Nico Duportal
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Nico Duportal n’est pas de ces musiciens qui prennent systématiquement un malin plaisir à désorienter leurs publics. Artiste prolixe et indépendant, il a simplement décidé de procéder à un changement de cap en 2019, tout en restant fidèle à son amour des musiques américaines. Ne voulant pas se laisser enfermer dans l’image du bluesman d’inspiration fifties, il s’est ainsi fixé un rendez-vous avec lui-même avant de nous proposer une musique qui colle au mieux à toutes ses influences et à sa propre personnalité. Il résulte de ce travail de réflexion l’excellent album « Dog, Saint and Sinner » qui, s’il ne brosse pas l’auditeur dans le sens des poils, va (en plus de surprendre) gagner à coup sûr l’adhésion de tous. Un disque doté d’une grande finesse qui ne sonne en rien comme un patchwork musical, tant les différents registres qui y sont représentés bénéficient d’une production aussi soignée que compacte. Accompagné par son groupe, The Sparks, le chanteur-guitariste nous donne ainsi une leçon d’envergure. De celles dont on ne sort pas indemne et qui nous pousse à poursuivre, aussi aveuglement que passionnément, ce grand voyageur.

Nico, « Dog, Saint and Sinner » sonne comme ton enregistrement le plus personnel à ce jour. Il reflète, en tout cas, toute la palette de tes influences. En amont des sessions, avais-tu certains disques « étalons » en tête ?66
Il y en a beaucoup, dans des registres très variés… Plutôt que des albums, je me suis inspiré des démarches artistiques de certains musiciens. Ceci dans le sens où l’élaboration des compositions s’est faite par rapport à ce que j’écoutais ces 3 dernières années. Ainsi, j’avais en tête les univers de The Staple Singers, de Doug Sahm, de Dan Auerbach, de Los Lobos, de Lightnin’ Hopkins etc. Leurs démarches artistiques m’ont totalement décomplexé. J’ai travaillé sur ce disque pendant près de 3 ans en ayant ces sons en tête. De ce fait, le travail d’écriture s’est fait naturellement avec la collaboration d’autres artistes que j’affectionne particulièrement.

Peux-tu revenir sur le titre en lui-même. Quelle est la signification de « Dog, Saint and Sinner » ?
J’ai toujours trouvé que cette association de mots sonnait bien. Je crois que nous sommes tous le chien (donc le jeune ou le vieux « con») de quelqu’un. A certains moments nous pouvons, par contre, passer pour des saints (notamment auprès de ses proches ou de sa famille) ou pour quelqu’un d’infréquentable (un « pécheur » aux yeux d’autres gens). Cela avait beaucoup de sens pour moi car j’étais dans une période durant laquelle j’écoutais énormément de gospel (ce qui est encore le cas aujourd’hui). Si je ne suis pas croyant, je m’intéresse énormément à la symbolique et à la spiritualité. Le chien peut aussi être le cerbère, car ce terme veut dire plusieurs choses. Au final, les mots dog, saint, sinner « claquaient » à mes oreilles !

