Micah P. Hinson
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Cent fois revenu de l’enfer, Micah P. Hinson (né en 1981 à Memphis, Tennessee, capitale du blues, du rock’n’roll et de la soul music) demeure, sans aucun doute possible, l’un des fleurons des musiques roots américaines actuelles. Mieux que cela, il parvient parfaitement à faire coller ce registre aux préoccupations de son époque…tout en évoquant ses propres démons. Songwriter de génie, cabossé par la vie (drogues, problèmes de santé divers, accidents…), il fait fi de ses déboires et continue d’arpenter fièrement les routes. C’est au détour de l’une d’entre elles, que ce grand gaillard s’appuyant sur une canne a répondu à mes questions (bottant cependant en touche celles qui étaient orientées vers les faits de société ou vers la politique, en effet on ne l’y reprendra plus à en parler). Sous l’œil bienveillant de son épouse et à proximité de son fils aimé, à peine âgé de 5 mois, il a su gérer sa fatigue et s’est montré (à ma grande surprise) très loquace. Le soir même, il livrait une prestation qui ne pouvait laisser indifférent. Entre étonnement, désillusion, moquerie ou fanatisme acharné, chaque spectateur s’est forgé sa propre opinion….et il est fort probable que l’intéressé se moque de ces avis partagés, comme de sa première chemise à carreaux. Après avoir vendu ses disques, il s’est simplement évanoui dans la nuit, discrètement, comme il était venu. Dans quelques temps nous nous souviendrons simplement ici-bas, qu’un héros quasi fantasmagorique, répondant au nom de Micah P. Hinson, était en ville ce soir-là…

Micah, c’est vraiment très agréable de te revoir en France. Pour commencer cet entretien, j’ai simplement envie de te demander comment tu vas…
Je vais bien, même si je suis vraiment fatigué. La tournée actuelle (7 concerts répartis sur 7 jours, rien que pour la France) est très intense. Je la partage avec mon épouse Ashley et mon jeune fils Wiley, né en octobre 2015. Chaque étape est relativement éloignée de la suivante et nous passons de longues heures sur la route tous les trois. Sinon tout va bien, je continue à faire de la musique pour vivre et cela représente la meilleure des choses pour moi…66

Tu es considéré comme l’un des grands auteurs-compositeurs de ta génération. Quels sont, parmi tes ainés dans ce domaine, ceux qui ont eu le plus d’influence sur toi ?
En grandissant, j’étais sous l’influence de ce qu’écoutait ma mère. De ce fait, j’ai beaucoup entendu Neil Diamond,ainsi que John Denver par l’intermédiaire de mon père. Avec mon frère, nous avons rapidement été séduits par des groupes tels que My Bloody Valentine, Skinny Puppy, The Smashing Pumpkins, Nine Inch Nails, The Cure, Ministry ou encore Joy Division. Bref, toute la bonne musique qui ne se fait plus aujourd’hui…je me demande bien où elle est passée (rires). Ils m’ont tous, dans un sens, poussé à faire le métier que je pratique aujourd’hui.

Depuis tes débuts, comment jauges-tu l’évolution de ta musique ?
Je pense qu’elle est restée la même. Si elle a pu muter, c’est simplement lié à l’évolution de ma vie personnelle. Cette dernière a fait de moi quelqu’un de plus responsable, bien que je sois resté le même. Je prends, aujourd’hui, des décisions différentes en ce qui concerne mes choix. J’ai enregistré ma première démo alors que j’avais 17 ans mais j’ai dû attendre l’année 2004 pour que mon premier vrai album sorte. Cette fameuse démo est devenue mon deuxième disque « Presents : The Baby & The Satellite ». Je n’avais que 17 ans au moment de l’enregistrement et j’en ai écrit le contenu alors que j’en avais 15. Il reste, cependant, le CD préféré de certains de mes admirateurs.

