Paul Personne
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Quelles sont tes influences ?
Elle sont multiples et diverses. Dans le sens où, depuis tout gosse, j'ai été influencé par pleins de trucs. J'ai vraiment pas d'a priori par rapport aux blancs, aux noirs etc… Je suis parti d'une culture à la base blues et rock'n roll, sans m'en rendre compte. Pour moi, les étiquettes ne comptaient pas. Quand j'écoutais Gene Vincent et Eddie Cochran, j'y prenait autant de plaisir qu'avec Little Richard et Chuck Berry. Pareil, au début, quand j'ai découvert les Stones et les Beatles avant eux. J'ignorais que les influences des Stones venaient de Muddy Waters et de Chuck Berry. Les mots " rock " ou " blues " ne signifiaient pas grand chose pour moi.
Après est venue toute l'époque anglaise et des groupes comme les Animals, les Yardbirds puis tous ses mecs ! Le Blues Boom anglais avec John Mayall et évidemment la trilogie des guitaristes : Eric Clapton, Peter Green et Mick Taylor. Là, c'était un début par rapport à un son de guitare que je n'avait jamais entendu auparavant. Parallèlement à ça, il y avait Jimmy Hendrix. Presque la même année, tu t'en prends dans la tronche à toute blinde ! Tu te dis : " qu'est-ce que c'est ces sons de gratte ? " Après viennent des moments où tu commence à comprendre que la musique qui te touche s'appelle le blues.
Même quand j'était attiré par les Doors et d'autres groupes dans le genre. Les Doors sont pour moi un groupe de blues. Il y a eu des influences et des imitations dans les années 80 avec des mecs qui piquaient le côté superficiel des Doors sans capter leur profondeur.
Quand j'ai su que cette musique correspondait à quelque chose que j'avait à l'intérieur de moi : elle m'attirait et j'allais vers elle … Elle correspondait à un " mood " que j'avais dans la tête, à un truc. Donc là, j'ai mis la tête dans la mine noir américaine. Même par le biais du rythm'n blues : Aretha Franklin, James Brown, Otis Redding et tout ça. Et on va forcément vers les trois King : B.B., Freddie et Albert. Puis on remonte la filière : T-Bone Walker et les chanteuses : Billie Holliday, Bessie Smith pour aller jusqu'à Robert Johnson et même au jazz. Tu t'intéresse à Charlie Parker et à un tas d'autres …

Est-ce que Robert Johnson t'a marqué ?
Non, pas vraiment. Je l'ai redécouvert par après. Il est évident que j'ai d'abord entendu " Love in vain " par les Stones. Pareil pour " Crossroads " que j'ai connu par les Cream, avant d'écouter Robert Johnson. Je n'ai pas été très influencé par le blues acoustique. Bien que j'apprécie énormément des gens tels que Fred Mc Dowell pour son jeu de bottelneck. Il est évident que je connais Big Joe Williams et d'autres comme lui.
C'est marrant d'ailleurs, parce que j'ai toujours vécu dans la tendance campagne. Je suis un peu un " country boy ", mais j'ai été élevé à l'électricité. C'est ce qui me botte. J'aime bien les deux. Chez moi, j'aime bien tâter d'une bonne gratte acoustique. Ça me plaît, des fois, une ballade en acoustique, ou de la country. Je peux écouter aussi bien Muddy Waters qu'Hank Williams. Je ne fais pas de différence. Disons que la guitare électrique, ça me botte.

Comment as-tu commencé la musique ?
J'ai commencé par une guitare en carton que j'avais fabriquée avec un manche en bois et des élastiques. Je faisait le con devant ma glace à onze, douze ans. C'était mon rock'n roll à moi à l'époque du twist en France. Mes premières idoles ont été Johnny Hallyday et Eddy Mitchell. Quand j'ai vu Hallyday se rouler par terre en chantant " Laisse les filles " avec son blouson en cuir et sa chemise de dentelle, ça changeait méchamment des Compagnons de la Chanson qu'on avait l'habitude d'entendre !