Ce disque se distingue aussi par une collaboration importante à tes yeux, celle avec Theo Lawrence. Peux-tu revenir sur votre rencontre, ainsi que sur votre travail réalisé en commun ?
J’ai connu son travail, en 2016, au moment où il a sorti son premier 45 tours « Heaven to me ». Peu de temps après, il a donné un concert aux 4 Ecluses à Dunkerque. Je suis allé assister à cette prestation et lors de cette dernière, j’ai entendu ce que je m’attendais à entendre… Que se soit dans les arrangements, dans le son, dans les paroles ou la musique en elle-même, je me suis rendu compte qu’il faisait la musique que j’avais envie d’entendre depuis longtemps. Après le concert, comme il me connaissait de réputation,j’ai pu discuter avec lui. Nous sommes restés en contact et, lors du concert célébrant la sortie du disque de Benoit Blue Boy («A Boire et à Manger à St-Germain des Prés »), je l’ai invité. Je lui ai alors avoué que j’avais un titre dont je ne parvenais pas à terminer les paroles. De ce fait, je lui ai demandé si je pouvais lui envoyer la version instrumentale afin qu’il tente d’y apposer un texte. Il a, immédiatement, accepté et m’a envoyé le résultat une dizaine de jours plus tard. J’ai totalement été conquis par ce qu’il avait écrit, il avait tapé en plein dans le mille ! Dès ce moment-là, nous sommes devenus potes et nous continuons à nous revoir régulièrement. Il a également signé le texte de la chanson « No change » qui figurera également sur le disque. Je me suis permis, pour celui-ci, de mettre certaines de ses paroles à ma sauce. En ce qui me concerne, cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu un jeune mec (Theo Lawrence est né en 1995) jouer une musique qui me touche autant.

Peux-tu revenir sur l’enregistrement en lui-même, les techniques employées ainsi que la direction musicale que tu souhaitais suivre ?
Il y a environ 90% des morceaux qui ont été « maquettés » au préalable, avec les moyens du bord. Cela a facilité la tâche à tout le monde et, en premier lieu, à moi-même car cela m’a permis de terminer certains textes en aval. Par la suite, j’ai souhaité passer 6 jours en studio afin d’être « tranquille ». Ainsi, nous avons enregistré en premier les basses, les claviers, les batteries et les guitares rythmiques. Plus les sessions avançaient, plus je me disais que je rajouterais bien tel ou tel son de guitare. C’était comme si j’entendais le mix au moment d’enregistrer… Au final, tout s’est déroulé très simplement, dans une ambiance de totale quiétude. La personne qui était aux manettes savait très bien ce que je ne voulais pas, même s’il ne savait pas toujours ce que je voulais (rires) ! Donc, tout s’est extrêmement bien passé et le résultat final sonne exactement comme je l’imaginais avant de rentrer en studio. En ce qui concerne la technique, il n’y a pas eu d’enregistrement analogique. J’ai bénéficié de l’apport d’un mec qui connait parfaitement son matériel et ses micros. Le studio d’enregistrement choisi est situé à côté de Dunkerque, car le fait de pouvoir rester près de chez moi me tenait à cœur. Cela m’a permis de pouvoir continuer à m’occuper de mes enfants et de conserver un certain équilibre. En effet, passer 12 heures par jour dans le studio, puis rentrer chez moi était une chose importante à mes yeux. Chaque matin, je pouvais ainsi passer un peu de temps avec mes enfants avant de me consacrer à fond aux sessions. Le fait de rentrer chez moi chaque soir a, aussi, constitué une bulle d’oxygène bienfaitrice, j’ai pu respirer et me vider la tête après chaque journée de travail.

Tu es sur ce disque, comme d’habitude, auteur-compositeur. Cependant, tu as décidé d’y adjoindre les talents de quelques intervenants extérieurs. Sur quels critères as-tu choisis ces derniers ?
Mon ami Mig Toquereau a pas mal participé au disque. Je lui avais envoyé quelques morceaux, des musiques sur lesquelles étaient uniquement posés des bouts de phrases ou de couplets. Il y a mis sa patte et me renvoyait le résultat. Je rajoutais mon ultime touche par-dessus… Ce procédé est commun à tous les coauteurs qui m’ont épaulé lors de l’écriture des textes des chansons, que ce soit avec Mig, Mathis Haug, Don Cavalli ou Walter Broes. Ce dernier est un génie de la guitare et un très bon chanteur, il était membre du groupe The Seatsniffers. Je ne souhaitais travailler qu’avec des gens avec lesquels je m’entends vraiment bien et dont j’aime la sensibilité artistique. Tout s’est goupillé comme je le voulais et j’en suis le premier étonné ! Tout ce processus s’est fait naturellement, sans aucun forcing et sans se poser les mauvaises questions. J’espère que cela se ressent dans les compositions, dans le son du disque et dans le disque en lui-même !

