Nda : Appliqué et impliqué, le groupe The Money Makers fait évoluer les musiques roots sans chercher à les révolutionner. Proposant un rock’n’roll dynamisant, le combo s’évertue à imposer des musiques, créées jadis par Lloyd Price ou Little Richard, à un XXIème siècle qui n’a décidément qu’à gagner du fait de retenir les grandes leçons de l’histoire. Constitué par le chanteur et pianiste Damien Daigneau, le batteur Matthieu Gastaldi, le contrebassiste Jean-Philippe Soller, le guitariste Tristan Camilleri (auxquels il faut adjoindre l’ingénieur du son Victor Pezet, totalement intégré à l’ensemble et allant même jusqu’à porter un costume de scène lorsqu’il officie derrière sa console) le groupe originaire du sud-ouest de la France a sorti un nouvel album en 2019. Un disque, « No Secrets, No Lies », tout au long duquel officie la folie salvatrice que l’on retrouve lors des sets énergiques de The Money Makers. De talentueux instrumentistes, soucieux de leur héritage mais en rien passéistes.
Dans un premier temps, pouvez-vous évoquer la formation du groupe et, plus précisément, la manière dont vous vous êtes rencontrés ?
Damien Daigneau : Nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’une émission de radio, durant laquelle nous avons rendu hommage au guitariste Elmore James. A partir de cet instant, confrontés à ce résultat positif, nous avons estimé que nous pourrions former un groupe ensemble. C’est ce qui s’est produit… D’ailleurs, le nom de notre formation est une référence à Elmore James et, plus particulièrement, à sa chanson « Shake your money maker ».
Justement, que représente cet artiste à vos yeux ?
Damien Daigneau : Il s’agit de l’un des pionniers du Chicago blues…un registre que, pourtant, nous n’abordons plus spécialement au sein de notre répertoire. A nos débuts, ce style était beaucoup plus présent…
Votre registre ne s’arrête pas au blues. Au contraire, votre spectre musical est relativement large. Pouvez-vous revenir sur les différents registres que vous abordez ?
Damien Daigneau : Aujourd’hui (et, notamment, au sein de notre nouvel album « No Secret, No Lies ») nous produisons une musique que nous appelons « early rock’n’roll ». Nos fondements s’appuient donc sur un rock’n’roll old school, auquel nous adjoignons des touches plus modernes. En effet, si nous puisons nos influences chez des artistes tels que Fats Domino ou Little Richard, nous n’oublions pas que 50 années de musique sont passées depuis. Nous avons écouté, apprécié et digéré tous ces éléments… Cela se ressent dans ce que nous jouons actuellement.
Vos influences respectives sont-elles communes à tout le groupe ou, au contraire, avez-vous tous des goûts relativement différents les uns des autres ?
Damien Daigneau : Nous venons quasiment tous d’horizons différents même si, au final, tout se rejoint. Par exemple, Tristan est le vrai bluesman de notre combo alors que Matthieu est un pur produit du rockabilly et que Jean-Philippe est issu du mouvement punk. Pour ma part, je suis également très inspiré par le blues. Nous avons tous évolué et nous avons créé une forme de métissage musical en écoutant des musiques particulièrement diversifiée. Tous ces ingrédients ont forgé le son actuel de The Money Makers.
Qu’il s’agisse de jump, rhythm and blues, blues ou rock’n’roll, on vous a apposé une étiquette de groupe « revival ». Au sein de cette scène portée sur ces registres quasi ancestraux, quels sont les artistes qui vous touchent le plus ? Par exemple Damien, quand on te voit, on a tendance à penser au pianiste anglais Mike Sanchez…
Damien Daigneau : Mike Sanchez est un bon exemple ! On pourrait, également, citer JD McPherson qui est, clairement, l’une de nos grandes influences. Ces personnalités, tout en portant une forme de nostalgie, vivent tout à fait en phase avec notre époque.
