Nda : A l’instar de quelques autres artistes, le chanteur-guitariste Neal Black est de ceux qui ont marqué l’histoire de l’émission Route 66 depuis sa création (en 1994). En plus de nombreuses rencontres sur divers lieux de concerts, le texan n’a jamais hésité à venir poser son instrument de prédilection dans notre studio. Parfois seul (comme en novembre 2006) ou souvent accompagné par des musiciens avec lesquels il se produisait alors en tournée (citons le louisianais Alabama Slim en janvier 2007, le texan Gib Wharton moins de quatre mois plus tard, l’as français Fred Chapellier en mai 2008, le new-yorkais Mason Casey en mars 2010 ou encore la chanteuse-guitariste, originaire de Virginie, Janet Martin en juin 2011). Toujours avide de collaborations et travailleur acharné, Neal signe en 2016 le magnifique album « Guilty Saints » en compagnie d’une légende musicale de Bâton Rouge, Larry Garner. Je n’allais donc pas rater la possibilité qui m’était offerte de le retrouver au détour de nouveaux backstages, afin d’évoquer cet audacieux projet. Voici la teneur de cet entretien…
Neal, c’est un plaisir de te revoir à Ensisheim. Cette ville doit te rappeler beaucoup de souvenirs…
Oui, c’est un endroit spécial pour moi car c’est ici que je t’ai rencontré pour la première fois, tout comme Yannick Kopp. Je conserve de nombreux souvenirs de mes passages dans le fameux club de ce dernier, à savoir le Caf’ Conc’ d’Ensisheim.
Durant cet entretien j’aimerais, principalement, évoquer ton nouvel album « Guilty Saints » enregistré en compagnie de Larry Garner. Comment l’idée de travailler avec ce dernier t’est-elle venue ?
A l’origine, je devais enregistrer un disque en duo avec le chanteur Mighty Sam McClain. Ce grand monsieur est, malheureusement, tombé malade et il est décédé peu de temps après (le 16 juin 2015, nda). Ce projet est donc tombé à l’eau… C’est en discutant avec Philippe Langlois, du label Dixiefrog,que la suggestion de travailler avec Larry Garner m’a été faite. J’ai, immédiatement, été charmé par cette idée car je suis un véritable fan de sa musique et ce depuis de nombreuses années. C’est un artiste qui sait où il vaut aller. Il ne fait pas un blues strict. Il est, également, très attentif à la qualité de ses textes et possède un excellent jeu de guitare…tout en étant un parfait compositeur. Il sait proposer du blues traditionnel s’il en a envie mais il n’hésite à aborder d’autres registres, tout en possédant son propre style. C’est une vision de la musique que nous partageons totalement. Donc quand Philippe m’a proposé cette idée, ma réaction a été très positive et j’ai été très heureux !
Avant d’entrer en studio, comment avez-vous préparé l’album ?
Nous avons échangé certaines idées musicales par e-mails, sous la forme de fichiers MP3. Puis, la grande majorité des éléments qui composent cet album sont nés au moment de notre entrée en studio. Nous avons finalisé tous nos titres à ce moment-là.
Comment avez-vous choisi les musiciens qui jouent sur ce disque ?
J’ai sollicité mon propre groupe de tournée (Mike Lattrell aux claviers, Kris Jefferson à la basse) et il y a Jean-Michael Tallet à la batterie (nous y retrouvons aussi Larry Crockett aux percussions, Pascal « Bako » Mikaelian à l’harmonica, Christophe Duvernet à l’accordéon ainsi que Leadfoot Rivet aux chœurs). J’ai souhaité réaliser ce disque aux côtés de mes accompagnateurs habituels, car il était important de posséder une base solide afin d’accueillir un nouvel artiste tel que Larry.
Pourquoi avez-vous pris la décision d’enregistrer ce disque en France et non aux USA ?
Parce que, bien que majoritairement américains, mes musiciens sont installés en France. De plus, Larry était en tournée européenneet notamment en France à ce moment-là. Il participait, par exemple, au Festival Jazz Sous Les Pommiers (à Coutances dans la Manche) après lequel nous avons décidé de passer quelques jours en studio. Puis, Larry est directement rentré aux Etats-Unis. Le studio que nous avons utilisé s’est révélé être l’endroit de rêve car nous bénéficions de beaucoup de place et d’espace libre pour pouvoir créer.
Peux-tu, justement, me parler plus en détails de ce studio ?
Il s’agit de Vega Studios à Carpentras. C’est vraiment un très bon endroit qui bénéficie de la présence d’excellents ingénieurs et d’un espace très accueillant. De plus, il y a une partie habitation qui jouxte le studio et cela facilite grandement les choses. Il nous arrivait, en effet, de trouver des idées après le diner sur les coups de 21h00. Donc, nous pouvions travailler sur celles-ci dans la maison avant de les enregistrer juste à côté dès le lendemain matin. Les conditions étaient vraiment excellentes…
Vous avez, au final, enregistré sur un laps de temps assez réduit…
Les premières sessions aux Vega Studios se sont, je crois, étalées sur 5 jours. Puis, lorsque Larry est revenu en France pour sa tournée du mois d’août 2015, nous avons finalisé l’album aux Phantome Studios à Baudonvilliers.
