Nda : Il n’y a pas que la musique qui fait office de dénominateur commun entre Paul Benjaman et J.J. Cale. En effet, le premier cité (aux étranges allures de Jeff « The Dude » Lebowski) partage une certaine nonchalance avec le second.
Pourtant, dès qu’il tient une guitare entre les mains, ce pilier de l’actuelle scène de Tulsa sait se montrer particulièrement incisif et démontre qu’il connait toutes les ficelles du métier pour se mettre un public dans la poche.
Considéré comme l’une des vedettes du label Horton Records, le talentueux musicien avait à cœur de consolider son statut lors d’une tournée française effectuée à la fin du mois de septembre 2016.
Chose réalisée sans aucune difficulté et avec le fameux état d’esprit « laid-back », propre aux musiciens de l’Oklahoma. Peu avant de visiter la Citadelle de Belfort à ses côtés, je lui ai posé les quelques questions qui suivent…
Paul, pour commencer, comment pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Mon nom est Paul Benjaman et j’arrive tout droit de Tulsa dans l’Oklahoma. J’ai grandi dans une petite ferme d’agrément située en dehors de cette ville, à Inola, soit à environ 20 miles.C’est à l’âge de 8 ans que j’ai commencé à gratter une guitare et, depuis, je n’ai pas arrêté de faire de la musique.
De quelle manière, cette passion s’est-elle déclenchée ?
Tu sais, la musique que je fais maintenant est principalement influencée par le premier disque de J.J. Cale…que je me suis procuré alors que j’avais déjà dépassé les 30 ans. Cela m’a donné l’envie d’en savoir davantage sur l’héritage musical de ma région que l’on surnomme le « Pays Vert » (Green Country). Avec les membres de mon groupe, nous sommes partis à la recherche de tous ces sons et nous avons abordé divers registres musicaux afin de forger notre propre style. Nous nous plaisons toujours à partir dans des directions variées, tout en restant concentrés sur nos racines.
En dehors de J.J Cale, quels sont les artistes qui t’ont le plus marqué ?
Lorsque j’étais enfant, j’adorais Sly and the Family Stone. Je me souviens encore de leur album « Greatest Hits » que j’ai usé jusqu’à la corde…je l’écoutais tous les jours (rires) !Après cela, à l’adolescence, je suis tombé en admiration pour le guitariste Junior Brown qui est un formidable musicien de country music. Il a, par ailleurs, été mon professeur de guitare durant des années. J’ai commencé les cours à ses côtés alors que j’avais 13 ans. Il m’a sensibilisé à de nombreux registres différents comme le blues, la country music, la surf music, le style honky tonk et même à la musique de Jimi Hendrix. Il a été très déterminant pour moi et ses conseils me seront encore utiles durant toute vie. J’ai, aussi, beaucoup d’admiration pour un autre guitariste de Tulsa qui se nomme Steve Pryor. Ce dernier nous a, malheureusement, quittés le 6 mai 2016 dans sa 61ème année. Je suis particulièrement fier d’avoir pu jouer avec lui… il était comme un mentor pour moi.
Sur combien de temps, exactement, se sont étirées les leçons de guitare prises en compagnie de Junior Brown ?
Je suis revenu en arrière à plusieurs reprises, afin de prendre des leçons en compagnie de différents professeurs. Puis, au Collège, j’ai intégré une classe musicale ainsi que deux ou trois camps dédiés à cet art. Ces expériences m’ont permis de diversifier mon jeu. Après toutes ces années de pratique, je continue de travailler en m’inspirant de tous les musiciens que j’admire le plus. Je m’amuse à retranscrire leurs parties de guitare. Mes héros continuent d’imprégner ma musique. Par exemple le guitariste de jazz Bill Frisell ou le new-yorkais Wayne Krantz. J’ai donc, également, un grand respect pour les musiciens de jazz…
De quelle manière pourrais-tu me présenter la scène musicale en Oklahoma, quelle est ta propre définition du Tulsa Sound ?
Ma définition du Tulsa Sound est inspirée par ce qui se passait dans les années 1970. A ce moment-là, de grandes stars de la musique américaine faisaient appel à des musiciens de Tulsa afin qu’ils deviennent leurs accompagnateurs. Ainsi, je pense que l’origine du Tulsa Sound, tel que nous le connaissons aujourd’hui, remonte au concert que George Harrison avait monté pour soutenir le Bangladesh (« The Concert For Bangladesh » au Madison Square Garden de New-York le 1er août 1971, nda). Dans le groupe, on retrouvait Leon Russell qui possédait son propre studio et sa propre équipe de musiciens à ce moment-là. Il a énormément contribué à la popularité du style de Tulsa, au même titre que J.J. Cale.
