Mighty Mo Rodgers
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

D'où venez-vous et quelle a été votre première sensation musicale ?
Très franchement, je viens du Middle West, près de Chicago. J'ai connu ma première émotion musicale à sept ans, quand j'ai entendu du gospel et du blues, ainsi que de la musique classique.

Quand avez-vous commencé à travailler professionnellement dans la musique ?
J'étais encore un gosse de 19 ans quand j'ai joué dans les clubs.

Par la suite, vous avez produit Sonny Terry et Brownie Mc Ghee. Quels sont vos souvenirs ?
Cela fait un paquet d'années ! Sonny Terry faisait figure de héros pour moi. Lorsque j'ai produit certains de ces albums, il m'a reconverti au blues. Jusque là, comme producteur à Hollywood, je m'était détourné du blues. Je jouais du rythm'n blues, du rock'n roll entre autres choses. Sonny Terry m'a rappelé que le blues est à l'origine de toutes les musiques. J'ai eu cet honneur incroyable de travailler en sa compagnie. Grâce à lui, j'en suis venu à aimer le blues.

Comment se passait l'écriture des titres de la firme Motown ?
Quand je travaillais pour Motown, ils m'ont appris avec quel professionnalisme l'écriture de chansons doit se faire. Il faut savoir que Motown était une usine à musique. La compétition était rude. Benny Gordy était un entrepreneur brillant qui m'a enseigné l'art de la chanson. A Motown, j'ai appris à composer de bonnes chansons.

Pourquoi avoir arrêté la musique dans les années 70 ?
En fait, je me suis arrêté dans les années 80 à la naissance de mes fils, quand le disco a fait irruption. Je n'apprécie pas trop la musique disco.

Comment expliquez-vous le succès de votre avant-dernier album en France ?
Je dois ce succès à ma muse : le Blues. Pour moi, le blues est vivant. Le blues tire directement son pouvoir de l'esclavage. j'insiste sur le fait que le blues provient de l'esclavage. Depuis ces temps difficiles, Dieu a donné sa puissance au blues : telle est ma philosophie. Le blues nous a été confié par Dieu pour nous rappeler que personne ne doit jamais devenir la propriété de quelqu'un d'autre. C'est pour cette raison que cette petite musique s'est répandue des états du Sud au monde entier. J'appartiens à ce mouvement et c'est de cela que je veux vous convaincre.

Où puisez-vous vos influences pour les nouveaux albums ?
Le blues n'a pas disparu avec la mort de Robert Johnson, pas plus qu'à celle de Muddy Waters. Il vit encore aujourd'hui. D'une certaine manière, le hip-hop est une variante du blues. Mon inspiration vient de partout dans le monde. Des événements politiques : attention à Bush ! Fils de Bush qui veux nous … De toutes ces idées bizarres, je veux faire une chanson. Cet homme voudrait faire sauter le monde ! J'ai le devoir d'écrire à ce sujet.
Trois choses sont déterminées dans la vie : la mort, les impôts et le blues ! Tout le monde sait ce que c'est d'avoir le blues. Les blancs, les noirs, les rouges, les jaunes et les bruns … Pourquoi avons-nous le blues ? Parce que nous allons tous mourir ! Comme le disait Saint Augustin, la vie est un paradoxe et une tragédie en même temps. Le blues exprime toutes ces choses. Je n'ai qu'à regarder autour de moi pour trouver l'inspiration. Regardez ce qui nous arrive ! Le monde est prêt à exploser : c'est le blues ! Vous tombez amoureux : le blues est là ! Vous manquez d'argent : vous avez le blues !

On trouve dans votre dernier album un très bel hommage à John Lee Hooker. Que représentait-il pour vous et l'aviez-vous connu ?
J'ai rencontré John Lee Hooker et nous avons joué ensemble dans son club de San Francisco : le " Boom Boom Room ". Mon manager était aussi le sien pendant la période qui a précédé sa mort. John Lee Hooker représente pour moi " l'africain du blues ". A travers mon hommage, j'ai essayé d'exprimer que le blues est la réponse afro-américaine à ce que les esclaves ont vécu quand ils se sentaient perdus dans la diaspora. L'apparition du blues corresponds à leur désir de liberté. John Lee Hooker représente tout cela, même s'il n'a jamais été en Afrique. Néanmoins, sa musique est profondément africaine. Sans lui, il n'y aurait ni ZZ Top, ni Canned Heat, ni rock'n roll. Pour moi, c'est un héros.

