Nda : Duo tonitruant sur scène, comme sur disque, One Rusty Band donne le maximum malgré sa configuration réduite. Constitué par la danseuse (et percussionniste) Léa Jumping et par le chanteur multi-instrumentiste Rusty Greg, le groupe séduit de par son concept inhabituel, qui allie à merveille la grâce des claquettes à la rugosité d’un blues brut de décoffrage…particulièrement bien maitrisé. Impressionnant sur scène, le tandem passe brillamment l’épreuve du « toujours difficile deuxième album ». Ainsi, « Voodoo Queen » parvient à restituer toute l’énergie déployée face à un public, en nous proposant des compositions taillées pour le succès et pour convenir aux oreilles des audiophiles les plus exigeants. Entre tradition et originalité, One Rusty Band possède toutes les cartes en mains afin de continuer à surprendre un cercle de fans qui ne cesse de s’agrandir.
Votre concept est, particulièrement, original puisqu’il mêle musique et art visuel. De ce fait, je souhaiterais revenir sur vos cursus respectifs en commençant par Léa qui est danseuse et qui fait des claquettes sur scène. Quel parcours as-tu suivi ?
Léa : A la base, je viens du cirque. J’ai commencé cette discipline alors que j’avais 15 ans. Je m’y suis vraiment mise un an plus tard, en Argentine, où j’ai intégré une école spécialisée dans cet art. Par la suite j’ai alterné la rue et la scène, en travaillant au sein d’une compagnie ou toute seule. C’est bien plus tard que je me suis mise à la musique, grâce à Greg. Nous souhaitions monter un projet commun et, comme cela faisait longtemps que je voulais faire des claquettes, j’ai saisi l’occasion. C’est de cette manière que j’ai intégré le monde de la musique, en jouant également du washboard. Cela a été une révélation.
Et pour ta par Greg… ?
Greg : J’ai commencé à jouer de la guitare à l’âge de 14 ans. Mon père étant musicien, j’ai toujours baigné dans cet univers. J’allais le voir lors de ses répétitions…il avait des groupes de rock et je « kiffais » vraiment ce qu’il faisait. Il y avait beaucoup de vinyles à la maison (Led Zeppelin, Jimi Hendrix…). Au départ, je voulais m’orienter vers la batterie, mais il m’a conseillé la guitare. Par la suite, j’ai joué dans des groupes de rock au Lycée… Puis, j’ai arrêté un certain temps en raison d’un accident de moto durant lequel je me suis cassé un auriculaire. Parallèlement à cela j’ai suivi une formation d’ingénieur du son et j’ai beaucoup travaillé en studio, derrière une console. J’enregistrais des groupes de rock, de jazz, de blues etc. Puis, j’ai réintégré le circuit des musiciens en formant un nouveau groupe de rock s’exprimant en français. Lorsque nous avons splitté, je suis parti à Toulouse où j’ai donné rendez-vous à Léa qui travaillait, alors, dans un cirque situé dans le sud de l’Espagne. C’est donc dans la « ville rose » que notre projet a vu le jour. Au départ, nous nous produisions uniquement dans la rue…par nécessité (car nous n’avions pas de travail sur place et que nous avions un loyer à payer) et parce que nous avons rapidement ressenti l’envie de jouer ensemble. Puis, nous avons fait une « tournée des rues » (marchés nocturnes, dans les Landes, sur le bord de l’océan par exemple). Au bout de quelques mois, on nous a proposé de faire des petites scènes (bars…), puis des festivals etc. Nous sommes les premiers étonnés de ce qu’il nous arrive et sommes très heureux d’être parvenu à fusionner des milieux comme le théâtre et le cirque à la musique. Je pense que nous avons, aussi, dépoussiéré l’image des claquettes. Nous appelons, la manière dont Léa en joue, du rhythm and foot ! C’est vraiment de la percussion avec les pieds !
