Paul Personne
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : Cela fait bien longtemps que Paul Personne a laissé son égo choir au vestiaire. Une humilité qui rend encore plus touchante sa production discographique, qui s’enrichit d’un 14ème album sous son propre nom en 2014. Un disque (« Puzzle 14 » paru sur le label Verycords) qui est, une nouvelle fois, réalisé avec l’étroite complicité du groupe A L’Ouest (trio constitué par Anthony Bellanger à la guitare, Nicolas Bellanger à la basse et Cédric Allanic à la batterie). Un sacré conglomérat de personnalités attachantes qui ne parvient, cependant pas, à masquer l’efficacité de ce nouvel opus qui prend aux tripes de par sa puissante homogénéité musicale ainsi que par sa poésie désenchantée. Le chanteur-guitariste s’est prêté, une nouvelle fois, avec générosité au jeu des questions-réponses derrière mon micro. Histoire de revenir sur la conception de ce disque, qui perpétue le remarquable parcours d’un « chanteur-guitar hero » qui ne compte heureusement pas s’arrêter en si bon chemin. Ce dernier s’apprêtait d’ailleurs à rejoindre le feu des projecteurs pour un énième concert, servant de prélude à une longue tournée prévue en 2015.

Paul, « Puzzle 14 » brille par sa spontanéité et semble quasiment avoir été enregistré dans les conditions du live. Peux-tu revenir sur sa conception et évoquer le studio « La Grange », dans lequel ce nouvel album a été enregistré ?
J’ai beaucoup tourné avec les mecs d’A L’Ouest (pendant deux ans et demi) et nous avions enregistré mes deux disques précédents ensemble («Personne A L’Ouest Face A » et « Personne A L’Ouest Face B »). Peu avant l’ultime concert de notre dernière tournée, dans le cadre d’un festival (Le Pic Sonne à Valloire, nda) fin juillet 2013, je leur ai fait part du fait que j’avais beaucoup de chansons (50 à 70 titres) et d’idées « en chantier ». 66
Si j’ai un petit 4 pistes chez moi, cela fait un petit moment que je ne réalise plus de démos avant d’entrer en studio. Je n’ai pas vraiment de home studio d’ailleurs…Auparavant, je réalisais donc simplement des petits « brouillons » que je mettais en place avec une boite à rythmes par exemple. Actuellement, je mets mes idées sur un dictaphone ou un magnétophone et je leur dit « ok les mecs, j’ai une chanson qui sonne comme cela ». Puis on part là-dessus. Les arrangements se font donc d’eux même, à partir de ce que j’ai déjà en tête, et je laisse les mecs venir à moi et m’amener des trucs.

L’an passé, c’est parti comme ca. Je leur ai dit « la tournée se termine mais je ne vais pas vous laisser rentrer chez vous aussi rapidement et faire retomber la mayonnaise ». Je voulais profiter de cette énergie et de la complicité que nous avons partagée durant ces deux ans et demi. Je souhaitais essayer des choses…

Les deux frangins, Nico et Tony Bellanger, avaient transformé une sorte de grange entre temps (de manière à ce qu’elle ressemble à un studio). Nico possédant un Pro Tools, je leur ai demandé ce qu’il fallait en plus (micros, préamplis, compresseurs…). Nous avons donc acheté un peu de matériel supplémentaire. Nous avons installé tout cela et c’est parti. J’ai amené une vingtaine de chansons dont certaines ont été captées en très peu de prises. Les solos qui figurent sur ce disque ont été réalisés dans la spontanéité du moment. Il n’y a que très peu d’overdubs (en dehors de quelques claviers) et nous avons refait les voix (et les chœurs) par la suite. Si j’avais de nombreuses chansons à l’état embryonnaire, je n’allais pas écrire 70 textes (rires). Au bout d’un moment j’ai donc arrêté les frais et j’ai décidé de me concentrer sur une petite vingtaine de titres. Au fur et à mesure, certains d’entre eux ont été éliminés. Des chansons me venaient, en effet, plus rapidement que d’autres. Tout s’est finalisé assez vite et il n’y a peut- être que deux ou trois notes que je ne supportais pas. J’ai donc demandé à Nico, qui avait également le rôle d’ingénieur du son, de me faire l’un ou l’autre drop-in drop-out.

