Phil Lancaster
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : Musicien aussi inspiré que talentueux, Phil Lancaster fêtait son retour sur les scènes françaises durant les mois de mars et avril 2013. Cet ancien élève de l’Ecole Régionale des Beaux Arts d’Angers a ainsi pu retrouver son ancien professeur, François Garotte, avec lequel il jouait déjà au sein du groupe Bluegrass Oldies au début des années 1980.Egalement investi (aux côtés de son épouse l’écrivain-chanteuse-guitariste Alison Moore) dans une action visant à sensibiliser les gens au sujet des « Orphan Train Riders » (dans le cadre d’un spectacle multimédia tournant aux USA), l’artiste démontre que son action culturelle se veut aussi didactique. Une volonté partagée avec son compagnon de route Philippe Charlot (musicien et scénariste de bandes-dessinées). Ensemble ils ont enregistré l’album « Trans-Atlantique » qui nous offre une occasion en or afin de revenir sur le parcours insolite de cet artiste attachant… au cœur de bohème.

Phil, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis quelqu’un qui a eu la chance de venir vivre en France durant les années 1970 et 80. Par la suite, je suis rentré chez moi, aux Etats-Unis, c’était en 1992. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à faire de la musique à plein temps.  Je suis actuellement de retour dans l’hexagone afin de retrouver des copains. En l’occurrence François Garotte (contrebasse) et Philippe Charlot (guitare et chant) avec lesquels j’avais formé un groupe en 1982 (en compagnie de deux autres musiciens).  Avec Philippe, nous nous étions déjà retrouvés il y a environ un an et demi. Il était venu me rendre visite aux USA et, à cette occasion, nous en avons profité afin de donner quelques concerts ensemble. A partir de ce moment-là, la machine était relancée (rires) ! PL

Peux-tu me dire de quelle manière tu es « entré » dans l’univers musical. Ton environnement familial était-il propice à l’apprentissage de cet art ?
Ma mère était très portée sur la musique. Elle jouait du piano et avait une très belle voix. Elle possédait cette dernière caractéristique en commun avec mon père qui, lui, n’a jamais cherché à faire ne serait-ce qu’un petit bout de chemin dans ce domaine. Pour ma part, j’ai débuté au sein d’une église épiscopalienne où je chantais dans une chorale. Ce n’est que lorsque j’étais au Lycée que mon frère (ainé de 6 ans) qui avait déjà été à l’Université (puis qui a déménagé à Boston), est revenu pourvu d’une vraie éducation musicale. Il avait même ramené une guitare que j’ai commencé à « gratter » par hasard sans prendre de cours. J’ai complètement appris à l’oreille…  
Par la suite, avec une grande bande de copains qui cherchaient à apprendre les rudiments de cet instrument, nous n’arrêtions pas de faire la fête… dans le seul but de passer des heures à jouer. Puis, aux alentours de 1976/1978, j’ai acheté mon premier banjo… avec lequel j’interprétais davantage de musique folk que de bluegrass. Plus tard, je me suis donc retrouvé en France avec des autochtones qui avaient déjà leur propre groupe de bluegrass. Cela tombait aussi à pic pour eux car ils avaient besoin de quelqu’un qui chante parfaitement en anglais-américain. C’est grâce à cela que j’ai pu intégrer ce groupe.
A titre personnel, je puisais mes influences dans le folk du début des années 1970 et j’étais particulièrement « branché » par l’œuvre de Pete Seeger. J’appréciais aussi Bob Dylan, Crosby Stills & Nash dont j’admirais la polyphonie des voix. C’est donc un peu par hasard si, des années plus tard, je me suis trouvé intégré à un combo de bluegrass. En effet, ce n’étais pas un choix car le groupe existait déjà avant mon arrivée. Je l’ai donc rejoint par « la porte de derrière ».

