Comment
es-tu tombé dans la marmite du blues ?
J'y suis tombé par l'intermédiaire de mes parents, des férus
de musique (country, classique, cajun et blues). Mon père est fou
de Louisiane. De blues aussi, mais pas exclusivement. Il ne possédait
qu'un disque de Muddy Waters. Un jour, un copain l'a sorti de cette collection
de disques. Il l'a laissé sur une chaise et je l'ai pris, puis écouté.
A l'époque, Lewis utilisait une chanson de Muddy Waters (" Mannish
Boy ") pour une publicité. J'ai donc commencé par
ce morceau. Evidemment, j'ai tout de suite été accroché.
Ça ne m'a pas lâché depuis.
Pourquoi avoir choisi l'harmonica ?
Avec le contexte familial, j'ai commencé par jouer du piano pendant
trois ans et demi. Pas mon truc avec les gammes, l'assiduité
et les méthodes. J'ai arrêté à 18 ans pour
me mettre à l'harmonica. Je voulais un instrument dont je puisse
rapidement apprendre à jouer sans passer par l'aspect " travail ".
Un truc pour aller vite. L'harmonica était pour moi le plus évident.
Pas de grosses méthodes, juste un instrument qui joue sur la confrontation
entre le souffle et la bouche, ce qui m'a mieux convenu.
Tu as eu la chance de voyager aux USA, avec pas
mal de rencontres à la clef. Peux-tu nous en parler ?
Eh bien, comme mon parrain habitait à Minneapolis, je suis allé
lui rendre visite pendant un mois. A Minneapolis se trouvait un grand
club de blues (depuis fermé), le Blues Saloon. Le premier jour
de mon arrivée, un vendredi ; j'ouvre le journal qui mentionnait
un concert de Gary Premitch. Mon premier concert aux Etats-Unis. Toutes
les stars internationales étaient en tournée au Blues Saloon.
J'ai pu y voir Jimmy Johnson, rencontrer des gens, leur parler.
Le fait que je soit français attirait l'attention des gens. Avec
politesse et respect, je demandais à jouer à l'harmonica
pour un morceau. Des fois cela marchait, d'autres fois non. Les musiciens
en tournée ici, on les voit pendant un set, ou une heure et demi.
Après, ils disparaissent derrière les barres de fer et les
protections. Personne ne peut parler aux artistes. Aux Etats-Unis, ces
mêmes mecs font trois sets dans les bars. Entre temps, ils sont
au bar en train de boire un café ou un whisky. Tout à fait
abordables. On peut aller discuter avec eux, leur serrer la louche. C'est
comme ça que j'ai pu rencontrer Archie Michaux. J'ai joué
avec Jimmy Johnson, Mickael Coleman et pas mal de musiciens.
Il y a trois ans, Henri Gray s'est produit ici
avec Little Buck Senegal, que tu as bien connu. Ton album comporte une
partie assez cajun : est-ce un style vers lequel tu pourrais t'aventurer
dans le futur ?
Au départ, je jouais dans ce style avec mon père. Il était
féru de musique cajun et de zydeco. Donc on retrouve ça
en clin d'il sur mon CD. Quand je suis retourné aux Etats-Unis
pour une année complète, étant assistant de français
à l'Université de Minneapolis de 1996 à 1997, je
suis rendu deux fois en Louisiane. A Lafayette, j'ai demandé à
un taxi de m'emmener à un club de blues. Il m'a amené au
" Swamp River Saloon ". Un petit bonhomme y jouait
avec une Strat blanche. Le club était métissé de
blancs et de noirs. Les gens dansaient ensemble. Son batteur devait avoir
seize ans et jouait hyper funk, une vraie boule de nerfs et d'énergie.
Lui balançait dans le style d'Albert King, dans le souvenir que
j'en ai. Un guitariste d'une puissance incroyable. Quand on l'a présenté,
je me suis souvenu de son nom comme celui d'un guitariste de Clifton Chenier,
sur des vinyles qu'avait mon père. Il m'a fait venir sur scène
pour deux-trois morceaux de Jimmy Reed. C'était vraiment fabuleux.
Depuis deux-trois albums, tu as intégré
l'équipe Dixiefrog. Comment se sont passées les rencontres ?
Ça c'est passé assez miraculeusement. A l'issue de ce séjour
aux Etats-Unis, j'avais enregistré un CD. Puis l'été
qui a suivit, des musiciens américains sont venus m'accompagner
pour une tournée. Lors d'un concert à Bayonne, une spectatrice
est venue nous voir, qui travaillait pour la marque MSI (distributeur
de Dixiefrog à l'époque). Par son entremise, le disque a
été distribué par MSI et est arrivé dans les
mains de Philippe Langlois de Dixiefrog. Il m'a téléphoné
pour parler de ce disque : " trop d'harmonica, trop de
reprises
mais ça nous intéresse : si tu fais
un autre truc, tiens-nous au courant ". Dans les quatre mois
qui ont suivi, j'étais à l'armée et j'ai profité
d'une semaine de vacances pour filer à Minneapolis enregistrer
un autre disque. Revenu avec " My Kind of Blues ",
je l'ai présenté à Philippe qui l'a pris en licence.
Les albums suivants ont été faits dans le même état
d'esprit.
Peux-tu
nous parler de ton dernier album ?
