Patrick Coutin
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Toujours présent dans tous les esprits, via son succès « J’aime regarder les filles », Patrick Coutin est avant tout un artiste complet menant une carrière musicale aussi riche que variée. Après un rendez-vous fixé devant la Cité de la Musique, fruit d’une courte rencontre avec Rodolphe Burger, c’est autour d’une bonne table (le jour même de son anniversaire) qu’il a accepté avec générosité de revenir sur son cursus. Un parcours, mené de front des deux côtés de l’Atlantique, l’ayant conduit sur les traces de quelques-uns des plus grands de ses contemporains. Accordons donc à Patrick Coutin la place qui lui est due et laissons ce musicien prolifique, doublé d’un homme loquace, répondre à ces quelques questions.

Patrick, tu es né et tu as passé les premières années de ta vie en Tunisie. Conserves-tu des souvenirs musicaux liés à cette période ?
Le fait de retrouver ces souvenirs musicaux m’a pris du temps. C’est lorsque je vivais en Californie que tout m’est revenu à l’esprit. En effet, j’y avais rencontré une jeune femme qui était danseuse du ventre. Elle était accompagnée par des musiciens et j’ai profité de ce groupe afin de jouer de l’oud, qui est une espèce de luth oriental. Tout monde m’a alors dit « ah, mais tu sais jouer ». Ceci alors que je n’avais jamais touché à cet instrument de ma vie. Je me suis donc rendu compte que j’avais l’oreille qui était formatée par ces sons. Par la suite, j’ai pris des cours afin de pouvoir retrouver cette culture. Cela me permet de te dire que s’il y a une chose qui est difficile, c’est de faire le pont entre la culture musicale occidentale (notamment si elle est rock, jazz ou blues) et la culture musicale maghrébine d’où je viens. C’est encore un chemin qu’il m’arrive d’emprunter en expérimentant certaines choses…

C’est donc à ton arrivée en France, ou quelques temps plus tard, que tu as vraiment découvert le rock’n’roll. Cela a-t-il été bien perçu autour de toi ?
Non parce que, à l’époque, aimer les Beatles, les Rolling Stones ou Johnny n’était pas une chose bien perçue. D’ailleurs, je ne m’intéressais pas tellement aux artistes français car j’étais « branché » sur les anglo-saxons. Tu sais, il existait un véritable fossé entre les jeunes et les vieux en ces temps-là. C’était même une chose que tout le monde entretenait avec beaucoup de plaisir. Les vieux pensaient que les jeunes étaient cons et inversement… C’était la France des années 1960 qui, si elle allait bien (pas beaucoup de chômage, de l’argent, les femmes passaient leur permis de conduire, on pouvait acheter des frigidaires…), était aussi « polluée » par un véritable conflit de générations.

A l’âge de 18 ans tu débarques à Paris, en plein mai 68. Cet évènement culturel et historique a-t-il eu un impact sur ta manière de percevoir la société ?
Ah, oui… cela a changé beaucoup de choses !J’avais, en fait, 16 ans lorsque je suis arrivé. J’étais au Collège en banlieue et ce devait être au mois d’avril. On m’avait donné des références de bouquins à acheter en me transmettant, par la même occasion, l’adresse de Gibert Jeune. Une librairie qui se situait au Quartier Latin. J’y suis allé en métro et suis tombé en plein milieu des manifestations. Je n’ai pas pu rentrer chez moi. J’avais mes bouquins sous les bras en plein milieu de ce qui était une véritable guerre. Les pavés volaient et il y avait beaucoup de fumée… Ce truc m’a, immédiatement, botté… je trouvais ça sympa, la révolution… Cela n’a pas changé ma vision des choses, ça a tout bêtement changé ma vie…