Vos deux premiers albums proposaient de nombreuses reprises. Afin de les constituer, avez-vous également exclusivement puisé dans le répertoire « early rock’n’roll » ?
Damien Daigneau : Notre premier album était purement dédié au Chicago blues avec des reprises de Muddy Waters et d’artistes tels que lui. Le deuxième était déjà plus orienté vers le swing et le jump avec des titres issus des répertoires de Big Joe Turner ou encore de Louis Jordan. Le dernier en date est, quant à lui, exclusivement, constitué de compositions originales et lorgne définitivement vers le rock’n’roll.
Pouvez-vous, justement, revenir sur la conception de ce nouveau disque ?
Damien Daigneau : Le titre, « No Secrets, No Lies » est assez évocateur puisqu’il évoque les discussions que nous pouvons avoir, dans le camion, lorsque nous sommes en tournée. Evidemment, nous faisons beaucoup de route et durant tout ce temps nous nous confions, nous parlons énormément… Le disque (enregistré au Studio du Frigo à Albi) revient donc sur ces sujets évoqués entre deux dates, auquels il faut ajouter la musique que nous écoutons au fil des kilomètres. L’album est, en fait, une véritable restitution de ces moments…
Techniquement parlant, avez-vous travaillé sur du matériel « vintage » ou vous êtes-vous tournés vers des équipements contemporains et les procédés qui nous sont offerts aujourd’hui ?
Damien Daigneau : Nous ne sommes pas des « extrémistes » du vintage, pas du tout… Nous aimons le son et nous utilisons ces différentes possibilités à bon escient. Ceci en fonction des circonstances. Nous utilisons uniquement du vieux matériel lorsque c’est nécessaire. Nous ne cherchons pas à nous faire « chier » avec des « trucs » qui ne fonctionnent pas. Les outils modernes merchent très bien et nous permettent d’obtenir un très bon son. Il ne faut pas cracher dessus ! Pour la scène, je possède un piano numérique et j’en suis très satisfait. C’est pour cela que nous n’allons pas « trimballer » un grand piano acoustique, même si j’adore cet instrument que l’on retrouve sur nos enregistrements. Le mélange des outils, qu’ils soient anciens ou récents, ne nous pose aucun problème moral ou éthique (rires) !
En termes de réalisation artistique, vous êtes-vous totalement autogérés ou avez-vous fait appel à des intervenants extérieurs ?
Damien Daigneau : Nous sommes complètement autogérés. Il n’y a que pour l’aspect financier que nous avons fait appel à une aide extérieure, puisque nous avons eu recoursà un financement participatif. En ce qui concerne toute la partie artistique, nous nous sommes débrouillés par nous-mêmes.
Outre l’aspect musical, y-a-t-il des éléments propres à cet environnement « rétro » qui vous touchent en particulier (vêtements, comportement scénique, gimmicks…) ?
Damien Daigneau : En ce qui me concerne, je suis très influencé par le comportement scénique de nos illustres ainés. J’ai regardé beaucoup de vidéos de Fats Domino et de B.B. King… Inconsciemment, cela doit me pousser aujourd’hui à avoir certaines postures scéniques, ou à adopter une manière de faire qui pouvait leur être propre.
Vous êtes aujourd’hui programmés dans le cadre d’un festival un peu éloigné de votre univers habituel. Le Swamp Fest est, en effet, davantage consacré à un blues rugueux et électrique qu’au « early rock’n’roll ». Le fait de pouvoir ouvrir votre musique à un nouveau public doit constituer une belle satisfaction en ce qui vous concerne…
Damien Daigneau : Complètement ! D’autant plus que cela nous permet de constater que notre musique plait à des publics variés. Pouvoir partager de la sorte ce que nous aimons est très gratifiant. Le fait de s’intéresser à ce genre de choses constitue une mouvance qui est assez contemporaine. Ainsi, nous constatons que nous ne sommes pas seuls et que des gens nous suivent. Ceci quelque soit le milieu auquel ils appartiennent. Pour les artistes, c’est très appréciable !
