Nico Duportal
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Fédérateur sans être consensuel, Nico Duportal est le stéréotype de l’infatigable bluesman toujours prompt à saisir sa guitare et à prendre la route. Depuis 2001 et sa rencontre avec le contrebassiste Abdel « B.Bop » Bouyousfi (avec lequel il fonde feu le groupe Rosebud Blue Sauce), il est devenu l’un des artistes qui incarnent le mieux le rhythm & blues originel.
Pourtant, bien qu’arborant un élégant accroche-cœur que n’aurait pas renié Bill Haley, Nico est avant tout un homme en phase avec son époque. En tout cas, il se montre soucieux face aux faits marquants qui définissent notre (souvent) trop triste société.
Se considérant membre d’un groupe, plutôt qu’artiste solo, c’est principalement à la première personne du pluriel que le chanteur-guitariste exprime ses sentiments. Il faut dire qu’avec les géniaux Rhythm Dudes (Thibaut Chopin à la contrebasse et aux chœurs, Pascal Mucci à la batterie, Alex Bertein au saxophone baryton, Sylvain Téjérizo au saxophone ténor ainsi qu’Olivier Cantrelle au piano) il forme un sextet qui avance d’un seul bloc…en direction des marches qui mènent au succès.
Nul n’étant prophète en son pays, cet impressionnant conglomérat de musiciens recueille pourtant les faveurs des programmateurs étrangers (Scandinavie, Allemagne, Suisse, Europe de l’Est, Péninsule Ibérique...) avant celles de leurs homologues français.
C’est d’ailleurs outre-Rhin que j’ai retrouvé Nico, alors en pleine tournée allemande. Un entretien réaliséalors que ce cruel paradoxe tend définitivement à s’effacer, à la faveur d’un splendide nouvel album, « Dealing With My Blues » aux prétentions internationales (édité en France par Dixiefrog-Borderline Blues et par Rhythm Bomb Records pour le reste du monde). Racé et déterminé, voici Nico Duportal…que j’ai pris tant de plaisir à retrouver face à mon micro.

Nico, ton nouvel album « Dealing With My Blues » marque le début d’une collaboration (en ce qui concerne la distribution française) avec le label Dixiefrog-Borderline Blues. De quelle manière le contact s’est-il établi entre vous ?
C’est par le biais de David Isaac de Borderline Blues Agency. Je l’avais contacté, à l’époque, car nous étions à la recherche d’un agent. Au fil du temps, de discussions et de premières collaborations, il m’a proposé de sortir un album chez Dixiefrog. Nous avons, rapidement, dit oui !66

Ce disque est le parfait reflet des registres musicaux qui t’inspirent le plus. S’il reste très homogène, tu t’y aventures dans des styles assez différents les uns des autres. Est-ce une chose qui était préméditée bien en amont, souhaitez-tu démontrer l’étendue de tes goûts, ou cela s’est-il révélé sur le vif, au fur et à mesure de l’écriture ?
Nous ne voulions rien démontrer. Nous aspirions, simplement, à faire un album complètement différent de ceux que nous avions réalisés précédemment. Ceci parce que nous avons, au jour d’aujourd’hui, d’autres choses à dire que de jouer avec les clichés de toutes ces choses qui forment l’idiome des musiques noires américaines des années 1940 à 1960. Nous avions, simplement, besoin de nous servir de ce qui nous inspirait pour écrire nos trucs. Nous ne nous sommes pas posé de questions, il n’y avait pas de plan prédéfini. A titre personnel, je ne voulais pas faire le même disque…c’est tout. Puis, il s’est passé ce qui devait se passer en studio…et c’est très bien !

