René Urtreger
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : S’il ne fait fi de son passé, René Urtreger n’a de cesse de penser à l’avenir et, en irréductible propagateur du bebop qu’il est, de ne jurer qu’en son présent afin d’en savourer chaque seconde. Riche d’une carrière qui pourrait être énumérée sous la forme d’un inventaire à la Prévert, cette légende du jazz (déjoue et) joue des aprioris les plus solidement rivés aux imaginaires collectifs. En 2017, le pianiste pourrait en effet vivre sereinement de ses acquis…mais que nenni. Agé de 83 ans, il nous revient avec un album qui fera date.
Ce disque (« Premier Rendez-Vous », édité par le label Naïve) va au-delà d’un échange piano-voix entre un instrumentiste et une interprète. Il ressemble, aussi, à un jeu de regards entre un homme et une femme…Il faut dire que la complicité entre le musicien (dont le parcours a croisé ceux de Miles Davis, Lionel Hampton, Lester Young, Chet Baker, Stan Getz ou Dexter Gordon pour ne citer qu’eux) et l’écrivain Agnès Desarthe n’est pas feinte ; elle est solide, durable...
C’est l’histoire du claviériste qui troque ses touches contre une plume et celle de la femme de mots qui libère sa voix pour y trouver un nouveau moyen d’expression…
Déjà une première collaboration, soldée par la sortie d’une biographie essentielle (« Le Roi René », aux éditions Odile Jacob) faisait état de cette symbiose entre les deux esprits brillants…
A 72 heures de sa prestation, dans le cadre du Festival de Jazz de Colmar (en compagnie du trio de Michel Hausser), René Urtreger m’a chaleureusement reçu dans un salon de l’hôtel où il avait élu résidence. Œil malicieux, esprit vivace et mémoire infaillible…tous les éléments étaient réunis pour qu’il m’aide à vivre un grand moment, que voici relaté.

René, vous être présent en Alsace dans le cadre du Festival de Jazz de Colmar. A cette occasion, vous allez vous produire en compagnie du trio du vibraphoniste Michel Hausser. Votre amitié remonte à de nombreuses années, pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre rencontre ?66
Je ne me rappelle pas précisément des circonstances, mais il est vrai que cela remonte à plusieurs décennies. A cette époque, il venait d’arriver à Paris en passant par Monte Carlo où il devait être membre de big bands (comme celui d’Aimé Barelli). Il a toujours été un musicien de jazz et s’est affirmé comme tel. C’est un grand instrumentiste qui, dans son background, possède une connaissance de musiques très précises où une croche est une croche (rires) ! Son amour du jazz est authentique, sincère…il est devenu l’un des plus grands vibraphonistes dans ce registre.

Conservez-vous des souvenirs marquants, liés à Michel (qu’il s’agisse de jams, d’enregistrements ou d’autres rencontres musicales…) ?
Il est vrai que nous avons commis plusieurs enregistrements ensemble. Le fait de jouer avec lui a, toujours, été un plaisir. Il sait créer une bonne ambiance et, pour information, il était l’un de mes « amis-musiciens » préférés de mon père. Comme tout le monde la sait, à cette époque je filais un « mauvais coton » (René Urtreger a passé 20 années de sa vie sous l’emprise des drogues dures, nda) et Michel Hausser possédait des qualités humaines et une certaine stabilité qui étaient rares dans le milieu du jazz. Personnellement, je fréquentais davantage des « joyeux lurons » qui se sont révélés être des désaxés. Au contraire, je pouvais toujours compter sur Michel.
Pour anecdote…un jour, alors que ma fille (Viviane) n’avait que quelques mois, nous l’avons emmenée à Hambourg à l’occasion d’un concert de l’orchestre de Michel (il en résulte le disque « Up In Hamburg » édité par le label Columbia en 1960, nda).
Durant une semaine (du lundi au samedi), nous avions accumulé les émissions de télévision et les concerts en public.
Je me souviens qu’un jour, avec Michel, nous avons été contraints de changer Viviane…alors que nous étions maladroits comme pouvaient l’être deux bonshommes assez inexpérimentés en la matière (rires) ! Le comble c’est, qu’aujourd’hui, Viviane (qui a évidemment perdu tout souvenir lié à cette période) est devenue médecin ophtalmologiste à…Hambourg (rires) !