Je pense que ce disque est une introduction idéale et permet d’apprécier plus amplement mes sorties suivantes, telles que « Micah P. Hinson And The Opera Circuit » (2006) ou « Micah P. Hinson And The Red Empire Orchestra » (2008). Sur cette actuelle tournée française, je reprends des morceaux de mon premier album « Micah P. Hinson And The Gospel Of Progress » qui a été réédité en 2014 par le label Talitres. Il s’agit, en fait, d’une collection de titres qui évoquent des étapes de ma vie, jusqu’au moment de l’enregistrement. Je n’ai, en fait, que traduit cette dernière en musique. Cela est tout à fait représentatif de ce que j’ai pu réaliser tout au long de ma carrière. Je suis toujours revenu vers mes vieilles chansons et essayant de les changer, pour le meilleur j’espère. Je n’enregistre pas forcément du nouveau matériel, ce sont les différentes parties de ma vie que j’expose aux gens tu sais…

Ton univers est unique mais te sens-tu, malgré tout, proche d’une scène musicale en particulier ?
Oh non, pas vraiment. Au Texas il y a ce que l’on appelle le mouvement red dirt country (une variante de la musique country, mélangée à du rock’n’roll et de l’americana, nda). Je vis dans la partie nord de cet état et je ne me sens pas vraiment concerné par la chose. Ce n’est qu’au bout d’une dizaine de venues dans le sud que j’ai commencé à y donner des concerts. Je demeure donc quelqu’un de complètement indépendant, aussi bien dans ma démarche artistique que dans ma manière d’être. J’ai, toutefois, été séduit par le groupe canadien Timber Timbre avec lequel j’ai eu l’occasion de voyager et de partager la scène. J’ai aussi travaillé avec le groupe anglais, originaire de Londres, The Buriers dont j’ai coproduit le EP « Four Songs ». L’enregistrement s’est déroulé, sur trois semaines, au Texas. Après ces sessions, je me suis occupé du mixage du disque, en faisant en sorte de produire le meilleur son possible. Je ne me sens donc pas déconnecté de quelque mouvement que ce soit. Cependant, je ne me sens pas intégré à une « école » musicale en particulier. Je ne suis pas fermé, mais je mène ma barque de manière totalement indépendante.

Ton dernier album en date, « Broken Arrows », a été enregistré avec T.Nicholas Phelps. Peux-tu me parler de lui et de votre collaboration ?
T.Nicholas Phelps voulait, en fait, collaborer avec moi et il en résulte « Broken Arrows ». Nous nous connaissons depuis 11 ans, soit depuis que je vis à Abilene au Texas. C’est le label Bronson Recordings, basé en Italie, qui l’a sorti. Il en résulte une sorte de métal du désert, c’est vraiment de la putain de bonne musique. C’est très intense et ça représente le fruit de 10 ans de travail entre l’écriture, l’enregistrement, le mixage et le reste. Maintenant ce disque (composé, en grande partie, d’instrumentaux) est bien là et il est là pour toujours ! Pour te présenter Nick Phelps, je peux simplement te dire que c’est quelqu’un d’étonnant. Il est docteur et il lui arrive régulièrement de jouer avec moi. Nous formons même un groupe avec ma femme qui tient principalement la batterie, alors que je peux me retrouver aux claviers et lui au banjo ou également à la batterie. Cela fait bien 7 ans que nous sommes devenus complètement inséparables.

De quelles manières les chansons viennent-elles à toi ?
Je décide vraiment d’écrire, non pas en parcourant la presse, mais plutôt lorsque je sens une sorte de tristesse m’envahir… (nous sommes alors interrompus par quelques cris émis par le bébé, Micah lui glisse alors quelques mots d’amour et après quelques secondes de silence poursuit)… Mes chansons peuvent, actuellement, venir de lui (paroles prononcées en regardant son fils, nda)… Elles sont parfois instantanées et sont écrites en 5 minutes. Je me souviens de résultats ou d’idées concrètes abouties en un quart d’heure voire en deux minutes. En principe, je joue quelques accords de guitare et je commence à chanter quelque chose par-dessus. Bien sûr, parfois cela ne se produit pas dans un laps de temps aussi court. Quoiqu’il en soit, je prends toujours le temps de bien peaufiner chaque morceau après l’avoir composé…

Tu as également sorti un ouvrage, « No Voy A Salir De Aqui », qui a été publié en Espagne. Serais-tu prêt à renouveler cette expérience ?
Oui, d’autant plus que j’écris depuis de nombreuses années. Avant de signer sur mon premier label, je jouais bien sûr de la guitare mais j’étais tout autant passionné par ma machine à écrire. En fait, j’ai toujours souhaité être un écrivain et cela avant de devenir musicien. Je viens de terminer un deuxième livre. J’en ai parlé à mon label espagnol, afin qu’il l’édite, mais il n’est pas probable que ce dernier le sorte. J’aimerais beaucoup trouver une maison d’édition en Angleterre ou aux Etats-Unis. Mon souhait serait de pouvoir proposer des versions bilingues avec, par exemple, la traduction française sur la page gauche et la version originale anglaise sur la droite. J’ai vu que cela a été fait, en Allemagne, pour le groupe The Jesus And Mary Chain. J’aimerais trouver quelqu’un qui soit intéressé par un tel projet.