On te connait en tant qu’artiste de blues et, bien sûr, de rhythm’n’blues. Là, on te découvre dans des registres différents tels que le calypso. Pourquoi t’es-tu « aventuré » dans ce style musical ?
Cette musique a toujours été présente au sein de la discothèque familiale. Pour un morceau tel que « Junior’s mambo », je trouvais marrant de chanter ce texte (qui évoque mes enfants, qui foutent le bazar à la maison) sur ce genre de rythme assez décontracté. Cela s’est fait comme cela…Pour ce qui est de « The one to blame » (qui est un autre morceau inspiré de la culture musicale caribéenne) il devait, à la base, sonner de manière plus country. Comme nous avions bien mangé et bien bu avant l’enregistrement, nous n’avons pas réussi à faire tourner le truc comme nous l’entendions. Nous nous sommes donc retrouvés à faire un genre de calypso. Cette mélodie fait, également, penser à la musique de Bo Diddley.
Au même titre que le blues, le rhythm’n’blues, le rock’n’roll ou la country, le calypso a toujours fait partie des choses que nous écoutons. Si tous les membres des Rhythm Dudes viennent du blues, nous cherchons avant tout à créer notre propre style à partir de cette base.

De manière plus générale, peux-tu revenir sur l’écriture du disque…les morceaux ont-ils été joués sur scène avant l’enregistrement ?
Non, aucun de ces morceaux n’a été joué sur scène au préalable. J’aime conserver une certaine fraicheur avant de rentrer en studio. De plus, nos titres ne sont jamais vraiment terminés avant l’enregistrement (loin de là). Tout se fait sur place…les mélodies et les mots (que j’ai envoyés au restant du groupe au préalable) se finalisent alors et nous voyons ce qui se passe. C’est pour cela que nous avons, parfois, de drôles de surprises…comme un titre destiné à être country et qui vire au calypso (rires) ! C’est toujours plein de coups de théâtre…
Thibaut Chopin met, également, beaucoup la main à la pâte en ce qui concerne les corrections de textes. La grosse partie de notre travail d’écriture se déroule donc pendant les sessions. J’apprécie le fait de travailler de la sorte. Je me sens plus à l’aise avec cette façon de procéder que d’arriver avec un truc hyper « rigide » et structuré. Cela ne m’intéresse pas. Si, en plus d’enregistrer, on peut passer du bon temps en studio, c’est tout de même mieux. Il faut savoir s’amuser…

Dans les articles qui te sont consacrés, il y a un mot qui revient souvent en ce qui concerne ta musique. Il s’agit du terme « vintage ». Cependant, en écoutant attentivement tes nouveaux morceaux, on se rend compte que tes textes sont souvent inspirés par l’actualité et par des sujets qui nous sont contemporains. Que souhaitais-tu évoquer dans « Dealing With My Blues » ?
Le fait que tu parles de cela me fait très plaisir, car les gens qui font des articles sur le disque ne sont pas nombreux à revenir sur ce fait. Nous sommes au XXIème siècle et il est vrai que, musicalement, nous nous inspirons de ce qui a été fait il y a 50, 60 ou 70 ans. Cependant, je constate que beaucoup de gens parlent actuellement des migrants alors qu’ils ne connaissent pas le sujet. Ils se basent sur ce que l’on veut bien leur montrer à la télévision et sur ce à quoi est censé ressembler un camp de réfugiés.A titre personnel, je vis à Grande-Synthe où se trouve (à un kilomètre à vol d’oiseau) l’un de ces cantonnements. Des migrants passent devant chez moi tous les jours et personne n’a essayé de manger ma femme ou de cambrioler mon habitation…
Des vieux fantômes commencent à réapparaitre sur Facebook, dont des affiches du Maréchal Pétain… Je voulais donc évoquer la réalité du terrain et ne pas parler de bagnoles. Les textes sont, en fin de compte, assez modernes. Ils font office d’état des lieux de ce que nous voyons autour de nous. La chanson « Brand new day » (dont l’élaboration a débuté au lendemain des attentats parisiens du 13 novembre 2015) est une réaction face aux gens qui n’arrêtent pas de dire ou d’écrire qu’il faut prier pour Paris. Moi, je n’ai envie de prier pour personne. Au moment de ce drame, je me demandais simplement ce qui allait se passer pour mes enfants. J’ai griffonné ce titre en me disant que le fait de prier ne servait à rien et qu’il valait mieux essayer d’être tous ensemble et de combattre ce triste phénomène. Cela équivaut, peut-être, à « pisser dans un violon » mais j’avais envie de le dire…