Dans quelle région as-tu passé ton enfance ?
 Je suis né (et j’ai passé mon enfance) à Texarkana, une ville qui se situe « à cheval » entre le Texas et l’Arkansas. J’y ai vécu (dans une partie de la cité appartenant à l’Arkansas) de 1954 jusqu’au milieu des années 1970 (avec, en 1973, une escapade d’un an chez des membres de ma famille qui résidaient dans le Mississippi). Je suis donc venu en France sans avoir beaucoup voyagé aux Etats-Unis auparavant. J’avais, par exemple, de la famille à Boston (dans le Massachusetts) que je ne suis allé voir qu’une seule fois lorsque j’étais petit. Bref, mon parcours est une véritable ligne droite, presque sans aucune étape, entre l’Arkansas et la France. Je te laisse imaginer l’ampleur du choc culturel !  Lorsque je suis arrivé dans l’hexagone, je ne connaissais que deux mots de français… parapluie et cheval ! J’ai donc appris cette langue sur le tas.

Pour quelles raisons précises t’es-tu installé en France ? 
J’avais rencontré une française aux Etats-Unis. Tout marchait très bien entre nous et, du coup, je suis venu dans ce pays pour y vivre une grande expérience. Nous nous sommes mariés (l’union a duré une dizaine d’années) et avons eu deux très chouettes enfants, Jérémie et Marie.
Le premier cité vit toujours ici alors que ma fille est mariée aux Etats-Unis. Comme elle vit à Austin, nous nous voyons beaucoup. En effet, je réside actuellement (et ce depuis 6 ans) à proximité de cette ville texane.
 
Tu me disais que c’est en arrivant en France que tu as, paradoxalement, rencontré des musiciens qui t’ont permis de t’investir dans le bluegrass. As-tu été surpris de rencontrer ces spécialistes du genre, dans une contrée très éloignée du Kentucky ? 
J’étais carrément étonné !Ces gars-là n’étaient pas des bricoleurs, ils avaient déjà un très bon niveau. Musicalement ils étaient très forts. S’ils chantaient bien, ils ne le faisaient pas forcément en anglais-américain car c’est très difficile je le reconnais… Moi mon accent, je l’aurai toujours (rires) !  J’ai apporté davantage de « simplicité » dans l’ensemble. Mon apport a permis aux différents membres du combo de travailler sur la polyphonie de leurs voix, sans plus avoir à se tracasser pour leurs accents français. Pour eux, j’ai simplifié le problème (rires) !  Nous avons enregistré un 33 tours ensemble en 1982.

Je crois que tu vis dans un village de caravanes, Trailer Town, que tu as fondé. Peux-tu me présenter ce concept original ?
Cela s’est fait à l’initiative de ma belle-sœur et de ma femme… il faut dire que nous voyageons beaucoup ! J’ai rencontré cette dernière lors d’un festival au Texas. Au bout de quelques années passées à camper sur nos lieux de concerts, nous avons fini par emprunter la petite caravane d’un copain. De fil en aiguille, nous avons acheté la nôtre, toute en fibres de verre (datant de 1973) puis nous sommes devenus des « mordus » de la chose. A une certaine période, nous possédions 10 caravanes de toutes les tailles (de 2 à 14,5 mètres de long). Elles étaient éparpillées un peu partout. Il y en avait dans le désert de l’ouest du Texas, à proximité de la frontière mexicaine dans une région qui se nomme Big Bend. A ce jour nous en avons encore 6. C’est une façon de vivre, basée sur la récupération. J’aime remettre en état les choses qui ne servent plus. Etant très bricoleur et ayant travaillé dans le milieu du bois, je peux me charger de réaliser moi-même les agencements. Je suis passionné par cela !