En tout cas tu faisais allègrement le grand écart entre les Beatles et Karl Marx. Ressentais-tu, quelque part, un anarchisme commun entre ces deux univers de prime abord si éloignés (le rock’n’roll et la culture de gauche) ?
Il y a un truc qui est certain… C’est que la culture et la politique sont faites pour changer le monde. Le rock’n’roll, tel qu’il existait dans les années 1970-80, avait pour seul rêve de changer le monde. Il suffit de voir Woodstock ou d’écouter les Beatles. Si John Lennon s’est pris pour Jésus, même si ce n’était pas prétentieux de sa part, ce n’était pas rien. Il disait, qu’avec les Beatles, il avait réussi à changer la vision du monde. Donc oui, ma génération ne faisait pas de la musique pour fabriquer des stars ni pour devenir riche. Ce n’était pas un métier mais juste une manière de dire ce que l’on pensait et dont nous n’avions pas le droit de parler dans les journaux (puisqu’il nous était interdit de donner des interviews). Avec la musique on pouvait dire des choses. De plus, notre volonté était de changer ce monde que l’on ne trouvait pas terrible. Nous n’avons pas réussi, mais c’est un autre problème…

Jouais-tu déjà de la musique à cette période. Si oui, avais-tu intégré un groupe ou t’exerçais-tu seul dans ton coin afin de peaufiner des chansons ?
Non, c’est venu beaucoup plus tard. D’abord, il y a eu mai 68 avec l’engagement politique. Même si je n’étais pas un politicien, on se battait, on faisait des manifestations et on protestait contre tout. Au bout d’un moment, la musique est entrée et nous avons pris en pleine face les sons que produisaient les Beatles, Hendrix, les Rolling Stones, les Doors etc… Il s’agissait souvent de gens qui portaient les mêmes idées que nous. La répression était alors très dure en France, on se faisait sévèrement casser la gueule lors des manifestations, on se faisait virer de la Fac et on se faisait mettre en taule. Moi et bien d’autres, nous sommes orientés vers la musique pour en faire un véritable moyen d’expression. Cela a été un échec (lorsque nous nous sommes rendu compte que nous ne changerions pas le monde) mais deux ou trois choses sont devenues, bizarrement, importantes. Il s’agissait du rock’n’roll, des drogueset de la libération sexuelle. Il s’agissait de terrains de combats autres que la politique puisque cette dernière ne servait, finalement, à rien. Nous nous sommes donc tournés vers tout cela…

Entre 1974 et 1976, tu es parti en Californie. En quel état as-tu trouvé cette ex Mecque du mouvement flower power ?
C’était encore très bien… C’était même fantastique et un réel bonheur pour moi. Je suis arrivé là-bas sans un « rond » en poche et me suis, rapidement, fait des amis. On y a vécu, on y a bossé, on y avait des copines et des copains, nous y avons fait de la musique. Bref, c’était l’Amérique (rires)…

Y as-tu vécu des expériences musicales ?
Comme je te l’ai dit en début d’entretien, j’y ai fait de la musique arabo-andalouse afin d’accompagner des danseuses du ventre. J’y ai, aussi, commencé à jouer avec des groupes de rock à droite et à gauche. J’habitais à côté de San Francisco où on pouvait gratter sa guitare 8 heures par jour. On se levait le matin, on prenait un thé et on attaquait. Cela a été mon rythme pendant deux ans.

A ton retour, et avant ton succès commercial en 1980, as-tu immédiatement élaboré des projets musicaux ou est-ce que tout s’est passé très vite avant la sortie de ton premier disque ?
J’avais quelques chansons que je commençais à jouer mais, en arrivant en France, je suis très rapidement devenu journaliste. Je suis passé par la revue Rock & Folk… Il fallait que je bosse et, comme je parlais un peu anglais (ce qui était assez rare à l’époque), que je connaissais la musique et que je m’intéressais à la technologie je me suis dit « je vais écrire ». J’ai eu du « cul » car j’ai été pris à Rock & Folk où je me suis mis à faire des articles. Si j’avais des copains qui faisaient de la musique, je ne rêvais pas pour autant de mener une carrière dans ce milieu. J’avais une guitare mais c’était le cas de tout le monde à cette période.Dans un premier temps j’ai commencé à écrire des textes pour le groupe de mes potes, puis le guitariste est parti et je l’ai remplacé. Puis, c’est le chanteur qui a quitté le combo et je me suis retrouvé derrière le micro. C’est juste après, vers 1979-80, qu’on a décidé de faire un disque. Tout cela s’est déroulé en un laps de temps très court. J’ai commencé à chanter en 1979 et j’ai enregistré mon premier album en 1980…

