Melvin Taylor
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Le 26 octobre 1996, le chanteur-guitariste de blues Melvin Taylor se produisait dans la grande salle de La Laiterie (à Strasbourg), en ouverture de son légendaire aîné Jimmy Johnson. Il avait, alors, démontré l’étendue de son énorme talent à tous les amateurs de musiques afro-américaines réunis ce soir-là. Ces derniers lui prédisant des lendemains glorieux et une installation durable au sommet de son art. Pourtant, durant les années suivantes, le musicien a commencé à se faire de plus en plus discret avant de totalement disparaitre de nos écrans radar. Tout juste pouvions nous encore nous délecter des ses albums (au total, seulement, 9 productions parues entre 1982 et 2013) dont certains font office de véritables indicateurs en ce qui concerne le renouveau du blues du milieu des années 1990 (notamment « Melvin Taylor & The Slack Band » datant de 1995, puis « Dirty Pool » édité en 1997). C’est dire si l’annonce d’une nouvelle tournée européenne, en octobre 2018, a constitué un évènement pour celles et ceux qui avaient pu l’applaudir il y a déjà deux bonnes décennies. Brûlant d’impatience, c’est dans le cadre du Nancy Jazz Pulsations que j’ai pu tendre mon micro à l’artiste, 22 ans après notre première rencontre. Heureux d’être de retour, en forme et détendu ce dernier s’est montré particulièrement rassurant. Le tout à quelques heures d’un concert qui pourrait, avec le recul, être considéré comme l’un des points de départ d’une nouvelle carrière internationale…

Melvin, cela fait vraiment plaisir de te revoir en France. Quelles sont les raisons pour lesquelles tu t’es tenu éloigné de ce pays pendant si longtemps ?66
J’ai eu d’autres obligations aux Etats-Unis. Il y a, malheureusement, eu une série de décès dans ma famille et d’autres faits tout autant douloureux. J’ai donc connu de sérieux problèmes qui m’ont tenu éloigné de mon activité première. C'est-à-dire de faire des tournées et de voyager à travers le monde pour cela. Ces problèmes familiaux m’en ont empêché mais, maintenant, je suis de retour est c’est un véritable plaisir d’être à nouveau en Europe !

La dernière fois que je t’ai vu en concert, c’était en 1996. Depuis, ton style a-t-il beaucoup évolué ?
J’aimerais le penser… Ceci en raison du fait que j’ai développé plusieurs registres au sein de ma musique. Ainsi, je peux aborder des styles qui sont différents les uns des autres. Je continue, cependant, à faire du blues et je lui reste fidèle. Je suis blues car je continue d’élaborer ma musique en m’attachant aux racines de cette dernière. C’est sont les premières notes que j’ai écoutées et apprises…c’est ma base, mon histoire… Cela vient d’un esprit supérieur ! Maintenant, je combine ce blues à d’autres styles que j’ai appris à maitriser au fur et à mesure de mon existence. Tout cela représente beaucoup de travail.

As-tu donné un nom à cette musique ?
Je l’appelle simplement un melting pot, parce que c’est ce que je fais. Je combine tous les registres, à partir du moment où je me sens prêt à le faire. Il en résulte quelque chose qui n’appartient qu’à moi, du Melvin Taylor ! C’est donc un melting pot à la manière de Melvin Taylor. C’est ce qui me caractérise et je trouve qu’il s’agit d’une bonne formule pour définir ce que je fais.

Quelle est la signification que tu donnes au blues ?
Le blues signifie beaucoup de choses pour moi car c’est d’où je viens, c’est mon héritage. Les premières chansons que j’ai apprises étaient des blues. Il s’agissait de titres de Jimmy Reed, de Muddy Waters, d’Howlin’ Wolf, d’Albert King, de B.B. King, de Lightnin’ Hopkins, d’Elmore James etc. Ce sont également les premières chansons que j’ai entendues alors que je n’étais qu’un bébé. C’est une musique qui est ancrée au plus profond de moi et qui ne cesse de tourner au dessus de ma tête. A la maison ; ma mère, mon père, mes oncles, mes tantes, mes cousins ne cessaient d’écouter ou de jouer cette musique. Je suis né à Jackson, dans le Mississippi et, comme tous les gens qui ont quitté cette région, je ne peux pas l’oublier. C’est d’où je viens, elle est toujours ancrée en moi.

