Rhoda, est-ce durant votre enfance que s'est forgé
votre amour pour la musique et pour l'orgue en particulier, puisqu'enfant
vous jouiez à l'église ?
Oui je suis née dans l'amour de la musique et j'ai toujours été
une musicienne dans l'âme. C'est dans l'église de mon père
qu'effectivement j'ai découvert l'orgue. J'avais 7 ans et j'ai pu
exercer peu à peu
Vous deviez déjà, à cette
époque, avoir de solides bases en Gospel. Cependant, à la
maison, pouviez-vous écouter d'autres musiques, celles dites profanes
par exemple ?
Oui nous écoutions de toutes les musiques. Mes parents n'étaient
pas du tout sectaires. Ma mère jouait de la musique qui était
un peu " Honky Tonk " ou parfois même " Guimauve
", mais nous aimions tout !
Pouvez-vous me parler de votre intégration
au sein de la " Manhattan School of Music " à New-York
?
J'avais un âge à peu près normal pour intégrer
un tel établissement. Par contre je me démarquais alors,
car je n'avais jamais étudié la musique, ce qui était
plutôt original pour prétendre rentrer dans l'un des conservatoires
les plus cotés aux Etats-Unis.
Ceci dit, j'avais été encouragée par plusieurs personnes
rencontrées auparavant, notamment au Lycée où j'avais
obtenu une bourse. J'ai tenté le coup en mettant, rapidement, la
barre très haute lors de mes concours d'entrée.
De ce fait j'ai été acceptée mais pas en classe
de claviers car je n'avais pas fait d'études. Heureusement je savais
bien me servir de mes oreilles et j'ai, ainsi, pu y apprendre beaucoup
de choses.
Est-ce après ces études que vous
avez intégré l'Orchestre de Count Basie ?
En fait, je n'ai jamais joué avec Count Basie contrairement
à ce que l'on croit. Je jouais, simplement, dans une espèce
de Bar où l'Orchestre principal était celui de Count Basie.
Mon trio et moi, nous jouions en alternance avec ce Grand Orchestre. Quand
ils étaient en pause, Count Basie et ses musiciens sont restés
pour nous écouter. La soirée finie, Count Basie est venu
me voir et m'a dit qu'il appréciait ce que je faisais. Il m'a ainsi
proposé de venir jouer dans son Club à Harlem. J'ai dit
" bien sûr ! ", c'était formidable d'avoir un engagement
à New-York, d'autant plus que nous venions du New-Jersey. Il m'a
demandé de contacter son épouse pour les formalités
et j'ai pu jouer dans son Club.
C'est ainsi que j'ai connu Count Basie. Il passait toujours dans son
Club en fin de soirée après ses propres concerts. Il s'asseyait
dans un coin et nous écoutait. S'ils avaient encore la forme ses
musiciens nous rejoignaient pour faire le " buf ".
Cela a été une fantastique introduction au monde du Jazz
!
Je suppose que vous avez du rencontrer d'autres
très grands musiciens. Pouvez-vous évoquer quelques-unes
de ces rencontres les plus marquantes ?
J'ai aussi eu l'opportunité de jouer, en alternance, dans un Club
avec Thelonious Monk. Nous avions une loge collective donc j'ai
pu le rencontrer et le regarder jouer de derrière les coulisses.
C'était très instructif, j'ai adoré et la musique
et l'homme. Je l'ai écouté 7 soirs de suite pendant 3 ou
4 sets, c'était fantastique. C'est à cette même période
que j'ai rencontré Johnny Griffin qui vit aujourd'hui en
France.
Je pourrais aussi citer des artistes tels que Sonny Payne, Dizzy
Gillepsie, Sarah Vaughan qui était du New-Jersey comme
moi et que j'avais déjà vue jouer dans les Clubs là-bas.
Elle venait parfois s'asseoir au Bar et chantonner pendant que nous jouions.
J'ai aussi rencontré Dionne Warwick qui était presque
une amie parce qu'elle s'était mariée avec mon batteur (rires).
Je ne peux pas oublier de citer le bassiste Ron Carter qui était
aussi à la " Manhattan School of Music " tout comme Yusef
Lateef.
Sinon j'ai très bien connu Eric Dolphy ce qui est surprenant
car il a un style radicalement opposé au mien. Il me disait qu'il
avait, lui aussi, commencé à jouer en faisant des titres
tels que " Night Train ", " Honky Tonk " etc
Après, il essayait de m'expliquer comment créer de nouvelles
gammes. Venant comme lui de la " Manhattan School of Music ",
il savait que je pouvais comprendre ce qu'il disait. Il était d'une
gentillesse et d'une simplicité fantastiques. C'est peut-être
lui qui me procure le plus grand souvenir. Bien que ce soit difficile
de choisir (rires).
Ces gens-là vous donnaient-ils des conseils
après vous avoir entendue jouer ?
Oui mais c'était surtout des encouragements. Si je demandais un
conseil on me le donnait mais on me disait surtout des choses comme "
Continue, définis ton style, tu vas trouver ta voie etc
".
J'ai toujours pensé que j'étais prédestinée
à avoir un style proche du courant avant-gardiste du Jazz car j'aimais
trop faire des " excursions " en dehors de cette musique. C'était
plus fort que moi, il fallait toujours que je m'aventure vers des choses
qui n'avaient rien à voir.
