Richard Ray Farrell
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Eternel voyageur, Richard Ray Farrell continue de tracer son chemin…sur les pas des grands bluesmen qu’il a été amené à côtoyer durant sa carrière (débutée au milieu des années 1970). Ainsi, après avoir partagé la scène avec Lazy Lester, Big Jack Johnson ou encore Louisiana Red, il a multiplié les groupes avant de s’aventurer dans une carrière en solo. Celle-ci met en exergue ses qualités d’instrumentiste et de chanteur, ainsi que sa profonde humanité.
Cette dernière a, malheureusement, été mise à mal lors de l’attentat qui a touché Barcelone le 17 août 2017. C’est au lendemain de cette tragédie que j’ai rencontré cet espagnol d’adoption (qui, on peut le comprendre, était dans un état d’esprit particulier) pour l’entretien qui suit.
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Richard, de quelle manière s’est déroulée ton enfance aux Etats-Unis ?
Oh mon Dieu (rires) ! Je suis né dans la ville de Niagara Falls (réputée pour ses fameuses chutes d’eau, nda), dans l’état de New-York. Cette dernière est située à la frontière du Canada. J’ai été confronté à la musique alors que j’étais très jeune car ma sœur chantait, mon frère aîné jouait dans des groupes, mon ex beau-frère était musicien et ma mère jouait du piano. Bref, j’ai grandi dans un environnement au sein duquel on entendait continuellement de la musique.

Te souviens-tu du premier contact que tu as pu avoir avec le blues ?
Oui, je m’en souviens très bien ! Avec plusieurs autres jeunes de mon âge, nous nous plongions dans les disques de Jimi Hendrix, Bob Dylan, Sly & The Family Stone et d’artistes tels que ceux-ci. Puis, j’ai découvert l’album d’Albert King, « Live Wire/Blues Power », « Live In Cook County Jail » de B.B. King ainsi que « Fathers & Sons » qui réunit, autour de Muddy Waters, des musiciens comme Otis Spann, Michael Bloomfield, Paul Butterfield, Donald « Duck » Dunn etc.
Comme je te le disais, j’avais un beau-frère qui était musicien. Il jouait de la guitare. A ses côtés, j’ai appris les rudiments de la guitare acoustique et du bottleneck. J’ai débuté en reprenant des chansons de Robert Johnson, dont j’avais acheté l’album. Je me suis totalement immergé dans ce registre musical sans vraiment m’intéresser aux groupes qui étaient, alors, en vogue (Pink Floyd, Led Zeppelin et les autres). La première fois que j’ai entendu Muddy Waters chanter, je me suis dit « ok, c’est ce que je préfère ». Sa voix était tellement incroyable, tellement forte…

Avant de venir t’aventurer en France, en 1975, as-tu joué au sein de groupes aux Etats-Unis ?
Non, pas vraiment… J’ai juste eu l’occasion de jouer un peu d’harmonica, après avoir débuté la pratique de cet instrument. Avant de venir en France, je m’étais déjà rendu en Espagne. C’était en 1974, juste après avoir terminé mes études. Ma mère m’avait acheté une guitare et j’ai décidé de bourlinguer à travers l’Europe. J’ai opté pour Paris car j’avais entendu beaucoup de belles choses sur cette ville et je savais que de nombreux musiciens y jouaient dans la rue. En arrivant, j’y ai rencontré deux gars qui reprenaient des titres de Bob Dylan et je leur ai demandé s’ils arrivaient à gagner un peu d’argent de la sorte. Ils m’ont dit que oui, qu’il était toujours possible de survivre de la sorte. J’ai donc estimé que je pouvais le faire et j’ai commencé à me produire dans la rue et dans le métro. Pendant 2 ans, j’y ai joué 5 à 6 heures par jour. Cela m’a, aussi, permis d’améliorer ma technique très rapidement…

Tu as voyagé en Espagne, en France, en Allemagne. Te considères-tu, en quelque sorte, comme un « hobo » du blues ?
(rires) Pas vraiment un « hobo » car les « hobos » peuvent dormir n’importe où. Big Joe Williams en était un à ses débuts alors que, pour ma part, j’avais toujours assez d’argent pour louer une chambre d’hôtel. Je me débrouillais toujours pour avoir un endroit où dormir. Je déambulais de porte en porte mais je n’étais pas vraiment un « hobo » (rires) !