Quand tu as joué avec lui au Parc des Princes pour son anniversaire, c'était le pied total ?
Ah oui ! On s'était croisés entre 1980, 82. Je le connaissait pour avoir déjà fait quelques trucs avec lui. Pour moi, c'était vraiment marrant. Puis le temps a passé, il a œuvré de son côté et moi, j'ai aussi vécu ma vie. C'est donc marrant à un moment de se retrouver, histoire de boucler la boucle. Idem avec Eddy, qui est aussi un mec super et qui m'a invité sur son album " Rio Grande " et qui m'a fait venir à Bercy. Jojo qui m'invite pendant ses trois jours au Parc, tout ça. Alors que mes deux premiers 45 tours, c'était Johnny Hallyday et les Chaussettes Noires. La vie est amusante.
Mon premier truc a été la guitare tout simplement. Puis un jour, ma frangine qui était musicienne, a ramené un batteur à la maison. Là, j'était complètement esbroufé par cette batterie jaune pailletée qu'avait ce mec. Je peux même plus dire s'il jouait bien ou pas, je ne m'en rendait pas compte. Avec mes yeux de gosse, ça m'a touché. J'ai donc voulu apprendre à jouer de la batterie. En commençant par taper sur tout ce que j'avait : à table, avec le couteau et la fourchette… Ma mère me disait : " t'as pas bientôt fini ? " Bon, j'ai joué de la batterie pendant une dizaine d'années.
Parallèlement à ça, des mélodies me trottaient dans la tête. Un pote m'avait prêté une vieille guitare classique avec laquelle j'essayait de relever les accords des chansons des Beatles et des Stones. Je gratouillait, puis est arrivée une période où je commençait à avoir des idées. Je composait deux, trois chansons pour des potes, c'était le temps des groupes. La gratte était toujours là, bien que mon instrument principal restait la batterie. Jusqu'au jour (je ne me rappelle plus à quelle époque) où j'ai senti que devant, il ne se passait pas ce que j'attendais.
Un jour, j'ai dit : " OK, je vais aller devant comme guitariste rythmique, chanteur et je vais me trouver un batteur ". En fin de compte, c'est comme ça que je me suis retrouvé devant. Mais je ne pensait pas que la position serait si difficile à tenir. Avant, j'était peinard à la batterie. Je me trouvais très bien derrière, par rapport à ma personnalité. Le fait d'être devant, avec d'autres gens autour, ça allait, mais bon… Je ne m'attendais pas à me retrouver un jour au premier plan, ce qui est un autre rôle à assumer.

Avant d'être au premier plan, tu as connu des temps de galères…
Je ne connais pas beaucoup d'exemples de gens connus du jour au lendemain. Quand on regarde le parcours de mecs comme Jimi Hendrix : il a galéré un paquet de temps comme accompagnateur. Derrière des gens qui le brimaient pas mal, tel B.B. King qui lui rappelait qui est le patron, quand le père Jimi tentait quelques excentricités. Je ne veux pas m'étaler sur les galères. Je crois que c'est un choix de vie, un parcours pour pas mal de musiciens. Surtout, dès le moment où tu n'as pas envie de faire de concessions, ni compromissions. Pendant longtemps, j'ai préféré aller bosser toute la semaine à l'usine, être chauffeur-livreur et tout un tas de trucs. Et le week-end, me retrouver avec mes potes pour faire la musique qui me botte. J'ai refusé tous les baloches parce que je sentais que ça me dégoutterais de la musique.
Donc, tu choisi une vie. Comme quand je suis parti de Paris pour aller vivre du côté de Toulouse dans une vieille ferme pourrie où je vivais avec 100 balles par semaine à faire du cannage de chaises et du tout-venant. Tu sais que ce n'est pas une vie fastoche, mais tu l'as choisie. Pour rester OK avec toi-même et tes envies. Il y en a eues des portes de diable qui se sont ouvertes : " Viens petit gars, on va faire de toi une star, tu verras ! ".
Mon but n'a jamais été d'être une star. Je leur disait souvent d'aller se faire foutre. Ils me proposaient des sortes de pactes que je n'avait pas envie de signer. Aucune envie de devenir un artiste de variétés. Je me suis souvent retrouvé à contre-courant des modes, que ce soit en solitaire ou avec des groupes. Ou trop tôt ou trop tard… Là, ce qui se passe en ce moment, je ne sais pas. Peut-être que le temps paye. J'ai l'impression que pour une fois, je tombe au bon moment.

Et la renaissance du blues ?
Disons que ce renouveau du blues, on le sent quand même depuis quatre ans. Par le biais de mecs comme Stevie Ray Vaughan, des tas de gens se sont ramenés. Je me suis demandé ce qui se passait pour que cette musique revienne à la mode. J'ai été à des concerts. Il y a deux ans, quand je suis allé voir Buddy Guy à la Cigale, c'était plein à craquer ! Je pense que si j'y était allé six ou sept ans avant, il y aurait peut être eu deux ou trois cent aficionados du blues. Peut être que Buddy Guy n'aurait pas pu remplir la Cigale et serait passé au New Morning, qui est une salle beaucoup plus petite. Dans la même année, je me rappelle la reformation des Allman Brothers qui ont remplit la Cigale. Je pensait tomber sur une tripotée de vieux babs. Alors qu'il y avait des jeunes mecs devant la scène pour demander des morceaux qu'ils connaissaient. Quand même, le côté légendaire des Allman Brothers s'est arrêté après la mort de Duane Allman vers 1973-74 à tout casser ! Donc, tu te dis : " Bon, ben OK ! ". Après toute cette vague " synthés, boîte à rythme " qui a connu des choses positives, les gens avaient envie de retrouver des choses vraies. Et d'entendre vraiment de la musique.