Sinon, quand tu parles de live, tout le reste a été réalisé de cette façon. C’est ma manière de procéder depuis presque toujours. J’ai été élevé à cette école là et, en ce qui me concerne, il faut qu’il y ait une sorte de mayonnaise qui prenne entre les gens…des regards, une complémentarité humaine. J’ai besoin de m’exprimer avec des mecs et d’être le témoin d’une certaine incidence qui peut exister lorsque des musiciens jouent ensemble. Après coup tu peux toujours faire quelque chose de mieux (comme un solo de guitare, avec des notes mieux choisies, par exemple) mais ce qui se passe sur le vif reste inimitable. Il y a donc, peut-être, des maladresses sur ce disque (sur les chansons « Un peu jaloux » et « Une journée », le batteur Brice n’a fait que une ou deux prises) mais je voulais conserver une certaine spontanéité. Me dire que ce n’est pas parfait mais qu’il y a une « tournerie » inimitable, une magie, une ambiance, un climat…

Pour moi l’atmosphère prime avant toute autre chose. Tout le monde peut réaliser un disque parfait de nos jours. Actuellement, avec les ordinateurs, les mecs te recalent tout (la basse avec le pied de grosse caisse) et même, quand tu chantes faux, ils parviennent à te faire chanter juste. Ceci est une chose qui ne m’intéresse pas, je cherche à faire une musique « émotionnelle ». La perfection n’est pas dans l’être humain, sinon cela se saurait (rires) !
Comme j’ai déjà dû te le dire, l’imperfection fait partie du charme des gens. Tu peux craquer sur une fille avec des imperfections, avec un truc dans le regard, une manière de parler particulière, une démarche qui n’est pas conventionnelle mais qui te touche. Ce sont des choses qui peuvent te séduire et, pour la musique, c’est pareil. J’approfondis ce côté et c’est aussi ce que j’aime dans ce que réalisent les autres musiciens. D’ailleurs, dans les enregistrements des sixties et des seventies, c’est cette imperfection qui me plait et qui fait que je peux écouter un disque plein de fois sans jamais m’en lasser. Un truc parfait, c’est trop lisse et tu t’emmerdes un peu rapidement (rires) !

Tu as donc encore beaucoup de chansons dans tes tiroirs. Y-a-t-il des titres qui ont été enregistrés et que tu n’as pas pu placer sur « Puzzle 14 » ?
Comme je te le disais, une vingtaine de titres ont été enregistrés. Certains en sont restés au stade de chansons réalisées avec des textes en yaourt. Dans le lot, il y a des trucs pas mal...assez traditionnels. Notamment une sorte de rock’n’roll sonnant vraiment comme un hymne américain à la Springsteen. J’aurais, peut-être, dû le mettre mais sur le moment je me suis dit que c’est un peu trop facile. Mais, tu sais, je suis du genre à « m’casser la tôle » ou à gâcher des choses. Alors que cette chanson aurait, peut-être, pu se positionner comme un single en devenir. Je trouvais que c’était un peu téléphoné, que tout le monde pouvait faire un titre dans cette veine. Il y a aussi eu des plages un peu plus funky que je trouvais marrantes. Ceci dit, j’estimais qu’après plusieurs écoutes ces morceaux ne me procuraient plus la même émotion. D’autres chansons traversaient mieux le temps et me procuraient le même plaisir même quand je réécoutais ce qui n’était que des « prises primaires ». Pour elles, il se passait vraiment un truc et je tenais à leur écrire un texte plus élaboré et à leur faire passer le stade du mixage.