Vraiment, tout le monde m'encourageait
Il y a un saxophoniste, Joe Thomas, qui m'avait donné un
conseil très important en me disant " N'écoute pas
tout le temps les organistes, car tu peux trouver toi-même des clichés
d'organiste. Ecoute plutôt les saxophonistes et les chanteurs pour
les phrasés ".
C'était un conseil primordial et, à partir de là,
j'ai surtout écouté les chanteurs et chanteuses. Même
ici, j'écoute beaucoup la chanson française, je crois que
le chant est très important.
Votre amour de la France s'est rapidement développé,
Au départ, vous étiez venue ici pour approfondir vos connaissances
musicales
Oui je suis venu pour étudier avec Nadia Boulanger , c'était
à la suite de ma maîtrise à la " Manhattan School
of Music ". Je voulais étoffer mon C.V.
Etudier en Europe pour une musicienne qui s'intéressait, comme
moi, aussi à la Musique Classique était très important.
A ce moment-là je ne savais pas si je me consacrerais à
l'enseignement de la Musique Classique ou si j'allais continuer à
me produire en public dans le Jazz.
Nadia Boulanger a été très décisive pour la
suite de ma carrière car je me suis rendue compte, grâce
à elle, que je n'avais pas les racines et la préparation
pour pouvoir me consacrer à enseigner aux autres quelque chose
que j'aurais acquis par chance.
Par contre j'ai trouvé dans ce pays une nouvelle langue qui a
été comme une nouvelle naissance et qui m'a permis d'utiliser
même les mots que je ne pouvais pas dire dans ma langue maternelle
car j'étais trop petite. Le français m'a libérée
et j'en suis très contente d'autant plus que c'est ici que j'ai
rencontré celui qui allait être mon futur mari.
La France a beaucoup fait pour moi
Si vous avez beaucoup étudié la
musique vous êtes aussi connue pour vos qualités d'improvisation
sur scène. Est-ce quelque chose que vous faites encore beaucoup
et pourquoi ?
Je me suis dit que j'aurais pu être musicienne classique et donc
j'aurais du respecter chaque note à la demi-mesure près.
Je n'aurais jamais pu m'astreindre à cela donc j'en profite
Je fais ce que je veux en fonction de mon état d'âme.
Le plus important est la communication avec le public. Si je sens que
je peux aller vers eux en jouant ce qui me passe par la tête alors
je m'aventure vers de nouvelles idées.
En parlant de public, vous êtes réputée
comme étant une vraie artiste de scène. Que représente
ce mode de communication à vos yeux ?
La scène ce n'est rien d'autre qu'un endroit où jouer car
il faut bien être quelque part. Le public, par contre, c'est magique.
J'adore cet espace qui est comblé entre le public et la musicienne.
J'aime établir des dialogues avec les gens même si mes musiciens
aimeraient parfois enchaîner directement sur de la musique. J'aime
quand le public est à l'aise et qu'il n'est pas dans un silence
gêné comme au travail
Quand vient la fin de soirée j'apprécie quand l'ambiance
laisserait deviner que toutes ces personnes sont venues ensemble. Comme
s'ils s'étaient mis d'accord de cette façon " Ce
soir on va tous ensemble au Méridien passer une bonne soirée
".
Ce soir vous vous produisez avec Plas Johnson,
est-ce votre première collaboration ?
Nous avons déjà fait un disque ensemble ("From C
to Shining C", Doodlin' Records, Nda) et nous nous étions
produits au Festival de Jazz d'Ascona. Cela se passe fantastiquement bien
car nous avons de nombreuses connaissances musicales communes.
Il est très décontracté car il a une expérience
impressionnante. Il a enregistré avec tout le monde de Barbra Streisand
à Ray Charles en passant par Frank Sinatra ou Ella Fitzgerald etc
Malgré tout il est très simple, il est LA musique !
Vous qui avez touché à beaucoup
de genres musicaux dans quelle direction souhaiteriez-vous vous diriger
?
J'ai toujours l'espoir de jouer un peu mieux et de pouvoir améliorer
les possibilités de l'orgue Hammond car il est clair que l'on a
pas encore épuisé tout ce que cet instrument peut faire
et tous les usages auxquels il peut se prêter.
Je voudrais, aussi, maintenant faire des choses pour les jeunes musiciens.
Je collabore dans un groupe avec des jeunes femmes qui sont fantastiques.
Elles ont des bagages magnifiques.
Il y a souvent des jeunes qui me demandent de parrainer leur CD ou d'y
écrire des notes. C'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup,
faire des choses pour et avec les jeunes. C'est utile de faire une telle
chose
Avez-vous une conclusion à ajouter ou,
pourquoi pas, un coup de gueule à pousser ?
(rires) Non je n'ai pas de coup de gueule
!
Vous savez quand je joue le soir je ne pense qu'à ça toute
la journée car mon désir le plus cher est d'arriver sur
scène complètement en forme. Cela veut dire pas de rhume,
pas de maux de tête etc
Cela existe mais il faut avoir une base de pensée positive et une
bonne condition physique. J'essaye de m'entretenir et je ne veux pas être
distraite le jour d'un concert.
C'est ce que j'essaye d'expliquer à ma famille, il ne faut pas
me distraire du but de ma journée. Pour cela il faut attendre de
nombreuses heures jusqu'au concert sans penser aux coups de téléphones
etc
Là je suis à quelques minutes du concert donc je ne pense
à plus rien d'autre qu'à me diriger vers la scène.
www.rhodascott.com
Remerciementd: Gersende, chargée
de communication pour le Méridien et toute l'équipe du Jazz
Club Lionel Hampton.
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