Faire sonner ces textes, parfois graves, sur des musiques porteuses de gaité et d’envie de danser a-t-il été un exercice de style compliqué ?
Non, car tout s’est déroulé de manière très naturelle. Nous ne nous sommes pas posé la question… Quand tu écoutes « Brand new day », tu découvres une introduction faite à l’orgue, qui sonne un peu gospel et qui n’est pas sans rappeler BB King. Je me sentais bien de chanter ce texte sur ce type d’arrangement. Un rythme un peu médium mais qui avance, tout en étant assez dansant… C’est pour les morceaux plus « « humoristiques » (« Junior’s mambo » ou « Long way to go ») qu’il fallait que ce soit plus chaloupé, afin de conserver l’aspect « fun » des textes. Pour le reste, tout s’est réalisé en fonction du feeling du moment.66

Tu signes ou cosignes la quasi intégralité des chansons du disque. Parfois, ce travail s’est fait en compagnie de certains membres du groupe (comme Thibaut Chopin)…mais aussi avec l’aide d’illustres artistes issus de la scène blues française. Le premier d’entre eux est Don Cavalli. Comment l’amorce de cette collaboration a-t-elle vu le jour ?
Nous nous sommes connus alors que je jouais encore avec le groupe Rosebud Blue Sauce. Nous jouions sur le même festival et il était venu assister à notre balance. Nous nous sommes recroisés à Paris il y a, environ, 6 ans lors de l’un de nos concerts. Nous avons discuté ensemble puis sommes restés en contact, tout en continuant à partager certaines scènes (en Espagne par exemple). Un jour, je lui ai proposé d’écrire des choses ensemble.
C’est quelqu’un dont j’ai toujours aimé la musique, je l’adore. Ayant enregistré un morceau instrumental, je me suis permis de le contacter afin de lui dire que je n’arrivais pas à trouver un texte pour ce dernier. Il m’a rappelé en me disant que cette musique lui faisait penser aux Ohio Untouchables (groupe formé en 1959 à Détroit, nda). Cela tombait bien car c’était, précisément, le combo qui m’avait inspiré lors de la composition (rires) !
Deux jours plus tard, il m’a envoyé le texte de « Mess and chaos » qui correspondait parfaitement à ce que je souhaitais. Ce titre est teinté d’humanisme et évoque les gens qui veulent bâtir des murs à côté d’autres qui veulent construire des ponts. Encore une fois, j’avais le triste sort des migrants en tête…

L’une des grandes surprises du disque est la présence de Benoit Blue Boy, à la fois pionnier et géant du blues français. Comment vous êtes-vous connus ?
Thibaut Chopin connait Benoit depuis très longtemps, puisqu’il a été le contrebassiste de Benoit Blue Boy et Les Tortilleurs. De ce fait, nous nous fréquentons régulièrement depuis quelques années car il est souvent venu assister à nos prestations parisiennes (et parfois « jammer » avec nous). Au fil du temps, nous avons passé de plus en plus de moments ensemble…
Quand est venu le moment d’enregistrer le disque, je lui ai avoué que j’aimerais bien faire un morceau avec lui…un truc à l’harmonica chromatique. Il nous a donc rejoints en studio et n’a eu à enregistrer que deux prises pour obtenir le résultat parfait.
Cet homme est l’incarnation de la « force tranquille », c’est Benoit Blue Boy quoi (rires) !C’est toujours un plaisir de trainer, de boire des coups et de jouer avec lui.Lorsque nous faisons de la musique ensemble, il y a vraiment quelque chose de naturel qui passe entre nous.