L’instrumental « Partir pour mieux revenir », qui clôt l’album, était une chanson à la base. Elle tournait, un peu à la Neil Young. J’avais un texte de prêt pour elle, sur un thème qui me concerne comme c’est le cas pour plein d’autres gens (apprécier le fait de partir de chez soi pour, en fin de compte, encore plus apprécier le moment où tu reviens). Quand tu as une maison, quelques animaux et que tu es bien… tu as besoin de retrouver tes racines. A titre personnel, quand je reste un certain laps de temps chez moi, j’aime prendre ma caisse et aller me balader afin d’aller voir ce qui se passe ailleurs. J’ai fait un texte sur ce sujet mais je n’en étais pas très satisfait. Certains mots m’emmerdaient et j’ai un peu ramé. J’ai donc essayé de trouver des mots de plus en plus simples et explicites pour décrire cela mais rien ne me satisfaisais. J’ai donc viré la chanson, d’autant plus que la durée de l’album était suffisante puisque les morceaux qui le constituent sont longs. De surcroit, je ne voulais pas faire un album qui dure trop longtemps. Je préfère que les gens reviennent au début car quand un disque est trop long on a l’impression qu’on n’en arrivera jamais au bout. J’ai déjà eu cette sensation avec un album des Stones par exemple. Finalement, le mixage terminé, je trouvais une partie de cette chanson marrante. On y trouve un solo avec la slide de Tony et moi avec un Octaver aux légères consonances orientales. Bref, mon côté George Harrison (rires) !

J’ai donc eu l’idée de l’ajouter en « fausse fin ». J’aime bien ces trucs que l’on retrouve sur les disques d’Hendrix lorsque le morceau semble fini mais que la musique revient en fed-in puis se termine à nouveau en fed-out. J’aime bien ce côté psychédélique. J’ai donc décidé d’ajouter cet extrait. Puis cela me permettait d’inclure « Partir pour mieux revenir », un titre que j’aime bien et qui réapparaitra, peut-être, un jour sous forme de chanson complète. A moins qu’il ne se transforme en autre chose avec un texte qui, enfin, me convienne. 66

Quel est, selon toi, l’apport le plus significatif d’A L’Ouest sur ce nouvel album dont tu signes la totalité des textes et des musiques ?
Comme je te l’ai peut-être déjà dit, lors d’autres interviews que nous avons pu réaliser ensemble par le passé, j’ai été élevé aux groupes (Beatles, Rolling Stones etc…). Quand j’étais un kid, un môme, un teenager, c’étaient les groupes qui avaient ma préférence même si j’aimais quelques individualités comme Bob Dylan, Jimi Hendrix, Neil Young. J’apprécie la complémentarité des gens et je trouve qu’on est toujours plus forts à plusieurs. L’être humain est obligé d’en avoir conscience car, dans la vie, on a tous besoin des autres. J’ai pourtant l’impression qu’on agit en enfants gâtés sans se rendre compte de cela. On devient rapidement agressif avec l’autre alors qu’on a besoin de lui. Bon, ceci-dit, si l’autre est vraiment un gros con… (rires) !

J’ai toujours estimé que c’était mieux d’être à plusieurs pour faire de la musique. J’ai joué avec plein de musiciens différents, y compris des américains. Riche de toutes ces expériences, je me rends compte qu’avec les mecs d’A L’Ouest c’est vraiment cool. Après trois ans de vie commune (entre l’enregistrement de mes deux précédents opus et de la longue tournée qui a suivie) j’aurais pu rentrer dans un autre délire et me dire que c’était une phase sympa, tout en ayant envie de passer à autre chose. Mais pourquoi changer une équipe qui gagne ? Nous nous entendons bien et les deux frangins se sont donné du mal afin de monter leur studio (en ayant, peut-être, en tête l’idée qu’on y enregistrerait un jour ensemble). Puis dès que j’ai essayé mes fameux bouts de morceaux avec eux, ça sonnait tout de suite. C’est une chose qui me botte et comme je n’ai pas envie de me compliquer la vie... Ils m’ont amené un côté frais et spontané qui nous a permis de travailler de manière rapide. Cela ne m’a pas empêché de les aiguiller, par moments, dans leur manière de jouer. Pour le reste ils avaient toute la liberté afin de trouver des choses et de me proposer leurs idées. Je lançais des pistes et je les ai poussé à se lâcher davantage, à être moins sobres. Je les ai encouragés à être eux-mêmes. Plus ils se débridaient, plus ils amenaient de l’eau à mon moulin. De plus, je voulais vraiment d’un album à deux guitares. On entend donc celle de Tony d’un côté et la mienne de l’autre. Je souhaitais que ça sonne comme sur scène, en se partageant les riffs.

