Michel Hausser
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Michel, tout au long de cette heure, nous aurons l'occasion de parler du festival de jazz de Munster dont vous fêtez la vingtième édition cette année. C'est donc un festival qui perdure et s'inscrit comme l'un des plus important dans le " grand est " français et qui commence à faire parler de lui à l'international. En guise d'introduction à cette émission, je tenais à faire un petit clin d'œil à quelqu'un que l'on connaît tous les deux.
C'est l'un de vos grands amis, il est programmateur, notamment du festival de jazz de Vienne. Il est surtout celui qui a remis sur les rails, dans la continuité du créateur du jazz club Lionel Hampton, ce fameux endroit porte Maillot à Paris :

Jean-Pierre Vignolat n'est malheureusement pas là dans l'émission, mais je tenais à le saluer.
Ah Jean-Pierre Vignolat, un grand Monsieur du jazz ! Il a été le road-manager de Benny Carter, de Count Basie pendant leur tournée européenne, et je le connais très bien, chaque année j'ai le plaisir d'aller jouer une semaine au Méridien à Paris et puis j'ai joué à Vienne au festival l'été dernier.
Jean-Pierre c'est un inconditionnel du jazz, l'air un peu nounours, mais il connaît tout le monde et il manage ça d'une façon fantastique.

Absolument, et puis il est également à l'origine d'un label de musique qui a fait beaucoup de bons disques de blues, c'est le label Black & Blue qui a fait énormément d'enregistrements…
Pour commencer je vais vous inviter à venir nous voir à Munster au festival parce qu'il va venir jouer pendant trois jours. Il accompagne trois orchestres qui viendront chez nous.

A chaque fois, il me dit qu'il garde un très bon souvenir du Gewurztraminer !
Petit clin d'œil également, avant de passer un de ses morceaux, à un grand amuseur, excellent batteur de jazz qui a été à l'origine des premiers clubs de jazz à Paris et avait notamment relancé l'activité au Jazz Club Lionel Hampton, c'est bien sûr le grand Moustache qui nous a malheureusement quittés en 1987. Vous l'avez connu, Michel ?
Oui, bien sûr, j'ai passé 20 ans à Paris, de 50 à 70. Alors, nous étions d'un côté de la Seine et de l'autre côté, il y avait les clubs Nouvelle Orléans, enfin non, lui était du même côté que nous au Vieux Colombier avec Claude Luther.

Mais il y avait aussi des clubs, rue de Rivoli, que nous regardions d'un œil un peu distant parce qu'on disait qu'ils étaient " de l'autre côté du Mississipi " , c'est-à-dire qu'ils jouaient une autre musique ! Nous jouions le be-bop et eux jouaient du Nouvelle Orléans.

Michel, j'aimerais mieux vous faire connaître à nos auditeurs, et vous présenter, faire un petit cursus depuis votre enfance jusqu'à aujourd'hui. Vous êtes réputé comme étant un des très grands jazzmen, vous êtes pourtant né à une époque où le jazz n'était pas tellement dans les mœurs en Alsace. Est-ce que votre première approche de la musique s'est faite par l'accordéon ?
Non, par le piano. Mon père, qui était instituteur, jouait du piano. J'ai travaillé le piano tout jeune avec lui, et ensuite avec des professeurs, et à l'âge de 14 ans, j'ai eu mon premier accordéon. J'ai joué de l'accordéon, j'ai été, après la guerre, professeur d'accordéon. J'ai fait mes études en Allemagne et j'ai été professeur d'accordéon à l'académie d'accordéon Oscar Diebolt à Strasbourg avec Mario Hirlé l'accompagnateur de Germain Muller.

C'était une grande école, à l'époque, nous avions 360 élèves, nous étions 5 professeurs. Parallèlement, j'ai monté mon premier orchestre donc après la guerre en 1946-7 et j'ai joué à Strasbourg, à L'Aubette, à la Maison Rouge, là où il y a la FNAC aujourd'hui. C'était un hôtel de grand prestige, à l'époque, Churchill y descendait pendant le conseil de l'Europe.

