L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST | ||
Michel, tout au long de cette heure, nous
aurons l'occasion de parler du festival de jazz de Munster dont vous fêtez
la vingtième édition cette année. C'est donc un festival
qui perdure et s'inscrit comme l'un des plus important dans le "
grand est " français et qui commence à faire parler
de lui à l'international. En guise d'introduction à cette
émission, je tenais à faire un petit clin d'il à
quelqu'un que l'on connaît tous les deux. Jean-Pierre Vignolat n'est malheureusement pas
là dans l'émission, mais je tenais à le saluer. Absolument, et puis il est également à
l'origine d'un label de musique qui a fait beaucoup de bons disques de
blues, c'est le label Black & Blue qui a fait énormément
d'enregistrements
A chaque fois, il me dit qu'il garde un très
bon souvenir du Gewurztraminer ! Mais il y avait aussi des clubs, rue de Rivoli, que nous regardions d'un il un peu distant parce qu'on disait qu'ils étaient " de l'autre côté du Mississipi " , c'est-à-dire qu'ils jouaient une autre musique ! Nous jouions le be-bop et eux jouaient du Nouvelle Orléans. Michel, j'aimerais mieux vous faire connaître
à nos auditeurs, et vous présenter, faire un petit cursus
depuis votre enfance jusqu'à aujourd'hui. Vous êtes réputé
comme étant un des très grands jazzmen, vous êtes
pourtant né à une époque où le jazz n'était
pas tellement dans les murs en Alsace. Est-ce que votre première
approche de la musique s'est faite par l'accordéon ? C'était une grande école, à l'époque, nous avions 360 élèves, nous étions 5 professeurs. Parallèlement, j'ai monté mon premier orchestre donc après la guerre en 1946-7 et j'ai joué à Strasbourg, à L'Aubette, à la Maison Rouge, là où il y a la FNAC aujourd'hui. C'était un hôtel de grand prestige, à l'époque, Churchill y descendait pendant le conseil de l'Europe. Un jour, m'estimant trop jeune à 22 ans pour ne faire qu'enseigner la musique à des jeunes, j'ai monté mon orchestre et je suis parti en tournée définitivement. Et j'ai voyagé en France, en Afrique du nord, un peu partout, et je me suis trouvé en 49-50 à Bordeaux. Là, j'ai été approché par l'armée américaine pour travailler pour eux, pour jouer dans tous les clubs d'officiers américains. Il y avait les headquarters là-bas et puis tous les clubs partout en Europe et à partir de ce moment, j'ai donc fréquenté le jazz. Je jouais du swing à l'accordéon mais, à l'époque, tout le monde était friand de jazz. On jouait encore aussi la danse, on jouait du bandonéon. Je jouais des tangos au bandonéon, la musique à l'accordéon et puis le jazz dans le swing à l'accordéon. J'ai eu mon premier vibraphone en 1948. En 50, j'ai tout laissé tomber pour aller à Paris, pour m'installer à Paris. J'ai eu la chance de connaître Django Reinhardt en 1952 juste avant sa mort en 53. A sa mort, j'ai joué avec Stéphane Grappelli. J'ai donc fait mes débuts à Paris, ensuite j'ai eu l'occasion de monter " Le chat qui pêche " qui est devenu, à l'époque, un des meilleurs clubs de la capitale. J''y suis resté pas mal de temps tout en partant en tournée avec des musiciens américains. J'ai passé 20 ans à Paris où j'avais mon pied à terre mais en partant régulièrement en tournée avec des musiciens américains. Par exemple, Quincy Jones, le grand orchestre de Quincy Jones dont j'ai fait partie pendant deux ans, Sarah Vaughan Un jour, je me suis rendu compte que pour aller jouer à Bâle ou à Amsterdam ou à Stuttgart, il n'était plus nécessaire ou indispensable de venir de Paris. Autrefois, on venait de Paris et on était quelqu'un - ou on ne venait pas de Paris