Te produits-tu dans un circuit spécifiquement dédié aux musiques folk et au bluegrass aux Etats-Unis ?
Avec mon épouse (Alison Moore) qui est également écrivain, nous avons développé un projet, celui du train des orphelins. Nous avons écrit des chansons et mis en musique l’une de ses nouvelles. Nous en avons fait ce que l’on appelle, aux USA, du spoken-word. C’est-à-dire un spectacle basé sur des textes ou de la poésie, une chose qui est devenue très populaire de notre côté de l’Atlantique. Nous y ajoutons des projections de vidéos et des images d’archives présentant des orphelins qui vivaient dans les rues de New-York. Nous essayons de sensibiliser le public autour de ce sujet qui est un peu tombé dans l’oubli. Nous tournons avec ce spectacle depuis une bonne quinzaine d’années maintenant. Nous jouons beaucoup dans des bibliothèques et des musées, c’est davantage un spectacle musical pédagogique qu’un véritable concert. Pour mon actuelle tournée française, nous présentons (avec Philippe Charlot) notre album « Trans-Atlantique » qui marque mon retour vers quelque chose de beaucoup plus musical.

Ce phénomène de L’ « Orphan Train Riders », pourrais-tu le présenter à nos lecteurs/auditeurs français qui ne le connaissent pas ?
Entre les années 1864 et 1929, il y avait beaucoup d’enfants abandonnés… qui vivaient et dormaient dans les rues de New-York City. Ces orphelins ont sensibilisé un Révérend appelé Charles Loring Brace. Ce dernier a eu l’idée de les mettre dans des trains et de les « éparpiller » dans tous les Etats-Unis (48 états à l’époque). Ils ont ainsi pu être pris en charge par des familles…souvent pour les aider dans leurs tâches quotidiennes (fermes etc…) car il y a, bien sûr, eu de l’abus. Cependant, cette initiative a permis à la plupart de ces enfants de connaitre un nouveau départ dans la vie. Il faut dire que vivre, sans hébergement, à New-York les faisait se confronter au crime et à la misère au quotidien. C’était donc une situation terrible pour eux et je trouve que le fait de trouver une solution à ce problème a été un acte courageux. Il faut dire qu’aux alentours de 1850, on estimait à 20.000 le nombre d’enfants dormant dans les rues de New-York (sur 500.000 habitants à l’époque). Aujourd’hui cette histoire est très peu connue, même aux Etats-Unis.
Avec Alison, qui était professeur à une époque, nous avons été bouleversés par cette partie du passé de notre pays. Elle nous tient toujours, par ailleurs, particulièrement à cœur. Nous tournons beaucoup au Texas, en Arkansas, en Oklahoma, au Kansas, au Nouveau-Mexique, au Colorado et en Arizona.  En plus de soutenir cette cause qui nous est noble, nous profitons aussi des magnifiques paysages que nous offrent ces régions. Cet été, pour la première fois, nous allons présenter ce spectacle dans le Wyoming. Cela tombe bien car on dit toujours que, durant cette saison, l’enfer est plus agréable que le Texas (rires) !PL

Puisque tu l’évoquais. Peux-tu me présenter Alison Moore qui est ton épouse ? 
J’ai rencontré Alison, dans un festival, alors qu’elle était encore professeur à l’Université de Tucson en Arizona. Pour anecdote, en 1969, elle a assisté au Festival de Woodstock… ce qui est un « truc » vraiment sympa !  Elle a donc toujours apprécié la musique et avait même appris à chanter et à jouer de la guitare quand elle était jeune. Cependant, elle n’avait jamais mis à profit son talent avec d’autres musiciens. Lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons donc immédiatement cherché sa guitare et elle s’est remise à la musique… à cause de moi !
Elle avait déjà écrit un roman ainsi que des nouvelles (destinées à des journaux et à des magazines). Deux ou trois semaine après notre premier été passé en commun dans l’Arkansas, elle m’a envoyé un manuscrit alors qu’elle était retournée enseigner à Tucson. Il s’agissait de cette fameuse nouvelle sur le train des orphelins. C’était émouvant à lire car j’ai immédiatement détecté qu’un auteur avait trouvé là son sujet. J’ai complètement été pris par son écriture et j’ai tout de suite considéré son texte comme étant un chef d’œuvre. Je ne le dis pas parce que c’est ma femme…  J’adore la littérature et je pense savoir détecter une bonne histoire, menée à un bon rythme.
C’est ainsi que notre projet liant la musique, la lecture (les vidéos quelques années plus tard) et l’histoire est né. Son ouvrage « Riders On The Orphan Train » est toujours disponible, que ce soit sous la forme d’un livre ou en version numérique.

