Nda : Il y a des gens avec lesquels on a l’impression de reprendre une discussion débutée la veille, même si on ne les a pas vus depuis des mois voire des années. En ce qui me concerne, je retrouve systématiquement cette sensation à chacune de mes rencontres avec Olivier Gotti. Le jeune chanteur-guitariste, découvert dans les rues du Cognac Blues Passions en juillet 2011, est devenu un artiste confirmé qui multiplie les projets sous son nom ou en compagnie du dessinateur Steve Cuzor…avec lequel il a monté le BD concert « O’Boys ». En octobre 2018, Olivier a retrouvé le chemin des bacs des disquaires avec « A Way To Win » (label Ahead). Un disque, à l’image de son auteur ; sincère, chaleureux et ouvert aux tendances actuelles. C’est dans le cadre de l’édition 2018 du Nancy Jazz Pulsations (où il s’est produit à 10 reprises en 5 jours) que nous avons décidé de l’évoquer ensemble.
Olivier, tu sembles avoir pris ton temps afin d’élaborer ton nouvel album. Quel a été ton cheminement entre la sortie de « Little Boy Child » et celle de « A Way To Win » ?
J’ai donné pas mal de concerts et me suis consacré à l’écriture des chansons qui constituent mon nouvel opus, soit une dizaine. Il s’agit, tout comme le premier, d’une autoproduction. Ceci implique des délais plus longs, car nous travaillons de manière artisanale…avec nos propres moyens. Il faut trouver l’occasion, le temps et l’argent pour parvenir à notre but. Cela a duré, effectivement, deux ans. Ceci dit, je ne te cache pas que mon objectif était de perdre le moins de temps possible après la sortie de « Little Boy Child ».
Quelle est la direction artistique que tu as souhaité suivre pour ce disque ?
Elle est différente, par rapport à celle que j’avais souhaitée pour le premier. Je désirais quelque chose de simple, avec peu de gens en studio et en conservant ce côté « direct ». C’était moi avec ma guitare, le réalisateur qui était en face de moi avec un ordinateur, puis le reste des instrumentations. Nous voulions opposer le blues à une touche electro. Soit une sonorité plus actuelle qui, selon moi, se lie à merveille avec la musique traditionnelle que j’avais l’habitude de jouer. En ce qui me concerne, il est essentiel de continuer à faire évoluer le blues, plutôt que de l’interpréter une fois de plus comme au début du siècle dernier.
Les morceaux ont-ils été écrits bien en amont de l’enregistrement ou est-ce que tout a été fait sur le vif ?
Par rapport au premier album, j’ai procédé de manière différente. Sur « Little Boy Child » j’avais, en effet, d’abord écrit les chansons…dont certaines étaient déjà rodées sur scène depuis un moment. Ce n’est qu’après que je les ai mises en boite. Pour « A Way To Win » j’ai préféré me rendre directement en studio après avoir écrit 2 ou 3 chansons. Puis, je repartais en période de création et ainsi de suite. Ceci afin de garder une certaine fraicheur, tout en séparant les séquences.
Il en résulte des sonorités plus urbaines et élaborées qu’auparavant, pourquoi avoir fait ce choix ?
Il s’agit, tout simplement, de la direction artistique que je voulais suivre. C’est une décision de départ. Celle de marier un blues roots à des sons plus contemporain, afin d’en faire découler une proposition actuelle…en phase avec notre époque. C’est, effectivement, un blues d’aujourd’hui. C’est aussi une proposition personnelle car il s’agit de ma manière de voir et de ressentir le blues.
Tu rends un hommage appuyé à Bansky dans les notes de pochette du CD. Qu’évoque le street art pour toi et y trouves-tu des liens avec la musique ?
Cela m’évoque beaucoup de choses… C’est actuel et c’est un art aussi vivant que magnifique. J’aime cette manière « volée » dont ces artistes procèdent. C’est identitaire et apposé à notre société…je trouve cela super. Mon choix s’est, plus particulièrement, porté sur Bansky car ce dernier possède une véritable magie en lui. Puis, il a une certaine position par rapport à l’establishment… Sans chercher à faire trop de comparaisons avec lui, mon idée de départ (en ce qui concerne « A Way To Win ») à partir du moment où j’ai pris connaissance du fait que 11% de la population mondiale possédait la moitié des richesses de la planète, était d’évoquer cela en chansons. Cette bataille face à un tel déséquilibre est un engagement commun, une critique de notre société et du système en général.
Il y a deux personnes, en particulier, qui t’ont accompagné sur ce disque. Outre Sébastien Cotton, qui te suit depuis longtemps, on y retrouve Nicolas Steib. Peux-tu me parler d’eux plus en détails ?
Sébastien Cotton, en plus d’être mon luthier, est véritablement devenu mon frère. Il m’a fabriqué mes guitares et ce sont les seules sur lesquelles je joue et je veux jouer. En plus de son activité de lutherie, il s’est mis à travailler comme ingénieur du son. C’est une espèce de chercheur et de savant fou. Un homme à connaitre qui a réussi de lui-même, par amour pour la musique. Il est sorti de son atelier afin de se retrouver derrière des platines. C’est lui qui s’est chargé du mixage de l’album. Avec lui, c’est un véritable partenariat et une histoire qui continue. En ce qui concerne Nicolas Steib, c’est justement Sébastien (qui avait déjà travaillé sur un projet en sa compagnie) qui m’a parlé de lui. Il voulait que je rencontre ce jeune homme. Comme je désirais travailler avec une personne qui ne possède que peu de connaissances du blues, cela tombait bien. Je voulais quelqu’un d’indifférent à cette musique, qui soit davantage ouvert aux sonorités actuelles. De plus, c’est un vrai poète et un multi-instrumentiste talentueux. Je trouvais génial de provoquer cette rencontre. En plus, ça a marché. Nous nous sommes compris humainement et musicalement. C’est de cette manière que l’album est né. Simplement et sans trop abuser de discussions. J’arrivais avec une chanson puis nous travaillions dessus. Un jour ou deux après, le travail était terminé.