Le succès a été immédiat, notamment avec le morceau « J’aime regarder les filles ». Avec le recul, penses-tu que débuter avec un tel tube est un handicap ou, qu’au contraire, il s’agit de quelque chose de formateur pour un artiste ?
C’est tout à la fois… C’est comme si je te disais « naitre riche, est-ce un handicap ou une chance ? ». Par certains côtés c’est une chance, parce que je n’étais rien en dehors d’un môme de banlieue. Mes parents n’avaient pas d’argent et, avec le groupe, nous n’avions même pas de quoi nous payer des guitares. On a même volé pour payer nos instruments… Donc, que le succès arrive aussi vite, nous a considérablement aidés. D’ailleurs, ça m’a aidé toute ma vie… En même temps, il est clair que ce hit « J’aime regarder les filles » a occulté tout ce que j’ai pu faire par la suite. Cette chanson m’a donné les moyens de faire plein de choses et a fait que tout ce que j’ai pu produire par la suite n’a jamais été aussi populaire. C’est donc une chance et un handicap à la fois, comme beaucoup de choses dans la vie… ce n’est jamais ou tout noir ou tout blanc.

Malgré ce succès, te considérais-tu comme un artiste « marginal » au sein du show business français ?
Oui, d’ailleurs je suis et je reste un artiste marginal. Je suis marginal par nature… Je ne fais pas partie du show businessmême s’il m’est arrivé de le côtoyer (émissions TV etc…). Ce n’est pas un jugement de valeurs, je suis marginal parce que je suis marginal point à la ligne. J’aime être à côté, être à ma façon et je ne pense pas comme les autres en même temps que les autres. Je suis comme ça, c’est tout. Ce qu’on appelle le show biz, je n’en ai jamais fait partie et cela ne me dérange pas. Ni dans un sens, ni dans l’autre…

Après avoir enregistré six albums, tu es parti t’exiler au Texas où tu as produit des disques (principalement pour des artistes français : Dick Rivers, Les Wampas…). Comment s’est déroulée ton intégration dans le milieu musical local ?
Il est très aisé de s’intégrer là-bas. En Amérique, les gens sont efficaces et simples. Donc, si tu connais ton job et si tu sais ce que tu veux, tu es tout de suite accepté. Si tu arrives et que tu dis ce que tu souhaites au meilleur batteur du monde, si le mec comprend il te le fait. Comme j’avais déjà un peu d’expérience musicale, que je savais ce que je voulais et que je parlais déjà un peu l’anglais… je me suis retrouvé comme chez moi ! D’ailleurs, je me sens partout chez moi. Si tu me mets en Afrique du Sud je serai pareil. Pour moi, le monde entier m’appartient… c’est un grand terrain de jeux.

Avais-tu déjà connu des expériences en tant que producteur avant de repartir aux Etats-Unis ?
J’avais produit mes propres albums ainsi que quelques autres artistes. Il s’agissait souvent de maquettes car j’aimais bien aider des copains ou des copines à faire leurs trucs. La production n’est pas une chose si complexe que ça. Il suffit de deux choses… des chansons et des artistes (chanteurs et musiciens) !Quand tu as les meilleurs, c’est vachement simple… c’est quand ils sont mauvais que cela devient difficile (rires) !