Peux-tu revenir sur ta rencontre avec Jon Morris Nerenberg, qui était-il exactement ?
C’est une histoire formidable ! A cette époque là, j’habitais en Allemagne... Un jour, j’ai reçu une lettre de ma sœur, qui vivait alors à San Francisco. A l’intérieur, il y avait une cassette enregistrée illégalement lors du San Francisco Blues Festival. On y entendait de nombreux musiciens formidables dont Etta James. Il y avait, aussi, R.L. Burnside. Je trouvais ce type fabuleux et, environ deux ans plus tard, en 1989, je me suis produit dans un club allemand avec Eddie Burns (frère de Jimmy Burns). Il avait été harmoniciste pour John Lee Hooker et il était guitariste. Cet artiste, issu de la scène de Détroit, avait longuement travaillé dans des usines de la ville. J’ai, par ailleurs, été très influencé par son style. Ce soir-là j’ai demandé à Jon Morris Nerenberg, qui était dans le groupe d’Eddie (en tant qu’harmoniciste), s’il connaissait R.L. Burnside et s’il lui été arrivé de jouer avec lui. Il m’a répondu par l’affirmative et c’est là que je lui ai dévoilé que j’avais une cassette de l’une de leurs prestations communes. Il a, immédiatement, souhaité que je lui en fasse une copie. Il venait juste de déménager en Hollande, où il avait une petite amie. J’ai donc pris son adresse et je lui ai envoyé une copie de l’enregistrement. Dans l’enveloppe, j’ai également glissé une cassette de mes propres chansons. Il m’a rappelé par la suite, pour dire qu’il appréciait particulièrement ma musique et qu’il souhaitait se produire avec moi. C’était en 1989, à un moment où il a recommencé à tourner avec R.L. Burnside. C’est donc par son entremise que j’ai pu rencontrer R.L. C’est aussi en 1989 que j’ai commencé à me produire avec Jon, une collaboration qui s’est poursuivie jusqu’en 1994…

Puis tu as fondé un groupe, Street Talk, avec Dave Olson (qui était le batteur de Robert Cray) et Joel Foy (qui avait été guitariste pour James Harman, William Clarke ou encore Screamin’ Jay Hawkins) ? Peux-tu, également, revenir sur cette expérience ?
Dave Olson est, malheureusement, décédé l’année dernière. Il a succombé des suites d’une attaque cardiaque, alors qu’il était encore très jeune. Lui aussi connaissais Jon Morris Nerenberg puisque ce dernier avait vécu à Eugene, Oregon où Robert Cray était également installé à ce moment-là. Dave Olson étaitau Lycée avec Richard Cousins qui allait devenir le bassiste de Robert. C’était un vrai cercle d’amis et c’est par son intermédiaire que j’ai pu être membre d’un groupe aux côtés de Dave.

Puis, il y a eu The Farrell and Black Band…
C’était un groupe fondé avec Jimmy Carl Black, le légendaire batteur de The Mothers Of Invention de Frank Zappa. C’est une autre histoire formidable… J’avais un groupe, en Allemagne, qui était un trio. J’étais très content de cette situation jusqu’à ce que je reçoive un appel téléphonique de Jimmy Carl Black. Ce dernier m’a appris qu’il allait s’installer dans ma ville. A cette époque, il se produisait avec The Grandmothers qui était un groupe hommage à Frank Zappa (fondé avec Bunk Gardner et Don Preston). Il avait entendu parler de moi et me sollicitait pour que je joue à ses côtés. C’était vraiment incroyable car j’écoutais la musique de Zappa lorsque j’étais âgé d’une quinzaine d’années. En l’ayant en ligne, j’ai immédiatement reconnu sa voix que j’entendais sur les disques (en plus d’être batteur, il arrivait à Jimmy Carl Black de chanter dans le groupe de Frank Zappa, nda). Nous avons finalement joué ensemble une dizaine d’années dont sept de manière intense avec des concerts donnés aux quatre coins de l’Europe et en Amérique du Nord. Nous avions encore des tournées de prévues mais il est décédé en 2008. Notre dernier concert commun remonte à 2006. Le premier avait été effectué en 1995 et nous avons, durant ce laps de temps, enregistré deux albums ensemble. On y trouvait le neveu de John Mayall, Lee Mayall, au saxophone (qui vivait, alors, en Allemagne). Sur certains festivals (tout comme sur les disques), Steve « Big Man » Clayton nous rejoignait au piano. Je pense que c’est le groupe avec lequel j’ai connu le plus de succès…