Un jour, m'estimant trop jeune à 22 ans pour ne faire qu'enseigner la musique à des jeunes, j'ai monté mon orchestre et je suis parti en tournée définitivement. Et j'ai voyagé en France, en Afrique du nord, un peu partout, et je me suis trouvé en 49-50 à Bordeaux. Là, j'ai été approché par l'armée américaine pour travailler pour eux, pour jouer dans tous les clubs d'officiers américains. Il y avait les headquarters là-bas et puis tous les clubs partout en Europe et à partir de ce moment, j'ai donc fréquenté le jazz.

Je jouais du swing à l'accordéon mais, à l'époque, tout le monde était friand de jazz. On jouait encore aussi la danse, on jouait du bandonéon. Je jouais des tangos au bandonéon, la musique à l'accordéon et puis le jazz dans le swing à l'accordéon. J'ai eu mon premier vibraphone en 1948. En 50, j'ai tout laissé tomber pour aller à Paris, pour m'installer à Paris.

J'ai eu la chance de connaître Django Reinhardt en 1952 juste avant sa mort en 53. A sa mort, j'ai joué avec Stéphane Grappelli. J'ai donc fait mes débuts à Paris, ensuite j'ai eu l'occasion de monter " Le chat qui pêche " qui est devenu, à l'époque, un des meilleurs clubs de la capitale. J''y suis resté pas mal de temps tout en partant en tournée avec des musiciens américains. J'ai passé 20 ans à Paris où j'avais mon pied à terre mais en partant régulièrement en tournée avec des musiciens américains. Par exemple, Quincy Jones, le grand orchestre de Quincy Jones dont j'ai fait partie pendant deux ans, Sarah Vaughan

Un jour, je me suis rendu compte que pour aller jouer à Bâle ou à Amsterdam ou à Stuttgart, il n'était plus nécessaire ou indispensable de venir de Paris. Autrefois, on venait de Paris et on était quelqu'un - ou on ne venait pas de Paris et on n'était rien. C'était ça à l'époque, c'est pour ça que tous les chemins passaient par Paris. Un jour dans les années 70, ça s'est estompé. Il y a eu les maisons de la culture qui ont été ouvertes en province. La plupart des musiciens sont rentrés chez eux.

Vous savez, à Paris, vous pouvez mettre autant d'argent que vous voulez sur la table. Jamais vous n'ouvrirez les volets en voyant des sapins. Chez moi, à Munster, j'ouvre les volets et je vois des sapins. Il y a ma rivière à truites qui n'est pas loin. Je peux aller pêcher à la mouche quand le jazz m'en laisse le temps, ce qui n'est pas le cas en ce moment avec le festival, mais ça viendra ! Voilà ! C'est un petit aperçu de mon " Ridiculum Vitae " comme disait Martial Solal

Pour un petit aperçu, c'est impressionnant ! Vous avez répondu à peu près à six questions que je voulais vous poser ! C'est formidable !
Ah bon, alors on va s'arrêter, on va aller prendre un verre !

Oui, on va prendre un verre, c'est terminé (rires). Est-ce que vous pourriez revenir sur l'ambiance des clubs parisiens de cette fin des années 40 puisque vous disiez vous-même tout à l'heure, quand vous parliez de Moustache, qu'il y avait quand même une certaine rivalité ?
Ah oui, mais c'est-à-dire que… oui… mais c'était de bonne guerre…! A l'époque il y avait donc le jazz Nouvelle Orléans qui était cornaqué par… le fameux pape du jazz Nouvelle Orléans de Montauban (son nom m'échappe, il me reviendra)…

Alors à l'époque pour eux, c'était l'autre club de France, il n'y avait que le jazz Nouvelle Orléans swing jusqu'à Count Basie et après le jazz s'arrêtait. Mais ensuite sont arrivés Boris Vian et Delaunay et eux alors optaient déjà pour Charlie Parker, Dizzy Gillespie. Pour le nouveau jazz, pour le be-bop et alors les anciens nous appelaient " les raisins aigres " et nous les appelions " les figues moisies " ! Alors il y avait, à l'époque, la fameuse guerre, ça a duré longtemps !