En 2016, Agnès Desharte vous a consacré une biographie (« Le Roi René » aux éditions Odile Jacob) au sein de laquelle est évoquée l’importance de Simon « Sim » Copans qui (avant de devenir animateur de radio) avait parcouru les campagnes françaises pour le compte de l’armée américaine pendant la deuxième guerre mondiale. Il donnait, alors, des informations et diffusait diverses formes de musiques afro-américaines aux gens. Quel a, exactement, été son impact sur vous ?
C’est curieux que vous me parliez de Simon Copans… C’était un personnage très important dans le monde du jazz. Il ne faut pas oublier que la télévision n’existait pas à cette époque… Il n’y avait que quelques stations de radio et très peu d’émissions consacrées au jazz en dehors de celle de Copans. Elle s’appelait « Le Panorama du Jazz Américain » et se déroulait tous les samedis aux alentours de midi. Il a eu une grande importance car il a fait découvrir du vrai bon jazz aux gens de ma génération.
Il nous a mis sur les rails de cette musique… De nos jours, de nombreux genres musicaux se « télescopent », s’unissent ou se désunissent. A l’époque, il n’y avait que deux ou trois styles de jazz et on s’y tenait ! Simon Copans a été un maillon très important de la transmission du jazz. C’était un ancien GI qui avait fait la guerre et qui était tombé amoureux de la France (ainsi que de sa culture). Il a poursuivi sa vie dans ce pays… Cela me fait très plaisir d’entendre son nom aujourd’hui…

Lorsque vous avez découvert le jazz, qu’est-ce qui vous a le plus touché dans cette musique ?
J’ai découvert le jazz très tôt… Je ne savais même pas ce que ce mot signifiait. J’ai eu la chance d’avoir des beaux-frères (les maris de mes sœurs ainées qui avaient 10 ou 12 ans de plus que moi) qui étaient des vrais amateurs de jazz (surtout le mari de ma sœur Madeleine), des collectionneurs de disques qui se rendaient régulièrement au Hot Club de la rue Chaptal (ils n’en revenaient pas à chaque fois que Django Reinhardt les regardait ou leur faisait un petit sourire). Je devais, alors, être âgé de 6 ans mais j’avais l’occasion d’écouter le grand orchestre de Chick Webb qui était un batteur extraordinaire (malgré le fait qu’il soit un peu difforme). Il ne faut pas oublier que la chanteuse de cet ensemble s’appelait, alors, mademoiselle Ella Fitzgerald dont c’était les débuts ! Cela me procurait des sensations euphorisantes mais je ne savais pas que c’était du jazz (rires). J’étais incapable de décrire les gens qui jouaient ou qui chantaient, mais j’étais très sensible à cette musique. Je m’y suis habitué très tôt. Comme toutes les activités, plus on commence tôt…plus on en est imprégné. C’est, en tout cas, mon opinion !66

