Michel Gaucher
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Michel, pour commencer, j’aimerais te demander si ta passion du saxophone est antérieure à ta découverte des musiques américaines ?
Pas vraiment, d’ailleurs si j’ai intégré Les Chaussettes Noires, qui était un groupe de rock, j’étais déjà un passionné de jazz depuis mon enfance.
Je pense que si je n’avais pas connu les Chaussettes Noires, je serais peut-être devenu un musicien de jazz. On peut dire que j’en suis un sans avoir la prétention de l’être ! J’en ai la culture, les racines mais pas la pratique à proprement parler. Donc je laisse cela à ceux qui le font vraiment très bien et qui sacrifient vraiment leur vie pour cela…
 
Etant originaire de Paris, as-tu eu l’occasion de fréquenter les Clubs de jazz de la capitale durant ta jeunesse ?
Cela a commencé, en tant que client, alors que j’étais très jeune…
Je me faisais emmener par ma sœur qui était plus âgée que moi. Je fréquentais alors le « Blue Note », « Le Club Saint-Germain » où j’ai vu des « trucs » superbes…
J’allais aussi à tous les concerts de jazz de l’Olympia puisque j’habitais juste à côté de cette salle mythique. Ces shows se déroulaient à minuit et j’y ai vu tous les plus grands. Parmi eux, je me souviens même de James Brown (dans un registre plus rhythm & blues) qui, lui aussi, était passé à minuit après le concert « normal » qui finissait à 23 heures. C’était super, quelle belle époque…

Peux-tu me parler de ton apprentissage musical ?
Je suis un autodidacte dans toute sa splendeur !
Je crois que j’ai commencé à lire la musique 10 ans après avoir débuté ma carrière professionnelle. C’était une époque bénie, de nos jours ce serait impensable…

Pourquoi t’es-tu spécifiquement orienté vers cet instrument et quels étaient tes saxophonistes de référence à l’époque ?
J’adorais Stan Getz, Benny Golson qui avait eu l’occasion d’accompagner Art Blakey and The Jazz Messengers etc…
Il y en a tellement, c’est un instrument que l’on retrouve dans tant de musiques différentes les unes des autres.

Ton premier groupe a été Glenn Jack et ses Glenners, au sein duquel officiait aussi Babik Reinhardt (fils de Django Reinhardt, nda)…
Tiens, tu es au courant de ça (rires) !
Tu sais, avec Babik Reinhardt, on s’était rencontré à Pigalle… nous avions environ le même âge. Nous avons monté un groupe de twist à l’initiative d’un chanteur qui le souhaitait (Michel fait probablement référence à Glenn Jack, nda). J’ai eu la chance de le connaître mais, malheureusement, nos routes ne se sont plus croisées à partir du moment où il s’est lancé dans une carrière de jazzman.
Je le regrette car je l’appréciais beaucoup, maintenant il n’est plus là (Babik est décédé en novembre 2001 à l’âge de 57, nda)…

Avant d’intégrer Les Chaussettes Noires, est-ce que tu avais déjà eu l’occasion de jouer avec d’autres groupes de rock’n’roll français… je crois, par exemple, qu’il y a eu une petite expérience avec Les Champions ?
Oui, effectivement, j’ai un peu joué avec Les Champions ainsi qu’avec Gerry Beckles & Les Toppers qui était un des très bons groupes de l’époque.
Ce dernier, plus en « marge », était pourvu de deux saxophonistes et était plus orienté rhythm & blues. Le batteur, anglais comme d’autres membres de ce combo, était vraiment excellent… Je conserve de très bons souvenirs de cette collaboration…

De quelle manière as-tu intégré Les Chaussettes Noires et comment s’est effectué le remplacement de Mick Picard qui en était, jusqu’alors, le saxophoniste ?
Je devais avoir 16 ans et j’étais trop jeune pour partir à l’armée. Par contre, toutes les « Chaussettes » étaient militaires. A l’occasion d’un Musicorama à l’Olympia tous ont eu une permission afin de donner ce concert exceptionnel, sauf le saxophoniste.
Si, aujourd’hui, il y a un nombre considérable de jeunes et bons musiciens… ce n’était pas le cas à l’époque. Pour tout avouer, je n’étais pas très bon mais j’étais jeune, ce qui collait bien pour le groupe (rires). C’est Aldo Martinez (le bassiste des Chaussettes Noires), qui me connaissait un peu, qui m’a contacté et cela s’est fait…
Mick Picard est resté en Algérie, donc je l’ai remplacé pour le peu de temps qu’il restait de l’existence des Chaussettes Noires. Lorsque Eddy les a quittés, il m’a demandé de rester à ses côtés puisque nous nous entendions assez bien. Je l’ai aidé à former son premier groupe sous son propre nom…

