Peter Perfido
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Peter Perfido est un batteur américain (mais aussi auteur-compositeur) qui décline son art à tous les temps de la (bonne) musique. Se sentant aussi à l’aise dans le jazz, que dans le blues ou les musiques improvisées, il place sa carrière sous le signe de l’éclectisme et de la qualité.
Instrumentiste versatile mais pas velléitaire, il a fait ses preuves auprès d’un nombre incalculable d’artistes (de Chet Baker à Liz McComb) en n’omettant pas de former ses propres ensembles (Peter Perfido’s EPS Trio…). Des expériences qui, des USA aux Philippines et du Japon à l’Algérie, l’ont conduit sur les scènes de quatre continents. Le 8 mai 2019, ce « troubadour des fûts » a posé ses baguettes dans le studio de Route 66. Préférant s’exprimer en musique, il nous a fait découvrir de larges extraits de différents disques auxquels il a participé…tout en acceptant de répondre à quelques questions.

Peter, es-tu issu d’une famille amatrice de musique et quels sont les sons que tu entendais à la maison, dans le Connecticut, lorsque tu étais enfant ?66
La musique n’était pas très présente lorsque j’étais enfant. Cependant, mes parents possédaient des disques de crooners tels que Dean Martin, Frank Sinatra voire Elvis Presley. La musique classique ou le jazz, quant à eux, étaient totalement absents.

Ces artistes, comme Frank Sinatra en particulier, étaient souvent accompagnés par des big bands qui comptaient d’illustres jazzmen dans leurs rangs. Ces derniers t’ont-ils, alors, touché ou possédais-tu tes propres goûts ?
Non, je n’ai pas été touché par ces musiciens à ce moment-là. Par contre, je me souviens parfaitement d’une chanson que j’avais découverte en écoutant la radio. Cette dernière était titrée Alley-Oop et possédait un groove assez africain. Elle était interprétée par The Hollywood Argyles et avait été écrite par Dallas Frazier. C’était, à l’époque, un hit aux Etats-Unis. Je me rappelle bien de cette dernière qui m’avait, à l’époque, frappé alors que je ne devais être âgé que de 4 ans.

Je crois que tes premiers vrais émois musicaux sont liés à l’invasion britannique du milieu des années 1960. Peux-tu revenir sur cette découverte musicale ?
Oui, cela remonte à février 1964 avec la prestation des Beatles dans le cadre de l’émission télévisée Ed Sullivan Show. Celle-ci se déroulait à New York et j’y ai assisté, en direct, devant le poste de télévision familial. Comme cela a été le cas pour des millions d’américains, cette performance m’a particulièrement frappé. Dès lors, la musique s’est emparée de moi. Déjà c’est la batterie de Ringo Starr qui m’impressionnait le plus, tout comme l’énergie dégagée par ces quatre jeunes garçons qui jouaient merveilleusement bien. Ces rythmes m’ont littéralement saisi… Je trouve que Ringo était le batteur parfait pour les Beatles. Il était efficace et correspondait parfaitement pour le type de musique interprétée par ce groupe. L’aspect visuel de l’instrument m’a aussi marqué. Je me suis mis à dessiner des batteries sur mes cahiers, en m’inspirant des photos que je voyais dans les catalogues. Je n’en possédais pas encore mais c’était mon rêve d’en avoir une, une véritable obsession…

A ce moment-là, t’es-tu constitué ta propre batterie en te servant, par exemple, de casseroles ou de bassines ?
Oui, je tapais sur des boites de jouets et je m’étais fabriqué des baguettes avec des branches issues des arbres du jardin. Il fallait absolument que je puisse taper sur quelque chose (rires).

Est-ce en débutant tes études musicales que tu as pu jouer sur ta première vraie batterie ?
J’ai moi-même acheté ma première batterie. Je n’ai pas été aidé par mon père pour cela, donc je livrais les journaux de maison en maison afin de pouvoir économiser suffisamment d’argent. Ainsi, j’ai pu m’acheter une caisse claire, puis une cymbale… Malheureusement, je n’avais pas encore de grosse caisse ni de charley. Au final, deux années et demie ont été nécessaires afin de pouvoir me constituer une batterie complète.

Peux-tu revenir sur tes études musicales qui se sont, dans un premier temps, déroulées à Hartford dans le Connecticut ?
Mon premier cours a été marqué par la présence d’un mauvais professeur, c’était dans une petite école locale. Au bout de 3 mois, j’y ai mis un terme car je n’étais pas à l’aise et ce monsieur n’avait pas de patience… Puis, j’ai intégré la Hartford Conservatory Of Music pour une durée de 1 an et demi. Là j’ai beaucoup travaillé la technique du xylophone et des marimbas, en parallèle de la batterie.