Pouvez-vous nous parler de votre dernier album ?
Il doit sortir la semaine prochaine et s'intitule " Red, White and Blues ". La couverture me représente en bébé tenant un drapeau (américain NDLR). Cette photo a été prise dans les années 40 dans le Sud des Etats-Unis, avant que le mouvement pour les Droits Civiques du Dr King ne débute. Les noirs comme mon père et ma mère n'avaient que peu de droits.
Cela démontre que les Noirs d'Amérique ont toujours souhaités être américains. D'une certaine manière, nous le sommes devenus. Un peintre déconstructioniste français, Deveda, avait divisé le drapeau américain en trois parties et le bleu ressortait. C'est pour cela que nous sommes le peuple du blues. Nous sommes entrés aux Etats-Unis par la porte de derrière. Le blues est devenu partie intégrante de l'Amérique d'aujourd'hui.
Ce que je veux exprimer dans mon dernier album, c'est que tout le monde a été coloré par le blues. Tel est le pouvoir du blues. " Red, White and Blues " signifie à quel point cette musique est puissante. Autant que le Big Bang ! Voilà ce dont je parle dans mon nouvel album. Une de mes chansons s'intitule : " Happy as a runaway slave " où je chante que chacun est enchaîné à quelque chose. Votre travail, votre portefeuille, votre santé, votre corps : nous avons tous une attache que nous tentons de briser. C'est pourquoi tous apprécient la musique et le blues, car nous ressentons tous la même chose. L'univers de la musique est exhaustif, anti-logique et réel, car tout vient du cœur. Savoir parler anglais n'est pas obligatoire pour connaître le blues. Le blues n'a rien à voir avec la langue. Le blues se base sur les émotions, sur les lamentations de tout-un-chacun. Le blues, c'est la vie ! Peu importe qui vous êtes, un jour arrivera où vous ressentirez ce qu'est le blues. Cette musique nous interpelle parce qu'elle vient d'un peuple qui a tout perdu. Nous avons perdu notre langage, notre culture et notre couleur (…) Nous avons perdu nos dieux mais Dieu nous a donné le blues.
Le blues vient de Dieu. Il n'y a pas à s'y tromper. Le blues vient de Dieu. Voilà pourquoi nous y sommes tous sensibles. C'est inscrit dans notre ADN. J'essaye de parler de cela dans mon album. Il a explosé en Europe et en France comme vous en avez entendu parler.
C'est la première fois que je me produit moi-même parce que personne en Amérique ne pouvait me comprendre (…). Les européens l'ont eu entre les mains avant les américains ! Eux l'ont compris. Le blues est un langage universel mais il est mieux admis ici. Les gens ont perçus ma sincérité et mon honnêteté et ils y ont répondu. Je suis donc flatté et honoré d'avoir sorti mon album d'abord en Europe.

Seriez-vous prêt à collaborer avec d'autres musiciens français comme vous l'avez fait avec Jean-Jacques Milteau ?
J'aimerais beaucoup. Je dois travailler sur un album en France avec pour moitié des musiciens français et des américains. L'album doit s'intituler " Continental Blues ", dans lequel j'évoquerais ce que j'ai vu et senti. J'espère pouvoir enregistrer ce quatrième album en France. J'aimerais collaborer avec ce fameux guitariste gypsy qui joue comme Django Reinhart, mais aussi avec Jean-Jacques Milteau pour qu'il joue sur un de mes albums comme j'ai joué sur le sien. Il y a également ce grand organiste, Milou, avec qui je veux jouer (…). J'aimerais faire participer une section de cuivres, puis un guitariste et un batteur américain. Je m'occuperais uniquement du chant. Je souhaite pouvoir m'y investir à fonds. On trouve des musiciens fantastiques en France, qui connaissent la musique et savent bien jouer le blues.

Quel sera le futur du blues ?
Pour moi, le blues ne doit surtout pas devenir un stéréotype. Il ne faut pas qu'il se fige dans le temps comme le jazz " dixieland " où tout est prévisible. Je veux secouer le blues, quitte à être controversé. Le blues est aussi révolutionnaire qu'à pu l'être le hip-hop. Depuis, c'est devenu sans surprises. Je voudrais tout balancer pour que les gens et spécialement les jeunes reviennent au blues. Pas uniquement les professionnels et le vieille génération. Les jeunes kids vont se tourner vers le blues quand ils verront qu'on peut être aussi novateur et révolutionnaire.
C'est devenu très difficile parce que les gens veulent s'asseoir dans des fauteuils confortables. J'en ai assez du blues consensuel. J'en ai marre d'entendre " Sweet Home Chicago ". Quand je suis parti de Chicago, il n'avait rien de tendre et on ne s'y sentait pas chez soi.

 
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Interview réalisée au Nancy Jazz Pulsations 2002

Propos recueillis par Jean-Luc & David BAERST

 

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