Mike Vernon
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Dans le milieu musical, le terme « légende » est souvent à prendre avec des pincettes, tant il peut être utilisé à mauvais escient.
En matière de production Mike Vernon mérite, plus que quiconque, ce qualificatif. Depuis ses débuts à l’aube des années 1960, pour le compte de la firme DECCA, on doit, en effet, à ce producteur la découverte de musiciens qui ont marqué à jamais de leurs empreintes l’histoire de la musique anglaise (des Bluesbreakers de John Mayall à Fleetwood Mac, en passant par Ten Years After et même par un certain David Bowie parmi tant d’autres).
Fondateur du label Blue Horizon, il a aussi enregistré le meilleur du blues américain et permis à des centaines d’artistes de signer des albums qui, aujourd’hui, sont des références du genre (Jimmy Witherspoon, Otis Spann, Champion Jack Dupree, Eddie Boyd etc.).
C’est durant la 7ème édition de l’European Blues Challenge, que j’ai eu l’occasion de passer (deux jours durant) des moments privilégiés à ses côtés. Une aventure humaine qui s’est, entre autres, soldée par l’enregistrement de cet entretien.
Avec une passion intacte, Mike Vernon y revient sur les six décennies d’une carrière qui l’a mené aux quatre coins du monde, au contact des plus grands.
Jamais lassé, il y évoque même son souhait de mener à bien sa passion du chant (avec son groupe The Mighty Combo) à travers des disques et des concerts.
Un ultime challenge qui clôturerait, de la plus belle des manières, un parcours exemplaire et complètement hors-norme…

Mike, te souviens-tu du premier frisson que tu as ressenti à l’écoute d’une musique ?
Alors que j’étais très jeune, mon père avait un ami qui était à l’armée avec lui durant la deuxième guerre mondiale. Ce dernier possédait une grande collection de 78 tours, parmi lesquels figuraient des enregistrements de The Mills Brothers, de The Ink Spots et de Louis Jordan & His Tympany Five. En famille, et notamment avec mon frère, nous allions régulièrement rendre visite à cette personne pour le lunch du dimanche…
Après le repas, ce monsieur passait des disques et, ainsi, Louis Jordan & His Tympany Five a représenté mon premier vrai « choc » musical. C’est comme cela que j’ai découvert ce qu’était la musique et ça m’a ouvert de nombreuses portes. J’ai, immédiatement, été séduit par le rythme qui se dégageait de ces vinyles. Je devais, alors, être âgé d’environ 8 ans…

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Comme de nombreux jeunes anglais de ta génération, as-tu été séduit par la mode du skiffle…qui a déferlé dans ton pays durant la deuxième partie des années 1950 ?
Oui et j’avoue ne pas vraiment me souvenir de ce qui se passait au début des années 1950, vers 1953-1954, avant que cette déferlante ne frappe la Grande-Bretagne.

A cette période, je ne possédais pas encore une culture musicale assez solide. Je me « noyais » un peu dans ces sons, sans encore connaitre les influences du skiffle. C'est-à-dire les racines musicales américaines puisque, dans le skiffle, on entendait des banjos et des violons directement inspirés par les jug bands américains et par les sons du Mississippi (et, plus particulièrement, de Memphis).
C’était, aussi, une photo d’un style musical propre à La Nouvelle-Orléans. C’est une image très vaste au cœur de laquelle beaucoup de jeunes d’aujourd’hui peuvent encore se reconnaitre. En effet, cette musique véhicule de nombreuses valeurs musicales qui sont, encore, d’actualité. Bon nombre d’histoires musicales découlent de ces sons qui ont inspiré tous les grands héros de la musique populaire…

De quelle manière as-tu, réellement, développé ta passion pour le blues ?
Je pense que cela s’est fait naturellement car, alors que je devais être âgé d’une dizaine d’année, au milieu des années 1950, le syndrome du rock’n’roll s’est déclenché et a commencé à se répandre à travers la planète. Les premiers artistes du genre, que nous avons découverts, étaient Bill Haley & His Comets et Elvis Presley.