Pendant l’enregistrement, il n’était pas rare que, pendant qu’il assurait la partie rythmique, je lui lance un regard afin qu’il se transforme en soliste. Il me rendait la pareille et je relançais mon propre solo. C’était une complicité spontanée comme cela se fait sur scène. Chose qui n’était pas prévue au départ. Tout s’est déroulé sur le vif… C’est vraiment la chose que ce groupe m’apporte. Je n’ai pas besoin de lui expliquer les choses comme j’aurais pu le faire avec de nouveaux musiciens. Ces derniers pourraient être plus techniques mais comme ce n’est pas un aspect qui compte pour moi… Je cherchais une ambiance qui se matérialise sur cet album très spontané.

Je trouve que tes textes sont davantage dénués de métaphores qu’auparavant. Tu es de plus en plus incisif voire quelque peu « énervé » dans tes propos qui évoquent la religion, la planète ou la cause animale. Es-tu vraiment désabusé face à la société actuelle ?
J’ai l’impression de toujours écrire, un peu, les mêmes chansons et de répéter la même chose. Je le fais simplement d’une manière différente. C’est ce que font tous les musiciens. Ils écrivent tous, en règle générale, sur la même thématique…la vie, l’amour, la mort avec tout ce qui vient se glisser entre. Je pense qu’il faut essayer de sortir la tête de l’eau lorsque l’on voit tout ce qui nous entoure.

Il est vrai que j’essaye de faire en sorte que mes propos soient plus clairs et, peut-être, plus assimilables tout de suite. Avant j’aimais certains notions poétiques ou utiliser des métaphores qui me permettaient, non pas de me défiler face à un propos clair et net, mais de passer à côté et de le dire d’une autre manière (plutôt que d’appeler un chat un chat). J’avais envie de tourner autour afin que les gens comprennent que j’avais envie de décrire les choses d’une certaine manière. Cela permettait aussi de laisser des pistes pour que chacun puisse prendre la chanson à sa propre manière. Je le fais toujours et sais que, de toute manière, chacun peut s’approprier une chanson comme il le désire.

Par rapport à des thématiques simples qui me mettent en colère ou me font mal (la planète, la religion…), je ne peux pas parler de la pluie et du beau temps, de la vie d’un groupe de rock’n’roll qui part sur la route, de ma guitare Gibson Les Paul ou d’un autre truc un peu futile. Il y a des choses que je ne peux toujours pas supporter même si je sais que l’être humain est comme ça. Si c’était mieux, cela se saurait… Donc, à chaque fois je me prends des grandes claques dans la tronche quand je vois ce qui se passe. Quand, par exemple, je vois tout ce que l’on fait au nom des religions. Au départ, elles auraient dû être un message de paix mais à l’arrivée c’est juste un message de guerre. Voir les aberrations qui se passent sur cette planète en son nom… L’être humain est déjà complexe en lui-même, t’avais pas besoin de lui balancer une religion dans la tronche pour qu’il se tape sur la gueule. C’est une épée de Damoclès que nous avons au-dessus de la tête. C’est insoutenable et intolérable…

J’ai donc essayé d’écrire des mots très simples car je ne voulais pas tourner autour du pot ou faire une chanson longue. Même un morceau comme « Ca fait mal » résulte de sentiments très simples et d’une manière très banale d’aborder la chose. J’ai, malgré tout, toujours envie de m’amuser comme l’atteste « main mise » qui évoque un mec qui se demande pourquoi il est un looser (rires). Bien sûr, je ne parle pas toujours de moi dans mes chansons. Pour « Un peu jaloux », je mets en évidence le sentiment de jalousie qui touche beaucoup de personnes, même s’il existe aussi des jalousies maladives. Dans cette chanson, le mec est conscient de son histoire car il trouve que la façon dont il agit est assez minable.