As-tu accompagné Eddy lors des concerts effectués pour les militaires français basés en Algérie ?
Oui absolument, j’y étais…

A cette occasion, y as-tu rencontré Mick Picard et avez-vous joué ensemble ?
Bien sûr, nous avons fait un concert ou deux ensemble car il était sur place…

Que penses-tu avoir apporté au groupe, musicalement, toi qui avais une culture jazz ?
Rien du tout (rires) !
C’est plutôt eux qui m’ont apporté une culture rock’n’roll !
A l’époque je ne connaissais que deux ou trois artistes dans ce registre, Bill Haley par exemple…
Quand j’étais enfant, nous n’avions pas beaucoup de pognon pour acheter des disques, donc j’en avais très peu. Les rares qui se trouvaient à la maison étaient déposés par ma sœur qui travaillait dans une maison de disques. Ce n’était pas forcément des choses que j’aimais mais ça m’a mis sur le chemin du jazz !

Au départ d’Eddy Mitchell, as-tu continué à accompagner Les Chaussettes Noires ?
Je suis parti avec lui…
Nous avons monté un premier groupe puis je l’ai accompagné jusqu’en 1973.
C’est à cette période que sa carrière a connu un déclin.
N’ayant presque joué qu’avec lui, on peut dire que je ne savais pas faire grand-chose d’autre…
Nous nous sommes donc perdus de vue pendant quelques années…
Entre temps j’ai accompagné d’autres chanteurs français comme Gilbert Bécaud ou Michel Delpech...
Au début des années 1980, j’ai enregistré un album sous mon propre nom pour la firme Atlantic (album « Tequila ! », nda).
Eddy a dû tomber sur les bandes, dans un studio dans lequel il enregistrait, et a vu mon nom dessus. Il m’a appelé, très gentiment, en me disant « tu viens d’enregistrer un disque, c’est super, je vais t’écrire une préface ». C’est de cette manière que nous nous sommes revus…
Lors de nos retrouvailles il m’a dit qu’il allait sortir un titre appelé « Couleur menthe à l’eau » à la rentrée. Par la même occasion il m’a demandé de lui mettre en place une section de cuivres. Depuis cette époque, nous ne nous sommes plus quittés. J’ai cependant continué à jouer pour d’autres artistes comme Johnny, Aznavour, Cabrel, Jonasz etc…
A chaque fois qu’Eddy faisait un truc, c’est toujours bien tombé. Je pouvais me libérer et être avec lui…

Je profite de l’occasion, puisque tu as parlé de ton disque en solo. Quelle en était la couleur musicale ?
Il n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire de la musique (rires) !
Avec mon label, nous avions pris modèle sur le saxophoniste américain King Curtis. Il reprenait tous les hits de l’époque avec son sax ténor… L’idée a été d’appliquer sa recette pour la France.
Nous avons donc enregistré cet album, c’était pas mal. Mais bon… disons qu’on l’a fait !

Quels étaient les autres musiciens présents sur ce 33 tours ?
C’était un enregistrement réalisé avec de nombreux musiciens de studio réputés à l’époque. Ces pointures faisaient jusqu’à 3 ou 4 sessions différentes par jour…
Les gens les connaissent peut-être un peu moins actuellement…
Le batteur était Pierre-Alain Dahan, il y avait aussi Sauveur Mallia (basse), Slim Pezin (guitare), une bonne partie des cuivres qui sont ici ce soir avec Eddy (Kako Bessot etc…)…

Ce disque avait été enregistré pour le label Atlantic. Par qui avais-tu été signé ? Ahmet Ertegun, qui appréciait beaucoup la France, était-il dans le coup ?
J’avais été signé par un Directeur Artistique qui se nomme Jean Mareska…
Je n’ai fait qu’une seule télé pour la promotion (un morceau en duo avec chanteuse américaine), ceci par l’entremise d’Eddy. C’était dans une émission de Gilbert et Maritie Carpentier. La vidéo de ce show télévisé circule toujours sur le net…
D’un point de vue commercial, ça n’a rien donné d’intéressant…

Comment expliques-tu cette « longévité artistique » aux côtés d’Eddy. Cela fait presque 50 ans que vous travaillez ensemble, ce doit être un record dans le métier…
Je n’en ai parlé à personne mais il est vrai que ça aurait fait 50 ans l’an prochain…