Nous avions, alors, l’opportunité d’écouter AFN(American Forces Network), une station de radio qui émettait depuis les bases américaines situées en Allemagne durant le début des années 1950. Dans les forces militaires américaines, il y avait de nombreux soldats d’origine afro-américaine. Pour ces derniers, étaient diffusés des titres de Little Richard, Fats Domino et des morceaux de rhythm & blues issus des répertoires de Louis Jordan, Amos Milburn, Wynonie Harris, Chuck Berry etc.

A titre personnel, je me suis surtout mis à écouter Radio Luxembourgtous les jours…de manière intensive.Je me souviens, également, avoir été confronté accidentellement à une petite séquence sur Big Bill Broonzy qui était passée à la télévision. Puis, à l’école, des gens ont du me demander si j’avais entendu Sonny Terry & Brownie McGhee. Je me comportais, alors, comme une véritable éponge et j’écoutais tout ce qui me passait à portée d’oreilles. Cela a duré une douzaine de mois, avant que je ne sois armé d’un vrai bagage musical…

Te souviens-tu de ta première rencontre avec un musicien professionnel ?
Il n’est pas facile de répondre à cette question. Cela remonte, probablement, à la période durant laquelle j’ai commencé à fréquenter les clubs londoniens. Ce devait être au Marquee Club, qui se situait encore au 165, Oxford Street. Juste à côté, il y avait un café, le Benjy’s où se produisaient régulièrement des artistes de folk.

Je pense que les premiers que j’ai vus et qui ont eu une grande influence sur moi sont Chris Barberou Alexis Korner. Ils doivent se situer en bonne place dans mon Panthéon personnel et leur musique me permettait de me sentir bien. Si je n’avais jamais, vraiment, été attiré par le fait de jouer de la guitare, je me suis mis à m’intéresser à l’harmonica car c’est un instrument qui peut facilement être joué par quelqu’un qui a de petites mains. La guitare nécessite plutôt d’avoir de longs doigts. Je me suis, aussi, mis à chanter. Je possédais déjà une petite expérience en la matière, car j’étais membre d’une petite chorale à l’église.

Cette expérience m’a permis de savoir lire la musique et j’ai pu devenir un chanteur amateur au tout début de mon implication dans la musique. Mon amour pour cet art m’a poussé à me lancer dans l’industrie musicale.

Justement, dans quelles circonstances es-tu devenu producteur ?
Je suis allé au Collège et, lorsque j’ai abandonné mon cursus scolaire, vers l’âge de 16 ou 17 ans, je me suis beaucoup ennuyé. Je voulais vraiment trouver un travail dans l’industrie musicale. De plus, j’estimais qu’une belle opportunité pouvait s’offrir à moi car cette industrie musicale était alors principalement dédiée aux disques populaires anglais. Il n’y avait pas encore beaucoup de labels qui proposaient des productions de blues ou de rhythm & blues.

J’ai donc écrit des lettres à quelques maisons de disques de l’époque. J’ai reçu une poignée de réponse dont une a, particulièrement, retenu mon attention. Il s’agissait, ni plus ni moins, de la firme Decca qui se proposait de me rencontrer dans les mois suivants. Quelques temps plus tard, j’ai reçu une nouvelle lettre de Decca qui me suggérait de planifier un rendez-vous. Le travail concerné était celui d’assistant auprès des artistes, quelqu’un qui soit en charge de leur répertoire. Je me suis donc rendu à ce rendez-vous et j’ai obtenu le job. J’ai commencé à travaillé pour le département qui se chargeait de conseiller des artistes de pop.