A titre personnel, j’ai vécu les années 60 durant lesquelles on essayait de sortir des clichés (Summer of love, amour libre…). Tout le monde essayait de vivre autrement et de ne pas s’accaparer quelqu’un, de ne pas avoir de sentiment de possession…Je voyais pourtant, autour de moi, des types qui comme le mec de ma sœur étaient hyper jaloux et qui disaient à leur compagne « tu es à moi ». Je me demandais qui étaient ces connards et comment on peut dire à quelqu’un « tu es à moi ». On s’appartient tous à soit même. On peut vivre avec des gens mais personnes n’a le droit de mettre la main sur quelqu’un. J’ai toujours essayé de faire des progrès là-dessus et de ne pas être le petit con jaloux de sa petite amie. Il est pourtant vrai que, lorsque tu es amoureux, il y a des moments où tu as des doutes et tu deviens un peu jaloux. Par exemple quand un beau mec passe et que ta nana le reluque. Chose qui fonctionne aussi dans le sens inverse lorsque tu mattes une jolie fille dans la rue et que ta copine te dit « elle est mimi hein ? ». Cela ne veut pas dire que tu veux aller te la faire ou que tu n’es pas bien avec ta compagne. Je trouve que, quand il y a des belles choses, il faut les regarder (rires) ! Je voulais donc évoquer ce sujet car c’est un sentiment assez normal et évident. Il faut simplement que ça ne devienne pas un truc maladif. Les gens jaloux, plus ils accaparent leur conjoint, plus ils leur donnent l’envie de se casser. C’est ce dont ils ne se rendent pas compte. L’autre, dans ce cas-là, a besoin d’air et envie de se tirer (rires) ! Je pense qu’il faut toujours faire la part des choses là-dedans. J’avais donc envie d’évoquer ce sentiment d’éloignement, de solitude, de jalousie… lorsque tu penses à l’autre et que tu as l’impression que cette personne t’oublie. Tu penses que tu n’es plus rien du tout, ce qui n’est pas vrai… même si ça peut être vrai aussi (rires) !

A l’écoute de cet album, j’ai l’impression que tu t’éclates de plus en plus en studio. Aimerais-tu aller plus loin dans cette démarche et, pourquoi-pas, produire un disque pour un autre artiste ?
J’ai déjà aidé des gens mais on ne m’a jamais appelé pour produire, alors que je peux avoir des idées. A chaque fois que je me suis retrouvé dans des situations de « pseudo-prod », je me suis toujours dit « attention, ce n’est pas ton album ». Donc j’ai cherché à les amener à réaliser ce qu’ils voulaient faire sans mettre le grappin dessus et trop faire passer mes propres idées. Tout dépend du cas… Je m’amuse à faire mes choses moi-même comme, finalement, je l’ai toujours fait en studio. En tout cas je m’y suis toujours senti libre. Lorsqu’on me demande si je préfère la scène au studio je réponds toujours qu’il s’agit de deux situations complémentaires.

En studio tu n’as pas le trac, c’est relax… Si une prise ne te convient pas, tu peux la recommencer autant que tu peux en fonction du temps qui t’est alloué. Pour mes derniers albums je pouvais prendre tout mon temps. Cependant, comme j’aime conserver cette fameuse spontanéité, je garde une prise à partir du moment qu’elle « tourne »…même si elle n’est pas parfaite. J’aime quand tout se déroule rapidement et n’apprécie guère le fait de travailler sur un même disque trop longtemps. J’ai un certain nombre d’envie sur le moment et j’y vais. C’est la même chose en ce qui concerne les textes, je n’aime pas y passer des semaines entières. Je reviens plusieurs fois sur la copie, je change une virgule, un mot et je simplifie le plus souvent. Une fois que c’est ok c’est ok ! Idem pour mes voix, je ne suis pas du genre à faire vingt prises. En principe j’en réalise trois, j’en tire ce qui est bien et en extrait une sorte de « compilation ». Dès que ça tient la route, ça se termine. Si, avec le recul, je me trouve un peu faux ou que mon timbre souffre d’une crève, je me remets devant un micro et je refais une ou deux prises.

Quand les mecs d’A L’Ouest font les chœurs, ça va tout aussi vite. Je me suis déjà retrouvé en studio avec d’autres artistes en constatant que les mecs recherchent souvent une perfection absolue. J’ai un côté perfectionniste mais je sais aussi que cela peut devenir un défaut. Comme le mieux est l’ennemi du bien, je fais en sorte que tout reste vrai et sincère. Compte tenu de la situation actuelle (manque de budgets pour enregistrer dans de grands studios) je trouve le côté « comme à la maison » de ce disque assez sympa (rires) !