Pour toi, quelles sont les différences les plus notables entre ta musique et celle de Larry ?
Je pense que la différence principale réside dans le fait que mon style est un peu plus rock que le sien. Larry se produit dans un registre plus traditionnel.
A-t-il été facile de combiner vos deux univers ?
Il a été très facile de les mélanger. Tu sais David, parfois lorsque j’écoute la musique de quelqu’un…j’arrive à déterminer la personnalité de ce dernier. Lorsque j’ai découvert l’œuvre de Larry, j’ai immédiatement deviné qu’un chouette type se cachait derrière. A ce que me dévoilait sa musique, j’ai tout de suite su que c’était une personne dotée de grandes qualités humaines. D’ailleurs, dès que je l’ai rencontré, il nous a simplement fallu 5 minutes pour que nous devenions amis. C’est un aspect très important pour moi… Il m’est, souvent, arrivé de travailler avec d’excellents musiciens (parfois très connus). J’ai remarqué que tous se sont révélés être à l’image de leur musique. C’est une chose très intéressante, constater que tu arrives à déterminerle caractère d’une personne en fonction de son art.
Pour toi, est-ce une difficulté d’enregistrer avec un autre artiste ?
Non, j’aime beaucoup faire cela et j’ai mené à bien beaucoup d’autres projets de ce type. J’ai ainsi travaillé avec des personnalités telles que Fred Chapellier, Nico Wayne Toussaint, Gaëlle Buswel, Nina Van Horn, Leadfoot Rivet etc. J’aime collaborer avec d’autres artistes car, lorsque les gens vont assister à un concert de Neal Black & The Healers, ils s’attendent à voir et entendre certaines choses qu’ils attendent (par exemple un solo de basse sur « Who do you love ? » ou des envolées blues-rock avec des chansons comme « Did you ever ? (jail in San Antonio) »). Lorsque je travaille avec un autre artiste, je peux m’aventurer en dehors de cette sorte de boite nommée Neal Black & The Healers et réaliser d’autres choses. Lorsque je suis allé voir Fred Chapellier au moment où il tournait avec Jacques Dutronc, j’ai constaté que ce dernier interprétait majoritairement ses hits sur scène. Ceci, parce que c’est ce qu’attend le public qui vient le voir. Il interprète ses chansons qui ont connu le plus de succès sur disque. Idem pour les Rolling Stones, un groupe qui a sorti de très nombreux albums mais qui interprète principalement des morceaux issus des années 1960 et 1970 en live. Cela est lié au fait que c’est durant ces deux décennies que le groupe a signé ses titres les plus importants. A mon niveau, qui n’est bien sûr pas comparable, c’est exactement la même chose qui se déroule. Le public souhaite que je joue ce qui leur a permis de me découvrir. Dans le cas contraire, il regrette que je fasse trop de changements. C’est pour cela que le fait de collaborer avec un autre artiste est une opportunité pour moi afin de sortir de ce cadre…
Justement, pour tes concerts avec Larry Garner, comment avez-vous structuré votre setlist ?
Ce soir j’interviendrai en premier via un set de Neal Black & The Healers. Puis, après une pause, Larry nous rejoindra afin d’interpréter ses propres compositions et quelques titres issus de « Guilty Saints ». Pour nos prochaines dates, et notamment les festivals d’été, nous ferons un mélange de nos répertoires respectifs et de morceaux de notre album commun en une seule partie.
Pourquoi, avec Mike Lattrell et Larry Garner, avez-vous décidé de mettre en musique le poème de Mary Frye « Do not stand at my grave and weep » ?
J’adore ce poème que je connais depuis très longtemps. J’ai entendu de nombreuses versions de ce dernier, mis en musique par divers musiciens qui en avaient fait une chanson. Celle qui m’a le plus touché est à mettre à l’actif du canadien Harry Manx. Elle a été enregistrée en live et bénéficie de ses talents de joueur de guitare slide et de lap steel guitar. Sa musique colle à merveille au poème…
Est-ce facile de s’octroyer un poème qui, en l’occurrence, date de 1932 puis de le mettre en musique ?
Dans ce cas oui mais cela peut être plus compliqué avec d’autres poèmes. Cela dépend vraiment du texte. Certains musiciens arriveront à se l’octroyer facilement et d’autres non. En ce qui concerne « Do not stand at my grave and weep » tu constateras, en naviguant sur un célèbre site de partage de vidéos, que beaucoup d’artistes différents ont mis en musique ces mots signés Mary Frye. Le résultat est, à chaque fois, probant. Ceci prouve que c’est un texte idéal pour être mis en musique…
A chaque fois que je parle de toi avec un autre musicien, nous tombons toujours d’accord sur le fait que tu es un auteur-compositeur particulièrement talentueux. Quelle est la chose que tu as souhaité mettre le plus en avant sur « Guilty Saints » ?