Quelles sont les personnalités artistiques qui t’ont le plus impressionné à Austin ?
J’ai adoré, et j’adore toujours, un gars qui s’appelle David Grissom. C’est un grand guitariste américain que l’on a pu entendre aux côté de John « Cougar » Mellencamp et bien d’autres. C’est un type fantastique… J’ai, bien sûr, été très impressionné par Willie Nelson. J’ai eu l’occasion de travailler dans son studio d’enregistrements qu’il m’a souvent prêté. C’est un artiste extraordinaire…Il l’est même quand il fait des chansons qui n’ont pas un grand intérêt. C’est un Artiste, il arrive toujours en ayant un truc à dire… J’ai vraiment rencontré plein de gens étonnants, qu’ils soient connus ou qu’ils le soient moins. J’y ai vu beaucoup de concerts extraordinaires et j’y ai vécu des sessions inoubliables avec, quelques fois, des moments qui resteront gravés à jamais. Comme le jour où les Neville Brothers ont débarqué dans le studio à sept heures du matin, avant d’aller se coucher, le temps d’enregistrer deux chansons en une heure. Il y a vraiment eu de grands moments…En Amérique il y a beaucoup de gens qui font de la musique depuis qu’ils sont petits. Il y a un tel brassage de cultures (entre rhythm & blues, rock, country etc…) que tous ces gens ont beaucoup de facilités et de talents. Il y a toujours un bon truc à entendre.66

Tu évoquais Willie Nelson qui est extrêmement populaire aux USA. Ceci tout en ayant une ligne de conduite qui va en dehors des frontières de ce qui peut être accepté outre Atlantique. Je veux, bien sûr, parler de son rapport avec le cannabis. De manière générale, comment cette « ambivalence » est-elle perçue dans son pays ?
Il est difficile d’expliquer l’Amérique en deux minutes… Ce pays est, à la fois, très bourgeois, presque rétrograde et, en même temps, particulièrement avant-gardiste. Il y a de tout là-bas, c’est une « auberge espagnole ». Tu as le mec comme Willie Nelson, qui est une vedette qui a vendu des dizaines de millions d’albums et qui a été chanté par les plus grands (Elvis Presley…), qui ne se cache pas de fumer des joints et qui en plus prends un acide tous les matins. Il est là et tout le monde le connait bien. A partir du moment où il emmerde personnetout va bien. A côté de lui, tu peux avoir le redneck qui se bourre dès six heures du matin… tant qu’il emmerde personne tout va bien ! C’est grand l’Amérique, les gens ne se marchent pas les uns sur les autres. C’est un pays plein de paradoxes, pour le comprendre il faut y aller. Quand j’y suis, j’y suis bien… Je suis plutôt anarchiste et j’y suis bien en tant qu’anarchiste. Les gens m’y acceptent tel que je suis…

En 2001 tu as sorti « Industrial Blues », un album qui a reçu un bel accueil critique. Pourtant, quelques temps plus tard, tu as décidé de disparaitre de la circulation pendant quelques années. Pourquoi as-tu fait ce choix alors que ce disque pouvant être synonyme de « nouveau départ » pour ta carrière ?
J’avais dit ce que j’avais à dire et j’avais envie de faire autre chose…Quand tu es auteur-chanteur-guitariste-producteur, tu finis par passer ta vie avec toi-même. C’est comme si tu te regardais dans la glace 24 heures sur 24. De temps en temps tu en as un peu marre de voir ta tronche et tu en as marre d’être avec tes pensées. J’ai donc eu envie de m’occuper d’autres choses et de voyager. Je me suis tourné vers le bateau, j’en faisais beaucoup quand j’étais petit. Je voulais aussi vivre d’autres expériences. J’ai travaillé dans des villes, sur des festivals, dans une salle de spectacle que j’ai montée dans le département 93. De plus, je n’avais plus envie de chanter ni de parler de moi. A mon humble avis, j’avais fini mon « truc »…

