Patrick Raynal
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : Maitre du polar (mais aussi éditeur, scénariste pour la télévision ainsi que le cinéma, traducteur et journaliste), Patrick Raynal pourrait se prévaloir d’une carrière pour le moins complète et accomplie. Pourtant cet amoureux des Etats-Unis et de ses populations opprimées porte en lui une frustration qu’il cache avec de moins en moins de facilité… celle de ne pas être devenu un musicien. Un regret avec lequel il essaye de vivre et qui le suit jour après jour, tel un détective maladroit ou un tireur caché tremblotant… qui hésiterait à appuyer sur la gâchette. Une situation qui contraint celui qui se surnomme Fat Pat d’ajouter une rasade de bourdon à son blues, lorsqu’il se replonge dans l’écoute attentive d’un album signé par l’un de ses héros des douze mesures.
C’est donc l’œil pétillant que cet ancien Directeur de la prestigieuse Série Noire (qui frétillait alors de joie à l’idée de découvrir le service de streaming Spotify) m’a parlé de black music à cœur déployé. Si je le connaissais comme un amateur éclairé de ces sons, j’ignorais qu’il était à ce point passionné et érudit. C’est que le bonhomme a du dossier… En voici les preuves irréfutables…

Patrick, si on connait un minimum l’histoire du blues, on sait que de nombreuses icônes de cette musique (à commencer par Robert Johnson par exemple) ont été confrontées à des fins brutales en étant victimes d’homicides ou de règlements de compte. En tant qu’auteur de polars, as-tu été sensibilisé par quelques-uns de ces parcours ?
Je n’ai pas vraiment été sensibilisé par ces parcours. Ceci parce que ma découverte de la littérature et celle de la musique ont connu deux cheminements parallèles. Si tout est venu très tôt en ce qui concerne les belles-lettres, ma rencontre avec les mélodies afro-américaines a été plus tardive. Ce n’est donc que plus tard que j’ai associé le jazz, le blues et dans une certaine mesure le rock’n’roll à la littérature…66
Il est vrai que l’histoire complète de Robert Johnson (avec Sonny Boy Williamson qui lui conseille de ne jamais boire au goulot d’une bouteille préalablement ouverte par quelqu’un d’autre, avant que chanteur-guitariste ne soit empoisonné en dégustant un alcool à même le flacon… victime du patron d’un club dans lequel il se produisait parce qu’il « sautait » la compagne de ce dernier) est incroyable. Ceci dit, à mon avis, l’histoire du blues donne surtout l’envie d’écrire des textes politiques. Cette musique évoque résolument l’exploitation humaine dans les champs, le racisme et l’esclavagisme. Elle est née de l’esclavage et de la déportation des africains. Puis elle a conquis le monde entier. Toutes les musiques que nous écoutons actuellement découlent peu ou prou du blues. Lorsque l’on remonte à l’origine, c’est vraiment terrible !
En tant qu’éditeur, j’ai eu la chance de pouvoir faire de très belles découvertes. Par exemple un jour, alors que j’étais au Delta Blues Museum de Clarksdale dans le Mississippi, j’y ai trouvé de nombreux ouvrages de référence du genre. Au milieu de ces livres, il y avait un roman d’un type que je connaissais pour ses écrits théoriques, à savoir Peter Guralnick. J’ai été étonné de le trouver car je ne savais pas qu’il avait signé des romans. Je l’ai acheté et, en le lisant, j’ai trouvé cette histoire (celle d’un vieux bluesman d’environ 80 ans, qui commence à ressentir une profonde lassitude alors qu’il est sur scène, puis qui décide de retourner vivre dans sa cabane au cœur du Mississippi) formidable bien qu’elle soit classique. Je me suis donc mis en quête de Peter Guralnick qui lui aussi habite, en retrait, dans le fin fond du Mississippi. Je suis tombé sur son agent et j’ai décidé de publier son bouquin en France, chez Gallimard. Longtemps après la sortie de « Nightawk Blues » j’ai reçu un coup de téléphone de la part de Peter Guralnick. Il voulait savoir comment il avait pu être publié chez cette prestigieuse maison d’édition, pour un bouquin qui n’avait connu aucun succès aux Etats-Unis. En effet, personne ne l’avait lu là-bas, ni même n’en avait entendu parler. Je lui ai donc expliqué les circonstances de ma découverte du livre et il était ravi que cette histoire de musicien et de hasard connaisse une nouvelle vie en Europe.

