Patrick Verbeke
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

On constate depuis un certain temps un tassement de la popularité du blues, surtout médiatiquement. Par exemple un des annonceurs des Quais du Blues s'est retiré dernièrement ; qu'en pensez-vous ?

Je vais même ajouter tout de suite autre chose : il y avait un autre club qui faisait aussi du blues mais avec plus de difficultés ; c'est le Chesterfield Café de Paris où le grand sponsor s'est aussi retiré. Dans ce cas là, ils m'ont appelé et m'ont demandé de les aider à faire la programmation parce que c'est vrai que c'est devenu plus difficile. Ce sont là de petits aspects. Si on veut essayer de penser à la chose de manière plus générale, plus vaste, moi j'ai cette impression aussi, qu'il y a une baisse d'intérêt de la part des médias et donc du public parce souvent les médias sont les relais du public (et dans les deux sens quelques fois, il ne faut pas non plus les accuser à corps et à cris). C'est vrai, mais je viens de discuter avec John Mayall et je lui ai posé cette question. Lui m'a dit : non, c'est tout normal, de temps en temps il y a des vagues de popularité pour le blues, quand un artiste de blues arrive à passer dans le monde du rock et qu'il arrive sous les feux des projecteurs.

Au début des années 90, il y a eu Steevie Ray Vaughan, les Blues Brothers ( il ne l'a pas cité mais je pense que ce film a fait beaucoup de bien à la cause du blues). Derrière tout cela il y a eu plein de musiciens qui se sont engouffrés dans la brèche. Mayall me faisait remarquer que c'était pareil pour eux dans le Blues Boom des années 60 : c'était Hendrix et Clapton avec Cream qui ont permis au blues de " sortir du guetto ". Tout le monde suit parce qu'il y a quelque chose d'extraordinaire : tout d'un coup il y en a un qui sort du lot, un personnage hors du commun. Steevie Ray et Hendric ont eu cet apport parce qu'ils avaient un jeu de scène délirant, ils avaient des sons extraordinaires que d'autres n'avaient pas joué avant. Sorti de là, tous les autres musiciens de blues ont continué à faire leur blues. Mayall m'a dit que finalement, c'était mieux que le blues ne soit pas une musique faire pour aller dans les grands médias parce que c'est un peu antinomique. Quelque part les gens du blues, amateurs ou professionnels, essayent à la fois de préserver une culture qui est très authentique, basée sur le quotidien, la vie de tous les jours. En fait, qu'est-ce qu'on fait dans le blues ? On chante le quotidien de tout un chacun, pas un tour de force ! Jimmy Johnson, que j'avais interviewé auparavant m'a dit la même chose. On peut très bien passer une vie entière à jouer du blues sans forcement être sous les feux des projecteurs des médias. Lui même était un peu plus âpre en parlant de ça car il ne comprenait pas trop pourquoi. Il disait : après tout, pourquoi on aurait pas droit de temps en temps à des spots publicitaires ou des passages à la télé ou dans les grands médias.

Si on regarde l'histoire du blues, cela a toujours été comme cela, il y a eu des vagues de popularité où le blues est devenu une musique populaire. En 1920 grâce aux chanteuses de blues qui étaient habillées comme des poupées Barbie ( Mamie Smith, Bessie Smith) et cela ne les empêchais pas de chanter super bien et de faire du vrai blues. Mais c'était cela qui les faisait vendre, parce que c'était des nanas qui chantaient, elles seules avaient du succès. Blind Lemmon Jefferson, Robert Johnson a la même époque vendaient 14 disques et puis basta ! Après il y a eu la mode du blues jump, le blues de Los Angeles, du Texas, des années 40 avec des gens comme T-Bone Walker. Une école de blues beaucoup plus sophistiqué dans les accords et accompagnés par des orchestres de jazz. T-Bone Walker, ce qui le rendait célèbre, c'était pas son jeu de guitare mais parce qu'il faisait le grand écart sur scène, qu'il jouait de la guitare derrière la tête et entre les jambes. Hendrix n'a rien inventé à ce niveau-là. Mais cela n'empêche que c'est devenu une figure hors du commun.

Après il y eu le blues de Muddy Waters à Chicago et toute cette école du Chicago Blues naissant des années cinquante qui a eu un assez grand succès même si ce n'était pas sur le plan mondial. Ces gens-là ont eu du succès surtout en Europe où on les faisait venir, que ce soit les anglais ou les français. D'ailleurs les amateurs de blues de l'époque étaient très déçu de les entendre jouer électrique parce qu'ils s'attendaient à un vieux bluesman solitaire sur sa guitare en bois ! Tout cela a donné naissance au Blues Boom anglais. On s'aperçoit qu'en un siècle de blues, il y a eu quatre à cinq vagues successives qui ont porté le blues assez haut. Donc, de quoi va-t-on se plaindre ? Attendons la prochaine vague.