Tu es de retour avec un album enregistré en public, « Babylone Panic Live » (sorti fin 2013). De quelle manière pourrais-tu en qualifier la direction artistique. Est-elle très imprégnée de tes expériences américaines ou revendiques-tu davantage cette « french rock touch » ?
Je ne sais pas vraiment… En fait, tu es la somme de tout ce que tu es. A l’âge de 15 ans, j’ai commencé à écouter les Beatles, les Rolling Stones, les Animals puis, comme tout le monde, je suis passé à un rock dit progressif (les Doors puis Yes, King Crimson…). Par la suite, j’ai vécu aux Etats-Unis où je me suis imprégné de ce rock californien (Eagles, Jefferson Airplane…) puis je suis revenu en France où je suis devenu « chanteur français » car, à partir du moment où tu t’exprimes dans la langue de Molière tu le deviens, même si tu es rock dans l’esprit. En tant que réalisateur, j’ai suivi toute l’évolution de la musique (y compris la techno et tous ces « machins » là). J’ai même été un fan de Kraftwerk, de David Bowie etc…Au final, j’ai l’impression d’être à une période de ma vie où tout cela ressort dans le désordre. Je peux te composer un rock puis, le lendemain matin, te sortir un morceau de techno et le surlendemain une ballade à la Brassens ou un truc comme ça…L’avantage avec le temps, c’est que tu gagnes en liberté. Tu ne te sens plus obligé d’être quelque chose vis-à-vis des gens qui cherchent à te cataloguer en tant que chanteur de rock ou non. Il faut dire que c’est très compliqué en France, il y a de véritables « Ayatollahs » qui décernent des diplômes. Tour cela ne m’intéresse pas de trop. Je fais de la musique et j’ai la chance d’en faire avec de superbes musiciens. Des gens avec lesquels il est véritablement excitant de travailler. J’ai aussi la possibilité de faire autant de musique que je le désire, ce qui est une chose fantastique. Je chante en français, en anglais donc je ne sais pas ce que je suis. Je suis, avant toute chose, un homme libre. C’est cela le combat d’une vie d’artiste, faire ce que tu as envie de faire et quand tu le veux.

Tu es donc un « électron libre musical » mais, quelque part, te sentirais-tu proches de certains groupes de rock français actuels. Y aurait-il des héritiers de cette scène rock française du début des années 1980, que tu as, si fièrement, défendue ?
Je ne crois pas au terme héritage. Je crois au terme recyclage. A titre personnel, j’ai recyclé le blues alors que les groupes actuels recyclent le rock que nous avons fait (nous les français mais aussi les anglais et les américains). Je ne me sens pas d’héritiers…De toute façon, si j’avais un héritage je déshériterais et je dépenserais tout.Par contre, sur la scène actuelle, je pense qu’il y a des « trucs » supers. Par exemple, je trouve vachement bien que le groupe Shaka Ponk ait reçu la Légion d’Honneur. J’ai eu l’occasion de le voir, sur scène, à la Fête de l’Huma et ça m’a éclaté. Tout comme j’ai aimé Noir Désir et comme je continue à aimer plein de groupes. Bien sûr, il y a des choses que j’apprécie moins… quand c’est « trop bien » fait par exemple. Le rock doit être spontané…Bizarrement, je me suis davantage senti comme étant un « héritier » de Brel et de Brassens que du rock. Même si je ne sais jouer que du rock…Aujourd’hui, il y a des choses qui m’impressionnent vraiment, surtout au niveau des prestations scéniques, ça joue vraiment bien…Nous avons de bons musiciens dans ce pays. Dernièrement, j’ai vu un clip de Thiéfaine, j’ai trouvé cela génial ! Ce n’est pas parce que tu as 18 ans que tu es meilleur que si tu en as 60 et vice versa. Avant de débuter cette interview je te parlais d’Izia Higelin, dont j’ai vu la vidéo enregistrée dans un bar lors d’un concert improvisé dans un bar de Sainte-Marie aux Mines (lors du festival « C’est dans la Vallée », nda). Cette fille est vraiment « comme il faut » et je me dis que j’aurais bien aimé être là pour vivre ce moment.