Lors de votre apprentissage du piano (qui a débuté par la musique classique), vous n’avez pas été admis au Conservatoire. Aujourd’hui, le jazz est enseigné dans ces structures. Que pensez-vous de « l’académisme » qui entoure cette musique qui, à sa naissance, était très populaire et dont la base repose sur le feeling des musiciens ?
Vous voulez me faire haïr par une partie de la population des jeunes jazzmen (rires) !En fait les temps ont, tout simplement, changé. Le jazz d’il y a 70 ou 100 ans pourrait être qualifié « d’amateur ». Cette musique était faite par des gens qui aimaient la vie, des vrais épicuriens qui ne penser qu’à profiter de leur existence. Ils jouaient d’une manière spontanée et ne cherchaient pas à accomplir une « performance ». Actuellement, les gens sont beaucoup plus exigeants. Il me semble que les jeunes sont, davantage, à la recherche d’une certaine stabilité…d’un épanouissement et d’une réussite qui ne primait pas à l’époque. Lorsque j’étais âgé d’une vingtaine d’années, il n’y en avait que quelques uns qui étaient animés par le désir farouche de réussir. La plupart d’entre nous s’en foutaient complètement (rires). Nous jouions pour jouer et rares étaient les garçons (peu de filles étaient, à cette époque, instrumentistes de jazz) qui avaient un plan de carrière derrière la tête. Le seul objectif était de faire de la musique et de se marrer avec les copains. Le lendemain nous nous retrouvions pour relater nos exploits de la veille (René cite, pour exemple, le guitariste belge René Thomas dont une version du standard « Cherokee » semble l’avoir, particulièrement, marqué, nda). Nous n’avions pas un comportement de futurs « stars »…

Cependant (et je vous pose la question alors que j’écoute, moi-même, énormément de musiciens de jazz issus de cette jeune génération), ne pensez-vous pas que le feeling est actuellement « mis en retrait » par rapport à une technicité pure et dure ?
Oui, c’est l’aspect « virtuose » qui passe en premier. C’est pour cela que cette « compétition » me gêne. La musique ne doit pas devenir les Jeux Olympiques. Lorsque nous jouons du jazz, nous ne participons pas à une épreuve de saut à la perche !
Ce que je reproche le plus au jazz et à son environnement…c’est ce besoin de juger. C’est un acte très occidental… Le fait de faire une fausse note n’est pas gravissime en soi. Le jazz est une musique qui se vit et qui se partage. La virtuosité est une chose secondaire…
Je cite souvent le fameux enregistrement d’Ella Fitzgerald qui, au cœur de la Pinède de Juans-les-Pins (durant le Festival de Jazz), est gênée par un criquet qui stridule. Elle s’arrête alors de chanter, puis crée une sorte de dialogue avec l’insecte devant un public hilare. C’est un moment extraordinaire de jazz mais un puriste, sur place, aurait poussé des hurlements !
Chet Baker, qui était un ami, était un jour très mal lors d’un concert qu’il donnait à Montréal (il avait eu un voyage mouvementé et souffrait du décalage horaire). Sur scène, avec le pianiste canadien Paul Bley (qui était, en ce qui le concerne, en pleine possession de ses moyens), il avait été à deux doigts de tomber plusieurs fois de fatigue (et d’abus divers). Pourtant, les gens l’encourageaient comme on encourage un boxeur qui croule sous les coups. C’est un grand moment de jazz qui, cependant, ne vaut rien pour un « puriste ».
J’appelle ces gens-là des « juges de touche ». Ils ne regardent pas la beauté du match, ils ne s’intéressent qu’au fait de savoir si la balle est sortie ou non. Ils disent « out » ou « in »…
Ce n’est pas ça le jazz ! Cette musique doit aider à passer un moment convivial, heureux ou sentimental. Ce doit être un partage entre le public et les artistes. C’est cela ma conception du jazz… Je crois, malheureusement, qu’elle ne vaut plus rien aujourd’hui.

Actuellement, durant vos concerts, laissez-vous encore une large part à l’improvisation ?
Absolument ! Les artistes actuels le font aussi. La différence réside dans le fait qu’il s’agit souvent d’effets mis en œuvre pour impressionner le public. A l’époque, ce n’était pas notre cas…nous jouions. J’ai côtoyé des gens importants (Miles Davis, Sonny Stitt, Sonny Rollins, Chet Baker, Stan Getz…) et, ensemble, nous ne cherchions pas à en mettre plein la vue. Nous essayions, simplement, de faire de la musique…

