Patrick Verbeke
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST
Patrick, parlons de ton actualité la plus brûlante, la sortie d'un double album live sur le label Dixiefrog, que peux tu dire sur la genèse de ce disque ?
Oui, c'est tout brûlant, tout chaud. Ça sort du four si on peu dire….
Ce disque a été enregistré il y a un an. Nous avions eu la chance de nous produire au Jazz Club Lionel Hampton de l'hôtel Méridien à Paris. C'est un endroit que j'aime bien et où nous avons déjà eu l'occasion de nous produire assez souvent.

On y joue en principe une semaine. Ce qui nous laisse le temps de nous y installer. Le temps de faire un bon son, d'avoir une bonne balance et surtout de s'y sentir à l'aise, de se sentir comme à la maison. En général ils nous fournissent même une ou deux piaules. Donc vraiment on est un peu comme chez nous.
Il y a aussi une sympathie avec le personnel, les techniciens et toute l'équipe.

Je me suis donc dis que c'était peut être l'occasion ou jamais de faire un album live ce dont j'avais toujours l'appréhension.
Ceci peut être à cause de mon côté perfectionniste et surtout le fait que j'ai toujours dissocié l'activité en studio de l'activité sur scène. Pour moi le studio est un endroit où on fait des expériences. On essaye des choses, on cherche des sons, on peut se permettre de reprendre autant de fois que l'on veut. C'est un endroit pour créer….

Sur scène, c'est une recréation au quotidien. Tous les jours c'est différent, ça dépend de l'ambiance, du public. Si le batteur a eu un tour de rein le matin, ou le pianiste s'est réveillé du mauvais pied ça peu changer pas mal la tonalité des chansons.
Du coup j'avais du mal à me lancer, à me jeter à l'eau.

Là c'était vraiment l'occasion qui faisait le larron. Sur 5 jours de suite, s'il n'y a pas un jour où les prises sont bonnes, c'est que nous sommes vraiment vieux et mauvais à jeter !
On s'est dit que sur les 5 jours, nous allions pouvoir sélectionner de quoi faire un album. Finalement il y a eu de quoi faire un double album avec en plus des extraits de l'émission de radio que j'avais la chance d'animer sur Europe 1 le samedi soir entre 1993 et 1998 (superbe émission " De quoi j'vais m'plaindre " ; Europe 1 dont Patrick a été injustement et scandaleusement évincé, Nda).

C'était une émission sur le blues, avec des bluesmen où il y avait beaucoup de séquences " live " et de rencontres. J'en ai choisit quelques unes que j'ai fais figurer sur cet album.

Peux-tu nous parler du groupe qui t'accompagne sur le disque ?
C'est le groupe qui m'accompagne sur scène depuis longtemps maintenant. Tout d'abord mes deux acolytes : Claude Langlois qui touche à tout ce qui glisse, pedal steel guitar, guitare hawaïenne etc… ainsi que Pascal Mickaelian qui joue de l'harmonica et de l'accordéon diatonique, c'est un jeune accordéoniste mais il s'y met très bien (les deux compères ont leur propre groupe, The Duo, Nda). Cela fait maintenant près de 18 ans que nous jouons ensemble.

Il y a Manu Millot à la batterie qui joue avec moi depuis 5-6 ans, tout comme le bassiste Laurent Cockelaere.
La dernière recrue est Slim Batteux que je connaissais depuis une vingtaine d'années et qui avait déjà joué sur certains de mes albums. Depuis l'aventure de " Autour du Blues " (deux albums réunissant la crème du blues français parus sur le label Créon, Nda), j'essaye de le faire venir à chaque fois que c'est possible sur scène avec nous.

C'est le sextet de base que l'on a eu pendant les 5 jours.
Tous les soirs, il y avait des invités différents dont Davyd Johnson, l'ancien saxophoniste ténor de Luther Allison ; un autre sax ténor que j'adore qui est Didier Marty ; Denys Lable le guitariste avec lequel j'avais réalisé mon album précédent ; Basile Leroux ; il y a mon fils, mon " Sonny Boy ", Steve Verbeke qui nous rejoint à l'harmonica.

Il y en a d'autres qui sont venu mais je n'ai pas pu tout garder. Par exemple Ahmed Mouici ex membre des Pow Wow qui est venu un soir et a fait une version merveilleuse de "Kansas City" ; malheureusement le micro est tombé en panne et il n'a pas été possible de garder la prise. Ceci est un regret….
Il y a aussi eu un problème de place sur le disque, il faut dire que deux fois 75 minutes, ça passe vite (rires).

Peux-tu nous parler du répertoire disque ?
Il y'a d'anciens titres comme " De quoi j'vais m'plaindre ", un autre morceau que j'aime beaucoup qui est teinté country " Delta Queen ". Il y a aussi tous les " classiques " que j'affectionne comme " St James Infermary ", " Sweet Home Chicago ". Il y a un morceau qui est venu spontanément qui est " C.C Rider " dont j'ai fais une version lente en pensant à Roy Buchanan. Il y a aussi un duo avec Denys Lable qui s'est mis à chanter l'un des rares blues lent de Chuck Berry " Wee Wee Hours ", il a fait un superbe solo de guitare.

