Nda : En plus de posséder l’une des plus belles voix de l’histoire de la musique afro-américaine, Otis Clay en est aujourd’hui devenu l’une des mémoires. Elevé à l’école du gospel, l’artiste a su mener à bien une carrière exemplaire qui l’a porté au sommet de la soul music. Parvenant à ne jamais se brûler les ailes sur les feux incandescents du succès, il a continuellement servi sa noble cause sur les scènes internationales. L’auteur du hit « Trying to live my life without you » (repris par Bob Seger et plagié par The Eagles) est maintenant, à juste titre, considéré comme une véritable légende. Un statut mérité qui, pourtant, ne lui monte pas à la tête. Lorsqu’il est éloigné des studios ou des lumières des projecteurs, l’homme mène discrètement une existence entièrement vouée à ses proches et à ses contemporains. Très actif dans le milieu social, il le reste pourtant également sur un point de vue strictement musical. Enchainant les albums et les tournées, il a trouvé le temps de répondre à mes quelques questions, en toute humilité…
Otis, ressens-tu quelque chose de particulier au fait d’être de retour en France. Ce pays évoque-t-il de bons souvenirs pour toi ?
C’est formidable tu sais… D’autant plus que je signe mon retour en France par cette venue à Cognac. Le festival Blues Passions est considéré comme l’un des meilleurs et, lors de ma précédente venue ici (en 2006, nda), l’organisation m’avait fait l’honneur de me nommer Président d’Honneur de la manifestation. Cela faisait des années que j’en entendais parler en bien et que je souhaitais m’y produire. C’est dire si j’ai été content lorsque l’occasion s’est présentée et que, de surcroit, on m’a nommé Président ! C’est donc formidable d’être de retour, je suis heureux d’être ici…
Pour poursuivre cette discussion, j’aimerais que tu évoques ton enfance dans le Mississippi…
Je suis issu d’une famille nombreuse. Nous vivions dans un endroit proche de la nature et très simple… Nous allions à l’église le dimanche et avions la chance d’évoluer dans un environnement très sain et rempli de bonheur.
Te souviens-tu des premiers chants que tu as entendus ?
Il s’agissait, probablement, de ceux interprétés par ma mère. Elle était une très bonne vocaliste et a été ma première influence. La radio a, également, constituée un outil important car ce média m’a permis de découvrir de nombreux artistes dont je suis devenu un admirateur. En premier lieu, j’aimerais citer Ira Tucker du groupe Dixie Hummingbirds ou encore Archie Brownlee des Five Blind Boys Of Mississippi ainsi que Clarence Fountain des Five Blind Boys Of Alabama. Dans mes toutes premières années, ce sont eux qui m’ont permis d’être sensibilisé à la musique et, en particulier, au gospel.
Le gospel continue-t-il d’être un registre important à tes yeux, t’arrive-t-il encore d’en interpréter ?
Oui, cette musique demeure très importante pour moi. Tous les grands noms que je viens de citer continuent de m’influencer jour après jour. Je conserve une grande passion pour ce registre… (pour preuve, Otis a continué de sortir des disques en référence à cet idiome comme « The Gospel Thruth » en 1993 et « Gospel In My Soul » en 2003, nda).
Tu as enregistré à Chicago ou tu t’es installé en 1957 (y intégrant les groupes« The Golden Jubilaires », « The Famous Blue Jay Singers », « The Holy Wonders » et « The Pilgrim Harmonizers » avant de débuter une carrière solo en 1962) ou à Muscle Schoals (Alabama), travaillé aux côtés de grands noms tels que Syl Johnson et vécu de très grandes satisfactions professionnelles. Quelles sont les meilleurs souvenirs que tu conserves après toutes ces années sur la route ?
Je n’ai jamais retrouvé l’ambiance qui régnait lors des premières années de ma carrière mais je continue de ressentir la même excitation qui m’accompagnait à ce moment-là, même maintenant. Chaque période correspond à une nouvelle expérience et me permet de raviver cette flamme. J’ai la chance de pouvoir continuer à me produire régulièrement sur scène et toujours dans des endroits très différents les uns des autres. Je peux ainsi, à chaque fois, rencontrer de nouvelles personnes et vivre de nouvelles expériences. Je suppose, maintenant que j’en suis arrivé à ce stade, que je continuerai de posséder la même motivation jusqu’à la fin.
Quand tu regardes en arrière, de quoi es-tu le plus fier durant ta longue carrière ?
