Note : Paul Oscher est une véritable
institution du blues, il a joué avec les plus grands et a la particularité
d'avoir été le premier musicien blanc a intégrer un
groupe de blues entièrement constitué d'artistes noirs.
Paul, de quelle façon as tu commencé
le blues ?
A l'âge de 12 ans, je vivais à New-York dans le quartier
de Brooklin où j'ai grandi. Je travaillais alors dans une épicerie
où j'étais livreur en vélo. Mon oncle m'avait donné
un harmonica, un " Marine Band ".
Dans cette même épicerie travaillait aussi un jeune homme
noir d'une vingtaine d'années qui venait de Georgie.
J'essayais d'apprendre l'harmonica avec une petite méthode sous
forme de livre qui était offerte avec l'instrument. Peu après
ce jeune noir, Jimmy Johnson (rien à voir avec le célèbre
guitariste de Chicago, Nda), m'a dit " Montre moi un peu cet
harmonica que tu as là, garçon ! ".
Il a prit l'instrument et l'a retourné, c'est à dire en
jouant avec les numéros qui allaient de 10 à 1, comme cela
se faisait dans le sud, et non de 1 à 10. Au départ, Jimmy
a fait semblant de ne pas savoir se servir de cet harmonica, le prenant
à l'envers etc
. Puis d'un seul coup il a sorti une phrase
incroyable (Paul imite alors un phrasé d'harmonica, Nda)
avec une sonorité tellement intense qu'on aurait pu la toucher.
Cela m'a percuté en plein cur
.
Après il a joué ceci (Paul se remet à imiter un
harmonica, s'accompagnant du pied, Nda) en faisant quelques pas de
danse.
Ma réaction a été " Mais je n'ai jamais vu
quelque chose comme cela, c'est la meilleure chose que je n'ai jamais
entendu, c'est ce que je veux faire
". C'est ainsi que
je suis tombé amoureux du blues.
J'ai demandé à Jimmy de me dire comment il faisait cela,
il m'a donc montré quelques " trucs ". Il s'est
révélé que ce garçon jouait dans des "
medecine shows " (spectacles itinérants qui passaient
de ville en ville afin de promouvoir et vendre des remèdes soient
disant " miraculeux ", Nda) dans le Sud.
J'ai appris les différentes choses que me montrait Jimmy et quand
j'ai atteins l'âge de 15 ans, j'ai pensé que j'étais
vraiment bon. J'ai commencé alors à me produire dans la
rue puis un jour, je me suis retrouvé devant un club noir.
Sous le porche, dans l'entrée il y avait le maître de cérémonie,
le présentateur du club un noir répondant au nom de Smilin
Pretty Eddy qui m'a demandé " Tu travailles où
petit ? ". Je lui ai répondu que je ne travaillais pas,
que je jouais comme ça, pour mon plaisir. Il m'a dit " Rentre
" et m'a fait monter sur scène où le groupe jouait,
il y avait aussi un imposant public. J'ai donc joué avec l'orchestre
et je me suis rendu compte que j'étais le seul blanc dans tout
le club.
Toutes les femmes ressemblaient aux SUPREMES (groupe vocal féminin
des 60's mené par Diana ROSS, Nda) et tous les mecs ressemblaient
à Ike TURNER avec des fringues très " classes
".
Le groupe avait des vestes dorées, je me suis mis à jouer
un blues et lorsque je me suis arrêté c'était la folie
dans le club.
Smilin Pretty Eddy a dit aux gens " Applaudissez Little Blue
Eyes Soul Brother ! " (Traduction = Petit frère
soul aux yeux bleus, Nda). Le leader du groupe était Little
Jimmy Mae
.
Je retournais tout le temps dans ce club car les femmes étaient
très sexy, lorsque les serveuses se penchaient pour vous servir
une bière c'était une vision merveilleuse.
Il y avait aussi une " danseuse exotique " qui s'appelait
" Little Egypt " avec qui je suis sorti.
Par la suite le leader du groupe dont je parlais m'a proposé de
jouer avec lui en duo, moi à l'harmonica, lui à la guitare
et au chant.
Il y avait une fabuleuse revue blues qui passait à l'APOLLO
(salle mythique new-yorkaise longtemps réservée aux spectacles
pour les gens de couleur, Nda) avec au programme Jimmy Reed,
John Lee Hooker, T Bone Walker, Bobby Bland, Lightnin'
Hopkins.
