Paul Personne
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Paul Personne est de ceux qui, en 25 années d’existence de Route 66, n’ont jamais fait faux bond à l’émission. Il faut dire que le chanteur-guitariste respecte autant la presse que son public, auquel il offre de nouvelles productions avec une régularité métronomique. Le tout sans omettre la qualité et, surtout, sans oublier son âme ni trahir sa pensée. Bref, un virtuose acharné, doublé d’un humaniste au sens noble du terme... Des qualités qui, bien sûr, transpirent encore sur le dernier album en date de l’artiste, « Funambule (Ou Tentative de Survie en Milieu Hostile) » (paru sur le label Verycords, le 31 mai 2019) où l’on retrouve un auteur-compositeur engagé, mais en rien donneur de leçons. Une nouvelle fois « L’homme à la Gibson Les Paul » m’a reçu dans sa loge afin de revenir, avec l’humilité qui le caractérise, sur cette nouvelle aventure discographique mais aussi sur une actualité scénique particulièrement dense…

Paul tu débutes une nouvelle tournée. Aussi, après une résidence à La Luciole (Alençon), où tu as donné un premier concert, quelles sont tes premières impressions ?66
Mes premières impressions sont qu’on a, peut-être, des chances de s’amuser sur cette tournée (rires) ! Ils y a de nouveaux zicos qui ne sont pas les mecs qui ont participé au dernier album. Ceci parce que les musiciens ayant participés aux sessions (à savoir Guillaume Destarac à la Batterie, Christophe Garreau à la basse, Olivier Lanneluc au piano Fender Rhodes et Mike Lattrell aux claviers)n’étaient pas libres, puisqu’ils devaient aller jouer avec d’autres personnes. J’ai donc été rencardé, par mon pote bassiste Christophe Garreau, qui a participé à l’album. Il m’a dit qu’il connaissait des mecs de talent qui seraient contents de jouer avec moi. Je me retrouve donc avec Steve Belmonte à la batterie, Max Darmon à la basse et Florian Robin aux claviers. Je les ai contactés et ils étaient hyper partants ! On s’est retrouvés en « audition-répétition » et ça a, tout de suite, fonctionné. Tu sais, j’ai toujours cherché des êtres humains qui soient biens. Je n’ai pas de temps à perdre avec des égos caractériels…tu vois (rires) ! Humainement, entre nous, ça a tout de suite « tilté » et musicalement ça l’a fait. Ce sont des jeunes mecs puisque Steve, qui est le plus « vieux » de la bande, doit avoir 35 ans. C’est vachement enrichissant et je me sens bien avec eux. Nous avons une culture musicale commune. Le concert à La Luciole, il y a deux jours, était très convaincant. C’était vachement bien. Donc, normalement, nous sommes partis pour une année de route et de complicité !

C’est parfait, tu as anticipé ma question sur ce nouveau groupe de scène ! Justement, depuis quelques années, c’est devenu une véritable constante. Tu aimes bien te produire avec de jeunes musiciens. A titre personnel, que t’apportent-ils. Le fait qu’ils soient plus jeunes est-il un hasard ou est-ce une véritable volonté de ta part ?
J’ai, évidemment, tendance à préférer ce genre de situation. Ils m’apportent une envie, une énergie. Ce ne sont pas des mecs blasés, ils ont encore toute leur vie devant eux. Donc, certainement, plein de projets en tête et de choses à faire…Me retrouver dans un tour bus avec des mecs de mon âge ça ferait un peu « anciens combattants » qui parlent de leur guerre (rires). Cela ne m’intéresse pas… Même si j’ai deux ou trois anecdotes à raconter de temps en temps, je ne passe pas ma vie à raconter les années 60 ou 70. Parfois, il y a une connerie qui sort et c’est marrant…mais ça s’arrête là. Avec des types qui me diraient « Paul, tu te rappelles et bla-bla-bla… », j’aurais vraiment l’impression de me sentir beaucoup plus vieux (rires) ! Puis, ce qui est bien, c’est que tous ces jeunes musiciens possèdent le même background culturel que moi. Qu’il s’agisse de blues, de rock, voire même de jazz… Ils sont hyper réactifs là-dessus et c’est vachement bien ! Ils ne sont pas toujours en train de me dire « Ouais, là j’ai des rhumatismes et des machins… » (rires) ! Moi, cette situation, elle me botte !