et on n'était rien. C'était ça à l'époque, c'est pour ça que tous les chemins passaient par Paris. Un jour dans les années 70, ça s'est estompé. Il y a eu les maisons de la culture qui ont été ouvertes en province. La plupart des musiciens sont rentrés chez eux. Vous savez, à Paris, vous pouvez mettre autant d'argent que vous voulez sur la table. Jamais vous n'ouvrirez les volets en voyant des sapins. Chez moi, à Munster, j'ouvre les volets et je vois des sapins. Il y a ma rivière à truites qui n'est pas loin. Je peux aller pêcher à la mouche quand le jazz m'en laisse le temps, ce qui n'est pas le cas en ce moment avec le festival, mais ça viendra ! Voilà ! C'est un petit aperçu de mon " Ridiculum Vitae " comme disait Martial Solal Pour un petit aperçu, c'est impressionnant
! Vous avez répondu à peu près à six questions
que je voulais vous poser ! C'est formidable ! Oui, on va prendre un verre, c'est terminé
(rires). Est-ce que vous pourriez revenir sur l'ambiance des clubs parisiens
de cette fin des années 40 puisque vous disiez vous-même
tout à l'heure, quand vous parliez de Moustache, qu'il y avait
quand même une certaine rivalité ? Alors à l'époque pour eux, c'était l'autre club de France, il n'y avait que le jazz Nouvelle Orléans swing jusqu'à Count Basie et après le jazz s'arrêtait. Mais ensuite sont arrivés Boris Vian et Delaunay et eux alors optaient déjà pour Charlie Parker, Dizzy Gillespie. Pour le nouveau jazz, pour le be-bop et alors les anciens nous appelaient " les raisins aigres " et nous les appelions " les figues moisies " ! Alors il y avait, à l'époque, la fameuse guerre, ça a duré longtemps ! On était capable de prendre un verre ensemble mais enfin, on faisait partie d'un autre bord. Tout en étant conscient de jouer du jazz. Et tout ça s'est estompé à la longue. Maintenant, quand on se voit, on se rencontre avec les anciens, Saury, Laferriere et tout, on en rigole de ça ! Mais à l'époque, il y avait des clans, deux clans, le jazz be-bop dont j'ai fait partie, et puis le jazz traditionnel, disons. En fait le jazz est un art et le jazz évolue toujours, le jazz avance tout lentement mais il avance. Je voulais parler d'une rencontre frappante puisque
vous êtes vibraphoniste : vous avez eu l'occasion de rencontrer,
en 1954, monsieur Milt Jackson qui est quand même le pape de cette
discipline, comment s'est faite la rencontre ? La première fois que je suis venu demander une chambre, on a sonné les anciens pour les appeler, " vous connaissez monsieur ? ", " non ", évidemment je venais d'arriver, " eh bien monsieur, vous ne pouvez pas avoir de chambre chez nous ". Alors, je suis allé en face à La Louisiane, ce n'était pas triste non plus. il y avait à l'époque des musiciens comme Bud Powell qui y habitaient. Mais enfin un jour, après mon premier disque, j'ai pu entrer au Grand Balcon et j'y suis resté pendant 6-7-8 ans. Il y avait là-bas des musiciens fantastiques : Sadi Lallemand, Kenny Clarke qui était mon voisin de chambre (le plus grand batteur de be-bop que l'on n'ait jamais connu), il y avait Bill Coleman, Albert Nicolas. Il y avait des grands musiciens qui habitaient là, c'était fantastique Un soir on me réveille, c'était Nat Peck, le trombone, il me dit " écoute, descend vite, je veux te présenter quelqu'un ". Je descend, je vois un gars en manteau de cuir gris comme les motards avec un béret enfoncé sur la tête et il me dit " voilà Milt Jackson " Ah, j'ai cru que j'allais tomber ! Milt Jackson ! C'était mon idole. J'écoutais ses disques " Anthropology " et autres depuis 1949... Nous sommes devenus amis. J'ai ensuite eu la chance de