En abordant des sonorités contemporaines sur certains titres, estimes-tu que tu fais gagner de la profondeur à tes morceaux acoustiques ?
Oui, parce que l’ensemble gagne en nuances. Sur l’album précédent, même s’il y avait quelques variations (avec une formation basse-batterie sur certains titres), l’ensemble sonnait plus épuré, plus acoustique. Là, même sur scène lorsque l’on se retrouve seul avec sa guitare, ça apporte une balance…une différence. Puis, quand tu reviens vers une instrumentation plus complète ça tranche encore davantage. Ce n’est pas voulu mais ça le permet…et c’est très bien !
Dans les notes de pochette, tu évoques également l’humanité dans toute son horreur. Est-il plus facile pour toi d’écrire sur les difficultés de la vie que sur le bonheur ?
Oui… Déjà en raison de cette musique qu’est le blues, que j’aime parce qu’elle parle de douleur en y ajoutant une grande dose d’espoir. J’ai plus de choses à dire sur les choses compliquées qui ponctuent notre société. Plus, en tout cas, que sur l’amour. Dire : « je t’aime, je t’aime, les fleurs sont jolies et je me réveille le matin quand le soleil brille », ce n’est pas vraiment mon truc. J’aime beaucoup écouter ce type de chansons, mais j’ai beaucoup de difficultés à en écrire…
Peut-on dire que ce disque est un album marqué du sceau de la révolte ?
Il est davantage marqué du sceau de la critique ! Tu sais, je ne suis pas vraiment un révolté. Pas autant, en tout cas, qu’un Bansky qui va brader les interdits et se retrouver la nuit dans une ville ou sur un site célèbre pour y faire des interventions. Là, il risque presque sa vie pour la beauté de son art. Je ne suis quand même pas comme cela… Je ne suis pas un révolté assumé mais je trouve, effectivement, qu’il y a un vrai problème dans notre société. J’avais envie d’exprimer mon point de vue sur ce grand écart qui existe entre certaines personnes…et qui s’amplifie au fil que le temps passe.
Comme je l’ai déjà dit, ton nouveau disque est résolument en phase avec ton époque. Musicalement parlant, vas-tu essayer de recréer sur scène les ambiances qui lui sont propres (et, si oui, comment comptes-tu t’y prendre) ?
En effet, je ne souhaite pas qu’il y ait des différences entre l’album physique et sa restitution scénique. En concert, en plus de ma position assise, j’aurai une guitare sur pied qui me permettra de jouer les solos et les parties les plus « free » du spectacle. J’aurais, également, une espèce de batterie électronique dans laquelle je rentrerai certains rythmes. En plus de cela une bande de l’album, réalisée à partir des instruments que je ne peux pas jouer en live, défilera. Il y aura donc une vraie similitude entre l’album et le live.
Portes-tu des espoirs particuliers en ce qui concerne ce disque, qui tranche de ta précédente production. As-tu des attentes particulières en ce qui le concerne ?
Qui tranche, oui et non… Dans le fond, j’apporte les mêmes choses aux deux albums. J’y viens avec ma guitare, ma voix et mes bouts de papiers…sur lesquels j’ai écrit mes textes. Effectivement, il y a tout de même une différence par rapport à toute l’orchestration qu’il y a autour. Sur le précédent album c’était plus traditionnel alors que sur le nouveau c’est plus electro. Nous avons juste bossé avec un ordinateur… Au niveau des attentes, je souhaite simplement qu’il marche suffisamment pour que je puisse en faire un autre dans la foulée. J’espère aussi qu’il me permettra de toucher de nouvelles personnes. Notamment un public plus jeune. Mon souhait serait, simplement, de lui faire découvrir le blueset l’intéresser à cette musique. J’aimerais que ce disque lui ouvre la porte de ce registre. Malheureusement, beaucoup trop de gens passent à côté…
Parmi tous les thèmes que tu as abordés sur ce disque, quels sont ceux sur lesquels tu ne souhaiterais vraiment plus à avoir à t’exprimer dans les suivants ?
Si les fameux 11% se mettaient d’accord, pour un peu partager les richesses avec les autres…je serais vraiment bien content de ne plus avoir à l’exprimer. Il y a, aussi, une chanson qui évoque les attentats…mais de manière assez subjective…sans nommer des actes précis. Tout ce que nous vivons dans ce monde, avec ces problèmes de religions (dans notre pays ou ailleurs), j’aimerais ne plus avoir à me pencher dessus. Puis, je vais faire ma « Miss France » mais je souhaite moins de misère et un peu plus de sourires sur les visages des gens. Peut-être qu’un jour, je n’aurai plus d’autre choix que d’écrire des chansons d’amour. Au final, cela sera lus compliqué pour moi mais j’en serai bien plus heureux !
Remerciements : Jean-Pierre Vignola, Coralie Arnould (Nancy Jazz Pulsations)
https://www.facebook.com/OLIVIER-GOTTI-169766756429904
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