Tu parlais de Brel, Brassens, Thiéfaine… de grands auteurs français. Tu es, toi-même, un songwriter. A ce titre, n’est-ce pas trop frustrant de constater que certaines de tes anciennes chansons collent toujours, malheureusement, à l’actualité. Cela entretien-t-il la révolte qui sommeille en toi ?
 Non, c’est une déception… Quand je chante « Les anges de poussière » (sur l’intégrisme, sur la route de Damas etc…), une chanson écrite il y a 20 ans, je me dit « merde, je suis dans un monde où l’intolérance a encore progressé ». A l’époque, je pensais qu’on en voyait la fin mais, en fait, ce n’est pas le cas. Ce n’est donc pas vraiment de la révolte mais plus une immense déception. Voir que notre monde n’est pas forcément meilleur et que les enfants que nous faisons n’évolueront probablement pas dans un environnement plus propice à la tolérance. En même temps, toute l’histoire de l’humanité est un combat entre le progrès et l’obscurantisme. Il n’y a donc pas de raison pour que notre époque y échappe.

Aujourd’hui, quels sont les sujets qui t’inspirent lorsque tu te trouves face à une feuille de papier ?
Tout… J’essaye de faire le tri, sinon il y aurait de quoi écrire une chanson toutes les deux minutes. Il y a une chose à laquelle on pense plus souvent avec le temps qui passe. Il s’agit de la destinée humaine… Ma génération a traversé tellement de choses. Le monde va de plus en plus vite et les mômes qui ont, aujourd’hui, 10 ou 12 ans vont vivre des choses incroyables. Il m’arrive de penser à ce qui a pu se passer ces 40 dernières années, y compris dans la sphère politique (le Mur de Berlin, la Guerre Froide, le Vietnam, la Guerre d’Algérie…). Je me dis alors que cela existe toujours et qu’une bombe atomique va bien finir par nous exploser à la face, avec toutes les conneries qui se passent à droite ou à gauche. Cela est une source d’inspiration permanente mais, surtout, une source d’interrogation. Ce que je trouve extraordinaire c’est qu’autant je pouvais être affirmatif quand j’avais 25 ans (en me disant il faut faire ceci ou cela), autant je t’avouerais qu’actuellement je ne ferais pas le malin en le devenant. Il est difficile de deviner comment cette histoire va tourner…

Pour en revenir à l’album « Babylone Panic Live »… Peux-tu me le présenter et évoquer la manière dont a été conçu (enregistrements étalés dans différents endroits par exemple) ce disque que tu considères presque comme un « bootleg ». Quels moyens as-tu mis en œuvre pour restituer l’ambiance de ces concerts ?
En fait, cet album n’a pas été conçu. Avec Gilles Michel (bassiste de Patrick, nda), nous avions sorti l’album « Le Bleu » avec lequel nous sommes partis en concerts. Pour cela nous avons monté un groupe constitué d’amis (François Bodin à la guitare, Eric Lafont à la batterie) et nous avons commencé à répéter. Alors que nous étions partis sur un projet d’album folk, le tout a viré au rock. Nous avons fait tous les clubs imaginables sur Paris (Le Réservoir, Le Bus Palladium etc…) et comme les musiciens français sont des fumistes (ils ne répètent pas beaucoup et préfèrent travailler chez eux, il est très difficile de bloquer un groupe 15 jours dans une salle de répétitions) on s’est dit qu’on aller enregistrer les concerts afin d’avoir des bandes pour travailler. Notre manager et ingénieur du son, Jean-Philippe Lajus, a commencé à enregistrer et nous avons pris les meilleurs moments de chaque concert afin de les réunir sur une même « bande » servant de base à nos pseudos répétitions. Un jour, nous nous sommes rendu compte que cela pouvait constituer un bon album…Ce dernier a été enregistré de manière basique ; Pro Tools, 8 pistes au cul d’un mac portable (quelques fois avec des distorsions et de la saturation). Je trouvais le résultat intéressant et nous nous sommes mis à le mixer, ce qui a pris un peu de temps. Le plus long a été le choix des titres puisqu’une bonne soixantaine de morceaux différents ont été captés. S’écouter 2000 fois chanter le même titre, il y a de quoi devenir fou et se dire « putain, il y en a marre de ce con » (rires) ! Au final, il reste une dizaine de morceaux mixés par Jean-Philippe. J’avais vraiment envie que quelque chose reste de ce groupe. Je suis quelqu’un qui s’ennuie vite (à peine une chose terminée qu’il faut que je passe à la suivante). Par exemple, je passerais bien une année à faire autre chose pour mieux retrouver ce groupe par la suite. J’ai besoin que ça bouge pour que ça me garde vivant. J’ai souhaité conserver une trace de ces concerts, donc on l’a fait comme ça. C’est vraiment un bootleg, c’est le cas de le dire…

