai, aussi, sorti deux albums acoustiques sous mon propre nom. Au départ, l’option choisie était de chanter du blues en français. Nous pensions que nous serions plus facilement acceptés par le public…
Finalement il s’est avéré que l’anglais est mieux perçu pour ce genre de musique.

Le blues n’est pas une musique très médiatisée. Le fait d’être un groupe français n’ajoute-t-il pas, pour vous, une complexité supplémentaire puisque « nul n’est prophète en son pays » ?
Mojo Bruno : Nous le constatons lorsque nous voulons travailler pour certaines structures. Si nous étions américains, certaines portes s’ouvriraient bien plus facilement…
C’est une difficulté supplémentaire…
Mickael Mazaleyrat : Pour certaines personnes, le blues reste une musique anglo-saxonne. C’est dommage car, à la base, le blues n’est pas fermé.

C’est aussi une musique en perpétuelle évolution. D’ailleurs certains groupes de blues n’hésitent pas à utiliser des samples ou des rythmes hip-hop… Est-ce des démarches artistiques que vous suivez ?
Mojo Bruno : Un petit peu mais je dois avouer que lorsqu’il y a trop de machines, cela m’interpelle moins. Le grand point positif est que les artistes qui utilisent ce genre de procédés s’intéressent aussi au blues plus traditionnel.

Vous évoquiez votre dernier album « Another Blues ». Pouvez-vous me le présenter de manière un peu plus « étoffée » ?
Mickael Mazaleyrat : C’est un album qui comporte 14 morceaux dont 13 compositions originales. J’estime que c’est notre meilleur album avant le prochain (rires) !
Tout le groupe s’y exprime avec cœur. Achetez le, vous verrez que c’est vrai (rires) !

Quel est cet « autre blues » dont vous parlez ?
Mojo Bruno : C’est une manière d’interpeller les auditeurs. Nous avons déjà récolté des réponses…
On nous dit souvent « c’est vrai, chaque morceau est un blues différent »…
Un « autre blues » veut aussi dire un « blues de plus ». A savoir le notre, que nous amenons dans l’arène de cette musique.
Mickael Mazaleyrat : Nous essayons toujours de soigner la pochette de nos CD mais aussi les titres des morceaux et de l’album en lui-même. Nous voulons faire en sorte que notre public se pose des questions. C’est un peu comme avec une peinture, chaque personne en donne sa propre interprétation.
Mojo Bruno : A ce sujet, je tenais à signaler que les pochettes de nos disques sont réalisées par Bruno Boussard (Les Archers), qui travaille avec nous depuis 25 ans. Son talent est, habituellement, mis en valeur par le label Dixiefrog. C’est un ami de longue date et j’apprécie beaucoup ses pochettes.

Vous n’êtes pas sans savoir que depuis quelques années, un excellent groupe américain porte le même nom que vous. Avez-vous déjà eu l’occasion de les croiser ?
Mojo Bruno : Non… Mais, de toute façon, ce nom ne nous appartient pas puisqu’il est inspiré par la célèbre chanson de Muddy Waters. Je trouve, dans le fond, que c’est une bonne chose… il devrait y avoir un groupe nommé Mannish Boys dans tous les pays (rires) !

Quels sont vos projets ?
Mojo Bruno : Continuer de tourner et intégrer la programmation de quelques gros Festivals. Nous souhaitons continuer de faire de la musique avec le même état d’esprit, tout en conservant la bonne entende qui règne actuellement dans le groupe.
Mickael Mazaleyrat : Nous tenons à faire découvrir cette musique au plus grand nombre, surtout à la jeunesse, qui n’y a pas forcément accès via les chaines de télévision et les radios actuelles.

Avez-vous une conclusion à ajouter ?
Mojo Bruno : Non, il faut continuer ! La conclusion, ce sera pour plus tard (rires) !

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