Ta musique est-elle le reflet de ton âme et de ton état d’esprit ?
Cela l’est… oui ! J’y mets tout ce qu’il y a en moi. C’est ce qu’il y a en moi qui ressort lorsque je joue. L’autre facette de ma musique est faite de jazz, de rock, de funk et de différentes autres choses. Je m’efforce de tout regrouper au sein de mon travail et les gens aiment le résultat qui en découle. C’est ma formule…

Le chanteur-guitariste Otis Rush est décédé le 29 septembre dernier (interview enregistrée le 13 octobre 2018, nda). En 1977, il avait enregistré un célèbre disque en public dans le cadre du Nancy Jazz Pulsations, où nous nous trouvons actuellement (« Live In Europe » sur le label Evidence). Que représentait cet artiste à tes yeux ?
J’adore Otis Rush ! On ne peut que l’aimer car il était original et il était resté lui-même. Il avait une voix incroyable et j’estime qu’il chantait comme un oiseau. Il en va de même pour son jeu de guitare qui reflétait ce qu’il était. Il était digne, un type vraiment formidable. C’était toujours un plaisir d’ouvrir un concert pour lui. Cela m’est arrivé à quelques reprises à Chicago. De son côté, il a également assisté à quelques-unes de mes propres prestations. Cela a, notamment, été le cas au Rosa’s Lounge. C’était avant qu’il ne devienne très malade. C’était une personnalité absolument formidable, que Dieu bénisse son âme…

Quelle est la philosophie que tu appliques à ta vie, ainsi qu’à ta musique ?
J’adore, simplement, le fait de jouer…et c’est ce que je fais ! Je ne suis qu’un gars qui aime le travail qu’il a à faire. Ceci parce qu’il s’agit de ma passion, de ce que j’aime le plus entendre, de tout ce qui me représente…

A ton avis, quelle est la période la plus intéressante dans l’histoire du blues ?
C’est une chose compliquée à dire ! Je les adore presque toutes… J’apprécie particulièrement les artistes qui ont eu quelque chose à offrir. Quelque chose qui soit unique et qui les représente eux-mêmes. Je peux, ainsi, évoquer des musiciens que j’ai déjà cités précédemment comme Howlin’ Wolf, Elmore James, Jimmy Reed et tous ceux qui possèdent ou possédaient une véritable identité artistique.

Le pianiste Pinetop Perkins (1913-2011) était très important pour toi. Peux-tu revenir sur votre amitié et sur votre collaboration ?
Oh, je suis heureux de pouvoir en parler… Pinetop Perkins a été le premier à me solliciter afin que je rejoigne son groupe, dans le but de jouer à ses côtés. Je n’étais âgé que de 19 ans à cette époque. Il voulait en savoir plus sur moi, je devais l’intriguer. Il ne cessait de dire : « Ce gosse est vraiment bon, je veux lui donner sa chance et lui permettre de jouer à mes côtés ». Un jour, alors qu’il était accompagné par le batteur Willie « Big Eyes » Smith, il est passé devant ma maison et m’a aperçu. Il m’a, alors, alpagué en s’écriant : « Hey, tu ne serais pas Melvin Taylor ? ». J’ai, bien sûr, répondu par l’affirmative. Le reste appartient à l’histoire… J’ai intégré son groupe, The Legendary Blues Band, et nous avons donné des concerts à travers tous les Etats-Unis, ainsi qu’au Canada. Puis nous avons réalisé une tournée européenne durant 2 mois. C’était formidable, il a été le premier à m’offrir l’opportunité de tourner en dehors de mon pays. Pinetop Perkins était une très grande personnalité du blues, que son âme repose en paix pour toujours…

Depuis tes débuts, le business du blues a-t-il beaucoup changé ?
Bien sûr… Je suis né en 1959 et j’ai, de ce fait, commencé à prendre conscience des réalités du milieu de cette musique au milieu des années 1960. J’ai, dès lors, été confronté à tous les mots clés de cet environnement. A l’époque, notre communauté était encore très marquée par des personnalités telles que celle de Martin Luther King. C’était une mauvaise période pour nous aux Etats-Unis, la vie n’était pas rose tous les jours. J’ai grandi dans cette société qui n’était pas forcément à l’écoute du peuple afro-américain. La musique est l’un des éléments qui ont permis aux mentalités d’évoluer un tant soi peu. Cela est passé par le blues, jusqu’au disco, sans oublier d’autres registres qui ont fait le tour du monde (la musique funk, le r&b etc.). Un artiste comme Jimi Hendrix est aussi parvenu à faire tourner les choses en notre faveur, à nous donner une image différente. Les registres n’étaient pas les mêmes, mais chaque style a su apporter une forme d’évolution artistique ou sociale. C’est aussi pour cette raison que je me nourri de tous ces sons. Si je ne les aborde pas tous mais je reste très à l’écoute de tout ce qui peut se faire dans la musique noire américaine. C’est cette dernière qui nous a, en partie, permis de nous libérer. Je crois que je suis né pour cela. C'est-à-dire pour intégrer toutes ces sonorités à un blues roots qui correspond à mes véritables origines. Si je viens su Mississippi, je tiens à faire part de cette évolution culturelle qui résume à elle seule l’histoire d’une nation et de l’un des peuple qui la constitue.