Votre musique parcoure 50 années, voire davantage, d’histoire de la musique américaine. A l’avenir, seriez-vous prêts à tenter de nouvelles expériences...avez-vous déjà fait des « tests » dans ce sens ?
Damien Daigneau : Oui, nous avons fait des tests ! Nous n’avons pas conservé le résultat pour des raisons de cohérence artistique sur le disque. Je pense, par exemple, à une chanson en particulier que nous aimions beaucoup…mais qui ne rentrait pas dans l’esthétique du reste de l’album. Nous la retrouverons, peut-être, sur le suivant… Avec Victor, notre ingénieur du son qui nous suit partout, nous tentons des choses car nous adorons cela. Donc, nous ne nous gênons pas afin de faire de nouvelles expérimentations en studio ou sur scène. Sans chercher à révolutionner la musique, nous sommes ouverts à toute expérience musicale envisageable.
Le groupe garde donc un œil ouvert sur différents registres musicaux. Quelles autres musiques, que celles déjà évoquées, écoutez-vous avec plaisir aujourd’hui ?
Damien Daigneau : Nous écoutons, par exemple, The Black Keys qui est l’un des rares groupes connus qui a réussi à concilier la modernité avec des sonorités roots. Il en résulte un nouveau son… Pour nous tous, The Black Keys est une belle référence !
Concernant l’avenir de The Money Makers, avez-vous des souhaits en particulier ?
Damien Daigneau : Nous espérons que les gens écouteront encore plus notre musique et qu’ils l’apprécieront !Je crois qu’il s’agit là d’un bon souhait (rires) ! Nous souhaitons surtout que le public pourra avoir accès aux registres que nous-mêmes et d’autres artistes touchons. En effet, il ne s’agit pas d’une chose évidente. C’est pour cela qu’une manifestation telle que le Swamp Fest représente à merveille le type de lieu où nous pouvons présenter notre musique à des gens qui ne la connaissent pas forcément ou, en tout cas, qui ne l’auraient pas découverte d’une autre manière.
Le registre vintage est à la mode (salons, festivals etc.) et, de ce fait, il devient de plus en plus dur de se démarquer lorsqu’on aborde des registres tels que les vôtres. Avez-vous déjà réfléchi à la manière de vous différencier des autres artistes qui se produisent dans des styles similaires ?
Damien Daigneau : Justement, c’est pour cela que nous ne nous bornons pas sur le vintage ! Il s’agit d’une base esthétique et nous nous en servons visuellement (costumes) ainsi que dans le son. Ceci-dit, il ne s’agit pas d’une barrière infranchissable. Au contraire, c’est comme un escabeau… On monte dessus pour atteindre autre chose. Le vintage n’est qu’une base et nous refusons de nous y cantonner !
Vous êtes originaires du sud-ouest, une région très riche d’un point de vue musical. Quel est l’état d’esprit qui y règne aujourd’hui ?
Damien Daigneau : Lorsque nous croisons des copains sur la route, c’est plutôt bon esprit (rires) ! Bref, c’est ambiance Pastis-barbecue ! Nous échangeons tout autant artistiquement qu’amicalement, nous nous influençons beaucoup les uns les autres. Nous écoutons, par exemple, nos productions respectives. Parmi nos proches, je peux citer Alexis Evans, TBo Ripault, Bone Tee etc. De temps en temps, nous jouons ensemble…
Il s’agit donc davantage d’une saine émulsion que d’une concurrence…
Damien Daigneau : Oui, complètement… Nous n’avons aucune raison de créer une concurrence entre nous. Il y a de la place pour tout le monde et il n’y a pas de raison de se tirer dans les pattes. Il est plus judicieux de se faire de la pub !
Le moment est venu de vous laisser conclure cette interview. Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose à propos du disque ou d’un autre sujet que nous n’aurions pas abordé ?
Damien Daigneau : Après cet entretien rondement mené…il n’y a rien à ajouter (rires) !
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