Les rencontres tiennent une place importante dans votre uvre. Comment
expliquez-vous cet amour des gens qui vous guide depuis tant d'années
?
Ce n'est pas dans mon uvre, c'est dans ma vie

Je n'ai pas d'uvre, je suis un mec et c'est dans la vie que j'aime
rencontrer les gens. J'en rencontre sans livre, sans musique et j'en rencontre
avec livre, avec musique.
C'est le même truc
J'aime la route aussi. Si on aime la route on a une obligation de compassion.
Ceci dans le sens le plus noble du terme
Sur la route, on se donne la main donc on finit par être ce que
la route donne, un vécu perceptible et imperceptible gigantesque.
Je crois que la volonté et la tentative d'être, comme ça,
complètement noyé dans le plus grand nombre, seul un psychiatre
pourrait l'expliquer.
L'espace de la route et l'horizon me donnent une enfance que je n'ai pas
eue. En fin de compte je crois que c'est là que se place le "
truc ", cette espèce d'ivresse.
Je me souviens d'un poulain, un jour dans les Ardennes belges, qui brusquement
s'est aperçu qu'il pouvait courir.
Il tétait sa mère, en ayant les pattes en équerre,
sur une belle colline végétale. Puis il est sorti de sous
le ventre de sa mère et a regardé l'espace et le ciel bleu
magnifique. Il y avait un petit peu de vent
Brusquement il s'est mis à courir maladroitement puis très
vite avant d'être atteint par une grande ivresse.
Je voyais un poulain saoul mais ivre de liberté.
Malheureusement pour ceux qui m'aiment, je crois que je suis comme ça
Pour en venir à la musique, lorsqu'on lit
votre dernier ouvrage (L'ultime conviction du désir, Nda), on a
l'impression d'entendre une bande sonore sur laquelle on rencontrerait,
de façon virtuelle, des artistes tels que Eddy Louiss, Miles Davis,
Jimi Hendrix etc
Comment expliquez-vous cette association quasi systématique?
D'abord il y a des choses qui ne s'expliquent pas
qu'elles soient
sues ou non sues.
De plus, ça me paraît assez simple de l'expliquer car il
n'y a aucune raison que j'écrive autrement que de la façon
dont j'écris
J'ai été nourri par la syncope plutôt que par la syntaxe
donc il est normal que je me débrouille avec la syncope.
J'ai passé ma vie dans la musique et c'est la première chose
que j'ai apprise. Je fonctionne comme cela, j'écris toujours des
choses qui pourraient être dites, dans le respect de la tradition
orale.
Parlons, justement, de votre cursus musical. Vous
avez commencé très tôt, aussi pourriez-vous me parler
de ces expériences et de ces routes empruntées il y a très
longtemps aux côtés d'artistes tels que Vince Taylor et Bobbie
Clarke ?
C'était un peu plus rigolo que maintenant. Même les stars
étaient plus modestes. Nous faisions la route ensemble

La futilité d'aujourd'hui, je parle bien de la futilité
et non de la légèreté qui est une chose superbe,
c'est à dire " se prendre pour " existait beaucoup moins
qu'actuellement.
Il y avait beaucoup moins de lunettes de soleil et beaucoup moins de bagnoles
à vitres fumées. En plus, ces dernières ne servent
à rien car lorsque les mecs ne sont pas reconnus - ils ouvrent
la vitre !
Les gens sont toujours étonnés que je n'aie pas de garde
du corps. Que l'on puisse penser à de telles choses me sidère,
je n'ai jamais fonctionné comme cela
Je ne suis bien que sur la route avec la musique et mon groupe "
Aventures ". Le milieu du cinéma me sort de l'âme, je
ne le supporte pas. C'est une basse-cour avec des coqs et des paons !
Il y a des coqs et des paons qui ont du talent mais ils n'auront jamais
le talent qu'ils pourraient avoir s'ils étaient moins vaniteux.
La vanité tue tout
Pouvez-vous revenir sur votre participation au
groupe " Alan Jack Civilization " ?
C'était un groupe monté du côté de Tours. Un
ramassis de jeunes gens venus de trois régions différentes.
Cet ensemble a été fondé à la fin des années
soixante ou au début des années soixante-dix, ouais
Est-ce à cette période que remonte
votre amitié avec Paul Personne ?
Non l'amitié avec Paulo remonte à une quinzaine d'années.
J'ai écrit pour lui, voilà
J'avais vraiment appris à vous connaître
par le biais de votre émission de radio " C'est beau une ville
la nuit ". On sentait que cela vous tenait vraiment à cur
et, déjà, nous constations une complicité exceptionnelle
avec les auditeurs

La radio c'est le truc le plus " super " qui existe dans le
domaine de la communication. C'est mieux que la télévision
car les mecs de télé n'ont pas compris ce qu'est l'âme
des gens.
Ils ne connaissent pas les gens d'ailleurs
J'aime les radios associatives car on sait qu'il y a une liberté
et que ça touche des gens qui ont des difficultés à
résister à ce putain de monde à la con qui devrait
être magnifique.
Le concept " C'est Beau une ville la nuit
" a été, par la suite, développé sur
disque et sur scène. Quelle est la trame du spectacle ?
Ce n'est pas un spectacle, c'est un concert
C'est de la zic sans trame. Il s'agit d'un concert avec des mots, c'est
de la tradition orale
Il n'y a jamais de trame chez moi. Il n'y a que de l'instinct, malheureusement
aussi, de temps en temps
Je dis cela car l'instinct c'est douloureux. Avec l'intelligence on se
démerde, on se dit que c'est l'autre qui est con (rires).
Quand on fonctionne à l'instinct, qu'on est complètement
animal, la douleur est présente.
C'est comme la balle ou la flèche du chasseur.
A titre personnel il faut que je me méfie des chasseurs. C'est
à moitié une métaphore, ce n'est pas totalement faux.
Je suis hybride, j'ai un côté qui réagit au froid,
à la chaleur ou à la difficulté physique comme un
animal. Cela me surprend encore aujourd'hui.
J'ai aussi l'instinct du chasseur, ce qui est normal

C'est très bizarre de vivre avec cet aspect hybride en soit car
je sens vraiment cet animal. Ce n'est pas une invention intellectuelle
ou poétique.
Les origines de ce mec là sont bizarres (Richard Bohringer parlant
de lui, Nda) !
Peut être est-il issu d'un accouplement entre un " je sais
pas quoi " et un " je sais pas quoi " ?
Pour terminer, qu'est-ce que le Blues aujourd'hui
pour Richard Bohringer ?
La même chose qu'il y a 50 ou 60 ans, c'est ma vie
C'est la vie de centaines de milliers de personnes, voir de millions
C'est la seule façon de chanter l'amour avec son éventuelle
possibilité. C'est une musique proche de l'âme
On ne trouve pas simplement le Blues en pays blancs, on le trouve aussi
en pays de Gonds, au Mali, en Inde etc
C'est la musique du cur et tant que Paul Personne est là
tout ira bien !
www.richardbohringer.com
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