Léa : Oui, je n’ai pas suivi de formation classique de claquettes et je me suis rendu compte, plus tard, qu’il existait de nombreux codes dans cette discipline…même si c’est un milieu assez libre, car les claquettes restent en grande partie basées sur l’improvisation. Mon idée de départ était d’accompagner le blues de Greg en y adaptant des rythmiques. Je considère davantage cela comme des percussions de groupe que comme un travail de soliste. En effet, les claquettes représentent un art « soliste ». Il suffit de voir Fred Astaire dont les chorégraphies le positionnent souvent seul en scène. Mon but est donc de mettre en valeur la musique en y ajoutant des percussions. Ceci sur un rythme tel que le blues, qui est très cardiaque et binaire. Le son produit est celui de quelqu’un qui taperait sur une caisse claire…
De ce fait, tu te considères davantage comme une « interprète de claquettes » que comme une « danseuse de claquettes »…
Léa : Exactement ! Je ne me considère pas du tout comme une danseuse, même si j’ai beaucoup pratiqué la danse avec le cirque. Ceci-dit, j’étais très « nulle »… J’étais au fond de la classe et je partais toujours à droite quand tout le monde partait à gauche (rires) ! Je suis donc davantage une percussionniste, car cela me passionne depuis très longtemps. J’ai toujours fait de la percussion corporelle et j’ai toujours tapé sur tout ce qui me passait à portée de mains.
Greg : Léa est même une très bonne batteuse. Elle gère parfaitement le maniement de la washboard et je la considère comme une musicienne à part entière. Le fait qu’elle bouge beaucoup ajoute au spectacle. Même si sa plaque doit, à peine, mesurer 1 mètre sur 80 centimètres. Sur notre album, on se rend bien compte de son talent de percussionniste…
Léa : A notre connaissance, il s’agit du premier album de blues rock qui bénéficie de l’apport de claquettes (ou de washboard) sur tous les morceaux. Nous n’avions aucun son de référence et, en ce qui concerne le mixage, cela nous a demandé de gros efforts (volume etc.). Au final, nous sommes très contents du résultat !
Greg : Le travail en studio n’était pas aisé car il n’a pas été simple de faire ressortir les claquettes du restant de l’instrumentation. Nous avons fait notre petite « tambouille » jusqu’à obtenir l’équilibre parfait. C’est moi qui, assisté par le formidable ingénieur du son Benjamin Dacruz, était aux manettes. Du mixage au mastering (à Globe Audio en compagnie d’Alexis qui nous a sublimé le son) nous avons fait en sorte de donner à Léa une vraie place de percussionniste. Nous sommes contents de ce que nous avons fait !
Léa citait Fred Astaire que tout le monde connait. Il y a quelqu’un, moins connu de nos jours, qui interprétait du jazz ou du rhythm and blues en tant que danseur de claquettes. Il s’agit de Harold Nicholas. Le connaissez-vous ?
Léa : Oui, bien sûr ! Je cite toujours Fred Astaire pour que tout le monde se fasse une image. Pour ma part, je suis davantage fan de Jimmy Slide ou de Dianne Walker. J’ai bon nombre d’exemples en tête de noirs américains qui étaient également des accompagnateurs à part entière. Il ne faut pas oublier que l’art des claquettes est né dans les bas fonds de New York. Il s’agissait d’un mélange de claquettes irlandaises traditionnelles et de danses africaines. A la grande époque du jazz, les gens se sont aperçus que ces rythmes collaient à merveille à la musique.
Vous qui avez joué dans la rue, vous sentez-vous comme des héritiers des artistes qui se produisaient dans les Medecine Shows (qui mêlaient musique et arts populaires, afin de vendre des alcools plus ou moins frelatés qui étaient censés être des médicaments) dès le milieu du XIXème siècle aux Etats-Unis ?
