Richard Galliano
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Existe-t-il véritablement une école de l'accordéon en France ?

On peut appeler cela une école. Il y a eu et il y a toujours des accordéonistes fabuleux et notamment en France. Beaucoup d'immigrés italiens comme moi. Des gens comme Toni Murena, Louis Ferrari. Des français comme Jo Priva ou Gus Wiser, qui était plutôt d'origine belge. Aujourd'hui il y a beaucoup d'accordéonistes qui forment une très belle école.

Comment a évolué le rôle de l'acordéon dans la musique depuis votre arrivée ? Avez-vous contribué à changer les choses ?

Je ne sais pas si cela a vraiment évolué. Il y a toujours une face cachée de l'accordéon qui a toujours été magnifique. Je parlais de Toni Murena, de Gus Wiser, de Marcel Azola qui était un peu plus populaire, peut être grâce à ce qu'il a fait avec Brel. Jo Bareli ou aux Etats-Unis Art Van Hamme, Henri Fellice dans les années 40 et complètement méconnus. Je ne pense pas à une évolution. C'est comme dans le piano : à un moment donné, il y a eu Art Tatum. Y a t-il aujourd'hui un pianiste qui lui arrive à la cheville ? Je ne suis pas sûr. Ce n'est pas parce qu'on avance dans le temps que les choses évoluent, aussi bien les instrumentistes que les instruments. Par exemple, j'utilise un accordéon des années 60 qui est très bon, très sonore, avec beaucoup de puissance et de musicalité. Aujourd'hui, je ne suis pas sûr qu'on pourrait me fabriquer le même instrument car il a vieilli avec moi. Je pense plutôt qu'il y a une belle énergie. Moi par exemple, j'essaye de capter l'énergie de Piazzolla, de servir sa musique du mieux que je peux comme tous les musiciens du sextet avec qui je joue. Il y a une très grande force dans cette musique, une très belle énergie.
Je vois à leurs réactions que les gens apprécient. Finalement, c'est là notre plus belle satisfaction : pas le succès que l'on a à la fin d'un concert, même si ça fait plaisir, mais par-dessus tout, c'est de voir les gens heureux, avec le sourire parce qu'ils ont partagé un bon moment avec nous.

Comment s'est passée votre rencontre avec Astor Piazzolla ?

C'était aux alentours des années 80. Il y a toujours eu des hasards assez forts avec Astor. La première fois que je l'ai rencontré, je venais d'écrire une chanson pour Claude Nougaro qui s'appelle « Des voiliers » en écoutant beaucoup de musiques de Piazzolla toute une nuit et au petit matin. La première fois qu'on l'a jouée à l'Olympia, Nougaro l'a chantée d'entrée et il se trouve que Piazzolla était dans la salle. Il est venu à l'entracte et de suite, il m'a dit : « Alors, et le bandonéon ? » . A cette époque, je ne jouais que de l'accordéon. Puis on s'est revus quelques temps après et on ne se s'est plus jamais séparés. Jusqu'à sa mort, on est toujours resté en contact. Lorsqu'il venait à Paris, il venait toujours partager des repas à la maison ou au restaurant.
Cette rencontre a aussi été possible grâce au feeling qu'il y a eu entre les deux couples (ma femme Gisèle et moi, Laura et Astor). On était vraiment des amis, on a beaucoup rigolé, on a passé des Noëls ensemble. Il y a des souvenirs magnifiques, et puis tous les conseils qu'il m'a donnés. Là où je passe aujourd'hui, il y est passé peut être vingt ans avant moi. Lui avec le tango et le bandonéon, moi avec la musette et l'accordéon. C'est pour cela que dix ans après sa mort, j'avais vraiment envie de lui rendre hommage et de jouer sa musique du mieux qu'il est possible pour nous de la jouer. Bien sûr pour moi, la plus belle version, c'est lorsque Astor joue Piazzolla. Nous, on essaye de rendre hommage et je crois qu'on y réussit pas mal parce qu'il y a beaucoup d'amour et de passion partagés entre tous les musiciens qui adorent cette musique.

Vous avez souvent repris Piazzolla au fil de vos albums. Avez-vous modifié les arrangements pour ce concert ?

Oui, même si je n'ai pas tout refait parce que j'ai trop de respect pour la musique d'Astor. Je suis partit des arrangements originaux pour le quintet et je les ai transposés au sextet. Les partitions de guitare dans son quintet sont ici transposées au violoncelle ou à l'alto. Mais je n'ai rien changé dans le contrepoint, dans la composition, dans les harmonies. C'est tellement magnifique qu'on n'a pas envie de rajouter une note, comme avec Mozart. J'ai adapté les arrangements originaux à cette formation qui est un peu particulière, entre la musique de chambre et le tango.

Au cours de votre carrière, vous avez multiplié les duos. Quels en sont vos meilleurs souvenirs ?