A ce jour, quelle est la chose que tu n’as jamais faite et que tu aimerais réaliser ?
Aller au Pôle Nord et ne pas avoir froid (rires)… Je crois, en fait, que j’ai déjà réussi à faire tout ce que je souhaitais. C’est-à-dire jouer de la musique pour vivre, écrire des chansons, trouver un label… J’ai vécu le fait d’envoyer une démo, faite d’une musique qui me ressemble, puis d’être signé comme une bénédiction. J’ai aussi la chance d’avoir trouvé une femme qui est totalement connectée avec moi et qui vit ma vie dans une totale symbiose. J’ai une maison située dans une petite ville, je suis membre de la communauté chickasaw et mon fils est un chickasaw. Je ne peux rien demander de plus, tu vois…

Quels espoirs portes-tu en l’avenir ?
Simplement l’espoir de continuer à faire les mêmes choses, surtout si le monde de la musique s’arrête de trop changer. Il y a trop de mauvaises ondes dans cet art actuellement et je dis un grand « fuck » à la face la plus moderne de la musique. Je suis touché par le fait que des personnes viennent me voir en concert et payent pour cela. J’aimerais vraiment continuer à jouerpour le restant de mes jours, mais je me rends de plus en plus compte que beaucoup de choses ont changé depuis mes débuts. Je n’ai jamais vraiment gagné beaucoup d’argent par la vente de mes albums. J’ai, par exemple, écoulé 8000 disques dans un pays tel que l’Espagne. Ceci me rend heureux, mais les chiffres risquent de s’écrouler avec tous ces putains de sites de téléchargement du type Spotify. C’est vraiment de la merde et beaucoup de personnes n’arrivent pas encore à le comprendre. J’ai une chanson, « My most meaningful relationships are with dead people » qui a été écoutée plus de 185.000 fois. Pour cela, j’ai gagné la coquette somme de 36 cents, 36 cents tu te rends compte ? Cela, je ne sais pour quelle putain de raison !!!!

Si tu vends 200.000 copies de l’un de tes singles, tu es rémunéré en fonction et tu peux même te faire beaucoup d’argent. Les gens ne veulent pas comprendre que ces sites se comportent comme des monstres et qu’ils contribuent à tuer la créativité. Aujourd’hui, je vends principalement mes enregistrements à l’issue de mes concerts. C’est une très bonne chose et le fait de pouvoir rencontrer mon public me rend heureux. Cependant, cela me donne plus de travail et ajoute de la fatigue à une autre fatigue déjà bien présente. C’est une logistique supplémentaire, alors que je suis souvent seul sur la route. Nous allons en revenir au bon vieux temps du blues où tu allais de ville en ville, là où on te demandait, pour faire un concert. Un soir dans l’Alabama et le suivant à Chicago avant de revenir dans le Mississippi puis en Louisiane, peu importe les kilomètres qui séparent ces différents endroits. Revenir à une certaine tradition en quelque sorte… Ce sera toujours mieux que ce nouveau côté de la musique, que des putains de personnes ont créé pour leur seul profit, au risque de tuer l’art. Je déteste tous ces produits dits novateurs, Soundcloud, Protools et compagnie…c’est vraiment ridicule ! Nous avons juste besoin de labels qui croient en nous les musiciens. Des gens qui ont des oreilles, qui aiment la musique et qui ont le courage de nous soutenir dans l’action que nous entreprenons. Le reste pour moi n’est qu’incohérence, je suis désolé…

Cela pourrait être une parfaite conclusion. Aurais-tu, malgré tout, autre chose à ajouter ?
Non, j’en ai déjà trop dit mec ! Merci beaucoup à toi !

Remerciements : Edouard Massonnat (Talitres), Julie (Hiéro)

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Interview réalisée
au Grillen - Colmar
le 26 mars 2016

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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