Puis, tu as rencontré Bob Moses (batteur américain de jazz, né en 1948, qui a travaillé avec les plus grands et qui a enregistré plus d’une trentaine d’album en tant que leader ou co-leader). Que t’a-t-il apporté ?
Cette rencontre est intervenue quelques années plus tard. Il était originaire de New York mais est venu plusieurs fois dans l’une des écoles de musique situées à Hartford. Durant longtemps, j’avais un peu peur de prendre des cours avec lui mais, au final, je me suis lancé lorsque je me suis senti prêt. Ce cours a bouleversé ma vie car, en l’espèce de peu de temps, il a abordé de nombreuses choses qui ont modifié ma perception de l’instrument. Bob Moses est un batteur-compositeur qui est, avant tout, un génie total !

Avant de poursuivre tes études musicales à Seattle, as-tu intégré des groupes à Hartford ?
Oui, j’ai joué avec quelques petits groupes qui se produisaient dans des registres rock et soul. Nous reprenions des morceaux de Joni Mitchell, Stevie Wonder ou d’autres artistes très populaires à cette époque.

Tes influences personnelles sont particulièrement empreintes de rock. Est-ce qu’il t’a été facile de t’imprégner de la musique jazz ?
J’ai un copain qui m’a fait écouter quelques albums de jazz. Puis, en tant que guitariste, il s’est mis à jouer cette musique. J’ai décidé de le suivre… Nous avons commencé par le titre « Moondance » de Van Morrison qui est très swing. C’était mon premier pas et cela représentait un sacret boulot ! J’ai beaucoup travaillé en jouant par-dessus les disques que je diffusais sur ma chaine hi-fi. Je montais le volume au maximum, puis je frappais afin d’essayer d’imiter les bons batteurs. C’est ainsi que j’ai appris ce style de musique…

De quelle manière as-tu débuté ta carrière professionnelle ?
C’est presque venu par accident… J’ai commencé en jouant dans des clubs avec des copains. Il y avait pas mal de bars dans le Connecticut et, notamment à Hartford. Il y était toujours possible de sortir le soir et d’y voir des groupes qui jouaient en live. Nous faisions toujours des reprises (Bonnie Raitt, Stevie Wonder, Joni Mitchell, The Beatles…). De fil en aiguille, j’ai trouvé de bons musiciens avec lesquels je pouvais m’exprimer. Le statut de professionnel n’est pas venu à moi immédiatement. J’ai beaucoup travaillé pour cela, c’est un long voyage (rires) !

Tu étais donc professionnel avant de t’installer à Seattle ?
En effet, j’ai beaucoup joué dans le Connecticut. Puis j’ai décidé de rejoindre une autre Ecole de Musique, afin d’acquérir davantage de matière. Mon choix s’est porté sur un établissement situé à Seattle, car Manhattan était trop proche de ma résidence familiale. Je souhaitais m’éloigner de mes parents. C’est pour cela que je suis parti de l’autre côté des Etats-Unis, puisque 5000 kilomètres séparent Hartford de Seattle. Il y avait une bonne école de musique dont Gary Peacock (célèbre contrebassiste de jazz, nda) était l’un des professeurs. Il y avait aussi le pianiste Art Lande. C’était une petite école qui possédait un riche noyau de professeurs. Il ne s’agissait vraiment pas d’une « usine » comme peut l’être le Berklee CollegeOf Music située à Boston. Nous ne devions pas être plus de 100 ou 150 élèves.

Par la suite, es-tu malgré tout revenu dans le Connecticut ?
J’y suis retourné à plusieurs reprises mais c’est à Seattle que j’ai commencé à être attiré par l’Europe. Ceci parce que Gary Peacock, qui était un bassiste réputé, m’a suggéré de m’y rendre afin de m’imprégner de l’ambiance locale. Il trouvait que mon approche du jazz collait à ce qui se passait sur le vieux continent. Il faut dire que ce registre était, alors, en perte de vitesse aux USA…

Tu apprécies de nombreux batteurs de rock mais quels sont les batteurs de jazz qui t’ont réellement touché ?
Il y a Elvin Jones qui m’a totalement bouleversé. Je peux aussi citer Jack DeJohnette, Tony Williams… Je tiens, aussi, à citer le batteur norvégien John Christensen qui a beaucoup joué avec Jan Garbarek et presque toute la scène jazz scandinave.

Tes influences, très éclectiques, se ressentent-elles toutes dans ton jeu. D’ailleurs parviens-tu, très facilement, à passer d’un registre musical à un autre ?
A force d’années et d’expériences multiples, on assimile de nombreuses choses différentes. C’est un peu comme un langage. On y trouve beaucoup de vocabulaire et il est possible, à partir de là, d’exprimer une multitude de thèmes. Le tout en parvenant à changer le sens de ce que l’on veut soumettre au public. On change de vitesse et on y va, c’est tout !