Aux grandes heures des clubs parisiens, dans les années 1950, vous avez vécu avec de nombreux musiciens américains de jazz qui passaient quelques mois en France afin de s’y produire. Dans leur sillage, quelques bluesmen (Memphis Slim, Champion Jack Dupree, Willie Dixon…) ont suivi le même chemin. Ces gens-là se côtoyaient-ils ? Y avait-il une interaction entre les bluesmen et les jazzmen ?
Je n’en conserve aucun souvenir, je ne côtoyais que des jazzmen…
A ce moment-là, j’avais une vingtaine d’années et je ne jurais que par Miles Davis, Charlie Parker, Bud Powell, Thelonious Monk… Cette musique que j’aimais, que j’essayais de reproduire et qui était ma vie n’avait rien à voir avec des choses (probablement très prenantes, profondes et nostalgiques) mais plus « simples » dans leur conception. Ma musique n’avait rien à voir avec le blues. Je vais encore me faire quelques « copains » mais j’estime que le jazz était plus « évolué ». Il y a eu une évolution à chaque époque et certains diront que le jazz actuel est bien plus évolué que ce que nous jouions il y a 40 ans. Sur ce point je ne suis pas d’accord car, si la musique actuelle est indéniablement plus perfectionnée techniquement, je ne vois pas où est l’évolution. Je ne pense pas que ce soit mieux ou moins bien. C’est comme le cinéma, actuellement beaucoup de films sont basés sur des effets spéciaux.
Je ne sais pas, pour prendre l’exemple de la chanson, si quelqu’un comme Georges Brassens pourrait connaitre le même parcours de nos jours. Ses textes étaient superbes et aussi mélodieux que sa musique. Dans le jazz, je doute que Lester Young puisse faire la même carrière actuellement.
Maintenant, il faut jouer à 12.000 tours par minute. Même Erroll Garner est méprisé par certains « grands spécialistes » du jazz. Ceci parce qu’il fait des fautes de goûts, ce qui est normal compte tenu de son statut d’autodidacte. Il s’est inventé sa propre technique au piano mais il commet des fautes impardonnables aux oreilles de ces gens-là qui sont, je le répète, plus des juges de ligne à Wimbledon que des amateurs de musique.

Et qui, souvent, ne sont pas eux-mêmes des musiciens…
Oui et c’est pour cela que j’attends de ces gens-là qu’ils sachent reconnaitre un accord mineur ou majeur, un accord de quinte augmentée ou diminuée… Je ne sais pas s’ils entendent ces choses-là mais nous, les musiciens, oui ! Quoique, ce n’est pas le cas de tous les musiciens…

Vous évoquiez Lester Young. Vous avez participé à son ultime enregistrement (« Le Dernier Message De Lester Young » réalisé pour la firme Barclay). A ce moment-là, ce grand saxophoniste (décédé le 15 mars 1959, soit 11 jours après la session) était au plus mal. Comment fait-on pour travailler avec une telle légende et pour magnifier son travail alors qu’elle n’est pas au meilleur de sa forme ?
C’est une belle question… Nous avions une adoration pour Lester mais il n’était plus que l’ombre de lui-même. C’est lié à l’âge mais, lui, son vieillissement à commencé alors qu’il n’avait que 40 ans.
Aujourd’hui, 40 ans c’est l’âge idéal dans presque toutes les disciplines… Le jazz est une musique où il faut aider l’autre. Je récuse le mot « accompagnateur », j’en ai une horreur absolue. Je n’ai jamais accompagné un musicien de jazz, j’ai joué avec. Par contre, j’ai accompagné des vedettes de variétés qui étaient dans le star-system. Il n’y a qu’elles qui existent, le musicien est juste bon à être derrière et devient interchangeable. Les gens ne savent pas qui joue de la batterie ou de la trompette avec Gilbert Bécaud, ils s’en foutent complètement…ils viennent applaudir la vedette. Pour le jazz c’est différent.
Dans le cas de Lester Young qui était une star « vieillissante », le but était de lui procurer le plus de confort musical possible. En souvenir de tout ce qu’il avait réalisé durant sa carrière, nous nous devions de faire le maximum pour lui. C’est comme un grand sportif dont la carrière décline avec le temps. Les gens continuent de l’aimer en souvenir de ce qu’il a été. C’est une chose qui reste triste à dire et à ressentir…