Puis chaque album est, pour toi, un prétexte afin de repartir sur les routes. On a l’impression que tu as entamé un « Never Ending Tour » à la Dylan. Tu fais vraiment preuve d’une fidélité à toute épreuve vis-à-vis de ton public…
Avant, un disque servait à « vendre une tournée ». Actuellement, les disques se vendent moins bien, ils servent presque davantage de carte de visite avant de remonter sur scène. Je ne suis pas comme certaines personnes qui, à chaque fois, créent un nouveau spectacle avec des concepteurs. Sans comparaison aucune avec mister Bob, quand tu parles de Dylan, je me sens davantage comme un musicien qui va sur la route pour y jouer ses morceaux. Je propose des choses au public et à lui de disposer. A une époque, je changeais d’éclairagiste ou d’ingénieur du son et je faisais des tournées de grandes salles, en passant par des Zénith. J’étais donc contraint de proposer un spectacle plus visuel et ça coutait un peu d’argent. Maintenant, tout est plus réduit, y compris les budgets de tournées et les cachets. Je me sens davantage comme un groupe à la Allman Brothers qui tourne inlassablement.

Je choisis de nouveaux titres et je pioche dans mes anciennes chansons (dans la précédente tournée j’ai, par exemple, ressorti des titres comme « Faut qu’j’me laisse aller » de l’album « 24/24 » datant de 1985). Dans ma tournée de 2015, je changerai pas mal de choses et proposerai d’anciennes chansons que je n’ai pas jouées depuis des années, pour que les gens qui viennent me voir ne subissent pas une impression de redondance. Je suis plus un musicien qu’un entertainer ou un showman qui va s’exclamer « tout le monde, tout le monde, tapez dans vos mains et chantez avec moi le refrain » etc… (rires) ! Ce n’est pas mon genre… Je suis un mec épris de liberté et j’ai toujours peur des notions un peu « fascisantes » ou « ayatollèsques ». Donc je ne veux rien imposer aux gens. J’aurais pu le faire dès mes 15 ans, car j’ai toujours compris ce qu’il faut faire quand on est sur une scène, mais je n’ai jamais voulu agir comme un showman qui oblige les gens à chanter le refrain genre « je ne vous entends pas, plus fort ! ». Je n’aime pas quand les gens sont des moutons. Même s’il est vrai que, lorsque j’assiste à certains spectacles, je constate que des spectateurs aiment ça et qu’ils s’éclatent… ce qui est vachement bien. Pour ma part, je ne me considère pas comme un meneur de revue (rires), je n’ai pas envie de faire ce genre de choses. Si des gens dans mon public veulent le faire, ils le font…mais ils le font d’eux-mêmes tu vois !

Enregistrer un nouvel album puis prendre la route, tant que j’aurai la santé et l’envie de le faire, je le ferai. Peut-être qu’un jour, mais ça m’étonnerait, j’en aurai marre ou je serai fatigué de faire ce genre de choses. Je suis un mec qui n’a jamais joué sur le charme pour faire bouger mon public (comme un serpent avec une flûte). Je n’ai jamais joué sur un physique donc, même vieillir ne me dérange pas de trop. En tout cas tant que je reste acceptable sur scène (rires) ! Les cheveux qui grisonnent, qui deviennent blancs, cela ne me dérange pas. A partir du moment où j’arrive à jouer de la guitare et à chanter correctement tout en pouvant me mouvoir sur scène, le temps ne me fera pas peur.

J’ai vu Muddy Waters en concert, peu d’années avant qu’il ne parte de l’autre côté… et il avait une patate d’enfer. Je le revois encore interpréter « Got my mojo working » en sautillant et c’était vachement bien ! Idem pour Neil Young. Donc les heures de route, les voyages, les attentes et l’énergie que tu dépenses sur scène font partie du truc. Tout cela est encore salvateur pour moi. Je sens moins ma fatigue et le poids de ma Les Paul sur scène que lorsque je tourne en rond à la maison ou que je suis en répétition. Dès qu’il y a une tournée en vue, c’est toujours un plaisir de foutre ma valoche et ma guitare dans un véhicule. Tant que tout cela me plaira, je serai là…