Dans quelles circonstances exactes as-tu connu cette musique ?
Il est difficile de répondre à cette question… Ma mère écoutait beaucoup de musique. Nous vivions dans un petit bled de Haute-Garonne (j’étais tout petit et nous arrivions de Paris) mais elle possédait des disques intéressants. Il faut dire qu’elle avait découvert des artistes tels que Georges Brassens ou Charles Trenet dans des cabarets de la capitale. Elle aimait aussi le jazz et, de ce fait, j’avais déjà cette musique dans l’oreille lorsque j’étais enfant. D’ailleurs, avant de découvrir le blues, un copain (qui possédait des enregistrements de John Coltrane) m’a fait découvrir le jazz alors que j’avais 14 ou 15 ans. Cela m’a complètement stupéfié…
Le premier album que j’ai entendu (et qui m’a complètement laissé sur le flanc) était « Olé » de Coltrane (paru en 1962 sur le label Atlantic Records, nda) alors que je devais avoir 16 ans. Je n’en revenais pas… J’ai donc « creusé » et suis passé par la case british blues boom. J’ai, notamment, écouté les Rolling Stones qui m’ont fait découvrir Robert Johnson par l’intermédiaire de leur reprise du titre « Love in vain » (extrait de l’album « Let It Bleed » paru en 1969 sur le label Decca, nda). J’étais aussi un amateur de John Mayall alors qu’Eric Clapton était son guitariste et j’appréciais Jimmy Page qui a permis de faire découvrir Sonny Boy Williamson (en enregistrant avec ce dernier au début des années 1970). Je n’arrêtais pas de faire des découvertes et, pendant longtemps, je n’ai plus écouté que du blues. J’aime bien le rock, mais je ne me lasse jamais d’écouter du blues. En fait, les deux musiques qui me « hantent » encore lorsque je travaille sont le blues et le reggae. J’ai, d’ailleurs, vu Bob Marley en concert…

En dehors de tes travaux, spécifiquement dédiés au blues, ce registre a-t-il pu t’inspirer dans ton écriture ?
Oui, complètement !Lorsque j’ai commencé à écrire, j’étais déjà sérieusement « accroché » au blues. D’ailleurs, j’écris toujours avec de la musique. Ce fond musical m’imprègne totalement et donne une cadence à mon travail. Je cherche toujours l’impair, à casser le rythme pair. C’est une chose qui m’influence énormément. Lorsque je me relis, il faut que mon résultat sonne comme sonne un morceau de blues ou un solo de jazz. C’est capital, je ne peux pas écrire sans musique. Sans elle, ce n’est pas la peine…