Qu’est-ce qui te touche le plus chez lui, vos affinités doivent être aussi bien personnelles que professionnelles …
Nous avons une relation extrêmement saine. Je suis là pour mes qualités de musicien (saxophoniste, arrangeur voire compositeur) mais, derrière cela, il y a une réelle amitié. Nous ne nous voyons pas tous les jours et ne sortons pas tous les soirs ensemble mais je pense que nous pouvons réellement parler d’amitié. Je ne suis pas sur scène à ses côtés en tant que « vieux copain » mais pour mes compétences et, en plus, on a cette relation vraiment sympa. Eddy fonctionne toujours au 5ème degré, il a un humour dévastateur et il est très fidèle en amitié… avec tous les musiciens en général !
Il a une culture musicale intéressante, quant à la culture cinématographique on en parle même pas ! C’est, à lui seul, une encyclopédie dans ce domaine ! Cet amour du 7ème art lui confère le respect de nombreuses personnalités du monde du ciné (acteurs, metteurs en scène etc…). En plus il tourne, il a vraiment une palette complète…

Lorsque tu composes pour lui des titres pour les albums, des intros de concerts ou même la musique de la pièce de théâtre « Le Temps des Cerises » dans laquelle il jouait, sur quelles bases pars-tu pour travailler ?
Pour les indicatifs de scène, je pense à des trucs qui « pètent ». Qui donnent envie et qui soient de vrais « apéritifs » pour les concerts. Il faut qu’ils donnent une idée de ce qui va suivre.
La tournée actuelle est un peu spéciale car il y a aussi un indicatif de fin, qui est le même que celui du début, avec des cuivres en plus. Pour la pièce de théâtre, j’ai essayé de faire quelque chose qui ait un peu de sensibilité. Idem pour les musiques de films. Dans ces cas de figure on ne se réfère pas à Eddy Mitchell mais à ce qui se passe sur l’écran…

Tu as évoqué quelques-unes de tes prestigieuses collaborations mais tu a omis de parler de Ray Charles. Comment s’est passé le travail à ses côtés ?
Ce n’est évidemment pas Ray Charles qui m’a appelé pour cette collaboration.
En fait, je suis copain avec Jean-Pierre Gross qui a été son producteur et ami pendant des années. C’est un type formidable…
Un jour (alors que j’avais déjà eu l’occasion d’accompagner Ray Charles au sein d’un Big Band au Festival de Jazz de Marciac), il m’appelle pour me proposer une tournée d’été dans une formule quintet (2 musiciens français et 3 américains) avec des répétitions se déroulant à Los Angeles.
C’était au mois de mai et je ne pouvais pas refuser une telle opportunité. Je me suis dit que jusqu’au mois de juillet j’aurais assez de temps pour être en forme. 24 heures plus tard, Jean-Pierre me contacte à nouveau pour me demander ce que je fais à l’instant T. Après lui avoir répondu que j’étais disponible, il m’a proposé d’accompagner Ray Charles dès le lendemain. Je lui ai alors demandé « mais on joue quoi ? », il m’a répondu « Je ne sais pas, la liste change tous les jours… ».
Du coup, avec mon ami le pianiste (et compositeur) Jean-Michel Bernard, on s’est retrouvé à Rome. Ray Charles est arrivé à 20h00 et nous a donné la liste des morceaux sans que nous ayons la possibilité de répéter auparavant. Heureusement, il n’y avait que des chansons que je jouais depuis que j’étais gosse (« What’d I say », « Hallelujah I love her so », « I got a woman » etc…). Tout s’est bien passé et, du coup, nous avons fait la tournée d’été européenne dans cette formule.
A cette occasion nous avons traversé la Scandinavie, l’Angleterre etc…
Ce sont des souvenirs formidables et une aventure qui aurait pu durer plus longtemps si Ray n’était pas mort un an plus tard…

Ray Charles était, on a tendance à l’oublier, un excellent saxophoniste. As-tu eu l’occasion d’échanger avec lui sur le sujet ?
Non car nous nous croisions peu. Quand le concert débutait à 20h30, il arrivait directement tout habillé, prêt à monter sur scène. Au dernier moment, il donnait la liste des titres au batteur (qui était le chef d’orchestre)…
De ce fait, nous avions très peu de temps afin de discuter ensemble et ça se limitait à des « Hey man etc… ».
Ceci dit, il était sympa. D’autant plus que Jean-Bernard et moi étions des amis de son producteur . Nous avions de la chance car j’avais constaté qu’il était souvent plus distant avec ses musiciens américains lorsque je l’avais accompagné au sein de son Big Band.
Nous avions, quant à nous, un pot terrible de faire une tournée où nous n’étions que 5 musiciens. Sur scène il était à un mètre cinquante de moi. C’était vraiment terrible, je ne suis pas près d’oublier (rires) !