Oh…il s’est passé tant de choses… Parmi tous les disques que j’ai pu réaliser, il y en a un qui me tient particulièrement à cœur. Il s’agit d’un enregistrement en public capté lors de ma première tournée au Japon (« Soul Man : Live In Japan » paru initialement sous le titre « Live Again ! » en 1984 au pays du soleil levant puis en 1985 dans le reste du monde, nda). J’avais pu y dévoiler les deux facettes de ma personnalité artistique. C’est-à-dire y interpréter mes titres de soul music mais aussi y intégrer des classiques du répertoire gospel. Avoir réussi à combiner ces deux registres tout au long de ma carrière demeure une chose dont je reste très fier.
Justement, tout au long de tes concerts à travers le monde. As-tu toujours eu l’impression de te retrouver confronté à un public identique d’un pays à l’autre ?
Les gens restent les mêmes, où que tu ailles. Il s’agit, bien souvent, de fans de soul music chez lesquels tu peux retrouver le même enthousiasme…que ce soit aux USA, au Japon ou en Europe. Par exemple, la nuit dernière (lors du grand concert d’ouverture de l’édition 2015 du Cognac Blues Passions, nda) c’était vraiment formidable et je me suis senti imprégné de sensations formidables dès le début de l’introduction musicale de mon show. Une sorte de joie s’est répandue, la même que celle que j’ai pu ressentir au Japon par exemple. J’aurais pu être n’importe où en ayant l’impression d’entendre les mêmes cris, les mêmes rythmes et de me produire dans n’importe quelle salle ou club. Le fait d’être confronté à ce plaisir que les gens expriment est, à chaque fois, une chose incroyable…
As-tu, cependant, certains regrets concernant ta carrière musicale ?
Pas vraiment… Tu sais, j’ai travaillé sur beaucoup de projets différents et pourtant je ne peux pas dire que je me suis, un jour, senti désolé du résultat de l’un d’entre eux. J’ai toujours fait en sorte d’apporter la meilleure qualité à la musique que j’ai réalisée tout au long de ces années. Celle que j’ai proposée à la vue de tous. Je n’ai donc jamais vraiment ressenti un regret concernant une décision que j’ai dû prendre dans ma direction musicale. Je dois simplement supposer que je ne le dois pas (rires) !
Tu as, récemment, travaillé avec des artistes tels que Johnny Rawls (album « Soul Brothers », paru en 2014 sur le label Catfood Records) ou Billy Price (album « This Time For Real », produit par Duke Robillard et paru en 2015 sur le label Bonedog Records) pour des disques enregistrés à deux voix. Ce travail diffère-t-il beaucoup d’un enregistrement en solo ?
Pas vraiment puisque nous sommes des chanteurs comparables, spécialement dans le domaine créatif. Je partage beaucoup de points communs avec Johnny, même s’il peut sembler assez différent de moi. Nous sommes d’accord sur bien des points et partageons la même opinion sur la musique et sur différents aspects qui composent cet art. C’est pour cette raison que nous avons décidé de travailler ensemble. Oui, nous partageons les mêmes avis sur bien des points…
Quel regard portes-tu sur la nouvelle scène soul ?
Oh, c’est vraiment une question piège (rires) ! Je pense qu’il existe plusieurs variétés de soul actuellement…mais comment créer une nouvelle scène authentiquement soul aujourd’hui ?A mon avis, il s’agit d’une combinaison de musiciens dont les inspirations sont différentes et qui utilisent davantage d’électronique. Je crois même que certains se contentent d’appuyer sur un bouton pour jouer. C’est quelque chose de très différent et qui me semble assez éloignée de la musique soul traditionnelle que j’essaye de mettre en valeur. Il suffit de savoir ce que l’on veut obtenir au final. Par exemple, lorsque j’enregistre, je tiens à donner le maximum et je fais le nécessaire pour m’entourer au mieux en cherchant le batteur qui soit le plus en adéquation avec mon projet ou le meilleur guitariste possible. Actuellement, le courant dominant implique moins d’investissement de ce côté. On peut presque travailler seul avec l’aide de l’électronique et de machines…il suffit simplement de posséder l’appareil le plus performant possible. La créativité en souffre beaucoup…
Pour l’avenir, quel projet souhaiterais-tu concrétiser en priorité ?