La collaboration s’est si bien déroulée que, visiblement, elle va se prolonger à travers son prochain album (« A Boire Et A Manger A Saint-Germain-Des-Prés ») qui paraitra le 20 janvier 2017. Peux-tu m’en dire plus sur cet enregistrement auquel tu as étroitement collaboré, puisque tu en es la covedette ?
Après sa participation à « Dealing With My Blues », Benoit nous a proposé d’enregistrer un album avec lui. Un disque qui serait un hommage aux grands noms du rhythm’n’blues français (Mac Kac, Jean-Pierre Sasson…). Nous avons immédiatement dit oui et, de ce fait, c’est notre groupe au grand complet qui a mis un maximum de cœur à l’ouvrage. Avec Benoit et son guitariste Stan Noubard Pacha, nous étions un « mini grand groupe » et nous nous sommes éclatés à faire ce disque. Entendre Benoit chanter ce répertoire a beaucoup de sens. Tu verras, le résultat est vraiment chouette…en toute modestie, c’est excellent !

Tu es un jeune quadragénaire, donc encore un adolescent en ce qui concerne ta carrière de bluesman. Pourtant, on sent que tu fais déjà des émules. En effet, toute une nouvelle génération de guitaristes se fait remarquer en France en suivant tes traces. Je pense, par exemple, à Alexis Evans et à quelques autres. Suis-tu de près leurs parcours respectifs ?
Oui, je suis leur actualité et j’ai connu la plupart de ces musiciens alors qu’ils n’étaient pas encore adultes. Ils jouaient déjà « méchamment » ! J’aime bien ce qu’il se passe actuellement. En France, on commence à posséder une scène qui tient vraiment bien la route. Des jeunes comme Alexis Evans, Thibault Ripault ou Damien Daigneau du groupe Money Makers défoncent tout ! Je suis très fier de ce phénomène. De même, je suis très fier de mon « vieux » pote Arnaud Fradin (du groupe Malted Milk), que je connais depuis 20 ans et qui mène un parcours exemplaire. Je suis particulièrement heureux pour tous ces gens-là, il se passe réellement quelque chose !

A l’instar d’Arnaud, te sentirais-tu capable de revenir à un registre plus épuré et, pourquoi-pas, te produire à ton tour dans une formule duo acoustique ?
Pour l’instant, j’ai d’autres projets en ce qui concerne le groupe Nico Duportal & His Rhythm Dudes. Cependant, je me sens tout à fait capable de me lancer dans ce type d’aventure. Le plus difficile sera de trouver le temps car, entre la vie de famille et celle passée sur la route (additionnées à tout ce que cela engendre), c’est un peu compliqué. Il y a bien un moment où je vais faire autre chose en parallèle, c’est sûr !

Je ne peux que rebondir… Peux-tu m’en dire davantage sur tes projets ?
(rires) Nous avons monté une formule quartet (orgue et basse, batterie ainsi qu’une deuxième guitare). Nous essayons d’écrire des chansons ensemble. Don Cavalli a signé un nouveau texte sur l’une de ces compositions. Le résultat ne sonne ni vintage, ni moderne…c’est je ne sais pas trop quoi (rires)…un mélange de plusieurs influences (soul, gospel, country, rock’n’roll, blues…). Ce projet n’est pas encore officialisé, nous en sommes au démarrage et aux premières ébauches. Cela fait du bien de réaliser quelque chose d’un peu différent. Nous planchons dessus lorsque nous en avons le temps, ce qui est assez compliqué actuellement…

Durant plus de deux heures, tu viens de livrer un concert très dense et énergique. Le bar va bientôt fermer et, de ce fait, je vais te laisser y rejoindre les autres membres du groupe. Aurais-tu, toutefois, autre chose à ajouter à ce nouvel entretien ?
Pas vraiment, en dehors de conseiller aux gens d’acheter l’album « Dealing With My Blues » !Il faut arrêter de télécharger illégalement, car ce n’est vraiment pas bien.Surtout, il faut continuer à aller voir et à aller soutenir les musiciens en live…tout en s’informant de ce qui se passe en Europe. De ce côté-ci de l’Atlantique, la scène est qualitativement très riche et de nombreux artistes se démarquent par le biais de leurs productions…ainsi que par leurs talents.Sinon…je n’ai rien de particulier à dire (rires) !

Remerciements : David Isaac (Dixiefrog-Borderline Blues)

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Interview réalisée au
Kulturzentrum Kesselhaus -
Weil am Rhein le 6 décembre 2016

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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