Tu es un auteur réputé mais tu es aussi journaliste. Dans le cadre de cette dernière fonction, as-tu eu l’occasion de rencontrer des artistes de blues et d’écrire des articles sur eux ?
Un jour, j’ai eu une chance extraordinaire…La rédaction de Télérama m’a contacté en me demandant d’écrire un long article sur John Lee Hooker, à l’occasion de la sortie d’un nouveau disque de ce dernier (probablement « Don’t Look Back » paru en 1997 sur le label Virgin, nda). La revue ne souhaitait pas d’un papier purement musical mais voulait obtenir un portrait littéraire. Elle désirait, de surcroit, que j’aille à sa rencontre. Dans un premier temps j’ai accepté mais, au fur et à mesure que la date s’approchait, je commençais à avoir de plus en plus « les jetons ». Cet artiste m’impressionnait vraiment et je ne savais pas comment l’aborder. J’ai donc cherché tous les moyens possibles pour ne pas y aller. J’ai d’abord mis en exergue le fait, qu’à cette époque, j’étais totalement fauché. Ce à quoi on m’a répliqué que tous mes frais seraient pris en charge. J’ai donc mis en avant le fait que j’étais un peu malade et que je souffrais de fortes douleurs dorsales. Ainsi j’ai fait un caprice en exigeant un aller-retour en business class (pensant que cette requête serait refusée). A ma grande surprise Télérama a accepté et je n’avais plus d’autre choix que d’y aller. Pour anecdote, lorsque je suis parti, je n’avais que 400 francs dans mon portefeuille. On est venu me chercher, en limousine, au pied de mon immeuble à Paris et on m’a conduit jusqu’à l’aéroport. Comme convenu, j’ai voyagé en première classe et lorsque je suis arrivé aux Etats-Unis une autre limousine m’attendait. Je me suis rapidement retrouvé dans l’hôtel le plus chic de San Francisco où j’ai connu quelques difficultés. Etant interdit bancaire et n’ayant plus de carte bancaire, je ne pouvais pas laisser d’empreinte de CB. De ce fait, même si le portier savait que tous mes frais étaient pris en charge, il ne pouvait pas me laisser entrer. J’ai donc demandé un annuaire téléphonique et j’ai appelé Virgin, la maison de disques de John Lee Hooker. Comme j’ai l’habitude de le faire, je me suis mis à râler en disant qu’on me faisait traverser l’Atlantique pour qu’un « con de mec » me refuse l’accès à l’hôtel. Une personne de Virgin a demandé à parler au portier et tout s’est réglé instantanément. Résigné, ce dernier m’a lancé « faites ce que vous voulez, tout est gratuit » (rires). Le lendemain on m’a amené voir John Lee Hooker et j’étais vraiment dans mes petits souliers. C’était dans la banlieue de San Francisco… Je suis arrivé dans une maison dont la cour était envahie de bagnoles de luxe (dont l’artiste était un collectionneur) soigneusement recouvertes de housses. J’ai frappé à la porte et deux personnes aux cheveux longs et blonds (on aurait dit des musiciens de hard rock) sont venus m’accueillir. Ils m’ont fait patienter dans un petit salon puis sont revenus en m’annonçant que John Lee était un peu fatigué (il venait de donner, le matin même, un concert à l’Université de Berkeley). De ce fait, ce dernier a demandé à ce que je réalise cet entretien dans sa chambre alors qu’il était alité. J’ai accepté car j’étais prêt à tout pour le rencontrer. Ceci dit j’avais un peu la trouille car le précédent mec de Télérama, qui s’était rendu chez lui, m’avait dit de faire très attention car lui-même s’était fait mettre à la porte après avoir posé une question sur la condition noire.66
Je me suis donc retrouvé dans la chambre de l’artiste qui, effectivement, était allongé sur son lit. Il y était dans toute sa splendeur, abordant un pantalon noir, une chemise rouge, des bretelles noires et son célèbre chapeau accroché à proximité. Il regardait le film « Zorba Le Grec » le son coupé. J’ai commencé l’interview et me suis rendu compte que l’aiguille de mon magnétophone ne bougeait pas, tant sa voix était basse et grave. Je l’ai donc posé plus près de lui, à côté de son téléphone. Là, je ne saurai jamais s’il l’a fait exprès ou non, il a bougé sa main et renversé mon appareil. Comme je ne voulais pas m’emmerder avec la technique, je me suis dit « tant pis, on fonce ! ». J’ai donc arrêté l’enregistrement et nous avons commencé une discussion à bâtons rompus absolument fantastique. Ce mec me donnait envie de pleurer… D’autant plus que je suis un grand fan de John Lee Hooker et que je possède tous ses disques, y compris ceux qu’il enregistrait sous d’autres noms afin de « baiser » les labels qui s’amusaient à l’escroquer (des pseudonymes tels que Johnny Hooker, John Cooker, John Lee Booker…). Je garde aussi un formidable souvenir de ses enregistrements avec le groupe Canned Heat (album « Hooker’N’Heat » paru en 1970 sur le label Liberty, nda) qui sont magnifiques. Dans la même veine j’apprécie également ses collaborations avec Bonnie Raitt, Carlos Santana et surtout Van Morrison. Tout s’est donc déroulé d’une façon géniale et il m’a dit des choses formidables. A un moment, il s’est mis à fouiller dans sa poche et a sorti la photo d’une superbe créature blonde. Il m’a expliqué que c’était sa copine qui habitait en Allemagne et à laquelle il envoyait, de temps en temps, un billet en première classe afin qu’elle puisse le rejoindre. Il a ajouté « Tu comprends, après tout, c’est à ça que ça sert le fric… ». Il y a deux choses qui m’ont ému durant cette rencontre. Dans un premier temps le fait qu’il me dise « Tu sais je suis vieux mais je m’en fous de la mort, je sais que ce que j’ai fait dans la vie va me survivre… » puis, alors que nous disions au revoir, il a ajouté qu’il avait apprécié le fait que je ne cherche pas à le bousculer et il m’a pris dans ses bras avant de m’embrasser. Je suis donc parti sur un petit nuage. J’ai repris la limousine qui m’attendait et le chauffeur, qui était noir, a constaté mon état extatique. Il m’en a demandé la raison. Je lui ai dit que je venais d’interviewer John Lee Hooker. Là il m’a regardé, béat d’admiration, avec les yeux grands ouverts (rires) ! Puis j’ai passé deux jours à San Francisco, une ville que j’aime beaucoup. Je suis allé manger des huitres et des crevettes sur le Fisherman’s Wharf (Le Quai des Pêcheurs) où je suis allé voir les phoques. J’ai évidemment effectué mon « pèlerinage » chez City Lights, la grande librairie etc…
Quand je suis rentré à Paris, il me restait 200 balles (rires) ! J’ai donc fait un voyage hallucinant de luxe (sans parler de ma rencontre avec John Lee Hooker) pour 200 francs…Lorsque je me suis assis devant mon Mac, l’article est venu d’une traite. Je me suis mis à le raconter depuis le moment où je frappe à la porte. Le tout s’est fait naturellement et mes souvenirs sont revenus à moi très précisément, bien que mon magnétophone n’ait rien enregistré.
Lorsque j’ai écrit le livre « Blues Mississippi Mud » (éditions de La Martinière) sur des photographies de Patrick Bard, nous avons fait toute la route du blues ensemble. Nous nous étions arrêtés à San Francisco une ville qui, décidément, me va très bien où nous cherchions des gens de la Bay Blues Area. C’était à une période où le blues était au plus bas de sa notoriété aux Etats-Unis. Les jeunes blacks avaient délaissé cette musique au profit du rap. Il y avait cependant cette organisation que nous sommes allés voir, afin d’interroger certains de ses membres dans le but d’écrire le livre. Nous avons été formidablement bien reçus car, pour les américains, les français sont les plus grands amateurs de jazz et de blues à travers toute la planète. A un moment donné le téléphone sonne pendant notre conversation et j’entends le mec avec lequel nous conversions nommer son interlocuteur John. Pendant ce temps, dans ma tête s’est imposé le nom de John Handy (certainement car je possède toute la discographie de Charlie Mingus dont ce saxophoniste a été l’un des accompagnateurs). Quand le mec a raccroché, je lui ai demandé si c’était avec John Handy qu’il discutait. Il m’a répondu par l’affirmative et il l’a immédiatement rappelé et m’a passé le combiné. Avec John nous avons convenu d’un rendez-vous et je suis allé le voir le lendemain, chez lui, où nous avons passé la matinée ensemble. Il avait fait plein de chose depuis l’époque Mingus mais avait, malgré tout, moins bossé. Malheureusement, je n’ai jamais rencontré Coltrane (rires)…