Parmi les bluesmen français : Bill Deraime, Patrick Verbeke … Ce sont des mecs avec qui tu joues ?
Ce sont des potes, ouais ! On fait vite le tour des mecs " connus " : Bill, Patrick et Benoît Blue Boy. Chacun avec son amalgame d'influences. A côté aussi, il y a tous ces mecs qui jouent dans les rades. Certains jours quand que je vais boire un coup dans un bar, j'entends des gars qui joue vraiment bien. D'un autre côté, s'ils font " I got my mojo working " ou " Little Red Rooster " et tout le répertoire traditionnel du blues, ça ne peut pas sortir du domaine des bars. L'avenir pour eux – et j'ai vraiment pas de conseils à donner – est d'arriver à trouver leur propre truc.
D'abord que ce soit en français s'ils veulent que cela sorte ici. Parce qu'en anglais, on sait ce qui se passe pour les mecs qui chantent en anglais. Je l'ai fait pendant pas mal d'années. J'ai toujours alterné le français et l'anglais selon les époques. Je me rappelle de mes groupes : Bracos Band ou Backstage. En anglais parce que j'avais envie d'aller jouer à l'étranger. En Hollande, en Suède, en Angleterre et dans le meilleur des cas, peut être me retrouver un jour aux States ou au Canada.
D'autres groupes existaient à l'époque comme les Dogs et Little Bob Story. Ils faisaient des trucs bien en anglais mais ils n'ont eu ni vraiment une carrière à l'étranger, ni en France non plus. P'tit Bob, s'il chantait en français avec sa voix, sa personnalité … Moi, je trouve que ce mec-là aurait fait un malheur ! Bon, il préférait faire son truc avec l'idiome anglais et sa culture.
Je me suis rendu compte que c'est vachement plus intéressant d'écrire dans la langue qu'on connaît le mieux. On redécouvre des tas de choses. Un moment, moi aussi j'ai été tenté de me barrer aux States. A une époque la fille de Johnny Cash, et Luther Allison avec qui j'avais joué me disait : " Come on, man ! Viens là-bas, tu vas voir ". Ca me faisait rigoler. Qu'est-ce qu'il me trouve ? En tant que français, je dois être exotique. Il doit me prendre pour le Maurice Chevalier du blues. J'ai préféré rester là. Cela n'a pas été facile mais c'est payant. Je trouve que le poids des mots est tout aussi important que le poids de la musique.


En France, quand le public s'attache à quelqu'un, c'est sincère. Aux States, c'est plus superficiel.

Peut-être. Puis disons qu'aux States, il y eu des grands auteurs comme Dylan, Lou Reed, Springteen. Le reste … Quand j'ai vu Buddy Guy à la Cigale avec Benoît Blue Boy, pendant un moment il est resté vingt minutes sur : " Oh, Baby, I want you, I need you, I wanna make love to you tonight " en se baladant sur la scène. Benoît se retourne vers moi : " Tu te rend compte comment on se fait chier pour pondre des textes en français ! Si nous essayons ça en France ! Je te veux poupée, aller viens tout de suite, j'attendrais pas cinq minutes de plus … On se ferait jeter comme de vieux rats morts ! "

Comme un groupe de ma région " Tequila " mené par Philippe Ménard.
Je connais bien Philippe Ménard. La dernière fois que j'ai joué à Rennes, il jouait dans un rade, le soir. Je n'ai pas pu aller le voir parce qu'il était tard. Mais je l'avait vu, deux ans auparavant. Pareil, c'est un mec vachement bien, bon guitariste, bon chanteur. Je sais qu'à l'époque il était très influencé par Rory Gallagher. A un moment, il avait monté un groupe " Cheval fou " ou " Nuage Rouge ", un nom indien.
Mais si tu veux, c'est pareil. Il n'a pas eu de bol non plus, mais je pense qu'il ne faut pas s'attendre à avoir de la chance. Faut y aller. Evidement il y a aussi tous ces putains de moments de découragements…