J'ai donc décidé de garder ce morceau qui avoisine les 10 minutes. Il y a de quoi se réjouir les oreilles et je suis vraiment très fier de ce disque. C'est un aboutissement qui reflète ce que je fais depuis une vingtaine d'années.
J'ai calculé, cette année ça va faire 30 ans que je suis officiellement musicien, je considère que c'est un anniversaire. Alors voilà, 30 ans de carrière, 30 ans de blues et je suis toujours prêt à aller de l'avant.

Ce disque est un inventaire de ce que je propose depuis 30 ans, ce qui ne veut pas dire que je ne vais plus chanter les anciennes chansons qui le constituent. Au moins je n'aurai plus à faire 700 kilomètres pour permettre aux gens de découvrir une version " live " de " St James Infermary " par exemple.

Ce devait être une grande émotion de mixer les morceaux issus de ton émission de radio, je pense aux titres avec Luther Allison…
Oh oui….
Quand j'ai réécouté les bandes, j'ai eu envie de tout mettre.
Je me suis limité mais j'ai pu tout de même mettre quatre morceaux avec Luther. Je me souviens d'un après-midi où on avait enregistré à l'avance et où je me suis embarqué dans une version de " Si t'as mal le blues te fait du bien ". Je lui avais demandé de chanter avec moi et il avait fait le refrain en français, j'en étais tout fier !
J'ai aussi un titre avec Candye Kane, un autre avec Sue Foley qui est merveilleuse. J'adore cette dernière, elle avait fait spécialement le titre " Train to Memphis " car elle savait que je partais pour Memphis le lendemain. Il y a également un morceau avec Coco Robicheaux.

Depuis ton voyage aux USA, on ressent dans ta musique l'influence de la Louisiane, peux tu me parler du choc culturel provoqué par cette ville ?
La Louisiane ça a été quelque chose….
J'ai attendu, j'étais d'abord à Memphis, puis le long du Mississippi sans aller à New-Orleans.
En plus les gens de Memphis ne voulaient pas que je descende me disant : " Non, non, c'est pas la peine, la vraie musique c'est ici à Memphis que ça se passe dans le delta, en bas c'est plus touristique ".

En fait ce n'est pas vrai car outre l'aspect touristique, il y a surtout de la superbe musique et surtout un mélange, un brassage. Le fait d'entendre les cajuns chanter en français a provoqué chez moi un vrai choc émotionnel. Les gens chantaient du blues et du rock'n'roll en français en faisant sonner les mots comme nous on y arrive pas.

Ceci parce qu'ils ont cet accent, ils sont pétris de cette culture et c'est leur patrimoine. En plus ils s'y accrochent très fort, car pour eux le français est une langue en voie de disparition. Il y a cette volonté de faire passer le message et de préserver la langue. Ici ça nous paraît naturel, mais là-bas on prend conscience que c'est vachement beau. La langue est une chose mais derrière la langue se cache un grand patrimoine commun.

Pour moi c'était faire le tour du cercle, car j'étais parti du rock français des années 60, puis j'ai découvert les pionniers du rock américains et de fil en aiguille les bluesmen.
J'ai parcouru tout ce chemin en partant du français pour aller vers l'anglais et une fois arrivé au bord du Mississippi sur les " lieux du crime ", là j'ai retrouvé le français et me suis dis " la boucle est bouclée ".

Avant j'avais toujours un doute sur la langue à utiliser pour chanter, maintenant cela ne me pose plus de problème.
Je chante en anglais et en français sur le même registre en m'adaptant à mon audience. Je peux très bien chanter du français à des américains et de l'anglais à des français avec quelques petites traductions ou interventions de guitare qui peuvent souligner ce que je veux dire. Le message passe ainsi.

Gardes tu de bons souvenirs de l'aventure " Autour du Blues " ?
Oui, déjà cela nous a permis de nous connaître un peu mieux.
J'avais déjà croisé Cabrel mais jamais J.J Goldman.
C'était intéressant de travailler avec eux et de les voir s'attaquer au blues. Leur approche du blues est un peu différente de la mienne, mais sur certaines choses, j'ai appris bien des choses, notamment rythmiquement parlant.
C'était comme de jouer sur un tapis en velours….

Vous vous retrouvez souvent entre musiciens de blues français ?
Oui, d'ailleurs j'ai déjà fixé une date au 20 juin 2005 au Petit Journal Montparnasse à Paris pour fêter mes 30 ans de carrière. J'inviterai tous ces gens pour venir " taper " le bœuf.
Nous allons aussi faire un mini " Autour du Blues " au Festival de Cholais le 2 juillet. Il y aura 6 ou 7 personnes et je pense que le concept perdurera avec un effectif tournant qui nous permettra de continuer à faire vivre à notre façon " Autour du Blues ".