Nous avons essayé de faire en sorte que les auditeurs découvrent quelque chose de nouveau. Quelque chose de neuf pour le public de Larry et quelque chose de neuf pour le mien, tout en faisant en sorte de ne pas les effrayer. Il ne s’agissait pas non plus de sonner de manière complètement différente. Nous avons gardé nos racines blues et roots mais avons essayé de sortir des sentiers battus. Cela a été difficile pour Larry et moi, car nous avions pour but de ne pas aller là où tout le monde nous attendait.
Pour toi, ce disque est-il simplement une expérience isolée ou le considères-tu comme un rouage important dans ta carrière ?
Nous débutons, actuellement, nos premiers concerts en commun. Celui de ce soir est le tout premier. Pourtant, nous nous surprenons déjà à évoquer une suite à cette collaboration. En effet, une belle amitié s’est bâtie entre nous et mes musiciens apprécient beaucoup le talent de Larry Garner. Si nous devions, à nouveau, enregistrer ensemble…j’en serai très heureux !
As-tu, cependant, d’autres travaux musicaux en ligne de mire ?
La prochaine chose que je ferai est un nouveau disque en solo, en compagnie de mon groupe The Healers. J’ai toujours des collaborations en cours, car je suis souvent contacté par des artistes (notamment français) qui me sollicitent afin de leur écrire des paroles de chansons ainsi que des musiques. Actuellement, je travaille par exemple avec la chanteuse et guitariste lyonnaise Sophie Malbec. Son album sortira prochainement… Il y a beaucoup d’autres gens avec lesquels j’aimerais travailler, mais je suis toujours un peu effrayé par le fait de les aborder. Essuyer un refus serait une chose trop difficile pour moi… Je te parlais, tout à l’heure, d’Harry Manx. C’est l’un de ceux avec qui j’aimerais travailler. J’apprécie particulièrement sa manière de faire se rencontrer différents styles.
Tu as aussi fait de la production pour divers artistes. Aimerais-tu, également, accentuer la fréquence de ce type de travaux ?
Tu sais David, c’est un peu spécial car lorsque je commence ce travail…je le déteste. Lorsqu’il est terminé, par contre, je l’adore. C’est une activité très stressante et difficile car tu te dois de toujours chercher la perfection. De plus, il est nécessaire d’être en parfaite symbiose avec l’artiste qui enregistre. Si ce dernier à une idée avec laquelle tu n’es pas d’accord, tu dois trouver la solution qui puisse contenter tout le monde. Vraiment, avec le recul, je me rends compte que j’aime le travail de production une fois qu’il est terminé. C’est, un peu, comme l’écriture des chansons. Lorsque j’écris, j’ai toujours peur de me répéter ou de ne pas trouver de nouvelle direction.
Notre ami Fred Chapellier vient d’annoncer son souhait de mettre un terme à sa carrière en solo très prochainement (tournée « Final Tour 2017 »). Que penses-tu de cette décision ?
Comme tu le sais, je voue un très grand respect pour Fred. Nous avons donné de nombreux concerts ensemble et je le considère comme un frère. Je pense que s’il s’accorde un break, cela ne peut être que bénéfique pour lui. Très honnêtement, je ne crois pas qu’il puisse s’arrêter très longtemps… Il reviendra forcément afin de nous présenter de nouvelles choses, même si ce n’est pas sous son propre nom. Il a déjà beaucoup donné pour ce business et il a passé une grande partie de sa vie sur la route. Il s’impose un rythme extrêmement soutenu et doit parfois se sentir fatigué…aussi bien physiquement, psychologiquement que spirituellement… Quoiqu’il en soit, je ne le vois pas s’arrêter maintenant, mais plutôt proposer de nouvelles choses d’une manière différente. Il fera sa tournée en 2017, se reposera un petit peu puis reviendra nous étonner encore et encore. C’est tout ce que je souhaite car il est un merveilleux musicien, un grand guitariste et un type formidable. Ce serait vraiment dommage qu’il arrête complètement (Fred Chapellier a, depuis cet entretien, confirmé qu’il n’arrêtait pas la musique mais simplement de se produire sous son propre nom, nda)…
A titre personnel, quels sont tes espoirs pour l’avenir ?
Juste continuer de travailler ! Ceci le plus possible et en découvrant de nouveaux endroits en Europe. Il est important d’aller à la rencontre d’un nouveau public, tout en ne négligeant pas les gens qui te sont fidèles depuis des années. C’est mon souhait le plus cher…
Souhaites-tu ajouter une conclusion à cet entretien ?
Non simplement te remercier pour cette nouvelle interview David. C’est la combientième que nous enregistrons ensemble ? Probablement la dixième ou onzième (rires) ! Je pense que nous devrions réaliser un coffret de plusieurs CD regroupant tous nos entretiens. Ainsi, nous pourrions le vendre et gagner beaucoup d’argent (rires) !
Remerciements : Sophie Louvet, Camille Groh (Music For Ever Production)
www.nealblack.net
https://www.facebook.com/NealBlackBlues
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