En tant que bluesman afro-américain, continues-tu (malgré tous les faits actuels) d’être fier de ce qu’est devenu ton pays aujourd’hui ?
Oui, bien sûr ! Je suis fier de mon pays car c’est là d’où je viens. Il s’y passe des choses positives et d’autres beaucoup plus négatives mais cela est, également, le cas en ce qui concerne d’autres nations…comme la France par exemple. Chaque nation connait ses propres problèmes politiques et sociaux. Heureusement, nous connaissons la liberté et je parviens à faire ce que j’aime le plus au monde. Il faut faire en sorte de rendre les choses meilleures comme nous le pouvons, à notre échelle. Il faut retenir les bons enseignements qui nous ont été inculqués dans le passé, puis continuer à se battre pour eux tout en donnant le meilleur de nous-mêmes. C’est ce que j’essaye de faire…

De quoi es-tu le plus fier dans ta carrière ?
Je suis particulièrement fier de toujours posséder cette fibre qui me permet de continuer. Ceci parce que, dans la musique, il est parfois facile de baisser les bras et d’abandonner les choses…alors que tout allait encore bien quelques temps auparavant. Chaque carrière connait des hauts et des bas. Le fait de connaitre des périodes de dépression, après avoir eu des succès, est une chose récurrente. Lorsque le business devient plus difficile, cela a le dont de te décourager très rapidement. Si tu es assez fort, tu peux y survivre et à nouveau entrer dans une spirale positive. Cependant, beaucoup de gens préfèrent abandonner. Ils arrêtent de jouer et prennent un emploi plus stable, mettant ainsi une croix sur tout ce qu’ils avaient fait auparavant…ainsi que sur leurs rêves. Je pense qu’il faut continuer à se battre, à poursuivre son chemin et à croire en son destin. Il faut faire ce pour quoi nous sommes faits. On ne peut pas abandonner, non… C’est de cette abnégation dont je suis le plus fier.

Ton dernier album, « Taylor Made », date de l’année 2013. Depuis, nous attendons patiemment le suivant. Aussi, peux-tu me dire quels sont tes projets ?
Il y a différents registres musicaux que je cherche à allier. Je ne tiens pas particulièrement à réaliser un nouvel album de blues pur et dur, car je l’ai déjà fait dans le passé. J’aimerais varier mon registre car Melvin Taylor n’est pas qu’un musicien de blues. La musique de Melvin Taylor est constituée d’influences diverses. Il y a de nombreux registres qui sont bons, même si le blues sera toujours le ciment de mon art. J’aimerais poursuivre dans cette optique…

Souhaites-tu ajouter une conclusion à l’attention du public français qui ne t’a, visiblement, pas oublié ?
J’adore mon public français ! Ce pays est le premier dans lequel j’ai eu l’occasion de me produire après les Etats-Unis. J’ai, immédiatement, été le bienvenu ici. Après ma tournée, aux côtés de Pinetop Perkins, Didier Tricard (célèbre promoteur du blues en France, nda) m’a très rapidement proposé de revenir. Grâce à lui, c’est une chose qui s’est reproduite à de très nombreuses reprises…encore et encore et encore (rires) ! Je le considère comme mon frère français. Comme dans toutes les fratries, il est arrivé que nous connaissions quelques tensions mais cela est une chose tout à fait normale. Ceci parce que nous sommes très proches et que, comme tous les frères, nous pouvons avoir des opinions divergentes. J’étais encore avec lui récemment. Il est encore en bonne forme et tout va bien pour lui, chose dont je suis très heureux. Nous avons pris le temps de nous retrouver, même si il a décidé de faire un break avec le milieu musical. Sinon, j’ai toujours ressenti un profond amour du public français à mon égard. A chaque fois que je reviens ici, c’est un peu comme si je revenais à la maison. Un peu comme si j’y étais toujours attendu…

Remerciements : Coralie Arnould (Nancy Jazz Pulsations), Guillaume Tricard (Boom Boom Productions)

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Interview réalisée au
Chapiteau du Parc de la Pépinière - Nancy
le 13 octobre 2018

Propos recueillis par

David BAERST

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