Nico Wayne Toussaint
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST
Comment es-tu tombé dans la marmite du blues ?
J'y suis tombé par l'intermédiaire de mes parents, des férus de musique (country, classique, cajun et blues). Mon père est fou de Louisiane. De blues aussi, mais pas exclusivement. Il ne possédait qu'un disque de Muddy Waters. Un jour, un copain l'a sorti de cette collection de disques. Il l'a laissé sur une chaise et je l'ai pris, puis écouté.
A l'époque, Lewis utilisait une chanson de Muddy Waters (" Mannish Boy ") pour une publicité. J'ai donc commencé par ce morceau. Evidemment, j'ai tout de suite été accroché. Ça ne m'a pas lâché depuis.

Pourquoi avoir choisi l'harmonica ?
Avec le contexte familial, j'ai commencé par jouer du piano pendant trois ans et demi. Pas mon truc avec les gammes, l'assiduité et les méthodes. J'ai arrêté à 18 ans pour me mettre à l'harmonica. Je voulais un instrument dont je puisse rapidement apprendre à jouer sans passer par l'aspect " travail ". Un truc pour aller vite. L'harmonica était pour moi le plus évident. Pas de grosses méthodes, juste un instrument qui joue sur la confrontation entre le souffle et la bouche, ce qui m'a mieux convenu.

Tu as eu la chance de voyager aux USA, avec pas mal de rencontres à la clef. Peux-tu nous en parler ?
Eh bien, comme mon parrain habitait à Minneapolis, je suis allé lui rendre visite pendant un mois. A Minneapolis se trouvait un grand club de blues (depuis fermé), le Blues Saloon. Le premier jour de mon arrivée, un vendredi ; j'ouvre le journal qui mentionnait un concert de Gary Premitch. Mon premier concert aux Etats-Unis. Toutes les stars internationales étaient en tournée au Blues Saloon. J'ai pu y voir Jimmy Johnson, rencontrer des gens, leur parler.
Le fait que je soit français attirait l'attention des gens. Avec politesse et respect, je demandais à jouer à l'harmonica pour un morceau. Des fois cela marchait, d'autres fois non. Les musiciens en tournée ici, on les voit pendant un set, ou une heure et demi. Après, ils disparaissent derrière les barres de fer et les protections. Personne ne peut parler aux artistes. Aux Etats-Unis, ces mêmes mecs font trois sets dans les bars. Entre temps, ils sont au bar en train de boire un café ou un whisky. Tout à fait abordables. On peut aller discuter avec eux, leur serrer la louche. C'est comme ça que j'ai pu rencontrer Archie Michaux. J'ai joué avec Jimmy Johnson, Mickael Coleman et pas mal de musiciens.

Il y a trois ans, Henri Gray s'est produit ici avec Little Buck Senegal, que tu as bien connu. Ton album comporte une partie assez cajun : est-ce un style vers lequel tu pourrais t'aventurer dans le futur ?
Au départ, je jouais dans ce style avec mon père. Il était féru de musique cajun et de zydeco. Donc on retrouve ça en clin d'œil sur mon CD. Quand je suis retourné aux Etats-Unis pour une année complète, étant assistant de français à l'Université de Minneapolis de 1996 à 1997, je suis rendu deux fois en Louisiane. A Lafayette, j'ai demandé à un taxi de m'emmener à un club de blues. Il m'a amené au " Swamp River Saloon ". Un petit bonhomme y jouait avec une Strat blanche. Le club était métissé de blancs et de noirs. Les gens dansaient ensemble. Son batteur devait avoir seize ans et jouait hyper funk, une vraie boule de nerfs et d'énergie. Lui balançait dans le style d'Albert King, dans le souvenir que j'en ai. Un guitariste d'une puissance incroyable. Quand on l'a présenté, je me suis souvenu de son nom comme celui d'un guitariste de Clifton Chenier, sur des vinyles qu'avait mon père. Il m'a fait venir sur scène pour deux-trois morceaux de Jimmy Reed. C'était vraiment fabuleux.

Depuis deux-trois albums, tu as intégré l'équipe Dixiefrog. Comment se sont passées les rencontres ?
Ça c'est passé assez miraculeusement. A l'issue de ce séjour aux Etats-Unis, j'avais enregistré un CD. Puis l'été qui a suivit, des musiciens américains sont venus m'accompagner pour une tournée. Lors d'un concert à Bayonne, une spectatrice est venue nous voir, qui travaillait pour la marque MSI (distributeur de Dixiefrog à l'époque). Par son entremise, le disque a été distribué par MSI et est arrivé dans les mains de Philippe Langlois de Dixiefrog. Il m'a téléphoné pour parler de ce disque : " trop d'harmonica, trop de reprises… mais ça nous intéresse : si tu fais un autre truc, tiens-nous au courant ". Dans les quatre mois qui ont suivi, j'étais à l'armée et j'ai profité d'une semaine de vacances pour filer à Minneapolis enregistrer un autre disque. Revenu avec " My Kind of Blues ", je l'ai présenté à Philippe qui l'a pris en licence. Les albums suivants ont été faits dans le même état d'esprit.