Greg : (rires) Tu m’apprends un truc car je ne connaissais pas du tout ça ! Pour le coup, non (rires) ! Nous n’avons pas monté ce projet en nous disant que nous allions faire quelque chose qui va sortir de l’ordinaire ou quelque chose qui fonctionnera bien dans la rue. J’ai vu de nombreux one-man bands (en Suisse, France ou ailleurs) et j’ai souhaité tenter ce concept car le groupe dont j’étais membre avait splitté. Je me suis retrouvé à Toulouse où je participais à de nombreuses jam sessions (dans un registre Hendrix ou carrément blues) et, parallèlement, je m’accompagnais seul lorsque je rentrais chez moi. Dans un premier temps, je n’avais qu’un cajon puis j’y ai ajouté une pédale de grosse caisse puis, de fils en aiguille, une caisse claire etc. Au bout d’un moment, à force de m’exercer sur les hauteurs de Pech-David à Toulouse, nous avons tenté cette expérience dans la rue. Le résultat s’est révélé être un succès. Nous pouvions ainsi payer notre logement et nos repas.
Léa : C’était vraiment sans prétention à la base. Le but était, avant tout, de nous amuser et je n’imaginais pas que cela nous conduirait aussi loin. Aujourd’hui, nous en vivons et nous ne faisons plus que ça. D’ailleurs, nous n’avons pas le temps de faire autre chose… J’ai fait beaucoup de créations dans le milieu du cirque (résidences artistiques etc.) et tout était prévu pour que ça tourne alors que ça n’a jamais abouti… Là, on monte un projet dans la rue, pour rigoler, et ça fonctionne !
Greg : Il est vrai qu’on s’amuse beaucoup ! C’était le but d’origine mais nous apprécions que cela nous ramène de la thune (rires) ! Dans la rue c’était vraiment super car les gens ne nous attendaient pas du tout ! La surprise était totale et j’adorais cela, car je voyais bien que nous offrions une bouffée d’air aux gens. On sentait que cela égayait leur quotidien alors que ces personnes allaient travailler…
Léa : Il y a des gens qui en ont loupé leur train car, à une période, nous nous produisions devant la gare de Toulouse. Au final, ces personnes nous en étaient presque reconnaissantes (rires) ! Ce sont des moments inoubliables…
Greg : Nous ressentons la même sorte d’échanges après nos prestations dans des concerts ou festivals. Le fait de parler aux gens fait toujours chaud au cœur. Léa crée même des vocations car son talent pousse des personnes à se lancer dans l’apprentissage des claquettes. Nous transmettons une forme de niaque…c’est vraiment super ! C’est un échange perpétuel d’énergies…nous ne nous en lassons pas ! Le public aussi nous donne énormément…
Greg, en ce qui te concerne, tu es multi-instrumentiste et tu es le one-man band du groupe (ce qui est paradoxal). Tu utilises divers instruments dont des cigar box et même ce que tu appelles un « radiateur box »…
Greg : Oui, sur scène j’utilise une cigar box et une « guitare radiateur ». Cette dernière a été conçue à partir d’un vieux radiateur électrique des années 1970, que j’ai trouvé au fond d’un amas de déchets. J’ai enlevé toutes les résistances électriques qui s’y trouvaient. Je trouvais qu’il avait une « bonne gueule » avec son aspect chromé et ses tâches de rouille. J’ai tout de suite vu le corps d’une guitare Dobro en lui et j’ai décidé de le sauver de la destruction. Je lui ai donc intégré un manche avec des micros. Un jour, en allant manger chez mon père qui est musicien, il m’a montré une cigar box acoustique qu’il avait construite car, lui aussi, est très bricoleur. Je l’ai testée et j’ai adoré le résultat…je trouvais cela incroyable. J’ai, immédiatement, souhaité en posséder une qui soit électrique…et que je puisse brancher dans un ampli Orange avec une bonne disto (rires) ! Nous avons donc œuvré ensemble sur ce projet et il en est sorti cet instrument. Ce dernier a ses qualités mais aussi beaucoup de défauts. Au fil du temps, je l’ai dompté comme un cheval sauvage…
Après l’album « Vagabond », vous sortez le disque « Voodoo Queen » le 27 septembre 2019. En quoi ce dernier diffère-t-il du précédent ?