Quel est le premier enregistrement auquel tu as participé ?
Le premier enregistrement officiel, que j’ai réalisé sous mon propre nom, est assez obscur. Il ne concerne absolument pas le blues mais un duo de pianistes qui jouaient face à face. C’était un mélange de musique classique et de musique populaire. Ce tandem s’appelait Rawicz & Landauer. Je crois que ce duo était germano-polonais. J’ai donc fait un album avec ces deux gars, qui ont alorsinterprété des chansons tirées du répertoire folklorique sud africain (rires). Je pense que cela est la chose la plus bizarre que j’ai réalisée durant ma vie !
Puis j’ai participé à un grand nombre d’enregistrements pour des tous petits succès édités par Decca Records. Ainsi, j’ai produit un disque pour le chanteur de rhythm & blues Errol Dixon ou encore pour le groupe de folk The Ginger Three. Parallèlement, je suis devenu très ami avec les membres du groupe The Yardbirds, avec ceux de The Artwoods et de The Graham Bond Organisation. Puis, à force de fréquenter les clubs, je suis tombé sur des musiciens tels que John Mayall…

J’ai, immédiatement, proposé à Decca de réaliser des sessions avec ces groupes mais ce label a, dans un premier temps, refusé ma proposition. En effet, Decca ne comprenait pas encore cette musique, ni l’impact qu’elle aurait dans le futur. Cette firme n’était pas encore prête pour le blues, elle se demandait ce qu’était cette musique.

Ainsi, nous avons perdu The Spencer Davis Rhythm and Blues Quartet qui a signé chez Fontana, The Yardbirds qui sont allé chez EMI, The Graham Bond Organisation etc. Puis les Bluesbreakers de John Mayall ont, durant une bref période, compté le guitariste Roger Dean en leur sein. Ils avaient alors, enfin, enregistré un premier single et un premier album chez Decca (en 1964, nda). John Mayall a souhaité changer de guitariste et a proposé cette place à un jeune homme nommé Eric Clapton.
Jusqu’à là, ce dernier jouait et chantait au sein des Yardbirds. Nous avons passé du temps ensemble et, à ce moment-là, il interprétait beaucoup de solos up-tempo inspirés par des guitaristes tels que Jimmy Reed, John Lee Hooker ou Chuck Berry. Puis son style a évolué lorsqu’il a découvert Freddie King et B.B. King. C’est justement vers ce type de son que Mayall souhaitait s’orienter et, la palette de Roger Dean n’étant pas assez large, il a proposé le poste à Clapton.

C’est alors que j’ai vraiment commencé à suivre John Mayall. Je le suivais dans tous les clubs où il se produisait et j’ai assisté au premier concert de Clapton dans son groupe. Cette collaboration n’a duré environ que 6 mois avant que Clapton ne s’aventure vers de nouveaux projets. Son talent était déjà grand, il possédait un son lourd ainsi qu’une large palette musicale. De plus, il savait où il voulait aller et savait jouer de sonorités différentes avec sa guitare et son ampli. J’ai pris conscience que le potentielde John Mayall & The Bleasbreakers avec Eric Clapton était énorme.

J’ai donc souhaité que Decca enregistre le groupe dans cette configuration et je les ai fait signer ensemble. Ainsi, John Mayall a pu faire carrière chez Decca, chose dont je me félicite encore. Puis Eric Clapton est devenu une star énorme, à la hauteur de son talent. Je n’avais pas imaginé, à ce moment-là,que « The Beano Album » (surnom donné au 33 tours « Bluesbreakers With Eric Clapton » car c’est le nom de la bande dessinée que Clapton tient en mains sur la pochette, nda) deviendrait un disque aussi culte.

A cette période, tu ne t’attendais donc pas vraiment à ce que Clapton obtienne un tel succès par la suite…
Non, pas à ce moment-là… J’avais deviné qu’il possédait un grand talent, car j’avais la possibilité de l’écouter très souvent… Je l’ai vu se produire lors de concert durant lesquels il ne devait y avoir qu’une cinquantaine de spectateurs dans la salle. Puis, rapidement, il y en a eu 200puis, peu de temps plus tard, il s’est mis à y avoir plus de gens à l’extérieur qu’à l’intérieur des clubs qui étaient bondés. C’est là que j’ai senti que quelque chose d’important était en train de se produire pour lui.