Selon toi, après plus de 30 ans de carrière et 14 albums enregistrés sous ton propre nom, manque-t-il encore une pièce à ton puzzle… comme un nouveau virage musical que tu aimerais prendre ?
Il manque toujours ou le prochain album ou la chanson que je n’ai toujours pas trouvée. J’aimerais toujours mieux jouer de la guitare (rires) et que tout tourne mieux. Je suis un insatisfait perpétuel, jamais content et systématiquement en manque de quelque chose. Quand on me dit, comme toi avant cet entretien, qu’on a aimé l’album ça me fait vachement plaisir mais je ne pourrai jamais dire dans une interview que mon dernier album est le meilleur. Mais j’aimerais beaucoup être comme tous les artistes qui réagissent de la sorte et qui disent « là, je suis au top ! ».

J’adorerais être comme cela mais, malheureusement, je n’y arrive pas. Au bout d’un moment tu es obligé de lâcher ton disque, une fois que le mixage est passé. Tu as juste encore l’opportunité de jeter une oreille sur le mastering. Souvent, à ce moment-là, tu entends des choses que tu aimerais refaire, les mots que tu souhaiterais remplacer et les éventuels défauts. Soit tu dis « ah merde » ou soit, comme a pu le faire Springsteen, tu arrêtes tout et tu retournes en studio ou tu remixes, quitte à sortir l’album 6 mois plus tard. De mon côté, je ne peux pas me permettre ce genre de chose car mon label s’arracherait les cheveux (rires) !

En même temps, il faut avoir cette liberté de se dire que tout a été fait très rapidement. Je l’ai enregistré à l’automne 2013 et il était prêt dès novembre de la même année. S’il n’est sorti que le 29 septembre 2014 c’est parce que j’étais à la recherche d’un label. Il me fallait le temps de signer, de rentrer en période de mix, de faire le mastering. Le disque aurait pu sortir fin mai-début juin mais cette période ne m’intéressait pas. On tombait juste avant les vacances et en plein pendant la Coupe du Monde de foot. Je ne trouvais cela pas souhaitable et j’en serais à défendre un disque qui a plusieurs mois. Les vacances d’été et les vacances de Noël, avec le passage à la nouvelle année, ne sont pas de bonnes périodes. De plus, entre les deux, on a l’impression qu’un temps énorme s’est écoulé. Si tu sors un album en fin d’année, t’arrive pour faire la promo en janvier-février et on te dit que c’est un album de l’an dernier, il est déjà vieux alors qu’il a à peine trois mois (rires).

Je suis toujours à la recherche de quelque chose. J’ai déjà dû évoquer avec toi cet exemple d’ascension de colline ou de montagne (en fonction de ta mégalomanie du moment). Je passe ma vie à essayer de gravir cette pente en étant un insatisfait perpétuel. Le but est, peut-être, de ne jamais arriver en haut car c’est ce qui te permet de toujours être à la recherche de quelque chose. Ou alors, il faut arriver en haut juste avant ta mort en te disant « enfin je suis satisfait, j’ai trouvé le truc, la super chanson et ça joue d’enfer ». Là, tu ajoutes « ciao tout le monde, je crois que je vais y aller » (rires) ! Peut-être faut-il en arriver là pour être satisfait une seule fois dans sa vie. Je n’aime pas trop le mot « artiste », car je trouve cela prétentieux, mais les musiciens sont toujours à la recherche de quelque chose et doivent mieux faire. C’est la recherche perpétuelle d’un Graal. C’est comme dans le cinoche où un mec qui a un film en tête doit passer beaucoup de temps dessus et chercher énormément d’argent pour le financer. Si le mercredi de la sortie, il n’a pas le nombre d’entrée suffisant dans les salles, c’est encore plus dur que pour un album. Tu dois te prendre un sentiment d’échec et une claque énorme dans la tronche.