Le livre « Le Roi René » est sorti en 2016. A sa lecture, on sent que cette biographie vous tenait particulièrement à cœur…
Oui, je voulais laisser des pensées si j’ose dire (rires)…des pensées sur le jazz. Agnès Desarthe m’a vraiment aidé à sortir tout cela. Elle a été une merveilleuse « accoucheuse ». Je voulais dire des choses et je les ai dites. Notamment sur le côté occidental, qui est le côté chiant, barbant et scientifique de toutes les choses. Au contraire, un continent comme l’Afrique (qui pourtant est en pleine évolution) conserve un aspect ludique. Le jazz est le fruit de trois continents (Europe, Afrique, Amérique) et il est devenu un phénomène mondial. Nous, les occidentaux, nous avons privilégié le côté « savant » de cette musique. C’est pour cela qu’actuellement elle ressemble souvent à de la musique contemporaine. C’est de la recherche et c’est un peu trop « l’intellect » qui fonctionne. C’est admirable, mais j’aime aussi lorsqu’on y trouve un côté sensuel et physique. C’est un registre « rigolo » et, je vais être trivial, qui est excitant. Ce ne doit pas être qu’une chose qu’on écoute avec attention, ou alors il y a une erreur car le jazz est une musique qui se partage avec les gens.
A titre personnel, j’aime la danse et voir danser…surtout lorsque c’est bien fait. Beaucoup de « blacks » s’y prennent à merveille, qu’il s’agisse de rhytm and blues ou de jazz. C’est une chose qui ne me dérange pas alors que de nombreux musiciens occidentaux sont heurtés par cela. Je me répète mais j’aimerais qu’il y ait plus de « vulgarité » dans le jazz. Nous avons abandonné l’aspect « joie de vivre » et l’avons laissé au rock’n’roll et à la musique pop. C’est dommage, on nous a volé cette spontanéité. C’est ce que j’aimais chez les chanteurs de blues. Cette authenticité qui s’est perdue…

Votre collaboration avec Agnès Desarthe se poursuit, aujourd’hui, avec un disque commun « Premier Rendez-Vous » (Naïve, 2017). Pouvons-nous considérer ce dernier comme la bande originale du livre ?
C’est une belle formule ! Oui et je suis très heureux qu’Agnès ait surmonté son appréhension. En effet, elle ne se considérait pas comme une « vraie » chanteuse (dans le sens ou elle ne possède ni la technique, ni la routine d’une chanteuse professionnelle). Elle dégage, pourtant, quelque chose d’unique…un vrai feeling et une vraie profondeur ! Elle est parfaitement anglophone et, de ce fait, sait ce qu’elle dit lorsqu’elle chante. De surcroit, elle est musicienne et possède le sens du swing.Puis (mais c’est un secret, car je dois être la seule personne à l’avoir vu), elle peut interpréter un Gershwin ou un Cole Porter tout en se mettant à danser d’une seconde à l’autre. Cette gestuelle est, en fait, le prolongement de sa voix. Je suis le seul, à ce jour, à avoir vu cela et je pense qu’elle n’osera jamais le faire en public. Quand elle se laisser aller, c’est vraiment extraordinaire…et je pèse mes mots !