Peux-tu nous parler de ton dernier album ?
Ce disque diffère des autres dans le sens où je me réclamais alors de l'étiquette " Chicago Blues ", Muddy Waters & Little Walter à fond. Tout en le jouant un tantinet plus rock. C'était mes sources. Albert Collins, je le laissait à d'autres. Il se trouve que mon guitariste depuis quatre ans vient du blues-rock, de Johnny Winter, Rory Gallagher ; mais aussi d'Albert Collins et Albert King. On a travaillé ensemble sur " Transgender " où j'avais envie de tester des styles que je n'avais pas vraiment abordés jusque-là. Deux morceaux sont assez funk, avec des cuivres. Pourtant, je ne pensais jamais enregistrer avec des cuivres… Pour moi, cela n'allait pas avec l'harmo, ça ne pouvait pas marcher ! J'ai réécouté des titres de James Cotton avec des big bands et j'ai trouvé que je pouvais avoir ma place avec l'harmonica. On a ce morceau cajun qui est assez rock ainsi que deux titres en français. Finalement, on retrouve peu des morceaux " Chicago Blues ". Je crois qu'il est bon de ne pas trop se répéter, surtout dans la discographie. Cela m'a permis de jeter mon hameçon dans des territoires que je n'avaient pas forcément exploités jusqu'à lors. On trouve aussi des morceaux assez rock, comme le premier " Gimme a Break ". Ce sont des morceaux qui me viennent ainsi. Devrais-je les écarter parce qu'il sont rock ? J'exploite ce qui me vient.

Concernant la pochette de cet album, elle surprends pour un disque de blues. Pourquoi se travestir, pour casser l'image du blues ?
Il y a vraiment de ça. Au départ, pour mes deux disques précédents chez Dixiefrog, on retrouvait le mot blues dans le titre et on m'y voir avec un harmonica. Il fallait changer les choses pour cet album. Du coup, je me suis demandé : comment faire ? J'ai cherché un titre accrocheur, qui me parlait. Ce mot " transgender "m'est venu. Pour les américains, il est relatif aux gens qui se travestissent, qui changent de sexe. Des hommes qui deviennent des femmes, ou des femmes se font passer pour des hommes pour la journée ou une partie de la nuit. J'étais sensible à ce titre parce qu'un des batteurs américain (qui a joué avec Lionel Hampton et Sarah Vaughan) avec qui j'ai beaucoup joué, est lui-même un transgender. Depuis deux ans, il a eu énormément de problèmes pour faire accepter à son entourage son changement. Il a même été battu plusieurs fois et a fini à l'hôpital. C'était un moyen pour moi de lui glisser mon soutien, un clin d'œil. Le mot transgender signifie aussi que je change de style pour quitter cette étiquette " Chicago Blues " afin d'aller vers de nouveaux genres. Pour soutenir le titre, il fallait une pochette en adéquation, donc j'ai décidé de me travestir. Pour jouer cette carte de l'ambiguïté. Cela n'a certainement plus rien à voir avec le blues. Ce qui m'a été reproché plusieurs fois. Dans ce cas, j'en viens à dire : dommage que les gens se fient aux apparences et s'arrêtent à une pochette. La provocation, c'est de dire aux gens : si vous m'avez bien aimé avant, aimez-moi dans mes changements.

Tu figure sur pas mal d'affiches au Benelux. Est-ce une raison pour laquelle tu chantes moins en français ?
Je n'ai jamais trop chanté en français. Par contre, j'ai toujours fait quelques titres en français sur mes albums. Par exemple, sur les trois albums sortis chez Dixiefrog, j'ai placé chaque fois deux titres en français. Ce n'était pas forcément évident de les imposer au début. Comme pour les titres funk ou rock, je me demandais si j'avais envie de les mettre. En plus des morceaux de pseudo-chicago que j'écris, c'est vraiment quelque chose qu'un américain ne pourrait pas faire sur disque. Je ne les joue pas tous. Je préfère les utiliser quand le public s'y prête. Ceci dit, en Belgique ou en Hollande, les gens qui ont acheté mes CD précédents me demandent de chanter les morceaux français, alors qu'ils ne comprennent pas toutes les paroles. Je pense que justement, les gens réclament la vraie personnalité et l'originalité des interprètes. Si on est français, pourquoi se le cacher ? Ceci dit, je ne pourrais pas tourner autant en ne chantant qu'en français. C'est bien d'avoir un répertoire que tout le monde peut connaître et s'y retrouver ; donc en anglais. Tout en ayant à jouer ses cartes françaises.
Pour ce qui est des tournées en Belgique et en Hollande, on a été contactés par un agent qui voulait nous faire venir. Maintenant, on y va régulièrement.

En terme de conclusion, qu'as-tu de prévu pour l'avenir ?
Le festival de Blues-sur-Seine à Mante-la-Jolie à Paris au mois de novembre. A la mi-décembre, je pense partir aux Etats-Unis pour un mois et demi. J'ai plus ou moins trois projets en vue.
Un live à multi-facettes, avec les cuivres sur certains morceaux, mais pas forcément sur ceux qu'on a enregistrés ainsi sur les disques studios. Les concerts qu'on a fait ensemble dépotent méchamment. D'autres morceaux en acoustique : piano, guitare, harmonica. Une palette de couleurs pour ce disque.
J'aimerais aussi faire un album entièrement en français. Pas forcément du blues, même plus du tout du blues !
Je voudrais enregistrer un album aux Etats-Unis dans le style down-home. Un peu à la T-Model Ford, Junior Kinbourg, très gras. Je pense que j'aurais de super invités sur ce disque. C'est un peu celui auquel je pense en premier lieu. Je laisse mûrir les autres.

 
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bluesweb.com

Nancy Jazz Pulsations le 12 octobre 2002

Jingle "Route 66"

Propos recueillis en exclusivité par David BAERST et Jean-Luc

 

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