Ceci parce que cette aventure nous a tous marqué. Pour moi rencontrer Beverly Jo Scott. C'était merveilleux car elle est pour moi la vrai " sister ".
Elle me procure des sensations superbes de feeling et de savoir vivre. Si tout le monde était comme elle, qu'est ce que le monde serait beau….

Avec qui aimerais tu encore jouer ?
Après avoir cité Beverly c'est difficile.
Il y a BB King, Clapton mais c'est un peu facile (rires)….

En France il y a Eddy Mitchell avec qui j'aimerai jouer car j'ai beaucoup d'admiration pour le chanteur, l'auteur mais aussi pour le bonhomme. Je le connais, on se croise des fois au bar du Méridien où il vient prendre une menthe à l'eau (rires). Il est un peu bourru comme personnage mais c'est un truc que j'aime bien et je suis un peu comme ça aussi des fois.

Nous n'avons jamais parlé ensemble de ton passé avec le groupe Magnum, as-tu encore des contacts avec les membres du groupe et est-il envisageable qu'un jour sortent des rééditions de vos disques ?
Tiens voilà une bonne question et une bonne idée.
Il me semble que j'ai les bandes, les masters….
Je travaille toujours avec le chanteur Elios Vidal car il s'occupe de l'édition chez Magic Blues. Nous avons fait des productions ensemble (Karim Albert Cook etc…), nous sommes voisins, amis et liés par cette petite structure.

J'ai revu par hasard Jean-Pierre Prévotat, le batteur, je sais qu'il continue à jouer à droite à gauche. Jacky Chalard, lui cours les conventions de disques. Les autres je ne sais pas trop…. Il y a pas mal de pointures qui sont passées par le groupe telles que Jean-Yves d'Angelo, le " pianiste des stars ".
Après, lorsque le groupe ne s'appelait plus Magnum, il y a eu Christophe Deschamps qui était très jeune et qui lui aussi est devenu le " batteur des stars ". Le groupe se nommait Bistrock à ce moment là et nous avons fait deux 45 tours chez Vogue.

Nous reprenions par exemple les " Sultans du swing " de Dire Straits. J'avais eu droit à la poignée de mains et aux félicitations de Monsieur Knopfler lui-même, j'étais très fier !

As-tu de nouveaux projets, tu continues à composer ?
Oui mais j'ai un peu mis en veilleuse la composition car Magic Blues est en pleine restructuration, nous avons eu des hauts et des bats. On essaye de remonter une nouvelle structure avec des bases plus solides.

Personnellement, je voudrai tourner beaucoup, je ne demande que ça car cette année a été un peu maigrichonne au niveau des concerts, mais on ne peut pas avoir toujours 200 concerts par ans.

D'autre part il y a toujours l'Acadie qui reste un point fort et il y a beaucoup de municipalités en France qui voudraient développer des liens avec la communauté acadienne au Canada ou en Louisiane. Elles m'ont demandé de servir de " guide " pour cela et je dois dès cette semaine rencontrer des élus pour mettre au point des programmes pour 2006-2007.
Ceci en faisant participer les collégiens, ce qui me permet de réunir tout ce que j'aime faire….

Cet aspect ludique de la musique te tient visiblement toujours autant à cœur
Complètement, le grand thème de la Louisiane c'est " Laisser le bon temps rouler " et il ne s'agit pas de s'arrêter en si bon chemin. Nous allons continuer à semer cette bonne parole.

Derrière la langue il y a toute une culture et il est vrai qu'aux USA et même au Canada, les gens sont anglophones. Derrière, il y a toute cette culture protestante où l'on doit référer soi-même devant Dieu de sa conduite, donc on fait attention aux débordements. Au contraire les acadiens et cajuns sont majoritairement catholiques et ont cette notion du pêché qui peut être absout et donc on hésite pas le samedi soir à jeter tous les tabous par dessus tête et à s'en donner à cœur joie….

C'est quelque chose qu'il faut défendre car ça fait partie de notre culture francophone et " laissons le bon temps rouler " !

Ce pourrait être une excellente conclusion mais as tu autre chose à ajouter ?
Oui, une autre formule " Gardons le blues vivant " !
C'est vrai que cette musique doit garder son âme, le blues peut devenir ce qu'il deviendra car il y a des expériences qui sont faites autour du blues, à l'intérieur, dedans, peu importe.

Le principal, c'est que l'âme du blues, ce truc qui est à la fois le malaise et le remède il faut s'y accrocher parce que quand tout va mal et qu'on commence à jouer ou à écouter du blues on se sent un peu mieux et là est la voie de la guérison.

En conclusion alors citons Patrick Verbeke " Quand t'as mal le blues te fait du bien " !
(rires) Oui et il te fait même beaucoup de bien !


 
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Les liens :

bluesweb.com
magicblues.com

Interview réalisée au Studio ADIMA - Paris 18ème le 18 avril 2005

Propos recueillis par David BAERST
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