Comment avez-vous procédé à la sélection des chansons pour cet album, ainsi qu’au choix des prestigieux musiciens qui vous entourent (Géraldine Laurent au saxophone, Pierre Boussaguet à la contrebasse, Simon Goubert à la batterie etc.) ?
Nous avons bien réfléchi afin de réunir les musiciens qui correspondaient le plus à ce projet. En ce qui concerne Géraldine Laurent, c’est spécial… Agnès était, en effet, très heureuse de ne pas être la seule femme sur l’enregistrement. Il faut dire que cette dernière était morte de peur à l’idée de travailler avec des gens comme nous. Le jazz étant la musique démocratique par excellence, nous étions présents derrière elle afin qu’elle soit le plus possible à l’aise. Cette symbiose a permis que les sessions se déroulent à merveille. Je suis très content du résultat, de la liberté de ton qui en découle…
En ce qui concerne le répertoire, nous avons choisi des chansons qu’elle connaissait mais aussi des titres plus obscurs. J’ai signé quelques compositions, ce qui m’a redonné le goût d’écrire des choses. Puis il y a cette chanson…« L’instant du premier rendez-vous », issu d’un vieux film dont l’héroïne était Danielle Darrieux (« Premier Rendez-Vous » réalisé par Henri Decoin en 1941, nda) et que j’ai toujours rêvé de « jazzifier ». Je l’ai un peu modernisée et je crois que le résultat sonne bien (rires) !

A la première écoute de ce disque, j’ai été frappé par cette intonation quasi « bluesy » que possède Agnès Desarthe. On y trouve aussi une sorte de relation fusionnelle entre le piano et la voix. Est-ce représentatif du lien qui vous unit, aujourd’hui ?
Elle a commencé notre projet en récitant ses propres textes. Sur le disque on en retrouve trois sur lesquels elle est accompagnée ou par moi, ou par Alexis Lograda au violon, ou par Simon Goubert à la batterie. Nous avons aussi effectué quelques lectures musicales durant lesquelles j’improvisais sur ses paroles. Depuis cette période, nous ne nous quittons plus et nous possédons une complicité qui tient autant de la musique que de la littérature. C’est une relation qui est, je le reconnais, incroyable. Tout le monde, autour de nous, s’en rend compte. Partout où nous sommes passés, les gens étaient fascinés. Ils ont découvert quelque chose et c’est tant mieux (rires) !

Avez-vous un but précis, ou un message à véhiculer, avec ce disque ?
Oui (rires) ! C’est qu’un bonhomme de plus de 80 ans peut être jeune d’esprit.
Qu’est-ce qui caractérise le fait de vieillir ? En principe c’est de ne plus avoir de désirs…se laisser aller à des acquis et à du passé. Avec ce projet, je me suis prouvé qu’à 81 ans (au moment de l’élaboration du livre) je possédais toujours une joie de vivre et une joie de faire de la musique. Aimer la musique et aimer en faire sont des choses importantes. J’ai dit à des gens beaucoup plus jeunes que moi qu’ils devront me prévenir si, un jour, je devais mal jouer ou si je devais « déconner » (rires) ! Je préfère arrêter que de continuer à me produire une fois centenaire, sans le faire bien. Le pire serait d’entendre : « Urtreger, pour son âge, il se débrouille pas mal » (rires) ! Ce serait une horreur… Je veux jouer « bien tout court » ou m’arrêter complètement. Le message est celui-ci …Alexis Lograda est âgé de moins de 25 ans alors que les autres musiciens présents sur ce projet ont entre 40 et 50 ans. A côté de moi ce sont vraiment des jeunes…mais il y a un grand enthousiasme commun entre nous. C’est une chose essentielle pour la musique !

Y-a-t-il quelque chose de particulier que vous souhaiteriez évoquer en guise de conclusion à cet entretien ?
Je suis très heureux d’être ici, à Colmar… Vraiment très heureux de retrouver Michel Hausser afin de célébrer son 90ème anniversaire. Nous allons essayer de nous « secouer » (rires) ! Il faut se lâcher, il faut jouer. Le jazz est une musique porteuse dont je ne me lasse pas…

Remerciements : Dominique Abdesselam

 

 
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Interview réalisée au
Festival de Jazz de Colmar
le 8 septembre 2007

Propos recueillis par David BAERST

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