Comment avez-vous découvert le blues ?
Je suis venue à cette musique par la musique folk. Dans cette musique,
il est question des gens du peuple. C'est cette musique qui m'a permis
de connaître ces gens dont on ne parle pas.
On nous parle que des " puissants ", ceux qui ont " leurs
pieds sur nos gorges " (expression populaire américaine, NDLR),
pas de ceux qui travaillent au quotidien.
Vous avez eu un succès avec Harry Belafonte.
Comment vous êtes-vous connus ?
En fait, nous nous sommes connus une dizaine d'années auparavant
dans un club de San Francisco.
Aux U.S.A., vous êtes en plus d'une ambassadrice
du blues, une femme qui porte un message social, politique et féministe.
Avec tout ce qui se passe dans le monde aujourd'hui, quel message voulez-vous
transmettre ?
Je n'ai pas vraiment de réponse. En fait si, j'en aurais une. Quand
on voit la situation du monde aujourd'hui, ma réponse serait :
" donnez-moi une baguette magique et je réparerais ça
! ".
Comme je n'ai pas de baguette magique, pour dire la vérité,
il m'arrive de prononcer quelques mots sans aucun sens. Ces mots, je les
mets en musique. Ils peuvent alors prendre un sens réel. C'est
ainsi que je fais ma propagande.
Avez-vous rencontré Leadbelly ?
Je n'ai jamais rencontré Leadbelly car j'ai grandit au Mississippi
alors que lui était new-yorkais. Tout ce que je sais de lui, je
l'ai appris à travers les disques.
Par contre, j'ai connu Big Bill Bronzy. Un jour, j'étais dans un
club et Big Bill venait de finir un engagement alors que je commençais
le mien. C'était à Chicago et Big Bill était resté
sur le trottoir pour être sûr que rien ne m'arrive.
J'ai aussi connu Alberta Hunter. C'est à son écoute qu'il
m'est apparu comme une évidence que le blues n'était pas
juste une histoire de crier.
Pour revenir à Big Bill Bronzy, il avait écrit une chanson
pour moi. Après avoir lu les paroles, j'ai tellement rougit que
j'ai dû la laisser de côté. C'était ça,
Big Bill Bronzy (rires) !
Pensez-vous que vos anciens titres sont toujours
d'actualité ?
Oui, car ils parlent d'injustice. L'injustice est toujours d'actualité.
La jeune génération est très mal informée.
Personne ne leur transmet les valeurs. La télévision ne
joue pas un rôle positif. Quand vous voyez ces jeunes avec des cheveux
rouges, verts ou bleus, c'est une façon de dire " je suis
moi ". Chaque génération a eu sa façon de déclarer
" je suis moi ".
Toute l'information existe déjà. Pas besoin d'écrire
de nouvelles pièces, ces pièces existent déjà.
Je pourrais toujours écrire de nouvelles chansons, mais tous les
messages sont déjà présents.
Tout repose sur l'exclusion. Vous avez sans doute remarqué aujourd'hui
que les jeunes femmes ont tendance à mettre des hauts de vêtement
de plus en plus courts afin de dévoiler leur nombril. Depuis cette
mode, les jeunes femmes qui ont un nombril qui sort vers l'extérieur
sont si complexées qu'on en a fait une nouvelle minorité
aux U.S.A. De ce fait, ces jeunes femmes ne suivent pas cette mode et
cachent leur nombril car elles se sentent comme exclues
Avez-vous connu la " liste noire " ?
Je n'ai pas connu de " liste noire ". Mais un jour, je me suis
retrouvée à faire signer des pétitions pour l'acquittement
des Rosenberg (couple exécuté par les autorités américaines
pour espionnage alors qu'ils n'étaient pas des espions).
A ma connaissance, je n'ai jamais perdu un job à cause de mes engagements.
Peut être est-ce arrivé sans que je le sache.
Par contre, je me souviens qu'un jour, je devais faire un travail à
l'église avec une certaine personne. Avant cela, cette personne
a emmené ma mère au FBI pour qu'elle témoigne de
ma bonne moralité, pour dire que j'étais une bonne jeune
fille. Ma mère a cru tomber raide morte quand elle a entendu l'employé
du FBI appuyer sur un interphone et demander : " amenez-moi le dossier
Odetta ".
En dehors de ça, je n'ai pas eu d'autres problèmes à
ma connaissance.
Par contre, il y a quelques années, j'ai fait un disque de blues
et là, on m'a beaucoup critiqué (rires).
Dans le blues des années 30 et 40, on trouve
des références politiques et sociales. Ces engagements disparaissent
à partir des années 50 et 60. Pourquoi selon vous ?
C'est lié aux maisons de disques qui ont décidé de
sortir des chansons donnant un stéréotype de l'image du
noir. Il n'y a plus eu de message, parce que le public blanc commençait
à s'intéresser au blues.
Quelle est pour vous l'importance du gospel pour
la communauté noire, notamment en ce qui concerne l'obtention des
droits civiques ?
Le lieu de rassemblement de toute l'histoire des afro-américains,
particulièrement du temps de l'esclavage, c'est l'église.
Pour entrer en contact avec une communauté noire américaine,
il fallait passer par l'église. Il y avait une autre façon
de communiquer entre noirs, c'était par le biais de rassemblement
d'hommes d'église noirs.
Aujourd'hui, on a la radio, la télévision, on a nos chaînes.
Mais à cette époque-là, politiquement on avait une
très mauvaise image des communautés noires. Politiquement,
l'église a toujours servi de lien entre les noirs. C'était
une force communautaire.
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