De nombreuses superstars se sont inspirées de ces gens-là, comme Eric Clapton par exemple.George Harrison était même venu visiter Tulsa et a fait le tour des clubs dans le but de découvrir un maximum de musiciens. Je me souviens, en particulier, du batteur James « Jamie » Oldaker qui vit toujours non loin de chez moi. Malgré son formidable parcours (il a joué avec Bob Seger, Eric Clapton, Stephen Stills, Freddie King etc.), il reste avant tout un habitant de Tulsa et n’hésite pas à venir rejoindre les autres musiciens de la ville sur les scènes locales.
C’est un rapport très organique et nous sommes tous restés très attachés à nos racines. Impossible de ne pas évoquer le studio de Leon Russell (The Church Recording Studio). Tom Petty a enregistré son tout premier disque « Tom Petty And The Heartbreakers » (paru en 1976, nda) sous sa houlette. Ce dernier est sorti sur le label Shelter fondé par Leon Russell et le producteur anglais Denny Cordell. Les sessions s’étaient, cependant, déroulées à Hollywood, Californie (au Shelter Studio).
Ce disque contribue, malgré tout, au rayonnement du Tulsa Sound qui était, alors, à son apogée. Toutes mes influences sont issues de cette période !
Depuis la France, lorsque je pense à la scène musicale de Tulsa, je me dis « Waouh, c’est une vraie famille au sein de laquelle tout le monde joue avec tout le monde…il y a de réelles affinités et une grande complicité entre tous les artiste ! ». Est-ce vrai, comment décrirais-tu cette ambiance ?
C’est quelque chose de très organique. Il y a eu une période, durant laquelle tout s’est déclenché il y a quelques années. Les clubs se sont multipliés et les musiciens de la ville peuvent tous y proposer leur musique aujourd’hui. De ce fait nous sommes constamment confrontés à de nombreuses démarches artistiques originales. Tu as à peine le temps de découvrir un groupe, qu’un autre est déjà sur le point de monter sur scène. Il est possible de s’y produire en permanence.
Au fil du temps, nous nous connaissons tous et il est devenu régulier de monter sur scène pour des joutes aussi amicales que musicales. A chaque fois, il est possible de rejoindre un autre groupe sur scène. Même à la fermeture des clubs, il nous arrive de rester entre nous et d’interpréter, pour le plaisir, des chansons qui sonnent très swamp music. Ces moments prennent souvent la tournure de grandes répétitions. Au fil du temps, nous devenons amis et très unis. Cette sorte de progression est venue très naturellement…nous vivons réellement une belle période !
Te souviens-tu de ta première rencontre avec le musicien français de folk, Dom Ferrer, qui te permet de te produire en France actuellement. Es-tu surpris par l’intérêt que lui suscite la scène musicale de Tulsa ?
Je sais que la musique de J.J. Cale est très appréciée en France. C’est ce que tout le monde me dit. Il est rare de trouver un amateur français de musique qui ne connaisse pas cet artiste. La première fois que j’ai rencontré Dom, je terminais un concert. C’était quelques jours avant qu’il ne commence l’enregistrement de son album. C’était vraiment cool de faire sa connaissance et de l’aider à s’aiguiller sur les traces de la musique qu’il aime.
Que représente pour toi le fait d’enregistrer pour le fameux label indépendant de Tulsa, Horton Records ?
Horton Records, encore une fois, représente la musique de Tulsa dans tout ce qu’elle a de plus organique. Ce label est né d’une initiative individuelle de Brian Horton, qui tenait à mettre en valeur la scène locale. Mon groupe, The Paul Benjaman Band, a été le premier à lui proposer un album complet (l’album « Something » paru en 2010, mais précédé par un E.P de Jesse Aycock « Inside Out Of Blue » en 2009, nda). Il nous a énormément aidés et a recherché les fonds afin de pouvoir nous épauler dans cette démarche. Beaucoup de musiciens n’excellent pas avec le côté business de la musique et lui n’hésite pas à se charger du côté administratif pour nous…qui n’avons pas forcément les bons contacts. Il donne beaucoup de lui…il fournit beaucoup d’efforts mais ne se met rien dans les poches. En effet, il ne gagne pas d’argent avec son label, il cherche simplement à équilibrer son budget afin de pouvoir sortir de nouveaux disques. Il nous appuie même lorsque nous donnons des concerts.