Puis, le disque avec The Bluesbreakers s’est classé numéro dans le Melody Maker. Nous n’en revenions pas, car il s’agissait d’un authentique album de blues. Cela m’a ouvert bien des portes ! J’ai pu produire d’autres disques de groupes qui s’inscrivaient dans cette mouvance. Ainsi, j’ai signé et enregistré Ten Years After, Savoy Brown, Eddie Boyd, Otis Spann avec Muddy Waters, Johnny « Guitar » Watson et Larry Williams, Champion Jack Dupree et beaucoup d’autres artistes.

Lorsqu’Eric Clapton a quitté Mayall, il a été remplacé par Peter Green. Un guitariste que je n’avais pas encore vraiment eu l’occasion d’entendre. Je ne connaissais son existence qu’à travers un disque qu’il avait enregistré avec le groupe The Peter B’s Looners qui n’a jamais connu le succès. La première fois que je l’ai rencontré remonte à un enregistrement avec Mayall, ce devait être pour l’album « A Hard Road » (1967). Il m’a littéralement scotché et je me suis dit que ce musicien ne pourrait devenir qu’un grand nom de la guitare. Il était différent de Clapton, mais je savais qu’il pouvait devenir aussi important. Nous avons enregistré ce disque puis il est venu me voir afin de me dire qu’il souhaitait quitter le groupe de Mayall, afin de former le sien.

Une formation dont seraient, également, membres le bassiste John McVie et le batteur Mick Fleetwood. Je crois me souvenir que Peter Green avait demandé à ce dernier de participer à quelques sessions de l’album « The Hard Road » en lieu et place d’Aynsley Dunbar (des titres que l’on retrouve, principalement, sur la version augmentée du disque, parue en 2003, nda). Il me semble qu’ils ont, également, donné quelques concerts ensemble avant qu’il ne soit, à son tour, remplacé par Jon Hiseman…dont le style était un peu plus « jazzy ».
Quelques démos du groupe de Peter ont été enregistrées durant les sessions du disque de John Mayall. Cependant, ce dernier estimait que le jeu d’Aynsley Dunbar lui correspondait davantage à l’époque…qu’on y trouvait davantage de groove. Cette décision a, aussi, précipité le choix de Peter de former son propre groupe. D’autant plus qu’il a rencontré le guitariste Jeremy Spencer à la même période. Peter adorait son style et m’a avoué qu’il ne souhaitait pas être considéré en tant que leader, tant le talent de chaque musicien était grand. Il voulait être chanteur-guitariste mais ne souhaitait pas que son nom soit mis en avant.

C’est pour cela que le groupe a fini par s’appeler Fleetwood Mac. Jeremy était très complet et connaissait l’œuvre d’Elmore James sur le bout des doigts. Au dernier moment, John McVie a décidé de ne pas rejoindre le groupe car il avait une place en or aux côtés de John Mayall. Les concerts étaient nombreux et les disques se vendaient bien. C’est pour cela qu’il a été remplacé, au début de l’enregistrement du premier album de Fleetwood Mac, par le bassiste Bob Brunning. Puis, il a réalisé qu’il faisait une grosse erreur et il est revenu (rires) ! Il a donc dit à Peter qu’il était prêt à quitter Mayall afin de participer à l’aventure Fleetwood Mac.

Ce groupe était énorme, l’un des meilleurs qu’il m’ait été donné d’entendre. Leur succès était phénoménal et ils ont signé un grand nombre de hits tels que « Mr.Wonderful », « Black magic woman », « Need you love so bad ». Puis le son du groupe a changé avec l’arrivée de Danny Kirwan (qui a, également, été chanteur-guitariste de Fleetwood Mac entre 1968 et 1972, nda), dont la place est devenue importante.
C’était un musicien formidable, un bon chanteur et un talentueux auteur de chansons. Au fil des ans, l’ancienne image de Fleetwood Mac s’est estompée et le son de ces fameuses années passées chez Decca a disparu. J’ai vraiment été très occupé durant la décennie 1960…

Tu as évoqué quelques grands bluesmen américains, en tant que jeune producteur anglais, était-il facile de travailler avec eux ?