En France, c'est difficile de faire du blues en français ?
Disons qu'il y a des clichés, des archétypes, mais aussi des vérités qui te font dire : " Ouais, le blues est fatalement noir américain ". Il vient d'Afrique. Je crois que tout le monde connaît maintenant l'historique du blues. Il ne sert pas à grand chose de la refaire. OK, si ces mecs-là, dans ces moments d'esclavagisme, ont fait cette musique de douleurs, de plaintes pour s'exprimer. Ils l'ont donné au monde par là-même. C'est vachement bien que tu puisses l'attraper au vol et s'approprier toi aussi une manière de parler de tes problèmes existentiels ou de ton mal de vivre. A travers de cette musique, comme pour le jazz et le rock'n roll. Même si le rock'n roll est parti de Chuck Berry. Tous les petits blancs ont récupéré le rock'n roll pour en faire un moyen d'expression des frustrations de leur vie de tous les jours.
Maintenant, on ne peut plus parler de blues purement noir américain, même s'il existe toujours. Il ne reste plus grand monde des vieux qui ont popularisé ce truc-là. J'ai appris que B.B. King n'était pas en très grand forme. La dernière fois que j'ai vu John Lee Hooker, il ne pouvait jouer qu'une demi-heure à cause de la fatigue. Le flambeau se passe d'une autre manière. On est à l'approche de l'an 2000 avec les guitares électriques. D'autres conditions, d'autres manières de voir et d'autres mélanges.
Le français fait partie de ce train, de ce wagon-là. C'est l'impression que j'ai et c'est ce que j'ai tendance à faire. Quand tu es môme, tu avales plein de musiques, plein d'infos, plein de trucs qui te bottent. Aussi bien au niveau des bouquins, des poètes, de l'écriture et des auteurs de romans noirs, de films, de théâtre, de peinture, de musique. Tout ça te rentre dans la tronche. Après, en sort ce que tu veux bien en sortir. Là, on ne peut plus parler de clichés. Pour un puriste du blues, je ne suis pas un bluesman. Tant mieux quelque part. Je n'essaye pas non plus de m'affirmer comme un bluesman français. Je m'en fous. Je fais la musique qui me touche, que j'ai envie de faire. C'est vrai qu'elle est à tendance bluesy, parce que c'est comme ça que je le sent. Je n'essaye pas de revendiquer quoique se soit.

Tes collaborations, comment cela te vient ?
J'ai eu la chance d'être demandé, surtout pour la guitare par Jacques Higelin, Jean-Louis Aubert. C'est intéressant. Tu croises des gens et c'est vachement excitant. Quand on me demande de venir jouer avec quelqu'un, je me met à son service, mais je ne suis pas un musicien de studio. Je ne suis pas un musicien qui sait tout jouer. Je sais faire un truc, et je n'en suis pas encore au bout. J'espère faire encore pleins de progrès. Si on me demande, c'est pour avoir une manière de jouer, un son. Faut pas me demander de la bossa nova ou du jazz. Je n'en suis pas capable.

Pour l'album " Comme à la maison ", tu as tout réalisé toi-même !
C'était rigolo ! Je ne l'avait vraiment pas prévu comme ça. Sinon, j'aurais un peu mieux bossé la batterie. Je n'en avait pas joué depuis des années. Pour moi, je faisait une maquette pour montrer aux musiciens. J'ai directement fait ça sur un 48 pistes dans un studio du côté d'Aix. Comme ça, s'il y avait des choses à garder, je pouvais m'en resservir. Quand j'ai entendu comment ça sonnait, j'ai trouvé ça marrant. Je me suis bien marré à jouer de la basse, alors que je ne suis pas bassiste. Prendre la batterie, la basse, faire des grattes, des machins, des chœurs à la Beatles… Quand j'ai écouté, ça sonnait comme un truc artisanal, une maquette.
Pour une fois, j'avais de bons moyens. Ayant signé chez Polydor, il m'avaient filé un bon budget pour faire un album. En fin de compte, je me suis amusé à faire un disque complètement artisanal. En période de surproduction, j'en avait marre des trucs parfaits, tirés à quatre épingles. Ça, c'est un clin d'œil. J'ai eu l'occase de la faire. Je ne sais pas si je le referais plus tard. Comme souvent, je n'ai jamais envie de faire deux fois la même chose à chaque album.

Surtout que celui-là a très bien marché !
C'est le premier album pour lequel ils m'ont filé un disque d'or. L'année dernière, alors que c'était dur toute ma vie, j'ai reçu deux disques d'or. Un en janvier pour " Comme à la maison " et un autre en novembre à l'Olympia pour " Rêve Sidéral d'un Naïf Idéal ". Pour moi, le disque d'or représente le choix du public. Pas de jury de vieux croûtons qui décide de te mettre là où tu es. C'est le public qui décide. Tu te dis : " Merde, putain ! Cent mille personnes ont acheté mon disque ! "

 
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Phœnix de Mulhouse le 5 février 1995

Propos recueillis par Yannick et Jean-Luc

 

 

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