Nda : Cette rencontre avec Moriarty (en l’occurrence la chanteuse Rosemary Moriarty ainsi que le contrebassiste et guitariste Zim Moriarty) s’étant effectuée dans le cadre d’une conférence de presse, je n‘ai transcrit ici que les propos relatifs à mes questions.
Le groupe, qui vient de fonder son propre label, donnait à Colmar l’ultime concert d’une tournée qui l’a mené à travers le monde deux ans durant.
Il sera déjà de retour sur les planches en septembre 2012 (au Théâtre de la Bastille - Paris 11ème) en partageant l’affiche avec des comédiens pour la pièce « Memories From The Missing Room », mise en scène par Marc Lainé (et inspirée, comme son nom l’indique, par les chansons qui constituent l’album « The Missing Room »).
Vos origines artistiques remontent aux sources des musiques roots américaines. Comment expliquez-vous l’impact que ces dernières ont pu avoir, par votre biais, sur le public français ?
Rosemary Moriarty : C’est une vaste question… Je pense que le type de musique que nous faisons, même si nous ne mettons pas d’étiquette dessus, est bien issu des genres roots américains comme tu le dis.
Au moment de la sortie de notre premier disque, nous avons eu la chance de voir les radios ouvrir leur quota de musique purement française à la musique anglo-saxonne écrite en France.
Jusque là, à chaque fois que nous avions présenté notre travail à des professionnels, ces derniers nous disaient qu’il était impossible que ça marche… car ce nous ne nous exprimions pas en français.
Cela se passait au moment de la vague de la « nouvelle chanson française », Bénabar etc…
Nous ne cadrions pas du tout avec ce type de musique là.
Il y avait eu un goût, dans les années 1960 et 70, pour les sons américains que nous reprenons à notre façon actuellement.
Des sons que nous revisitons car notre champ d’action est ouvert et plus vaste que ce que l‘on pourrait penser de prime abord.
En tout cas, ce type de musique que nous pouvons attribuer au mouvement folk, nous a permis de connaitre le succès car il s’agit de quelque chose de cyclique… qui revient et qui repart. Même s’il y a toujours un public de « chapelle » qui aimera toujours sincèrement cela et qui restera fidèle.
Peut être que notre renommée est aussi liée à une manière de faire un peut différente. Nous avons essayé de nous démarquer des autres groupes qui « sortaient » en même temps que nous. A titre d’exemple, nous nous retrouvions tous autour d’un micro unique sur scène, donc nous étions très proches les uns des autres.
C’était une façon d’opérer qui n’existait plus…
Au niveau des sons, nous sommes aussi beaucoup plus dans l’indéfini, dans le poussiéreux, dans l’erreur. Nous assumons toute cette « vie sonore » qui peut sembler imparfaite mais qui est, pour nous, beaucoup plus chargée en émotions que ce qu‘il est habituel d‘entendre…
Zim Moriarty : Je dirais aussi que la manière dont notre musique a été reçue est également liée au rapport que nous entretenons avec notre public…
Puis, il y a la manière dont elle a été conçue à l’intérieur même du groupe. Pendant 10 ans de gestation, nous avons cherché notre langage musical.
Chacun des musiciens vient d’un univers différent et nous n’écoutions pas les mêmes choses au départ.
Le fait de trouver un langage commun a donc été très dur et je crois que ce dernier a été trouvé grâce au blues des années 1920 à 1940. Des enregistrements qui ont été exhumés, pour nous, par notre harmoniciste (Tom Moriarty) et par notre guitariste (Arthur Moriarty).
Le patrimoine folk, country et bluegrass et, quant à lui, davantage le domaine de prédilection de Rosemary. Son père, en effet, est déjà musicien et grand spécialiste en la matière (Wayne Standley, nda).
Pour ma part, je suis issu du rock indépendant, alternatif et des bandes originales de films. C’est grâce à mon travail dans le groupe que je me suis ouvert à des musiques qui ont des racines américaines.
Finalement, ce que nous produisons est une combinaison de cet héritage culturel avec des influences plus contemporaines.
A l’intérieur même du groupe, c’est le jour où nous avons réussi à identifier cela que nous avons su comment faire de la musique.
De quelle manière se sont documenté les membres du groupe, non issus du « terroir américain » ?