Vous avez touché de très prêt à la radio, à la télévision, à la presse spécialisée et vous vous êtes lancé depuis peu dans l'aventure de l'Internet. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

Au départ, Internet était pour moi un moyen de communication que j'ai trouvé fantastique, en particulier dans le monde du blues. J'étais branché sur le Net dès 1996 et j'ai remarqué qu'en faisant le mot " blues " chez Yahoo, par exemple, j'avais accès à des centaines de sites sur le blues aux Etats-Unis et plein d'infos, de contacts avec des gens et tout ça. Je me suis dit que c'était une petite révolution ; enfin on peut correspondre, dialoguer, échanger des informations sans avoir à téléphoner. En plus, on n'a pas besoin de connaître le numéro de téléphone : on clique sur " Sonny Boy Williamson "  et tout de suite, on a les blues societies qui s'occupent de Sonny Boy, qui font des benefit concerts.

J'ai aussi appris grâce à Internet qu'à Helena, en Arkansas, il y a le fameux Sonny Boy Festival et dans sa ville natale Glendor, Mississippi tous les ans il y a des masters class d'harmonica avec des grands noms comme Charlie Musselwhite, Rod Piazza qui viennent carrément gratuitement pour donner des cours d'harmonica aux petits blacks du coin. Je trouve déjà fabuleux que cela existe et le fait qu'Internet nous tienne au courant de ça ! Maintenant en tant que média, ayant une émission sur Internet, c'est vrai qu'en ce moment ce sont les balbutiements, on pédale un peu dans la choucroute. Je regrette énormément la radio et le jour où je retrouverais une station de radio qui me permettra de m'exprimer et de laisser jouer les autres, cela sera pour moi l'idéal. Je ne dirais pas que l'Internet et les articles sont des pis allés mais vous qui faites de la radio doivent savoir de quoi je veux parler. C'est captivant, moi j'étais en manque, pire qu'une défonce quand on m'a demandé d'arrêter cette émission. Je ne me suis pas rendu compte sur le coup, puis tout d'un coup c'était un grand vide, un grand trou dans ma vie.

Avec Internet, je crois que ça va s'arranger mais cela reste des émissions de télé pour l'instant avec Canal Web. Maintenant pourquoi ne pas créer une radio sur Internet, c'est une autre histoire. J'y pense beaucoup mais des images en plus c'est bien, mais il ne faut pas être prisonnier de l'image. A la radio, il y a quand même un petit peu de mystère de la personne qui parle. Moi je préfère cent fois la radio à la télé en tant qu'auditeur parce que la radio comme pour les aveugles, on se concentre mieux sur les sons. Quand j'écoute la radio, je suis concentré sur la voix, sur ce que dit la personne, alors ne parlons pas la musique ! Je n'ai même pas besoin de fermer les yeux parce que de toute façon je n'ai rien d'autre à voir. Sauf la route qui défile quand j'écoute la radio à la voiture.

A la radio on ne peut pas tricher, cela convient bien au blues ?

On peut encore moins tricher quand on a une caméra devant soi. Par exemple, à la radio, on peut avoir des notes alors à la télévision ça la fout mal quand on lit ses notes. Ce n'est pas à ce niveau-là que je vois les choses. C'est plus au fait que quand on est devant une caméra et qu'il y a du visuel, il faut que ce visuel soit attractif, il faut qu'il se passe quelque chose. Si c'est pour regarder un mec parler, autant l'écouter, pas besoin de le voir.

Depuis quelques années, vous avez un peu suivi l'exemple de Billy Branch qui se promène d'école en école aux USA et à la manière vous parcourrez les routes de France de salle de conférence en cour de récréation. Comment ressentez-vous la réception par le public de l'image que vous donnez du blues ?

C'est extraordinaire parce quand j'arrive, c'est carrément : Wouah, qu'est-ce que c'est ce vieux bubar qui ressemble à Joe Cocker, qu'est-ce qu'il va nous faire là ? Fait nous du rap, msieur, fait nous du rap ! Puis je dis : attendez, je veux bien vous faire un peu de rap, mais avant, laissez-moi vous expliquer et vous raconter l'histoire. A partir du moment où je les branche sur l'esclavage dont ils ne savent pas trop les conditions, puis les chants de travail, le gospel tout cela commence à les intéresser. Après je leur explique que les esclaves ont été libérés quand l'esclavage a été abolit mais que pour la plupart d'entre eux, c'était encore pire parce qu'ils se sont retrouvés comme des clodos sur les routes. Là je commence à parler de la ségrégation raciale, de la pauvreté, etc..Pour certains cela fait écho, forcément, à des choses qu'ils ne vivent pas de la même manière, c'est clair, mais qu'ils vivent quand même dans leur vie de tous les jours dans les cités et je ne sais où. Donc il y a une résonance et ils sont scotchés après.