Jimmy Mae m'a emmené jouer là-bas.C'était aux alentours
de 1964-65 et à cette occasion j'ai pu jouer " backstage
" avec Muddy Waters qui a aimé mon style.
Deux ans plus tard il est revenu jouer à New-York et Walter
Horton devait le rejoindre sur place mais il ne s'est jamais pointé.
Heureusement le guitariste de Muddy avait mon numéro de téléphone
et m'a appelé. J'ai fait deux chansons avec Muddy qui m'a demandé
" Peux-tu voyager ? ". J'ai répondu "
Yeah ! " et le lendemain j'ai retrouvé Muddy et son groupe
à l'hôtel d'où ils devaient partir très tôt.
Je me suis retrouvé dans le van avec Otis Spann et toute
l'équipe, dans la voiture devant il y avait Muddy et quelques autres
membres de l'équipe.
Pendant que nous roulions Otis a demandé à sa femme Lucille
" Passe moi mon truc ", elle a sorti un revolver qu'il
a saisi avant de vérifier qu'il soit bien chargé. Puis il
a demandé à SP Leary de sortit sa bouteille de gin
et de la faire tourner. J'ai bu puis ils l'ont passé à Bo
le chauffeur qui après en avoir avalé une gorgée
s'est écrié en chantant " J'ai vu la lune et
la lune m'a vue, Que Dieu sauve la lune et que Dieu me sauve ! ".
Puis nous avons tracé la route.
Cela était mon rêve et j'étais en train de le vivre,
c'est comme cela que j'ai commencé avec Muddy
.
Par la suite comment en es tu arrivé à
te produire sous ton propre nom ?
Je suis resté avec Muddy jusqu'en 1971, je vivais chez lui et partageait
l'entresol avec Otis Spann.
La raison pour laquelle j'ai quitté le groupe, c'est parce que
j'ai contracté une pneumonie.
Après je suis rentré à New-York où j'ai monté
un groupe " The Brooklyn Slim " (Paul montre alors
son tatouage sur lequel est marqué Slim (mince) &
Deborah for ever avant d'ajouter " aujourd'hui il n'y a pu
de minceur ni de Deborah ça a duré trois mois " avant
de partir dans un éclat de rires, Nda).
Je vous invite à aller sur mon site http://www.pauloscher.com
où vous retrouverez de nombreuses photos de toutes ces époques,
avec Muddy Waters, Otis Spann, Willie Dixon etc
J'ai abandonné la musique professionnellement dans les années
80 car le milieu de la musique avait complètement changé
et il y avait moins d'opportunités de travail. Ceci à cause
de l'arrivée du disco puis du rap, les orchestres ont été
remplacés par de dj's dans les clubs.
De surcroît à cette même époque le blues traditionnel
a été remplacé par le blues rock qui était
joué en fait par des musiciens de rock. Il n'y avait plus de place
pour le blues traditionnel
.
Je suis revenu professionnellement à la musique dans les années
90 avec l'album " Knockin' on the devil's door ".
Le titre était une référence à ma mère
qui me disait tout le temps " Tu cherches toujours les ennuis,
tu tentes le sort, tu es toujours en train de frapper à la porte
du diable ".
Maintenant j'ai 4 ou 5 albums sous mon nom sur le label Electro-Fi, l'avant
dernier " Along with the Blues " a remporté 4
ou 5 WC Handy Awards.
J'avais un groupe de 6 musiciens, le guitariste était aussi le
chauffeur car le camion lui appartenait. Il n'avait que 20 ans mais il
adorait boire, fumer etc
.
Il a été arrêté car il conduisait ivre et de
ce fait, son père lui a confisqué le camion.
Je n'avais plus de moyen de locomotion et un jour un Festival dans l'Ohio
m'a contacté et je leur ai demandé si je pouvais venir seul,
les organisateurs m'ont dit qu'il n'y avait pas de problème. Au
départ j'ai ainsi joué seul un peu par obligation, mais
les spectateurs ont adoré et moi même j'ai aimé cette
formule car je me sentais libre.
Maintenant en jouant seul, je ne me dispute avec personne et le groupe
(Paul faisant référence à ses pieds, ses bras
et sa bouche, Nda) s'entend très bien (rires).
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