Ce serait probablement celui de pouvoir défendre un jeune artiste. Il y a eu beaucoup de découvertes intéressantes ces dernières années mais peu d’entre elles ont pu aboutir sur des carrières durables. Même si cela est, parfois, difficile…il est encore possible de dénicher de vraies voix et d’authentiques talents. Si, en plus, l’une de ces personnes pouvait être en symbiose avec la démarche de mon groupe, mon projet de rêve serait de faire le nécessaire pour la produire. Un jour, Bobby « Blue » Bland m’avait suggéré de travailler avec lui, c’était peu avant sa mort. Malheureusement, à ce moment-là, il n’était plus sous contrat avec un label (Bobby « Blue » Bland est décédé en 2013 à l’âge de 83 ans et n’avait plus enregistré depuis 10 ans, don dernier album « Blues At Midnight » étant paru en 2003 sur le label Malaco, nda). Ceci-dit nous voulions tout mettre en œuvre afin de pouvoir arriver à nos fins. Nous aurions probablement invité BB King sur ce disque, ce qui m’aurait permis d’enregistrer avec deux de mes idoles et de réaliser un rêve…Bref, mon plus grand désir est d’avoir la possibilité de continuer à travailler en studio et de créer de nouvelles choses. Comme je pourrais très bien le faire avec Bobby Rush dans l’avenir…
Pour de nombreux amateurs de musique, tu es devenu une véritable légende…une sorte de survivant de la soul music. Est-il facile de porter ce statut aujourd’hui ?
Non (rires) ! Tu sais, je me demande bien ce qu’il faut pour fabriquer une légende actuellement. Sincèrement, je pense que ce statut s’obtient sur la durée, au fil du temps. Plus ta carrière est longue, plus tes chances d’être considéré comme telle sont importantes…
Oui, mais tu es surtout un grand interprète… c’est avant tout cela qui t’a permis, à mon sens, d’entrer dans l’histoire de la soul music…
J’ai grandi à une époque durant laquelle j’ai eu la chance de devenir ami avec quelques-uns des plus grands chanteurs de soul. Je me suis contenté de suivre leurs pas et de m’inspirer de leurs talents. J’ai combiné tout cela dans ce que j’ai pu réaliser durant ma carrière. Lorsque je suis sur scène, je ressens tous ces vibrations positives et j’ai l’impression que les âmes de toutes ces personnes veillent sur moi. Si certains pensent que je suis une légende c’est, peut-être, simplement car je pense continuellement à tous ces musiciens qui m’ont permis de me former. C’est une chose étrange car même si je me dois d’être créatif, je puise toujours chez mes illustres ainés pour créer un son original. Charles Brown demeure l’un de mes artistes préférés au même titre qu’Ira Tucker, Bobby « Blue » Bland ou encore BB King… Je leur ai beaucoup emprunté afin de me forger un style qui me soit propre. J’ai rencontré Charles Brown avant sa disparition et je continue d’écouter son œuvre aujourd’hui. J’ai découvert sa musique lorsque je devais être âgé de 6 ans et elle m’accompagne toujours. L’un de mes amis était son guitariste et un jour, alors que j’assistais à l’une de leurs prestations, ce dernier a demandé au célèbre chanteur et pianiste quel était l’interprète qu’il écoutait le plus souvent à ce moment-là. Charles Brown lui a répondu (Otis prend une voix grave et caverneuse) : « c’est Otis Clay » alors que j’étais juste en face de lui. Cela reste l’un des grands moments de ma vie, je ne l’oublierai jamais. Il parlait de moi et de ma musique en termes élogieux… Je crois que je me suis un peu égaré par rapport à ta question de départ mais cela me procure encore tellement de sensations positives (rires)…
Quelle est ta définition de la soul music, la vraie définition de ce style à ton sens ?
C’est quelque chose qui exprime réellement ce que tu ressens au plus profond de toi. Le rôle d’un artiste qui se définie comme un soulman et de pouvoir interpréter des choses que tu ressens et de les faire rejaillir. Il doit les exprimer de manière authentique et intense. Peu importe l’habillage musical… De ce fait, même un chanteur de country & western peut être considéré comme un artiste de soul. Il doit chanter des choses que tu vis et que tu sens, c’est ça la soul music…
Aimerais-tu ajouter une dernière chose à l’attention de ton public français ?
Le fait d’être en France est toujours une chose agréable. Venir ici constitue une sorte de continuité puisque nous avons déjà eu la possibilité de nous produire dans 3 ou 4 endroits différents dans ce pays. Les français ont une forte appréciation des musiques afro-américaines et peuvent le revendiquer fièrement. En effet, il s’agit d’un fait historique car bien des artistes venus des Etats-Unis ont vécu en France. Bien plus nombreux, sont ceux qui y ont toujours été bien accueillis à l’occasion de leurs tournées et je suis particulièrement heureux d’en faire partie. C’est un endroit formidable et nous y vivons toujours des moments intenses. Le lien entre la France et les musiques afro-américaines est très important et n’est pas sur le point de s’atténuer. Il y a beaucoup de grandes choses et de belles idées qui ont pris forme ici, en musique…
Remerciements : Miki Mulvehill (Heart & Soul Artist Management)
http://otisclay.net
https://www.facebook.com/otisclayofficial?fref=ts
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