Quels sont les messages que tu souhaitais faire passer sur cet album, les thèmes qui te tenaient le plus à cœur ?
J’y parle de moi, de mes expériences, de ce que je connais…ou, en tout cas, de ce que je crois connaitre. J’y évoque mes doutes, mes certitudes, ma vie de musicien, ma vie de père de famille (de « family man »). Je viens du blues et je serai un musicien de blues jusqu’à mon dernier souffle…j’en ferai toujours. Si le blues fera toujours partie de mes influences et de ma musique, je considérais que j’avais d’autres choses à dire. Je tenais, également, à employer une nouvelle façon de d’évoquer ces choses en me servant d’autres sons pour les servir. J’ai connu une grosse période de doutes, durant laquelle je ne me sentais pas forcément à l’aise avec l’idée que les gens avaient de moi…mais aussi avec l’idée que j’avais de moi-même. Ceci quand je me regardais dans la glace en me levant le matin et avant d’aller me coucher le soir… C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé à écrire cet album, sans trop réfléchir à ce qu’il allait devenir et s’il allait vraiment aboutir en un disque. Je me suis donc inspiré de faits envers lesquels j’étais sensible ; mes questionnements, mes certitudes, la foi, la spiritualité. Je tenais également à développer une chose abordée sur mon précédent album, soit l’amour universel. C’est lui qui a été le fil conducteur de tout ce projet…

En préambule à cet entretien, nous disions que ce disque est probablement ton plus personnel à ce jour. Il marque une étape importante dans ta carrière et, probablement, dans ta vie d’homme. Quelles sont, aujourd’hui tes attentes et ressens-tu une certaine appréhension à l’idée de le présenter ?
Je veux, bien sûr, défendre ce disque sur scène et j’aimerais que le plus de gens possible l’entendent. J’espère bénéficier de nombreux passages en radio afin de toucher un public qui soit le plus large possible. Ceci dans la mesure où je ne tiens pas particulièrement jouer uniquement pour un public qui soit blues ou jazz. De même, ces derniers temps, on me dit des choses du type « Ah, tu as monté un projet soul maintenant ! ». Ce n’est pas le cas ! Ce que je fais est de la musique d’influence soul comme elle est inspirée par la country, le gospel, les sons tex-mex. Le blues y est, bien sûr, toujours enraciné (comme les sons de Louisiane sont toujours présents dans le rock’n’roll). Tout cela fait partie intégrante de ma culture. En fait, j’aimerais que tout le monde aime ce disque et comprenne ce que je tenais à y dire (rires) ! Je sais très bien que cela est totalement utopique mais j’imagine que certains comprendront et seront sensibles aux messages que je souhaitais faire passer…

Afin de le conclure, souhaiterais-tu évoquer une chose dont nous n’aurions pas parlé durant cet entretien ?
Je pense, tout simplement, qu’il faut continuer d’apporter son soutien aux musiciens. Il y en a beaucoup, en France et en Europe, qui font de très belles choses. Ils font cela avec toutes leurs différences…comme cela doit être le cas dans la vie de tous les jours d’ailleurs. J’ai l’impression qu’il se passe un « truc » en ce moment… Certaines radios (comme FIP, France Inter etc.) commencent à s’intéresser à une certaine mouvance qui est influencée par les musiques roots. Mon ultime message sera donc de dire qu’il faut continuer à acheter des disques…ceci, même par le biais du digital. Puis, continuez à aller voir les groupes en live. Il faut que les organisateurs continuent de « mettre des billes » afin de monter des concerts et des festivals. Ainsi, tout pourra continuer…

Remerciements : Nadia Sarraï-Desseigne

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Interview réalisée au
Jazz Festival - Munster
le 31 mai 2019

Propos recueillis par

David BAERST

En exclusivité !


 

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