Tous sont de très beaux souvenirs. La première fois que j'ai joué avec Ron Quarter, que je connaissais de réputation, par sa musique : lui ne parlais pas français et moi je ne parle pas l'anglais. On s'est rencontré la veille et le lendemain, on a enregistré le disque en live. C'était peut être la rencontre la plus forte dans le sens qu'elle était la plus risquée. Avec Michel Portal, c'est magnifique, avec Eddie Louis aussi. J'ai joué avec Charlie Aden : une très belle expérience. Chaque fois, c'est bien par ce qu'on se retrouve en tête à tête. Comme quand on voyage en couple, avec son fils ou sa fille : à deux c'est une histoire. Dès qu'il y a une troisième personne, bon, c'est une autre histoire. Je ne dis pas que c'est moins bien mais il faut s'adapter à trois personnes. Pour la musique c'est pareil. Lorsque l'on se trouve à sept, par exemple, on joue toujours en fonction des autres, il faut s'écouter mutuellement.

Vous êtes allé chercher des sonorités dans la musette et dans le tango. Etes-vous inspir par les musiques traditionnelles telles que le blues ?

Ces musiques : le blues, le tango et le musette sont parues au début du siècle dernier. Elle sont le fruit de métissages. Aux Etats-Unis, on connaît l'histoire du blues. Dans le tango, ce sont les émigrés italiens, espagnols et les noirs là bas aussi en Argentine. Le musette, ce sont les italiens et les manouches, ainsi que les gens du centre de la France, l'Auvergne et tout ça. On voit quand même beaucoup d'italiens. Astor Piazzolla m'a écris un jour dans une lettre pour me donner un peu de tonus : « les Italiens sont invincibles ! » Je crois qu'il n'y a rien de plus moderne que la tradition. J'essaye simplement de continuer cette chose avec des expériences, surtout par les rencontres, que se soit avec des musiciens de jazz ou des jeunes musiciens classiques comme ce soir. C'est une très belle chose qu'ils s'intéressent à cette musique de Piazzolla qui était snobée par les classiques dix ans en arrière. Aujourd'hui la nouvelle génération prend un grand pied à jouer cette musique sans aucun racisme musical et ça, c'est le véritable progrès.

Après Nougaro, n'avez-vous pas envie de refaire un duo avec un chanteur ?

J'en ai fait pas mal. J'ai des souvenirs magnifiques avec Nougaro, avec Regiani. C'est peut être celui qui m'a touché le plus. Il y a aussi la nostalgie. J'arrivais à Paris dans les années
70 et je remplaçais José Baseli dans la formation qui accompagnait Reginani. C'est là que j'ai fait mes premières armes d'accompagnateur. C'est un très grand interprète, qui véhicule une énorme émotion. Barbara, aussi. Des gens comme Alain Lepreste, Pieron, qui sont moins connus. Avec Claude Nougaro, j'aimerais bien une de ces jours faire une ou deux chansons pour un album, peut être en duo aussi. Justement, ce face à face est toujours intéressant, sans être courcircuité par d'autres personnes, encore que quand ces personnes sont positives. Dans l'orchestre, il y a des gens qui sont simplement accompagnateurs, qui ne partagent pas assez les risques. Si c'était à refaire, j'aimerais bien faire une chanson ou deux, en tête à tête.

Et le classique ? Vous aviez repris cinq minutes de Tchakovski sur un simple.

Ah bon, vous connaissez cela ? J'ai joué beaucoup de musique classique lorsque j'était adolescent. Parce que j'adorais cette musique, des fugues de Bach qui sont très bien à l'accordéon. C'est un instrument magnifique qui permet d'aborder tous les répertoires. Un peu par réaction par rapport à tout ce qu'on entendais à l'époque : les accordéonistes un peu bastringues avec leur accordéon désaccordé. C'est bien que ça existe, mais qu'il n'y aie que ça, c'était insuportable dans les années 60. Parfois, on disait : « l'accordéon, c'est un instrument, ça ? » On ne pouvais pas être pris au sérieux, comme s'il n'y avait que le piano bastringue désaccordé. Il y a le Steinway et pour l'accordéon, c'est la même chose. Donc je jouais beaucoup de musiques classiques et après je me suis vite apperçu que jouer du classique à l'accordéon, j'allais droit dans le mur. Dans des concours internationaux, j'ai rencontré des russes qui jouaient d'une manière phénoménale et aujourd'hui ces gens-là, je les vois ou dans le métro à Paris, ou dans les rues à Berlin, à faire la manche. Il n'y a pas de carrière possible, à part une ou deux exceptions. Le vrai chemin pour être entre les deux, classique et jazz, c'est la musique de Piazzolla. Ou ce que j'essaye de faire à l'accordéon et qu'on appelle le new musette, jouer des valses musettes avec des musiciens de jazz.
Je ne me suis pas sentis à un moment de dire : « je joue de l'accordéon mais je me soigne », en ne jouant que du be bop. Ca dépends aussi où on habite : le fait d'être à Paris tout en étant originaire du Sud, ça influence ma musique. Peut être que si j'habitais à New York ou à Harlem ... Il y a Clifton Chenier et son fils qui jouent, ce sont vraiement des bluesmen. Encore une phrase d'Astor : « Un musicien doit jouer la musique de sa terre ».

 

 
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