Est-il facile de passer d’un groupe à l’autre…en ce qui te concerne, t’est-il aisé de capter une atmosphère ou est-ce que cela te demande un important « travail de fond » ?
Cela dépend du groupe avec lequel je joue…et de ses compositions. Avec Nicolas Simion, par exemple, c’était assez difficile car la rythmique produite par cet ensemble est très spécifique. Si je ne mémorise pas tout en amont des sessions, je suis paumé…

En effet tu as enregistré avec Nicolas Simion et, lors de ces sessions, tu as eu la chance de travailler avec Tomasz Stanko. Peux-tu me parler de lui ?
Il s’agit d’un sacré trompettiste et compositeur polonais. Il est décédé durant l’été 2018. J’ai eu la chance d’effectuer une tournée avec ce groupe puis d’enregistrer l’album…

Parmi toutes tes collaborations, nous pouvons aussi citer le groupe Le Petit Chien qui, comme son nom ne le laisse pas penser, n’est absolument pas français…
En effet, ce groupe a vu le jour à Munich en Allemagne. On y retrouve l’américain Geoff Goodman qui est guitariste. Il est constitué par trois guitaristes électriques, un bassiste et un batteur. Une configuration qui est inhabituelle dans le jazz. C’est Geoff qui a eu l’idée de ce concept… J’ai également eu un quartet puis un quintet avec lui durant des années.

Peux-tu me parler du groupe américain de blues Sweet Daddy Cool Breeze avec lequel tu as beaucoup travaillé ?
Ce groupe est formé par Wally Greaney qui est un chanteur-harmoniciste (et aussi saxophoniste). Il en est la tête pensante. Il y a aussi Mark Easton (chant et guitare électrique), Joe Fonda (basse) qui a été remplacé depuis. Ce combo a été fondé par Ken Johnson, un formidable batteur de Chicago, un bluesman pur et dur… C’est moi qui l’ai remplacé lorsqu’il est parti. Je considère cela comme une grande chance, d’autant plus que nous avons eu la possibilité de partager la scène avec de formidables artistes (Koko Taylor, Taj Mahal, Johnny Copeland, Duke Robillard…).

Tu as joué dans de nombreux pays, sur 4 continents différents. Ceci en accompagnant de prestigieux artistes. Quels sont les souvenirs les plus marquants qui ont jalonné ta carrière ?
Il n’est pas facile d’en cibler que quelques-uns… Je garde de grands souvenirs de mes rencontres avec Tomasz Stanko, Nicolas Simion, Chet Baker. Cette dernière est liée au hasard, puisque je m’étais rendu dans un club afin de l’écouter. Puis, j’ai fait le bœuf avec lui… A l’issue de ce dernier, Chet m’a proposé de poursuivre la tournée au sein de son groupe. Cette série de concerts est passée, pour trois soirs, au New Morning à Paris. C’était un cadeau total !

Cette rencontre avec Chet Baker date de quelle période de sa vie ?
C’était en septembre-octobre 1987, soit peu de temps avant sa disparition (le trompettiste est décédé le 13 mai 1988, nda). J’ai eu de la chance, car il était très clair…tout en surfant sur ses addictions. Durant ces concerts, il jouait vraiment très bien.

Bob Deggen (pianiste américain de jazz, né à Scranton en Pennsylvanie le 24 janvier 1944) a, également, été très important à tes yeux…
C’est un sacré pianiste américain, actuellement installé à Francfort en Allemagne. Cela fait 28 ans que nous jouons ensemble. Il possède un touché merveilleux, son jeu est absolument incroyable…

Comme beaucoup d’autres artistes américains avant toi, tu as décidé de t’installer en Europe. Te concernant, pourquoi ce choix ?
Honnêtement, au début, c’était tout-à-fait par hasard. J’étais curieux et je souhaitais découvrir d’autres pays. Puis, je voulais davantage me produire en public qu’aux USA. Là-bas, le jazz n’est populaire que dans les grandes villes. C’est, par exemple, le cas à New York, Chicago ou Los Angeles. Du coup, on y trouve des centaines de musiciens qui courent tous après le même boulot. J’avais besoin d’air frais et de voir ce qu’il se passait en Europe. Au départ, je n’envisageais vraiment pas de vivre plus de la moitié de mon existence ici (rires) !

L’émission touche à sa fin, alors que nous aurions encore pu parler très longtemps. Souhaites-tu ajouter quelque chose avant de la conclure en musique ?
Merci de m’avoir offert la possibilité de m’exprimer à l’antenne…et de partager la musique que j’ai jouée durant toute ma vie. C’est vraiment très sympa… Je tenais à terminer en rendant hommage à Mike O’Neilqui était mon ami et qui est malheureusement décédé. C’était un formidable chanteur-guitariste-auteur-compositeur. Ensemble, nous naviguions dans des registres qui flirtaient aussi bien avec le blues qu’avec les musiques improvisées.

Remerciements : Dominique « Bill Horton » Heckmann.

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Interview réalisée au
Studio RDL - Colmar le 8 mai 2019

Propos recueillis par

David BAERST

En exclusivité !


 

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