On était capable de prendre un verre ensemble mais enfin, on faisait partie d'un autre bord. Tout en étant conscient de jouer du jazz. Et tout ça s'est estompé à la longue. Maintenant, quand on se voit, on se rencontre avec les anciens, Saury, Laferriere et tout, on en rigole de ça ! Mais à l'époque, il y avait des clans, deux clans, le jazz be-bop dont j'ai fait partie, et puis le jazz traditionnel, disons. En fait le jazz est un art et le jazz évolue toujours, le jazz avance tout lentement mais il avance.

Je voulais parler d'une rencontre frappante puisque vous êtes vibraphoniste : vous avez eu l'occasion de rencontrer, en 1954, monsieur Milt Jackson qui est quand même le pape de cette discipline, comment s'est faite la rencontre ?
J'ai rencontré Milt Jackson… Ca s'est fait d'une façon très bizarre.
J'habitais l'hôtel du Grand Balcon, au quartier latin, rue Dauphine, où n'habitaient que des musiciens de jazz connus. J'ai du reste mis, après mon arrivée à Paris, plus d'un an pour avoir droit à une chambre là-bas.

La première fois que je suis venu demander une chambre, on a sonné les anciens pour les appeler, " vous connaissez monsieur ? ", " non ", évidemment je venais d'arriver, " eh bien monsieur, vous ne pouvez pas avoir de chambre chez nous ".

Alors, je suis allé en face à La Louisiane, ce n'était pas triste non plus. il y avait à l'époque des musiciens comme Bud Powell qui y habitaient. Mais enfin un jour, après mon premier disque, j'ai pu entrer au Grand Balcon et j'y suis resté pendant 6-7-8 ans. Il y avait là-bas des musiciens fantastiques : Sadi Lallemand, Kenny Clarke qui était mon voisin de chambre (le plus grand batteur de be-bop que l'on n'ait jamais connu), il y avait Bill Coleman, Albert Nicolas. Il y avait des grands musiciens qui habitaient là, c'était fantastique…

Un soir on me réveille, c'était Nat Peck, le trombone, il me dit " écoute, descend vite, je veux te présenter quelqu'un ". Je descend, je vois un gars en manteau de cuir gris comme les motards avec un béret enfoncé sur la tête et il me dit " voilà Milt Jackson " Ah, j'ai cru que j'allais tomber !… Milt Jackson !… C'était mon idole. J'écoutais ses disques " Anthropology " et autres depuis 1949... Nous sommes devenus amis.

J'ai ensuite eu la chance de jouer avec eux en 58. Au festival de Cannes au Palais des festival de Cannes avec le Modern Jazz Quartet et le Jazz Groupe de Paris, avec deux vibraphones, deux basses, deux batteurs, deux bassistes et puis des souffleurs derrière. Un disque que nous avons fait pour je ne sais plus quelle marque aux Etats-Unis. John Louis dirigeait ça.

Nous sommes restés amis pendant 40 ans. Si, à l'époque, on m'avait dit qu'un jour, j'arriverais à le faire venir à Munster... J'aurais pensé que c'était le plus gros gag qui pouvait m'arriver. Mais c'est arrivé, vous voyez ! C'est arrivé 40 ans plus tard. Il est venu à Munster, il a fait un de ces (malheureusement) derniers concerts, il est mort peu de temps après. C'était fantastique parce que, pour moi, c'est non seulement le plus grand vibraphoniste, c'est un des plus grand musiciens que le jazz ait connu.