Quand j’ai fondé le label Blue Horizon, tout s’est accéléré en termes de rencontres avec ces bluesmen américains. J’ai à nouveau travaillé avec Otis Spann mais aussi avec Johnny Shines, Sunnyland Slim et beaucoup d’autres. Je souhaitais, également, enregistrer avec Buddy Guy mais il était alors sous contrat avec Chess Records. Cependant leur relation n’était pas au beau fixe et il ne m’a pas été possible d’obtenir les autorisations nécessaires pour pouvoir collaborer avec lui dans de bonnes conditions (on trouve la trace de Buddy Guy, sur le label Blue Horizon, via l’album « Blues Jam In Chicago – Volume 2 », paru en 1970 sur le morceau « Honey Boy Blues » aux côtés de Willie Dixon, Honeyboy Edwards, Mick Fleetwood et Walter Horton, nda).

J’ai adoré travailler avec Champion Jack Dupree, c’était vraiment fun… J’ai réalisé un single pour Bobby Parker qui était originaire de Washington DC. Je me suis, aussi, concentré sur la production de groupes britanniques comme Chicken Shack ou le one-man band Duster Bennett. J’ai commencé à perdre Fleetwood Mac de vue lorsque ce groupe a abandonné le blues au profit d’un rock plus commercial. Les jours n’ont donc pas toujours été faciles pour Blue Horizon qui a continué à se consacrer au blues alors que cette musique tombait un peu en désuétude. Nous nous sommes battus pour cela.

Cette musique n’intéressant pas beaucoup les jeunes artistes anglais, je me suis donc tourné vers les USA et des groupes américains. Nous voulions signer Johnny Winter pour un album de blues expérimental. Cependant, nous nous sommes fait doubler par Columbia dont l’offre financière rendait la notre totalement ridicule. Je considérais Johnny comme mon frère texan et il était totalement désolé de ne pas travailler avec Blue Horizon. Il ne pouvait, en effet, pas refuser les avances promises par Columbia (rires).

Nous avons, cependant, signé un groupe nommé The Southside Chicago Blues Band dont le chanteur-harmoniciste était Rod Piazza. Nous avons décidé de changer le nom du groupe car ce dernier vivait sur la côte ouest des USA. Même s’il jouait du Chicago blues, je trouvais que cela pouvait prêter à confusion. Ainsi, ce combo a été rebaptisé Bacon Fat. Nous avons aussi signé le guitariste noir Marshall Hooks qui venait, lui aussi, de Californie. Nous avons fait un disque avec lui et lui avons permis de tourner en Europe durant quelques mois.

Après une longue période d’inactivité (sa production a été stoppée en 1971) le label a été réactivé en 2010, en élargissant sa palette musicale. Nous avons signé Focus, un groupe de rock qui a connu un beau succès avec le single « Hocus Pocus ». Cependant, ce n’est plus du blues. Le label a changé pour différentes raisons…

Je suis toujours été fidèle au blues et j’ai toujours passé beaucoup de temps avec ces artistes en studio. Ainsi, en 1971, j’ai organisé les sessions de B.B. King pour son album « B.B. King In London ». C’est moi qui me suis chargé de réunir quelques-uns des musiciens qui ont participé à cet enregistrement. A ce moment-là, j’avais évoqué la possibilité d’enregistrer un album avec B.B. King mais, là aussi, cela s’est avéré devenir impossible. C’est toujours compliqué d’être confronté aux grosses machines américaines, car il n’est pas possible d’être financièrement compétitif… J’ai donc subit quelques désillusions.

J’ai travaillé avec le label de Nashville, Excello Records, qui m’a permis d’éditer des albums de Lightnin’ Slim dont un double que j’apprécie particulièrement, sur lequel on retrouve également l’excellent guitariste Arthur « Guitar » Kelly. J’avais alors décidé de m’installer aux Etats-Unis, tout en continuant de travailler (de manière indépendante) pour Decca. Par la suite, j’ai organisé un grand concert d’Al Green à Londres. Il était accompagné par un groupe de 6 musiciens originaires de Kansas-City.

