Rhoda Scott
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Rhoda, est-ce durant votre enfance que s'est forgé votre amour pour la musique et pour l'orgue en particulier, puisqu'enfant vous jouiez à l'église ?
Oui je suis née dans l'amour de la musique et j'ai toujours été une musicienne dans l'âme. C'est dans l'église de mon père qu'effectivement j'ai découvert l'orgue. J'avais 7 ans et j'ai pu exercer peu à peu…

Vous deviez déjà, à cette époque, avoir de solides bases en Gospel. Cependant, à la maison, pouviez-vous écouter d'autres musiques, celles dites profanes par exemple ?
Oui nous écoutions de toutes les musiques. Mes parents n'étaient pas du tout sectaires. Ma mère jouait de la musique qui était un peu " Honky Tonk " ou parfois même " Guimauve ", mais nous aimions tout !

Pouvez-vous me parler de votre intégration au sein de la " Manhattan School of Music " à New-York ?
J'avais un âge à peu près normal pour intégrer un tel établissement. Par contre je me démarquais alors, car je n'avais jamais étudié la musique, ce qui était plutôt original pour prétendre rentrer dans l'un des conservatoires les plus cotés aux Etats-Unis.

Ceci dit, j'avais été encouragée par plusieurs personnes rencontrées auparavant, notamment au Lycée où j'avais obtenu une bourse. J'ai tenté le coup en mettant, rapidement, la barre très haute lors de mes concours d'entrée.

De ce fait j'ai été acceptée mais pas en classe de claviers car je n'avais pas fait d'études. Heureusement je savais bien me servir de mes oreilles et j'ai, ainsi, pu y apprendre beaucoup de choses.

Est-ce après ces études que vous avez intégré l'Orchestre de Count Basie ?
En fait, je n'ai jamais joué avec Count Basie contrairement à ce que l'on croit. Je jouais, simplement, dans une espèce de Bar où l'Orchestre principal était celui de Count Basie.

Mon trio et moi, nous jouions en alternance avec ce Grand Orchestre. Quand ils étaient en pause, Count Basie et ses musiciens sont restés pour nous écouter. La soirée finie, Count Basie est venu me voir et m'a dit qu'il appréciait ce que je faisais. Il m'a ainsi proposé de venir jouer dans son Club à Harlem. J'ai dit " bien sûr ! ", c'était formidable d'avoir un engagement à New-York, d'autant plus que nous venions du New-Jersey. Il m'a demandé de contacter son épouse pour les formalités et j'ai pu jouer dans son Club.

C'est ainsi que j'ai connu Count Basie. Il passait toujours dans son Club en fin de soirée après ses propres concerts. Il s'asseyait dans un coin et nous écoutait. S'ils avaient encore la forme ses musiciens nous rejoignaient pour faire le " bœuf ".
Cela a été une fantastique introduction au monde du Jazz !

Je suppose que vous avez du rencontrer d'autres très grands musiciens. Pouvez-vous évoquer quelques-unes de ces rencontres les plus marquantes ?
J'ai aussi eu l'opportunité de jouer, en alternance, dans un Club avec Thelonious Monk. Nous avions une loge collective donc j'ai pu le rencontrer et le regarder jouer de derrière les coulisses. C'était très instructif, j'ai adoré et la musique et l'homme. Je l'ai écouté 7 soirs de suite pendant 3 ou 4 sets, c'était fantastique. C'est à cette même période que j'ai rencontré Johnny Griffin qui vit aujourd'hui en France.

Je pourrais aussi citer des artistes tels que Sonny Payne, Dizzy Gillepsie, Sarah Vaughan qui était du New-Jersey comme moi et que j'avais déjà vue jouer dans les Clubs là-bas. Elle venait parfois s'asseoir au Bar et chantonner pendant que nous jouions. J'ai aussi rencontré Dionne Warwick qui était presque une amie parce qu'elle s'était mariée avec mon batteur (rires). Je ne peux pas oublier de citer le bassiste Ron Carter qui était aussi à la " Manhattan School of Music " tout comme Yusef Lateef.

Sinon j'ai très bien connu Eric Dolphy ce qui est surprenant car il a un style radicalement opposé au mien. Il me disait qu'il avait, lui aussi, commencé à jouer en faisant des titres tels que " Night Train ", " Honky Tonk " etc…

Après, il essayait de m'expliquer comment créer de nouvelles gammes. Venant comme lui de la " Manhattan School of Music ", il savait que je pouvais comprendre ce qu'il disait. Il était d'une gentillesse et d'une simplicité fantastiques. C'est peut-être lui qui me procure le plus grand souvenir. Bien que ce soit difficile de choisir (rires).

Ces gens-là vous donnaient-ils des conseils après vous avoir entendue jouer ?
Oui mais c'était surtout des encouragements. Si je demandais un conseil on me le donnait mais on me disait surtout des choses comme " Continue, définis ton style, tu vas trouver ta voie etc… ".

J'ai toujours pensé que j'étais prédestinée à avoir un style proche du courant avant-gardiste du Jazz car j'aimais trop faire des " excursions " en dehors de cette musique. C'était plus fort que moi, il fallait toujours que je m'aventure vers des choses qui n'avaient rien à voir.
Vraiment, tout le monde m'encourageait…

Il y a un saxophoniste, Joe Thomas, qui m'avait donné un conseil très important en me disant " N'écoute pas tout le temps les organistes, car tu peux trouver toi-même des clichés d'organiste. Ecoute plutôt les saxophonistes et les chanteurs pour les phrasés ".
C'était un conseil primordial et, à partir de là, j'ai surtout écouté les chanteurs et chanteuses. Même ici, j'écoute beaucoup la chanson française, je crois que le chant est très important.