Une nouvelle fois, sur cette ultime tournée d’Eddy, tu joues avec un Big Band. Est-ce une approche différente, pour un saxophoniste, de se retrouver au milieu d’un tel ensemble ?

Je suis libre car je fais de nombreux solos mais, en plus, j’ai écrit toutes les orchestrations.
Nous avons répété 8 jours avec la rythmique, enregistré le résultat en juin 2010 puis j’ai écrit toutes les orchestrations (sauf deux) à partir de ces bandes. C’est un travail très intéressant car le résultat donne une puissance terrible. D’autant plus qu’on a une équipe de choc, c’est un véritable « porte-avions »…
Je suis un arrangeur autodidacte, donc je ne dois pas travailler dans « les règles de l’art » mais ce qui compte c’est le résultat !

Eddy, lui-même, est un grand amateur de Big Bands. Quelles étaient, pour ce show, ses directives en la matière. Souhaitait-il un grand orchestre « classique » à la Count Basie ou à la Duke Ellington ou un ensemble très remuant, à la Brian Setzer Orchestra ?
Il y a des morceaux rock’n’roll sur lesquels on ne peut pas modifier grand-chose. Il faut que ce soit puissant. Il y a des choses que nous pourrions faire à 5 cuivres mais que j’ai adaptées, comme nous sommes douze. D’autres morceaux sont vraiment « jazzy » (« le blues du blanc », « Vieille canaille », « Avril à Paris » …) donc il faut rester dans cette ambiance.
Si Eddy adore le rock’n’roll, il ne faut pas oublier qu’il apprécie des artistes très différents comme Frank Sinatra et les grands crooners américains. C’est un adepte des orchestrations luxuriantes.
Il adore la rythmique et l’orchestre de cuivres sur cette tournée. Du coup il est très à l’aise. C’est dommage qu’il s’arrête car je ne l’ai jamais vu dans une telle forme…

Le fait de ne plus pouvoir l’accompagner sur scène est-il une chose qui te touche particulièrement ?
Oui mais nous allons nous revoir. Il va continuer à faire des disques…
Il faut tout de même avouer que c’est une page qui se tourne. Je pense que ça va lui faire quelque chose… même s’il ne va pas le montrer.

Es-tu toujours programmateur du Melody Blues, ce Club à bord d’une péniche sur la Seine ?
Malheureusement, cet endroit n’existe plus en tant que Club… J’y programmais des groupes depuis une dizaine d’années mais, depuis 3 mois, cela ne se fait plus…

Quels sont tes projets personnels après cette tournée avec Eddy Mitchell ?
Je dois faire une musique de film à la rentrée. Par contre je préfère ne pas en parler de peur que cela me porte la poisse (rires) !
Je n’ai que des projets immédiats car, comme tu le sais, les musiciens n’ont pas de projets sur le long terme. De plus je suis un saxophoniste qui a davantage sa carrière derrière lui que devant. Tout cela est normal, place aux jeunes !

Justement, dans la jeune génération de saxophonistes, quels sont ceux qui te touchent le plus ?
Chez les français il y a Stéphane Guillaume, Pierrick Pedron …
Je ne peux pas tous les citer, ils sont vraiment nombreux.
La scène internationale est vraiment riche, il faudrait que je t’envoie une liste tant il y en a !

Y a-t-il une anecdote particulière qui t’aurait marqué durant cette série de concerts étalés sur près d’un an ?
Non, pas spécialement…
Je n’ai pas d’anecdote particulière…
J’ai le sentiment d’une espèce de qualité linéaire tout au long de l’année. Ceci à tous les niveaux, surtout sur le plan humain avec l’équipe technique, les musiciens et bien sûr avec Eddy. Il sont tous adorables… C’est un sentiment global très positif !

As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien, ai-je oublié de parler de quelque chose qui te tiendrait à cœur  ?
Non, sinon que cette discussion a permis de mettre un coup de projecteur sur l’ensemble de ma carrière. C’est vraiment bien, merci…

Remerciements : Jean-Yves Dahyot et Michel Gaucher pour sa disponibilité, son humilité et sa gentillesse.

 

 
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Interview réalisée
au Festival de la Foire aux Vins
le 14 août 2011

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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