Ces jeunes musiciens travaillent sur des projets parallèles au sein de la scène musicale française. Par exemple, Steve est le batteur de Gaëlle Buswel. De ce fait, te permettent-ils de découvrir des artistes émergeants dans un registre blues ou rock hexagonal ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer Gaëlle quand Manu Lanvin m’a invité sur le Cahors Blues Festival, alors que ce dernier y était l’une des têtes d’affiche. Il m’avait demandé de participer, en tant que guest, sur 2 ou 3 titres. Elle aussi était là, puis je l’ai revue à l’occasion d’une émission de radio. C’est une super nana qui chante très bien. Les rencontres, de manière générale, sont le fait du hasard. J’écoute toujours beaucoup de musique même si, parfois, je préfère le silence.

Depuis le début des années 1980 tu sors des albums avec une régularité exemplaire à raison d’un tous les 2 voire 3 ans (quand tu n’en sors pas plusieurs la même année). De plus en plus, je trouve que tes textes sont le reflet d’une certaine amertume vis-à-vis de l’époque dans laquelle nous vivons. De ton côté, penses-tu qu’il est encore possible de s’adapter à ce monde ou qu’il est trop tard ?
Il va, de toute manière, bien falloir s’adapter. On dit toujours que l’être humain s’adapte à tout, même au pire. Il l’a, d’ailleurs, prouvé plusieurs fois dans les siècles passés en s’accrochant au modernisme galopant (avec des choses biens et, fatalement, des choses beaucoup moins biens voire désastreuses). Là, on est dans une position où l’homme s’est fait un malin plaisir à tout « destroyer ». On te file un truc super et tu ne trouves pas mieux que de « casser ton jouet »... C’est vachement grave, même si tous les « climatosceptiques » du monde disent le contraire. Pour moi c’est une forme de déception, de désillusion… Déjà dans les années 1960 ou 1970, on entendait parler de ces problèmes écologiques. Je connaissais ces « marginaux », cette contre-culture qui évoquait le nucléaire, le pétrole et tous ces trucs-là. Il y avait plein de scientifiques et de « débutants écologistes » qui essayaient d’alerter les différents gouvernements. Ces derniers s’en foutaient royalement… D’ailleurs, les décennies passant, ils s’en sont toujours foutus ! Ils ont mis cela de côté. La priorité a toujours été, pour eux, le fric et le pouvoir. Bien sûr, l’économie et les emplois sont des choses très importantes, mais le jour où il fera 50 degrés à l’ombre et qu’il n’y aura plus beaucoup d’eau…tu auras beau avoir le meilleur job du monde, tu ne pourras pas aller bosser.
A chaque fois que j’allume la télévision pour regarder les informations et que je vois les choses monstrueuses qui se passent (sans parler des phrases et des tweets du Président américain, dignes d’une cour de récréation) je me dis que l’histoire est toujours la même. C’est à celui qui a la plus grosse, qui a le plus de pouvoir ou qui va dominer l’autre au bras de fer… On est toujours dans ce genre de truc où les être humains pourraient être pas mal s’il n’y avait pas cette quête de domination. Ce que je dis est hyper naïf mais, en même temps, quand on voit ce qu’il se passe partout (ces guerres dues à un mec qui veut prendre le territoire de l’autre parce qu’il n’a pas la même religion)... Tu te rends compte de la merde qu’ont foutue les religions depuis des siècles et des siècles… ? Que chacun croit à ce qu’il a envie de croire, à partir du moment où il ne fait pas chier le monde ! Malheureusement, ce n’est pas le cas. Au final, ce ne sont que des prétextes pour déclencher n’importe quelle guerre, n’importe où et flinguer gratuitement des gens. Quand tu te retrouves avec des chansons (après avoir noté des choses dans ton coin), tu te dis que tu ne vas pas évoquer cela car tu en entends parler tout le temps à la télévision ou à la radio. Tu veux essayer de faire un truc un peu plus cool et solaire, puis tu te rends compte qu’il faut que ça sorte de toi-même.
J’ai toujours eu des chansons comme cela dans mes albums, que ce soit « Barjo Land » (mini album « Barjo Land », Philips 1984), « Visions » (album « Rêve Sidéral D’Un Naïf Idéal », Polydor 1994), ou « Pardon animal » (album « Puzzle », Verycords 2014) etc. C’est un peu récurrent chez moi, car je n’arrive pas à dormir en paix. Je ne pense pas qu’à ça tous les jours, parce qu’il est impossible de vivre normalement en ayant toujours cela au-dessus de sa tête. Cependant, c’est là en permanence donc il faut parvenir à l’expurger en l’écrivant d’une manière pas trop pessimiste…car il faut toujours voir une lumière au bout du tunnel. Cette lueur d’espoir qui correspond à ce que tu disais au départ…qu’il faut s’adapter.