Léa : Greg avait commencé à enregistré le premier tout seul car je me trouvais, alors, au Mexique où je travaillais dans un cirque. Nous avions rajouté les claquettes, par la suite, sur quelques morceaux.
Greg : En fait, cet album était plus une démo qu’autre chose. Nous devions le sortir dans l’urgence. Léa étant, à ce moment-là, en tournée au Mexique on y trouve des claquettes que sur 3 morceaux (sur 13 au total). Nous y avions repris des paroles de vieux bluesmen (Robert Johnson, Tommy Johnson, Skip James…).
Léa : Le premier album était davantage le projet personnel de Greg, car il avait vraiment envie de se tester. Le deuxième est la résultante d’un travail commun. Nous avons tout fait, à deux, de A à Z. Si c’est Greg qui a posé les bases de nos nouvelles compositions (car c’est lui le musicien du projet), nous avons pris le temps de les construire ensemble et d’écrire les paroles tous les deux. Nous avons aussi fait en sorte que les claquettes puissent s’intégrer naturellement dans ces morceaux et que le son soit à la hauteur de nos espérances. C’est un vrai projet commun !
Greg : Oui, les claquettes sont présentes sur toutes les chansons sauf une (sur laquelle Léa fait des mouvements en live). Sur ce disque, on retrouve l’énergie que nous déployons durant nos concerts. Nous avons tourné pendant près de deux ans avant de l’enregistrer. Les titres ont été composés lors de jams dans notre local de répétitions, ce qui leur apporte une fraicheur inédite. C’est, officiellement, notre deuxième album mais, dans le fond, c’est vraiment le premier.
Votre concept est particulièrement visuel et dédié à la scène. De ce fait Léa, de quelle manière t’y es-tu prise pour pouvoir t’imposer sur disque en tant « qu’interprète » de claquettes ?
Léa : Nous avons beaucoup travaillé le son pour cela. En studio, nous écoutions chaque chanson en enlevant la partie claquettes. A chaque fois, nous nous rendions compte que, du coup, le morceau semblait « vide ». Nous avons fait en sorte que les claquettes donnent de la patate aux chansons et au disque tout entier. Je crois que nous y sommes parvenus !
Greg : En tant que one-man band, j’utilise des riffs très basiques. Léa, par-dessus, nous apporte toute la rythmique (triolets, contretemps…) que l’on retrouve habituellement chez un batteur. Nous avons chiadé le son et enregistré essentiellement dans les conditions du live (sauf les claquettes et la voix).
Léa : Je me suis, également, occupée du visuel de l’album. De ce fait, même sur disque, je me charge de l’aspect visuel du groupe (rires) !
Justement Léa, que cherchais-tu à exprimer à travers ce visuel ?
Léa : A mettre en exergue ce que nous exprimons durant nos concerts. C’est l’une de nos amies (Caroline d’IshotPhotography) qui a pris la photo. On y voit Greg, en mode très rock et moi qui saute très haut. Sur le cliché, nous nous regardons et transmettons au mieux l’énergie rock’n’roll que nous possédons lorsque nous sommes sur scène. En plus d’en mettre plein les oreilles, nous en mettons plein les yeux…c’est notre leitmotiv !
La nuit avance, la température baisse, Reverend Beat-Man est actuellement sur scène et vous avez très envie d’assister à sa prestation. De quelle manière souhaitez-vous conclure cet entretien ?
Greg : Le fait de constater qu’autant de gens viennent assister à des concerts de blues est une grande satisfaction. Il faut soutenir les festivals tels que le Swamp Fest où nous nous trouvons aujourd’hui. Grâce à toutes ces initiatives, la musique reste vivante ! Cela contre la montée d’une certaine facilité, qui pousse les gens à rester chez eux.
Léa : Il faut absolument soutenir la musique vivante et remercier tous les bénévoles qui font en sorte que cela soit le cas !!!
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