En 1997, tu as participé à l’élaboration du disque « Léo Découvre Le Blues » (label Le Chant Du Monde) destiné aux enfants. Peux-tu revenir sur cette expérience ?
C’était avec mon copain Jean-Jacques Milteau…Il avait reçu une commande et souhaitait concrétiser ce projet avec d’autres musiciens. Il tenait à ce que ce disque soit vraiment pour les enfants, afin de les initier au blues. J’avais, auparavant, eu l’occasion de faire travailler Milteau lorsque l’un de mes romans a été adapté à la télévision. Je tenais à ce que ce soit lui qui en signe la bande originale. Je lui avais aussi fait faire la musique d’un documentaire que j’avais réalisé aux Etats-Unis. Je ne l’ai pas vu depuis longtemps mais c’est quelqu’un que j’aime bien… Autant musicalement qu’humainement, parce que c’est un super mec !Il m’a donc demandé d’écrire les textes du livret (cosignés par Christine Mulard ainsi que Jean-Jacques Milteau et lus par Richard Bohringer) sur des illustrations absolument hallucinantes de Jean-Michel Nicollet. J’y ai raconté un épisode de l’ouvrage « Blues Mississippi Mud », à savoir notre passage dans un hôtel de Clarksdale (qui était tenu par une grosse dame) dont la clientèle était principalement constituée de bluesmen blacks et pauvres. Nous avions interviewé cette dame qui était incroyable et qui avait connu tous les grands musiciens de blues. Cet hôtel était un ancien hôpital, réservé à la population noire (l’hôpital afro-américain G.T Thomas, nda), situé non loin de la 42ème, près du carrefour où Robert Johnson a vendu son âme au diable. Bessie Smith y avait échoué après son accident de voiture. Elle s’y est vidée de son sang après avoir été refusée par un hôpital blanc… J’avais tout cela en tête et je me suis dit que j’allais en faire une petite nouvelle que j’envisageais de mêler avec cette fameuse histoire du carrefour. Je savais que le résultat de Nicollet dessinant le diable serait parfait. C’était une expérience très sympa !