Le son obtenu était un mix entre la musique de certains groupes vocaux issus de la firme Tamla Motown et celle d’un combo tel que Sly & The Family Stone. Les gens de Decca m’ont alors contacté, pour me dire qu’ils souhaitaient signer ce groupe. Ce dernier a été nommé Bloodstone. Après un disque chez Decca, le groupe m’a rejoint en Californie où nous avons enregistré l’album « Natural High » dont le titre phare est devenu un hit qui a été utilisé, une vingtaine d’années plus tard, dans le film « Jackie Brown » de Quentin Tarantino. L’album était devenu 1 aux USA en 3 mois, après qu’une grande radio se soit mise à diffuser le titre phare dans sa playlist.

A partir de là, ma vie a changé et j’ai continué à vivre en Californie et à travailler avec ce groupe le temps de quelques nouveaux disques. Puis, leur management a décidé de leur faire changer de label et notre collaboration s’est arrêtée. Après cette expérience, je suis devenu totalement indépendant et j’ai ouvert un studio d’enregistrement (The Chipping Norton Studios), en Angleterre, avec mon frère Richard.

Là, j’ai travaillé avec de nouveaux groupes comme les Dr. Feelgood ou Climax Blues Band mais aussi avec des bluesmen de l’âge d’or comme Jimmy Witherspoon ou Freddie King dont j’ai produit l’album « Burglar ». Pour ce disque, j’ai pu compter sur l’appui de nombreux excellents musiciens et, en particulier, sur le batteur Steve Ferrone qui a été membre d’Average White Band. Aujourd’hui, beaucoup de gens considèrent que ce disque est l’un des meilleurs de la période « contemporaine » de Freddie.

Actuellement, je diversifie mes plaisirs. Parfois j’enregistre du bon vieux blues, parfois des groupes de rock ou de pop. Je mets mes capacités de producteur au service des artistes qui souhaitent bénéficier de mon expérience. Les années 1980 et 1990 ont été assez calmes en ce qui me concerne. Il ne s’est pas passé grand-chose… Je me suis associé à deux frères new-yorkais avec lesquels j’ai fondé le label Code Blue qui nous a permis de signer des musiciens comme le texan Sherman Robertson, Jay Owens qui est un chanteur-guitariste aveugle originaire de Floride, le groupe The Hoax, John Primer, Rick Derringer, le groupe Storyville constitué notamment par l’excellent chanteur albinos Malford Milligan et par Chris Layton et Tommy Shannon (soit,la section rythmique nommé Double Trouble, qui accompagnait Stevie Ray Vaughan).

J’ai aussi pu produire un album de l’une de mes idoles, Bo Diddley. J’ai voulu réaliser ce disque à l’ancienne, en prises live, mais avec une sonorité résolument moderne. Il a adoré le résultat final… Il faut dire qu’il était accompagné, entre autres, par Johnnie Johnson au piano, Johnny « Guitar » Watson à la guitare, Billy Boy Arnold à l’harmonica ou encore Jimmie Vaughan à la guitare sur un morceau. L’enregistrement a été constellé d’anecdotes qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire… D’autant plus que Bo était quelqu’un d’atypique et de, plutôt, lunatique…Ce disque « A Man Amongst Men » a été nominé aux Grammy Awards.

Puis j’ai été approché par Atlantic, afin de produire un disque de blues pour Mick Jagger. Pour des raisons que je ne comprends toujours pas, j’ai reçu un appel quelques temps avant l’enregistrement, pour me dire que ce projet ne se concrétiserait pas… Cela a été un coup dur pour moi car j’avais monté une belle équipe pour cet album, notamment avec des musiciens du label Alligator. C’était en 1998….

Puis, je suis allé m’installer en Espagne et je n’ai plus été acteur du business de la musique pendant environ 10 ans. C’est là que j’ai été contacté par un manager anglais qui voulait absolument me faire travailler avec son nouveau protégé. J’ai refusé plusieurs fois mais il a vraiment été insistant. En 2010 j’ai donc travaillé avec ce jeune chanteur-guitariste qui est Oli Brown. J’ai adoré le résultat et j’ai remis le pied à l’étrier grâce à lui. Par la suite, j’ai produit Dani Wilde qui est une artiste très intéressante.