Votre amour de la France s'est rapidement développé, Au départ, vous étiez venue ici pour approfondir vos connaissances musicales…
Oui je suis venu pour étudier avec Nadia Boulanger , c'était à la suite de ma maîtrise à la " Manhattan School of Music ". Je voulais étoffer mon C.V.

Etudier en Europe pour une musicienne qui s'intéressait, comme moi, aussi à la Musique Classique était très important. A ce moment-là je ne savais pas si je me consacrerais à l'enseignement de la Musique Classique ou si j'allais continuer à me produire en public dans le Jazz.

Nadia Boulanger a été très décisive pour la suite de ma carrière car je me suis rendue compte, grâce à elle, que je n'avais pas les racines et la préparation pour pouvoir me consacrer à enseigner aux autres quelque chose que j'aurais acquis par chance.

Par contre j'ai trouvé dans ce pays une nouvelle langue qui a été comme une nouvelle naissance et qui m'a permis d'utiliser même les mots que je ne pouvais pas dire dans ma langue maternelle car j'étais trop petite. Le français m'a libérée et j'en suis très contente d'autant plus que c'est ici que j'ai rencontré celui qui allait être mon futur mari.
La France a beaucoup fait pour moi…

Si vous avez beaucoup étudié la musique vous êtes aussi connue pour vos qualités d'improvisation sur scène. Est-ce quelque chose que vous faites encore beaucoup et pourquoi ?
Je me suis dit que j'aurais pu être musicienne classique et donc j'aurais du respecter chaque note à la demi-mesure près.
Je n'aurais jamais pu m'astreindre à cela donc j'en profite…
Je fais ce que je veux en fonction de mon état d'âme.

Le plus important est la communication avec le public. Si je sens que je peux aller vers eux en jouant ce qui me passe par la tête alors je m'aventure vers de nouvelles idées.

En parlant de public, vous êtes réputée comme étant une vraie artiste de scène. Que représente ce mode de communication à vos yeux ?
La scène ce n'est rien d'autre qu'un endroit où jouer car il faut bien être quelque part. Le public, par contre, c'est magique. J'adore cet espace qui est comblé entre le public et la musicienne.

J'aime établir des dialogues avec les gens même si mes musiciens aimeraient parfois enchaîner directement sur de la musique. J'aime quand le public est à l'aise et qu'il n'est pas dans un silence gêné comme au travail…

Quand vient la fin de soirée j'apprécie quand l'ambiance laisserait deviner que toutes ces personnes sont venues ensemble. Comme s'ils s'étaient mis d'accord de cette façon " Ce soir on va tous ensemble au Méridien passer une bonne soirée ".

Ce soir vous vous produisez avec Plas Johnson, est-ce votre première collaboration ?
Nous avons déjà fait un disque ensemble ("From C to Shining C", Doodlin' Records, Nda) et nous nous étions produits au Festival de Jazz d'Ascona. Cela se passe fantastiquement bien car nous avons de nombreuses connaissances musicales communes.

Il est très décontracté car il a une expérience impressionnante. Il a enregistré avec tout le monde de Barbra Streisand à Ray Charles en passant par Frank Sinatra ou Ella Fitzgerald etc…
Malgré tout il est très simple, il est LA musique !

Vous qui avez touché à beaucoup de genres musicaux dans quelle direction souhaiteriez-vous vous diriger ?
J'ai toujours l'espoir de jouer un peu mieux et de pouvoir améliorer les possibilités de l'orgue Hammond car il est clair que l'on a pas encore épuisé tout ce que cet instrument peut faire et tous les usages auxquels il peut se prêter.

Je voudrais, aussi, maintenant faire des choses pour les jeunes musiciens. Je collabore dans un groupe avec des jeunes femmes qui sont fantastiques. Elles ont des bagages magnifiques.
Il y a souvent des jeunes qui me demandent de parrainer leur CD ou d'y écrire des notes. C'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup, faire des choses pour et avec les jeunes. C'est utile de faire une telle chose…

Avez-vous une conclusion à ajouter ou, pourquoi pas, un coup de gueule à pousser ?
(rires) Non je n'ai pas de coup de gueule !
Vous savez quand je joue le soir je ne pense qu'à ça toute la journée car mon désir le plus cher est d'arriver sur scène complètement en forme. Cela veut dire pas de rhume, pas de maux de tête etc…

Cela existe mais il faut avoir une base de pensée positive et une bonne condition physique. J'essaye de m'entretenir et je ne veux pas être distraite le jour d'un concert.
C'est ce que j'essaye d'expliquer à ma famille, il ne faut pas me distraire du but de ma journée. Pour cela il faut attendre de nombreuses heures jusqu'au concert sans penser aux coups de téléphones etc…
Là je suis à quelques minutes du concert donc je ne pense à plus rien d'autre qu'à me diriger vers la scène.

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Remerciementd: Gersende, chargée de communication pour le Méridien et toute l'équipe du Jazz Club Lionel Hampton.

 
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rhodascott.com

Interview réalisée au Jazz Club Lionel Hampton, Le Méridien - Paris - le 3 mars 2007

Propos recueillis par David BAERST

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