Cela fait donc, comme tu le disais, des années que tu écris sur des thèmes sensibles. Cependant, ce n’est pas ce que les gens mettent le plus en exergue au sein de ton œuvre. En effet, c’est toujours le côté « guitar hero » qui prend le dessus. Le regrettes-tu ?
Je n’y pense pas vraiment… Je ne me sens pas concerné par le côté « guitar hero » car je n’ai jamais prétendu être ce genre de personnage. Cela m’a toujours fait rigoler. Quand on disait à Jimi Hendrix qu’il était le meilleur guitariste du monde, il ne savait plus où se mettre. Ceci parce qu’il savait quels étaient les autres bons guitaristes. C’est une notion un peu puérile qui ne me concerne pas. Par contre, en ce qui concerne ce que j’évoque dans mes chansons, il est vrai qu’on n’y a jamais trop prêté attention. On m’a mis cette étiquette de bluesman alors que j’ai toujours dit que je n’en étais pas forcément un. Je pratique un registre « bluesy », mais je n’ai jamais été un vrai bluesman. Mes influences sont très éclectiques et je fais ce que je ressens, ce qui me passe par la tête et ce qui me vient sous les doigts. Il n’y a donc jamais eu trop d’attention de portée sur mes textes, même si je ne me suis jamais considéré comme un auteur. Je raconte, très simplement, ce que j’ai envie de dire. C’est un côté de ma personnalité artistique qui n’a jamais été trop pris en considération, mais ça ne me dérange pas plus que cela. Il faut dire que les gens qui m’aiment bien savent écouter ce que je raconte sur ou entre les lignes…

La manière dont tu as conçu « Funambule (Ou Tentative de Survie en Milieu Hostile) » diffère-t-elle par rapport à celle que tu as pu employer sur tes précédents albums ?
Cela faisait longtemps que je n’avais pas fais de maquettes en amont. Je n’ai pas de home studio chez moi. J’avais juste un petit 4 pistes et, maintenant j’ai fait des progrès car je possède un 8 pistes (rires). C’est juste un petit « truc » qui me sert à faire des brouillons. Avec une petite boite à rythmes et des « machins », je réalise mes bases. Je pense que les dernières véritables démos que j’ai faites remontent au tout début des années 1990, quand j’avais présenté des trucs aux musiciens américains pour l’album « Patchwork Electrique » (Polydor, 2000). Par la suite je faisais, peut être, des petites maquettes (guitare acoustique, voix et boite à rythmes) pour les présenter aux musiciens. Juste pour leur montrer comment le résultat devait sonner à partir de ces idées de base. Depuis 2011, et les tournées avec le groupe A L’Ouest, je profitais de leur local de répétitions qui était situé pas loin de chez moi. On se voyait là-bas et on bossait à l’ancienne en partant de brouillons mis en boite dans un dictaphone. Je leur donnais les accords et on « construisait la baraque » de cette manière.
Après la tournée de 2015, je me suis retrouvé tout seul et des chansons ont commencé à réapparaitre. Je me suis donc demandé si mon 8 pistes fonctionnait toujours. J’ai rebranché l’appareil et ça marchait ! Donc j’ai repris cette méthode, parfois marrante ou parfois fastidieuse, en mettant des instruments sur chaque piste. Puis, quand j’ai contacté des musiciens avant d’entrer en studio, je leur ai fait écouter ces nouvelles démos (réalisées avec des claviers, même si je ne suis pas un spécialiste en la matière, et une pédale de guitare me permettant de réaliser des sons d’orgue). Je voulais déjà incorporer un clavier du temps du groupe A L’Ouest mais, niveau budget pour la tournée, ça ne le faisait pas. Là, dès le départ, je souhaitais une configuration basse-batterie-claviers et moi à la guitare. J’ai longtemps joué avec ce genre de formation (parfois même avec un saxophoniste). C’était vraiment ce que je voulais…