Qu’en est-il, de ce fait, de ton projet folk qui te permettrait de donner un joli relief à tes textes ?
Ben, je l’ai oublié…Pour l’instant je m’amuse à faire des trucs techno-destroy mais ça va sans doute me passer. Tout passe tu sais…Sinon, nous allons donner quelques concerts dans les mois qui viennent. Cette aventure avec mon nouveau groupe est vraiment fun. J’ai un autre projet avec mes musiciens actuels et d’autres personnes. Notamment plein de chanteurs qui sont aussi concernés. Il s’agit d’une espèce de collectif basé sur des chants et des compositions. Mon but étant d’écrire des chansons que je ne peux pas interpréter moi-même. Par exemple, je ferais bien un titre en ayant voix de femme mais cela ne marche pas car je n’ai pas la bonne tessiture. Je veux donc m’amuser en faisant un album et, peut-être, un ou deux concerts avec ce concept.

Tu as côtoyé énormément de musiciens depuis tes débuts. Quels sont, justement, les artistes avec lesquels tu aimerais travailler aujourd’hui ?
C’est marrant car, dans le cadre de ce collectif, on se disait qu’on allait chercher des personnes qu’on a envie d’avoir. Cependant je n’ai trouvé que des trucs bizarres et irréalisables. Par exemple, je me suis dit « tiens, sur ce morceau, ce serait bien d’avoir Carlos Santana », « sur tel autre d’avoir Hendrix » (rires). Je ne sais pas mais idéalement tu t’imagines une scène sur laquelle se trouvent Jim Morrison, Keith Richards, Mick Jagger, Jimi Hendrix, Santana, Joe Pass, Wes Montgomery, Django Reinhardt etc…Le rêve serait de faire cela. Ce qui peut être, un jour, sera virtuellement réalisable. Ce serait vraiment incroyable car, dans le rock et toute la musique contemporaine, il y a vraiment eu du monde… ça fait mal !

Tu me parles beaucoup d’artistes du passé mais conserves-tu de l’espoir envers les scènes rock et blues actuelles ?
Oui, bien sûr ! Cependant, il est beaucoup plus simple de parler au passé car c’est confirmé.A l’époque d’Hendrix, tout le monde disait de lui « c’est n’importe quoi, c’est quedal… ». Il a fallu vingt ans pour que les gens crient au génie et avouent qu’il était unique et exceptionnel. Il y a aussi des gens uniques et exceptionnels de nos jours, même dans des registres qui me touchent moins. Je pense à Joe Bonamassa par exemple. De plus les musiques, de personnes telles que lui, sont beaucoup plus ouvertes que celles qui se faisaient autrefois. Mon style reste ancré dans le rock et le blues mais, aujourd’hui, on peut trouver des instrumentistes époustouflants en Afrique. Il y en a dans tous les coins. Je conserve mes « chouchous » mais je conçois que plein de musiciens actuels sont formidables. C’est ce qu’il y a de beau dans la musique… c’est que ce n’est jamais fini…

Remerciements : Nadia Sarraï-Desseigne (Kat Spirit Promo)
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Interview réalisée
Restaurant Au Bœuf Couronné
le 21 mars 2014

Propos recueillis par
David BAERST

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