Outre ce travail aux côté d’Alison Moore, tu reviens actuellement en France afin d’y présenter ton nouvel album « Trans-Atlantique » enregistré avec Philippe Charlot. Peux-tu me parler de votre collaboration et me présenter ce nouvel opus ? 
Philippe a un copain susceptible de nous organiser des concerts en Allemagne et en Hollande. Cependant, pour que cela se fasse, il nous est nécessaire de présenter un enregistrement de notre travail commun. Dans un premier temps, c’est dans cette optique que le disque a été envisagé. Il est donc venu me rejoindre aux Etats-Unis où nous avons fait quelques spectacles ensemble. Notre répertoire avait été mis en place en quelques journées…Pour cela, il avait écouté mes deux disques enregistrés au sein du groupe Still On The Hill. Il en a extrait une dizaine de chansons originales dont je suis l’auteur, plus deux reprises signées par des bons copains (« Texas heaven » d’Effron White et « Saints and sinners » du canadien David Francey). Les titres sélectionnés datent des années 1990.
A ce moment-là, je n’étais pas aussi impliqué dans le bluegrass et, de ce fait, le registre choisi se rapproche davantage de la musique folk. Lorsque je vivais en France, j’écoutais beaucoup de choses différentes. Par exemple, j’étais très intéressé par la musique bretonne et même par la musique de chambre. J’écoutais beaucoup France Culture… ceci a arrondi mes angles et se ressent dans ce que je fais actuellement.  J’ai connu une période durant laquelle j’étais très créatif, que ce soit en France ou (plus tard) aux Etats-Unis. Au bout d’un certain temps, je suis arrivé à un stade où j’avais enregistré 85 chansons différentes (guitare-voix).
Avec Philippe, nous avons retenu les titres qui nous intéressaient tous les deux. De plus, nous ne voulions pas être « stéréotypés » ou « étiquetés » bluegrass parce que nous utilisons du banjo. En fait, ma volonté est de ne pas faire une musique purement bluegrass tout en utilisant les instruments traditionnels du genre. D’ailleurs, je joue fréquemment du mandoloncelle (instrument appartenant à la famille de la mandoline et se situant entre l’octave mandolin et la mandobass, nda). Le mien date du tout début du XXème siècle (1912 pour être exact) et a été fabriqué aux Etats-Unis où l’on trouvait alors de nombreux orchestres de mandolines. 
Je cherche, par ailleurs, à obtenir une bourse (générée par des fonds franco-américains) afin de participer à un projet mettant en exergue des collaborations entre musiciens français et américains. Ceci afin de créer des œuvres originales dans l’esprit du jazz. Si je ne suis pas vraiment un « jazzeux », beaucoup de mes compositions en possèdent l’âme. Philippe, qui a fait beaucoup de recherches dans le domaine de la guitare manouche et de la musique de Georges Brassens (qui a un fort côté jazz) va m’aider dans ce sens et nous allons croiser nos idées. Recommencer à travailler avec lui m’apporte une nouvelle inspiration. Nos idées musicales sont différentes mais nous nous complétons très bien et le résultat fonctionne à merveille.

As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ? 
Si je m’implique beaucoup dans ce projet avec Philippe, c’est tout simplement parce que la France me manque (rires) !  D’ailleurs, pour tout t’avouer, chez moi aux USA, j’ai même appris à préparer le bœuf bourguignon ainsi que des galettes et des crêpes. Cela me permet de toujours avoir un pied chez vous ! J’aimerais continuer à faire des échanges, venir une ou deux fois en France tous les ans… et que Philippe vienne aussi régulièrement aux Etats-Unis.
Nous verrons ce qui se passera dans le futur mais le résultat pourrait être intéressant !

Remerciements : Domi et François Garotte, Philippe Charlot.

 
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Interview réalisée :
Studio RDL – Colmar
le 29 mars 2013

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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