En 2011, j’ai réédité un album réalisé, une bonne vingtaine d’années plus tôt, avec Lazy Lester (« Rides Again », nda). Malheureusement, après cela, ma femme est tombée malade. Nous avons donc mené une bataille, face à la maladie, durant 3 ans. Depuis cette mauvaise période, j’ai pris la décision de faire de la musique pour le reste de ma vie. C’est une chose qui devient de plus en plus difficile et je suis un continuel insatisfait.

En 2015, j’ai été invité à Memphis afin d’être membre du jury lors de l’International Blues Challenge. J’y ai, également, reçu un Keeping The Blues Alive Award. C’est à cette occasion que j’ai rencontrée Sari Schorr. Nous avons beaucoup discuté ensemble. Elle m’a fait écouter ses chansons et le feeling est bien passé entre nous. J’ai donc produit son album sur lequel interviennent des invités de marque comme Walter Trout, Innes Sibun ou encore Oli Brown. Maintenant, j’ai définitivement remis le pied à l’étrier et je collabore avec Laurence Jones ou avec le groupe espagnol Q & The Moonstones (qui allie avec originalité jazz et blues).

Enfin, j’ai décidé de revenir à ma carrière de chanteur, que j’avais débutée au début des années 1970. Il est temps pour moi de me remettre à cette passion que je n’ai jamais eu le temps d’aborder plus sérieusement auparavant ! J’avais sorti deux albums en 1971 et 1973. Sur le premier d’entre eux,« Bring It Back Home », Rory Gallagher et Paul Kossoff sont présents en tant qu’invités. Je ne suis pas très satisfait du résultat final. Honnêtement, tu peux l’écouter mais je ne t’encouragerai jamais à dépenser trop d’argent pour l’acheter (rires) ! Donc, je me suis remis à chanter et je le fais au sein de deux groupes différents. Le premier d’entre eux est basé en Espagne, on y trouve le guitariste Kid Carlos qui est originaire de Seville. Mon deuxième groupe est basé en Angleterre et s’appelle The Mighty Combo-UK (le groupe espagnol ayant été baptisé The Mighty Combo-ES). Kid Carlos joue dans ces deux formations avec lesquelles j’essaye de tourner au maximum à travers l’Europe.

Ma vie est donc toujours aussi occupée. Mon but actuel est de faire en sorte que Sari Schorr fasse une grande carrière et qu’elle soit reconnue comme elle le mérite. C’est-à-dire comme une grande artiste. Puis, je veux absolument continuer à chanter. J’adore cela, c’est une véritable passion !

Mon registre est consacré aux styles des années 1950. Il est magnifié par la présence de Kid Carlos qui est un excellent guitariste. Il peut aussi bien faire penser à Freddie King qu’à Peter Green… Nous interprétons des compositions originales et nous venons de terminer l’enregistrement d’un album de 6 titres. Je suis, vraiment, heureux… J’ai consacré toute ma vie à la musique, la plus belle chose qui soit !

Après toutes ces années et après toutes ces choses que tu as vécues…de quoi es-tu le plus fier ?

Je crois que ce qui me rend le plus fier est le fait d’avoir pu travailler avec autant d’artistes américains de blues. Mes deux disques réalisés pour Otis Spann restent parmi mes préférés. On y retrouve des musiciens tels que le batteur Little Willie Smith ou Muddy Waters (sur « The Blues Of Otis Spann » paru en 1964 chez Decca, nda). Je suis aussi très fier de mes réalisations pour Fleetwood Mac et de l’album « Burglar » produit pour Freddie King. Vraiment, j’ai eu la chance de vivre des moments incroyables et de côtoyer des musiciens fabuleux à toutes les périodes de ma vie. Je conserve aussi, dans un autre registre, d’excellents souvenirs de ma collaboration avec le groupe Level 42. J’ai connu un grand succès international grâce à celui-ci. J’ai eu une vie de rêve, tout ce qu’il m’arrive actuellement est à prendre comme du bonus…

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Interview réalisée au
European Blues Challenge
à Horsens (Danemark)
le 8 avril 2017

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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