Le truc d’un pseudo-créateur c’est le fait d’avoir toujours quelque chose à dire ou à faire. C’est ce qui est vachement bien. A l’heure actuelle, j’ai déjà plein de nouvelles chansons sur mes dictaphones. De quoi faire deux albums si je le veux… Il me faut juste du temps pour les sélectionner, les finaliser ou terminer le travail en collaborant avec d’autres personnes. Je n’ai pas vraiment envie de faire un album de duos ou de reprises car on entend que ça actuellement. J’avais pourtant cette idée en tête au début des années 1990 et en avais parlé à mon producteur, Didier Varrod, chez Polydor. Je trouvais marrant d’envisager de m’attaquer à des chansons françaises créées par Claude Nougaro, Jacques Higelin, Téléphone, Johnny, Eddy Mitchell et même Edith Piaf. Je voulais trouver, à chaque fois, une bonne chanson et la faire à ma sauce. Sur ce, il y a eu un phénomène de mode et tout le monde s’est mis à faire des reprises de tel et tel artiste (plus ou moins techno, disco ou je ne sais pas quoi d’autre). J’ai donc laissé tomber. Pareil pour les duos. J’ai la chance d’avoir plein de potes dans ce métier et je pourrais envisager un tel disque avec les copains et les copines. Cependant, le problème est le même. Tout le monde se fait le duo avec machin et tout ci et tout ça. Cela m’emmerde parce que je n’ai pas envie de me retrouver dans une logique récurrente. Donc, pour le moment, faire des covers et des duos, c’est non. Enfin, je te dis cela maintenant mais, si ça trouve, dans un an il y aura un disque qui va sortir et tu te diras « ah tiens, ben du coup il se l’est fait son duo ou sa reprise ». Peut-être que l’idée serait de faire les deux en même temps. Comme cela, ce sera fait une bonne fois pour toutes. Des reprises mais en duo… En même temps, tu ne peux pas partir sur la route avec car tu pourrais jamais réunir tous ces gens « on the road » pour une tournée. Je suis donc toujours à la recherche de quelque chose.

De toute manière, comme je te le disais, un musicien est toujours à la recherche de la chanson ultime. On écrit toujours la même chanson en fait. Mes suites d’accords sont toujours les mêmes, mes accords sont récurrents alors que ce sont des mélodies différentes qui en sortent. C’est ce qui est magique avec la musique. Tu as l’impression de toujours dire la même chose mais d’une manière différente. Par exemple, j’avais déjà fait des trucs sur la religion avant, avec des titres comme « Comment » et « Jacky » par exemple. Pareil pour la maltraitance animale avec « Les petites bestioles » sur « Rêve Sidéral D’un Naïf Idéal ». Ce que j’avais écrit alors était un peu trop premier degré et, du coup, c’est mon pote Christian Dupond (avec lequel j’avais déjà collaboré à l’époque de L’Origine puis avec qui j’avais fait le texte de « Loco-loco ») qui était en studio avec moi à Miraval qui s’en est chargé. En une nuit, il m’a écrit ce texte que j’ai enregistré le lendemain. Pour « Pardon animal », c’est moi qui en ai signé les paroles. D’ailleurs, des chansons sur les animaux, je pourrais en écrire plein.

Parler de religion, de politique, de l’être humain mal dans cette vie et dans ses pompes (qui se demande s’il doit rester ou partir) c’est ce que font tous les auteurs de chansons. Quand Souchon a écrit « Allô ! maman bobo » il parlait de la même chose mais il le faisait à sa manière. Quand il signe « Foule sentimentale » c’est tout aussi génial. Tout le monde a envie de parler. C’est pour cela que certains jours, tu craques sur des chansons ou que tu vas voir des gens en concerts. Parce qu’ils disent et pensent ce que tu ressens à ce moment-là. C’est ce qui est vachement bien…

Tu es toujours aussi loquace mais je vais, malheureusement, devoir mettre un terme à cet entretien. Malgré tout ce que tu as déjà dit, aurais-tu une conclusion à y ajouter ?
Non, si tu ne me poses pas de question je ne te dis rien. Il faut que tu me « claques le beignet» pour que je conclue tu vois (rires) ! Non, il faut juste que tu me dises que l’interview est finie pour que j’arrête de parler et qu’on aille boire un coup ensemble (rires) !

Remerciements : Gloria Personne et Yoann Lepleux (Verycords)

 

 
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Interview réalisée au
Nancy Jazz Pulsations
le 11 octobre 2014

Propos recueillis par
David BAERST

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