Autre chose est important dans votre existence, vous avez toujours été très actif, et pas seulement en tant que musicien. Par exemple en 1967, vous vous êtes impliqué dans la branche syndicale des musiciens de jazz et de variété française en tant que président, c'est aussi une autre facette de vos multiples talents.
Oui, c'est une chose que nous avons estimée nécessaire parce qu'à l'époque. Il y avait les fameuses grèves et puis mai 68 aussi. Nous avons participé à tout ça à l'époque. Pas pour faire plaisir aux étudiants, mais parce que notre propre métier nécessitait plus qu'un toilettage.

Vis-à-vis des producteurs aussi pour clarifier la situation, les tarifs pour les enregistrements et tout ça. Il y eu beaucoup d'abus qui, après cette période, se sont arrangés, ont été amenuisés, voilà.

Et vous avez toujours cet amour de l'enseignement puisque vous avez également créé une académie d'accordéon…
Lorsque je suis revenu en 70, j'ai appelé ça tout d'abord " Institut Musical ". En pensant pouvoir enseigner le vibraphone, le piano jazz et beaucoup d'autres disciplines - finalement, j'ai été submergé par l'accordéon. Mon ancien métier, que j'ai repris avec plaisir. J'avais une grande école d'accordéon dans tout le Haut-Rhin, pendant au moins une vingtaine d'années.

Parallèlement j'ai évidemment continué de jouer du jazz. Je pensais rentrer en Alsace et monter aussi un grand orchestre pour la radio. Je ne me suis pas rendu compte que les conditions n'étaient pas les mêmes qu'à Paris. D'abord les conditions de travail, trouver du travail, et que la radio n'avait pas un orchestre attitré... Par exemple en Allemagne, toutes les grandes villes avaient leur orchestre, l'orchestre de la radio. Ce n'était pas le cas à Strasbourg.

Alors j'ai joué parallèlement du jazz. Finalement, je me suis rendu compte, lorsque le festival a débuté, que je pouvais prendre ma retraite en tant qu'enseignant. Jj'ai donc recommencé à jouer du jazz à temps plein. Ce qui est curieux c'est que j'ai joué pendant 20 ans à Paris. Je n'y ai plus joué pendant 20 ans, et quand en 89 les Arvanitas, Lafitte et autres sont arrivés pour le festival, ils ont dit " mais c'est pas vrai, tu joues toujours comme autrefois, tape là-dedans, on te fait venir à Paris ! ".

Alors, le vin blanc aidant, moi j'ai tapé là-dedans et deux ou trois mois après je me suis trouvé au Bilboquet, l'ancien Club Saint-Germain comme avant. Alors pour rire, j'ai dit " j'ai joué 20 ans à Paris, je n'y ai plus joué pendant 20 ans et je vais y revenir régulièrement pendant 20 ans ". Eh bien écoutez, c'était en 1989, encore deux ans et ce sera vrai ! J'estime que c'est une grâce, disons les choses comme elles sont, une grâce que m'a accordée le bon dieu de pouvoir encore être sur pied et de jouer, voilà. Il faut en être reconnaissant, ça ne durera pas toujours, mais enfin, aussi longtemps qu'on peut, il faut le faire le mieux possible.

Je tenais également à dire que vous êtes un compositeur prolifique, plus de 200 œuvres sont déposées à la SACEM dont quelques musiques de films.
Oui, à l'époque j'écrivais des musiques à Paris, musiques de films et autres, musiques de grand orchestre aussi et je n'ai pratiquement jamais arrêté d'écrire et de composer de la musique ce qui est intéressant pour mon trio aussi. Avec mon trio, par exemple, nous répétons chaque semaine depuis 20 ans. Je ne sais pas si vous vous rendez compte. Alors on ne peut pas toujours jouer le même répertoire, il faut toujours avoir un répertoire qui se renouvelle et c'est pour ça que je continue d'écrire de la musique.

Remerciements : A Michel Hausser pour son dynamisme (et pour les pâtisseries !) et à Joël pour sa présence technique et " jazzistique " dans l'émission.

 

 
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Interview réalisée dans
le Studio de RDL Colmar
- le 2 mai 2007

Propos recueillis
par David BAERST

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