jouer avec eux en 58. Au festival de Cannes au Palais des festival de Cannes avec le Modern Jazz Quartet et le Jazz Groupe de Paris, avec deux vibraphones, deux basses, deux batteurs, deux bassistes et puis des souffleurs derrière. Un disque que nous avons fait pour je ne sais plus quelle marque aux Etats-Unis. John Louis dirigeait ça. Nous sommes restés amis pendant 40 ans. Si, à l'époque, on m'avait dit qu'un jour, j'arriverais à le faire venir à Munster... J'aurais pensé que c'était le plus gros gag qui pouvait m'arriver. Mais c'est arrivé, vous voyez ! C'est arrivé 40 ans plus tard. Il est venu à Munster, il a fait un de ces (malheureusement) derniers concerts, il est mort peu de temps après. C'était fantastique parce que, pour moi, c'est non seulement le plus grand vibraphoniste, c'est un des plus grand musiciens que le jazz ait connu. Autre chose est important dans votre existence,
vous avez toujours été très actif, et pas seulement
en tant que musicien. Par exemple en 1967, vous vous êtes impliqué
dans la branche syndicale des musiciens de jazz et de variété
française en tant que président, c'est aussi une autre facette
de vos multiples talents. Vis-à-vis des producteurs aussi pour clarifier la situation, les tarifs pour les enregistrements et tout ça. Il y eu beaucoup d'abus qui, après cette période, se sont arrangés, ont été amenuisés, voilà. Et vous avez toujours cet amour de l'enseignement
puisque vous avez également créé une académie
d'accordéon
Parallèlement j'ai évidemment continué de jouer du jazz. Je pensais rentrer en Alsace et monter aussi un grand orchestre pour la radio. Je ne me suis pas rendu compte que les conditions n'étaient pas les mêmes qu'à Paris. D'abord les conditions de travail, trouver du travail, et que la radio n'avait pas un orchestre attitré... Par exemple en Allemagne, toutes les grandes villes avaient leur orchestre, l'orchestre de la radio. Ce n'était pas le cas à Strasbourg. Alors j'ai joué parallèlement du jazz. Finalement, je me suis rendu compte, lorsque le festival a débuté, que je pouvais prendre ma retraite en tant qu'enseignant. Jj'ai donc recommencé à jouer du jazz à temps plein. Ce qui est curieux c'est que j'ai joué pendant 20 ans à Paris. Je n'y ai plus joué pendant 20 ans, et quand en 89 les Arvanitas, Lafitte et autres sont arrivés pour le festival, ils ont dit " mais c'est pas vrai, tu joues toujours comme autrefois, tape là-dedans, on te fait venir à Paris ! ". Alors, le vin blanc aidant, moi j'ai tapé là-dedans et deux ou trois mois après je me suis trouvé au Bilboquet, l'ancien Club Saint-Germain comme avant. Alors pour rire, j'ai dit " j'ai joué 20 ans à Paris, je n'y ai plus joué pendant 20 ans et je vais y revenir régulièrement pendant 20 ans ". Eh bien écoutez, c'était en 1989, encore deux ans et ce sera vrai ! J'estime que c'est une grâce, disons les choses comme elles sont, une grâce que m'a accordée le bon dieu de pouvoir encore être sur pied et de jouer, voilà. Il faut en être reconnaissant, ça ne durera pas toujours, mais enfin, aussi longtemps qu'on peut, il faut le faire le mieux possible. Je tenais également à dire que vous
êtes un compositeur prolifique, plus de 200 uvres sont déposées
à la SACEM dont quelques musiques de films. Remerciements : A Michel Hausser pour son
dynamisme (et pour les pâtisseries !) et à Joël pour
sa présence technique et " jazzistique " dans l'émission.
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Les liens : Interview réalisée dans Propos recueillis En exclusivité ! Interview
de Michel Hausser |
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