Tu évoquais Jean-Jacques Milteau qui a, bien sûr, travaillé avec son complice le guitariste Manu Galvin sur ce disque. Connais-tu beaucoup d’autres musiciens de la scène blues française ?
Oui, je connais Jean-Yves D’Angelo (qui a donné des leçons de piano à mon fils), je connais aussi Patrick Verbeke, Bill Deraime, Benoit Blue Boy, Alain Giroux et quelques autres. J’avais rencontré Jean-Jacques Milteau par l’intermédiaire d’un mec qui est un excellent musicien (dans un registre plus proche de la country music) et dont le nom est Eric Kristy. Il est l’un des créateurs du groupe Bluegrass Connection qui a enregistré et tourné aux USA en 1973. Maintenant, il écrit des polars et des scénarios de films. Il m’a permis de croiser bon nombre de musiciens de la scène blues française. Dans un registre plus rock, je connais Little Bob. J’ai aussi un peu travaillé avec Eddy Mitchell (le chanteur avait pour projet de réaliser le film « En Cherchant Sam », adapté du roman éponyme de Patrick Raynal, nda). Forcément, le guitariste dont j’ai été le plus proche demeure Manu Galvin…

Au début de notre entretien, tu as mis en exergue le fait que (en dehors de son aspect musical et divertissant) le blues est marqué par une profonde teneur sociale. Selon toi, cet aspect existe-t-il toujours chez les bluesmen actuels ?
Lorsque l’on m’interviewe, que je fais des conférences ou que je me rends dans des écoles, on me demande souvent quel est le métier que j’aurais souhaité faire si je n’avais pas été écrivain. Je réponds toujours que je suis écrivain parce que j’ai raté ma vie. En effet, je voulais être soit un guitariste de blues, soit un saxophoniste de jazz. Bref, quelqu’un entre John Lee Hooker et John Coltrane. J’aime le blues et le jazz et j’ai beaucoup écrit dessus (il est bon, par exemple, de citer « Bleues Histoire En Bleu » ainsi que la bande dessinée « Nostalgia In Time Square » réalisés avec l’auteur de BD Jacques Ferrandez, nda). Je sais à quel point le blues est une musique douloureuse mais aussi quelle peut être particulièrement joyeuse. En fait il s’agit de joies entre guillemets car elle permettait aux travailleurs des champs et aux prisonniers regroupés dans un chain gang de ne pas sombrer totalement dans le désarroi. Ils chantaient pour ne pas pleurer…
Je crois que j’ai lu toutes les biographies et autobiographies consacrées à des bluesmen ou à des jazzmen (Patrick cite en vrac « Moins qu’un Chien » de Charles Mingus, « Straight Life » d’Art Pepper qui, selon lui, est à « casser le cœur », « Lady Sings The Blues » de Billie Holiday etc…). Au contact de ces lectures, on se rend compte que la douleur y est omniprésente. Pour être un bon bluesman, il faut ressentir cette douleur…
Même un mec comme Milteau y revient toujours lorsqu’il est sur scène. Pour décrire cela, j’ai envie de reprendre un mot de l’auteur Didier Daeninckx qui disait « Moi j’aime le roman noir, car ce n’est pas un roman qui tire à blanc ». C’est la même chose pour le blues, ce n’est pas une musique qui tire à blanc. Comme le disait Aragon, on ne chante pas pour passer le temps. Donc, même chez les artistes actuels comme Popa Chubby, j’arrive à détecter cette souffrance.De plus, je suis devenu un fanatique des séries de télévision. Parmi elles, il y en a une qui retranscrit cela de manière extraordinaire… il s’agit de « Treme » !
Toute cette musique et toute cette souffrance sont dans « Treme », retranscrites de manière formidable. Même Clint Eastwood, le grand shérif blanc, a pu nous bouleverser avec son film « Bird », retraçant la vie de Charlie Parker. Tout cela est lourd, mais lourd dans le bon sens du terme. C’est « heavy »… Ce n’est pas rien…