Pour cette actuelle tournée française, il s’est beaucoup impliqué et il a collaboré de manière très proche avec Dom Ferrer. Tout le travail en amont de la sortie d’un disque du label Horton provient d’un seul homme et c’est lui. Il travaille la journée et vit le reste du temps pour la musique, pour les artistes et pour sa maison de disques. Nous pouvons nous estimer très heureux de pouvoir compter sur quelqu’un comme lui.
J’aimerais que tu me parles plus précisément de ton groupe, The Paul Benjaman Band, et de ta musique…
Nous venons tous de différentes régions (les autres membres du groupe sont Jeff Newsome au piano, Andrew Bones à la batterie, Bo Hallford à la basse ainsi que Jesse Aycock à la steel guitar et à la guitare électrique, nda). Je l’ai monté presque instantanément après avoir écouté, pour la première fois, un album de J.J. Cale. Nous sommes, bien sûr, attachés aux traditions musicales de Tulsa et, pour nous, la chose la plus importante est le groove. Nous mélangeons donc les genres et pouvons présenter des titres qui sonnent country, swing, new-orleans ou des shuffles.
Notre palette de rythmes est très étendue et nous aimons diversifier ce que nous faisons, jusqu’à nous inspirer de la musique de Jimi Hendrix. Nous revendiquons, également, nos influences jazz et nous nous inspirons de cette musique dans la manière de formuler nos progressions instrumentales. Sur certaines de mes chansons, je n’hésite pas à laisser tout le travail à la section rythmique (batterie et basse) avant d’intervenir. Tout cela pour donner une certaine couleur à ce que nous faisons et, aussi, par confort (rires) ! Bref, tout ce que nous faisons est construit autour du rythme de la basse…
Peux-tu me présenter ton dernier album en date « Sneaker » ?
L’écriture de ce disque s’est faite de manière continue et s’est répartie à travers plusieurs concerts que nous donnions, le dimanche dans un petit club de Tulsa. En plus de moi, il y avait un bassiste et un batteur. Chaque dimanche, nous avons joué avec différents musiciens…il pouvait y avoir un lead guitariste, un pianiste ou n’importe quel autre instrumentiste avec nous. J’ai pris cela comme des répétitions et le processus de création de mon nouvel album s’est enclenché durant ces gigs.
Quand Jesse Aycock a terminé son propre album « Flowers & Wounds », il m’a proposé de réaliser mes sessions dans le studio qu’il avait utilisé, à Little Rock dans l’Arkansas. Ce dernier se situe à 4 heures de Tulsa… On y trouve une console d’enregistrement 16 pistes. Sachant que tous mes disques préférés des années 1970 ont été enregistrés sur ce type d’anciens appareils, j’étais très enthousiaste. Je me suis, immédiatement, senti très à l’aise et le résultat final découle de cet état d’esprit.
Le fait de jouer ta musique, tellement ancrée dans les racines américaines, en France représente-t-il quelque chose de particulier à tes yeux ?
C’est vraiment, vraiment, vraiment formidable ! Nous en parlions justement dans le bus en nous rendant ici. En Oklahoma, les plus anciennes maisons doivent dater du 19ème siècle et il peut arriver, exceptionnellement, d’en voir qui datent du 18ème siècle. Ici c’est beaucoup plus fréquent et nous sommes tombés sur des bâtisses du 16ème siècle, voire même encore plus vieilles. C’est quelque chose de complètement inhabituel pour nous et chaque jour que nous passons dans ce pays ressemble à une nouvelle aventure. Cette tournée représente vraiment un très bon moment. De plus, les gens ici sont formidables. Ils sont très avenants et n’hésitent pas à venir discuter avec nous Vraiment, ce voyage représente une chance énorme et il est d’une grande richesse pour nous !
Souhaiterais-tu, justement, ajouter un dernier mot à l’attention de ton public français ?
Merci beaucoup de me permettre d’être ici et de découvrir votre incroyable pays. Vous êtes des gens formidables et j’ai l’impression de vivre un rêve à vos côtés. Merci !
Remerciements : Marie Lintz & Jérémy Durand (V2C Développement), Dom Ferrer.
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