Ce disque diffère des autres dans le sens où je me réclamais
alors de l'étiquette " Chicago Blues ", Muddy
Waters & Little Walter à fond. Tout en le jouant un tantinet
plus rock. C'était mes sources. Albert Collins, je le laissait
à d'autres. Il se trouve que mon guitariste depuis quatre ans vient
du blues-rock, de Johnny Winter, Rory Gallagher ; mais aussi d'Albert
Collins et Albert King. On a travaillé ensemble sur " Transgender "
où j'avais envie de tester des styles que je n'avais pas vraiment
abordés jusque-là. Deux morceaux sont assez funk, avec des
cuivres. Pourtant, je ne pensais jamais enregistrer avec des cuivres
Pour moi, cela n'allait pas avec l'harmo, ça ne pouvait pas marcher !
J'ai réécouté des titres de James Cotton avec des
big bands et j'ai trouvé que je pouvais avoir ma place avec l'harmonica.
On a ce morceau cajun qui est assez rock ainsi que deux titres en français.
Finalement, on retrouve peu des morceaux " Chicago Blues ".
Je crois qu'il est bon de ne pas trop se répéter, surtout
dans la discographie. Cela m'a permis de jeter mon hameçon dans
des territoires que je n'avaient pas forcément exploités
jusqu'à lors. On trouve aussi des morceaux assez rock, comme le
premier " Gimme a Break ". Ce sont des morceaux qui
me viennent ainsi. Devrais-je les écarter parce qu'il sont rock ?
J'exploite ce qui me vient.
Concernant la pochette de cet album, elle surprends
pour un disque de blues. Pourquoi se travestir, pour casser l'image du
blues ?
Il y a vraiment de ça. Au départ, pour mes deux disques
précédents chez Dixiefrog, on retrouvait le mot blues dans
le titre et on m'y voir avec un harmonica. Il fallait changer les choses
pour cet album. Du coup, je me suis demandé : comment faire ?
J'ai cherché un titre accrocheur, qui me parlait. Ce mot " transgender "m'est
venu. Pour les américains, il est relatif aux gens qui se travestissent,
qui changent de sexe. Des hommes qui deviennent des femmes, ou des femmes
se font passer pour des hommes pour la journée ou une partie de
la nuit. J'étais sensible à ce titre parce qu'un des batteurs
américain (qui a joué avec Lionel Hampton et Sarah Vaughan)
avec qui j'ai beaucoup joué, est lui-même un transgender.
Depuis deux ans, il a eu énormément de problèmes
pour faire accepter à son entourage son changement. Il a même
été battu plusieurs fois et a fini à l'hôpital.
C'était un moyen pour moi de lui glisser mon soutien, un clin d'il.
Le mot transgender signifie aussi que je change de style pour quitter
cette étiquette " Chicago Blues " afin d'aller
vers de nouveaux genres. Pour soutenir le titre, il fallait une pochette
en adéquation, donc j'ai décidé de me travestir.
Pour jouer cette carte de l'ambiguïté. Cela n'a certainement
plus rien à voir avec le blues. Ce qui m'a été reproché
plusieurs fois. Dans ce cas, j'en viens à dire : dommage que
les gens se fient aux apparences et s'arrêtent à une pochette.
La provocation, c'est de dire aux gens : si vous m'avez bien aimé
avant, aimez-moi dans mes changements.
Tu figure sur pas mal d'affiches au Benelux. Est-ce
une raison pour laquelle tu chantes moins en français ?
Je n'ai jamais trop chanté en français. Par contre, j'ai
toujours fait quelques titres en français sur mes albums. Par exemple,
sur les trois albums sortis chez Dixiefrog, j'ai placé chaque fois
deux titres en français. Ce n'était pas forcément
évident de les imposer au début. Comme pour les titres funk
ou rock, je me demandais si j'avais envie de les mettre. En plus des morceaux
de pseudo-chicago que j'écris, c'est vraiment quelque chose qu'un
américain ne pourrait pas faire sur disque. Je ne les joue pas
tous. Je préfère les utiliser quand le public s'y prête.
Ceci dit, en Belgique ou en Hollande, les gens qui ont acheté mes
CD précédents me demandent de chanter les morceaux français,
alors qu'ils ne comprennent pas toutes les paroles. Je pense que justement,
les gens réclament la vraie personnalité et l'originalité
des interprètes. Si on est français, pourquoi se le cacher ?
Ceci dit, je ne pourrais pas tourner autant en ne chantant qu'en français.
C'est bien d'avoir un répertoire que tout le monde peut connaître
et s'y retrouver ; donc en anglais. Tout en ayant à jouer
ses cartes françaises.
Pour ce qui est des tournées en Belgique et en Hollande, on a été
contactés par un agent qui voulait nous faire venir. Maintenant,
on y va régulièrement.
En terme de conclusion, qu'as-tu de prévu
pour l'avenir ?
Le festival de Blues-sur-Seine à Mante-la-Jolie à Paris
au mois de novembre. A la mi-décembre, je pense partir aux Etats-Unis
pour un mois et demi. J'ai plus ou moins trois projets en vue.
Un live à multi-facettes, avec les cuivres sur certains morceaux,
mais pas forcément sur ceux qu'on a enregistrés ainsi sur
les disques studios. Les concerts qu'on a fait ensemble dépotent
méchamment. D'autres morceaux en acoustique : piano, guitare,
harmonica. Une palette de couleurs pour ce disque.
J'aimerais aussi faire un album entièrement en français.
Pas forcément du blues, même plus du tout du blues !
Je voudrais enregistrer un album aux Etats-Unis dans le style down-home.
Un peu à la T-Model Ford, Junior Kinbourg, très gras. Je
pense que j'aurais de super invités sur ce disque. C'est un peu
celui auquel je pense en premier lieu. Je laisse mûrir les autres.
|
|
Interviews: |