Il suffit de continuer tranquillement, de faire couler cette histoire avec la musique qui va avec. On arrive presque tout naturellement à la fin à éventuellement du rap, ou quelque chose qui groove. J'avais même un problème avec la techno parce que certains me demandaient si la techno venait du blues. Je répondais d'abord : non, pas du tout ! Puis finalement j'ai vachement révisé ma position parce que je me suis forcé d'écouter de la techno pour essayer de comprendre et de savoir un petit peu ce que c'était. Je me suis aperçu que le but recherché par les auditeurs de techno, c'est quand même la transe et une espèce d'exorcisme, quasi viscérale. Or quel était le but du gospel, des negro-spirituals et même des danses tribales africaines, des pratiques vaudous ? On retrouve ce désir de s'échapper par le rythme. La techno, s'est avant tout bam, bam, bam, avec plein de machines qui font ça. Le résultat est un peu le même que ce qui est recherché et obtenu dans ces musiques-là.

Donc pourquoi rejeter la techno, à part le fait que c'est fait avec des machines, ce qui revient à dire que se sont aussi les instruments des temps modernes. Je crois qu'il faudra toujours garder un pied dans la tradition et savoir jouer avec une guitare sèche, avec des lamelles en cuivre pour l'harmonica ou des anches en plastique pour les saxes. C'est bien de savoir d'où vient tout ça, mais si j'ai la possibilité d'utiliser un ordinateur pour faire du meilleur blues, je le fait sans hésiter comme sur mon dernier disque. Sans aucun problème, sans état d'âmes et avec joie, même ! Cela me permettait de peaufiner certaines choses que je trouvais moyennes auparavant. C'est comme pour Internet, il faut s'en servir comme d'un instrument prodigieux qui est mis à notre disposition. Profitons-en mais soyons vigilants !

Vous venez de parler de votre dernier disque, donc on va saisir l'occasion. Pour la première fois, vous avez enregistré aux USA à la Nouvelle Orléans avec David Frarell derrière les manettes. Quelles sont vos impressions et comment avez-vous ressenti les musiciens avec qui vous avez joué ?

Il y a deux choses qui ont été assez marquantes en enregistrant là-bas. D'une part l'environnement musical de la Nouvelle Orléans avant même de rentrer dans le studio. De toutes façons, il y a de la musique partout et pas du n'importe quoi. Ca joue dans tous les coins et dans tous les styles. J'ai un souvenir extraordinaire d'une petite rue du quartier français où je passais en voiture au ralenti à Bourbon Street. On passais devant les fenêtres ouvertes, de bar en bar et les mecs jouaient à fond les gamelles du rock' n roll, du boggie . Au bout de trois soirs, il y en a ras le bol, pour moi c'est trop tonitruant. En plus, ça ne joue pas toujours très bien. Bourbon Street est quand même un attrape- touristes pour ne pas dire autre chose ! Mais je fait le tour du pâté de maisons et je me retrouve dans une rue parallèle plus calme, une rue où se trouve beaucoup de galeries d'art. Cela roulais toujours aussi mal, on étais au pas et à un moment je me retrouve devant une porte cochère. Là il y avait deux mecs d'une quarantaine d'années, des blacks qui n'avaient pas du tout l'air de clochards. Ils étaient sous ce porche, un chapeau était posé sur le trottoir et personne ne passait, car il y avait très peu de monde. Je me suis alors aperçu qu'ils étaient en train de chanter " Chain Gangs " de Sam Cooke en faisant les gestes : " That's the sound of the men working on a chain gangs " avec le geste des coups de marteaux. Après, j'ai eu droit au concert de Klaxons derrière parce que je ne décollais plus de devant eux deux. C'est un petit exemple pour dire que c'est tellement varié.

Au bord du Mississippi, il y a un black qui est tout seul en train de faire pleurer son saxophone, au bord de la rivière avec la Cajuun Moon au dessus (la lune rousse). Pour quelqu'un qui a toujours rêvé d'aller dans ce coin et d'écouter la musique qui venait de là-bas, quand on est sur place, c'est des frissons sans arrêt, à tous les niveaux et avec plein de styles différents. D'autre part, dans le studio David Farell est un personnage extraordinaire, un ancien batteur qui a enregistré les plus grands : Dr John, les Nevilles Brothers presque tout le catalogue Black Top, Irma Thomas. Quand on arrive dans le studio, il y a toutes les pochettes au mur : le dernier Eddie Mitchell, un Bill Deraime, un Dick Rivers, Il y était une fois. Ce qui a été fantastique avec lui, c'est l'impression d'être une seule tête avec quatre bras pour faire la prise de son, le mixage. Quand en faisant défiler la bande, j'entendais un petit couac de n'importe quel instrument (je ne vais dénoncer personne) et je n'avais pas besoin de lui dire d'arrêter pour mettre le couac à la cave. Il arrêtais avant et hop, viré ! A l'inverse, quand il y avait une jolie phrase qui était un petit peu difficile à sortir, il me disait qu'il fallait absolument la garder pour que tout le monde l'entende. On prenais les décisions ensemble sans se les dire. C'était fabuleux, on s'est quittés les meilleurs amis du monde.

 

 
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le 23 mars 2001 au festival Country Music à Lingolsheim

  Propos recueillis par Jean-Luc & David BAERST

 

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