Parmi tes amis auteurs y’en a-t-il qui, comme toi, sont des amateurs de jazz et de blues. Vous arrive-t-il de parler de musique entre vous ?
Plus maintenant car chacun d’entre nous est un peu « dans son coin ». Je peux néanmoins citer Marc Villard qui a beaucoup travaillé sur le blues, Eric Kristy évidemment, Jean-Bernard Pouy qui prétend haïr le jazz et ne jurer que par le rock’n’roll…mais cela fait partie de son attitude (rires). Il ne faut pas oublier de citer Pierre Hanot qui avec son groupe, Le Parano Band, a dans le passé sorti 5 albums et a donné 1000 concerts (dont 200 dans des prisons). Il y a aussi Michel Le Brice qui est un « vrai cinglé » de blues et de jazz. En même temps qu’il était le directeur de « La Cause du Peuple » était, aussi, le rédacteur en chef de « Jazz Hot » (rires). Il possède une discothèque absolument hallucinante. Auparavant nous en parlions beaucoup plus et nous allions aux concerts ensemble mais cela est un peu passé. A titre personnel, je ne vais plus aux concerts…ce qui est un tort.

Souhaiterais-tu, dans l’avenir, encore aborder le blues sous une forme ou une autre. As-tu encore des choses à dire en ce qui concerne cet idiome ?
Bien sûr… Je n’ai pas dit mon dernier mot même si j’écris beaucoup moins qu’auparavant. Je n’ai plus beaucoup envie d’écrire, je traduis davantage des romans anglo-saxons. Mais j’ai encore des choses à dire et je vais le faire !
J’aimerais beaucoup écrire un livre qui implique la musique et le blues en particulier. J’ai même cette envie redondante de jouer de la musique. Un jour, à Houston, alors que j’écrivais « Blues Mississippi Mud » nous avons été envoyés (avec le photographe Patrick Bard) dans le quartier noir de la ville. Nous sommes tombés sur un club dans lequel nous sommes rentrés. Avec l’épouse de Patrick, nous nous sommes retrouvés à trois blancs au milieu d’une fête donnée par des musiciens afro-américains. Nous n’avons rien pu payer… ils nous ont donné à manger, à boire, fait danser etc… Bref, impossible de sortir des ronds. C’était formidable…
A un moment, je rythmais la musique sur la table avec mes doigts. Le batteur m’a repéré et est venu me voir afin de me demander si j’étais aussi un adepte des percussions. Il était étonné que je ne le sois pas et m’a conseillé de me mettre à la batterie. Il estimait que j’étais pile-poil dans le truc ! C’est une chose à laquelle je pense encore mais il faudrait que j’achète une batterie silencieuse car j’habite dans un immeuble à Paris. Il n’est pas dit que je ne le ferai pas…Le fait de ne pas être musicien est vraiment une immense frustration pour moi. J’aimerais pouvoir m’exprimer en musique. Milteau m’avait offert un harmonica édité à l’occasion du centenaire de la marque Hohner. Il faudrait que je me lance mais, pour cela, j’ai besoin d’aide. Je devrais m’y mettre… J’irais, peut-être, mieux. Cela m’aiderait à vieillir…
C’est une telle frustration que je ne peux m’empêcher de chanter lorsque je passe des disques. Ceci pour le plus grand malheur de ma femme et de mon fils. L’autre jour, j’étais au cinéma et il y avait un thème musical du film qui était un blues. Mon fils a été contraint de me rappeler à l’ordre car je m’étais mis à chanter dans la salle (rires). Il faut dire que je chante vraiment très mal…J’écoute de la musique partout, partout et partout !

Ceci pourrait être le mot de la fin mais souhaiterais-tu ajouter autre chose ?
Simplement que je te remercie car je n’ai pas souvent l’occasion de parler de musique. Les deux ou trois fois où cela m’est arrivé, j’ai toujours eu peur de ne pas avoir un niveau suffisant… me demandant ce que je pourrais raconter. Au final, je me rends compte que c’est, à chaque fois, un bonheur particulier et que je suis toujours trop bavard. Je pourrais encore en parler des heures… merci à toi !

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Interview réalisée
Hôtel Le Colombier - Colmar
le 20 novembre 2014

Propos recueillis par
David BAERST

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