Zim Moriarty : Tout simplement via de longues nuits passées dans les hôtels lors de nos tournées. Notre batteur Vincent Talpaert est une sorte d’encyclopédie vivante de la musique américaine. Il a une collection musicale inépuisable, des vinyles et des sons qu’il n’hésite pas à emmener lorsque nous voyageons. De ce fait toutes les nuits, après les concerts, on ouvre une sorte de bar clandestin dans nos chambres et on y passe de la musique américaine des années 1920 à 1980.
Justement, comment s’est passée votre rencontre avec Vincent. Le connaissiez-vous avant qu’il ne fonde le groupe Bo Weavil aux côtés de Boogie Matt ?
Rosemary Moriarty : Non, en fait, il était déjà membre du groupe Bo Weavil au moment où nous l’avons rencontré. Vincent y passait de la batterie à la contrebasse puisque, au départ, il est contrebassiste.
Il a aussi été associé à d’autres groupes puisqu’il a réalisé le premier disque de Mustang (« A71 », nda) ainsi que celui de Don Cavalli (« Cryland » mais également le prochain à sortir, nda). Il a aussi, bien sûr, produit notre deuxième album « The Missing Room » sorti en 2011.
Zim Moriarty : Nous l’avons rencontré lors de l’enregistrement de « Gee Whiz But This Is A Lonesome Town » (2007) grâce à Bob Coke, qui réalisait le disque alors. Nous n’avions pas de batteur à l’époque (nous faisions les percussions nous-mêmes en tapant sur des bassines, des valises, des casseroles etc…) et c’est lui qui nous l’a présenté car nous souhaitions vraiment un son précis que, jusqu’alors, il n’avait pas été possible de trouver en France.
Nous avions pourtant auditionné pas mal de batteurs (dont certains venaient de l’étranger).
Dès que nous avons entendu Vincent jouer 3 mesures de la chanson « Jimmy », nous avons immédiatement su que ce serait lui. Il a suffi de 10 secondes pour nous décider…
Rosemary Moriarty : Cela est, peut être, aussi lié au fait que la batterie ne soit pas son instrument principal. Il a une façon de jouer qui est différente. Elle est assez minimale et extrêmement juste. Une chose qui nous correspondait complètement…
On sent que l’image que vous véhiculez est une chose importante pour vous (on le remarque à travers vos clips, pochettes d’albums, tenues vestimentaires…). Comment définiriez-vous votre univers visuel ?
Zim Moriarty : C’est assez difficile à dire car nous le recherchons en faisant les choses. C’est souvent par rapport au son. Quand on créé une chanson, il y a des images qui viennent…
Il y a un mécanisme d’inspiration, chez certains d’entre nous, qui est assez filmique. C’est un peu comme lorsqu’on est gamin et qu’on tourne les page d’un livre. On imagine les lieux, on les visualise mentalement…
Notre musique fonctionne de la même manière. Elle est très imagée, nos chansons sont des madeleines de Proust. On trouve une suite d’accords, des paroles et ça nous transporte quelque part…
C’est ce qui inspire ce que l’on voit plus tard sur scène, sur nos affiches ou sur nos albums…
Notre univers visuel n’est que la matérialisation de ce processus…
Pour les pochettes des disques, je dessine l’artwork en essayant de coller au son. Je veux que la philosophie soit la même entre la manière de faire une maquette et celle de chercher un son, c’est la même démarche…
Je suis très sensible au grain de l’image… Nous utilisons très peu l’ordinateur, nous le remettons à sa place d’outil servile. Nous faisons en sorte qu’il ne prenne pas le pouvoir sur la musique et les arts visuels chez nous. C’est une machine merveilleuse et standardisée mais, si on la laisse faire, elle gère tout…
Si cela peut avoir des effets pervers dans un studio d’enregistrement, cela peut aussi en avoir sur le graphisme. Il y a une certaine paresse qui s’instaure puisque les programmes sont là pour faire des effets incroyables sans que l’on y soit pour grand-chose, sinon un simple clic…
Notre démarche, sans être passéiste, est d’accepter d’être anachronique (et d’utiliser des objets complètement obsolètes) afin de coller au maximum à la réalité et de retrouver une émotion qui pourrait être cachée par le côté synthétique d’un ordinateur.
C’est une philosophie que nous appliquons aussi bien à l’art visuel qu’à notre musique..
C’est un tout, cela se fait dans un même mouvement…
Remerciements : Christine Lebourgeois et Léonore Betz
http://www.moriartyland.net
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