Ceci en continuant de privilégier des morceaux longs. Ceci constitue-t-il, pour toi, une porte ouverte (surtout avec une telle configuration de groupe) vers l’improvisation scénique ?
L’improvisation a toujours été mon truc. Il y a toujours une trame de base avec des gimmicks (couplet-refrain et des choses très classiques) et, au milieu de tout cela, le terrain de jeu est libre. Je me permets d’improviser et, pas spécialement, de me sentir obligé de toujours faire la même chose. Donc, je m’installe là aussi dans une position de funambule. Il y a des soirs où j’essaye des choses…ça peut être bonne pioche ou mauvaise pioche. Cela dépend de l’inspiration du moment… C’est pareil pour les musiciens auxquels je laisse un maximum de liberté. Un soir je vais donner un solo à l’organiste, puis le zapper un autre soir et c’est moi qui vais faire un solo. Tout cela pour lui donner un solo un peu plus loin dans la chanson, alors qu’il ne s’y attendait pas. C’est une chose marrante et, du coup, tout le monde reste vachement concentré sur le « truc ». Nous ne sommes pas dans un « chausson », quelque chose d’hyper bien établi. Je n’aime pas faire, tous les soirs, la même chose et prononcer les mêmes mots à l’attention du public. Je ne pourrai jamais me faire à cette routine et je m’emmerderais vachement en le faisant. J’aurais vraiment l’impression de faire un job. Pour moi la musique, même s’il s’agit d’un métier, me donne l’impression de toujours être un débutant. C’est d’ailleurs ce que je considère être car il y a toujours de nouvelles choses à apprendre…En plus de prendre des risques, le fait de m’amuser et de faire des choses différentes chaque soir, permet à tout le monde de s’éclater. Qu’il s’agisse du sonorisateur ou de l’éclairagiste, qui peut proposer des lights différents à chaque concert. Ils ont besoin d’une certaine conduite mais, au milieu de tout cela, ils se demandent ce que je vais bien pourvoir leur faire à chaque concert. Je trouve cela marrant !

A chaque fois que je reçois l’un de tes nouveaux disques, je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle avec un grand restaurant dans lequel on ne se rendrait que les 2 ou 3 ans et où on retrouverait toujours les mêmes bons ingrédients, systématiquement élaborés d’une manière différente par le chef. J’aimerais te remercier pour cela, mais aussi pour avoir toujours répondu présent à nos interviews tout au long des 25 années d’existence de l’émission. Enfin, pour la première fois depuis tout ce temps, je vais essayer de conclure l’un de nos entretiens avant que Gloria ne nous coupe pour que tu puisses effectuer tes balances à l’heure. De ce fait, peux-tu conclure cet entretien en évoquant un sujet en roues libres. Quelque chose qui te tiendrait à cœur et dont nous n’avons pas parlé… ?
D’abord je te remercie pour la comparaison avec le chef cuisinier. Je n’ai pas cette prétention mais merci pour ce compliment. Ce que je trouvais de marrant dans ce que tu disais c’est que, oui, ce sont toujours les mêmes ingrédients. J’ai l’impression de toujours faire les mêmes chansons et, en même temps, à chaque fois que je pars sur un nouvel album il y a ce côté « Ouais, c’est une nouvelle aventure…un nouveau truc » ! J’ai toujours l’impression de tourner autour du même style. Je ne vais pas me mettre à faire du rap ou du disco… C’est mon truc. Si demain j’écoute J.J. Cale ou James Taylor, je n’attends pas d’eux qu’ils me proposent un disque destiné aux « djeuns ». Par rapport à ce que tu me demandes, si tu me poses une question par rapport à une chose je vais te répondre…mais si tu ne me demandes pas un truc précis, je ne vais pas commencer à me la ramener et à dire « ouais, je voulais te parler de ça et de ça ». Donc si tu n’as pas un truc précis à me demander, je ne vais pas commencer à entrer dans un débat qui risque d’être long et qui, du coup, nécessitera forcément qu’on frappe à la porte pour que j’aille faire ma balance (rires) !

Nda : Juste avant la fin de la réponse de Paul, Gloria Personne est venue taper à la porte de la loge. Le défi que je m’étais, alors, fixé est donc toujours à relever…

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Interview réalisée au
Chapiteau du Parc de la Pépinière - Nancy
le 12 octobre 2019

Propos recueillis par

David BAERST

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