Votre musique était-elle une fusion entre différents registres ?
Avant de connaitre Jimmy je me complaisais dans un blues pur et dur. J’étais très inspiré par des gens tels que Ronnie Earl ou Duke Robillard, sans parler des grands anciens comme Robert Lockwood Jr, Roberts Nighthawk, T. Bone Walker et consorts… Puis Jimmy a apporté son côté rock. Une musique qu’il exerçait au Texas puisqu’il est né à El Paso. Il connaissait tous les registres musicaux propres à cette région. De fil en aiguille notre répertoire s’est étoffé et notre trio est devenu un quartet. Les 3 ou 4 dernières années de son existence, notre groupe fournissait un matériel très original.

Après toutes ces collaborations, tu as décidé de continuer à jouer sous ton propre nom. Où puises-tu ton inspiration aujourd’hui ?
En ce qui concerne l’écriture, je ne sais jamais vraiment comment commencer une chanson.Toutes viennent à moi de manière aléatoire, à force de faire tourner une mélodie. Je ne sais pas expliquer pourquoi le public préfère telle chanson à une autre. J’ai écouté beaucoup de choses ; du blues, du rock, de la musique folk, du funk, de la soul… Tous ces éléments doivent, inconsciemment, me nourrir. Ta question est bonne mais je ne sais, sincèrement, pas y répondre.

Combien de disques as-tu enregistrés à ce jour ?
J’ai du en enregistrer 12 ou 13 sous mon propre nom. Le premier était un album live, capté en Allemagne pour le compte d’un petit label (Maule & Gosch Records). Puis il y a eu des disques gravés pour Stormy Monday Records, Blue Beet et divers autres labels. Je navigue entre des formules groupes et d’autres qui font la part belle au solo acoustique. Après être retourné aux Etats-Unis en 2001, j’ai sorti 9 cd en 13 ans dont 3 acoustiques, un avec le chanteur-harmoniciste italien Marco Pandolfi, un avec Steve Guyger (qui avait joué avec Jimmy Rodgers pendant 14 ans et avec lequel je me produis régulièrement depuis 13 années), un disque en compagnie de musiciens espagnols dont le fameux Raimundo Amador, puis 3 albums avec des musiciens américains (avec des invités tels que Jerry Portnoy ou la section rythmique des Fabulous Thunderbirds). Les répertoires de ces disques sont très diversifiés. Ils vont du blues électriques à des registres plus roots, aérés ou complètement acoustiques.

Quels sont tes projets ?
J’ai un projet avec des musiciens français (à savoir le contrebassiste Abdel B-Bop ainsi que le batteur de jazz Françis Gonzales) et j’ai un trio en Espagne. Ces deux combos sont très différents l’un de l’autre… Dans mon groupe espagnol, il y a aussi un batteur de jazz mais l’ensemble est davantage porté vers un son actuel. Disons que c’est un peu plus rock et plus électrique… Enfin, je vais continuer à donner des concerts avec Marco Pandolfi, ainsi qu’avec Steve Guyger aux Etats-Unis. En avril 2018, je me produirai dans un grand festival situé en Caroline du Nord. Il s’agit du MerleFest, créé à la mémoire de Merle Watson qui était le fils de Doc Watson. C’est l’un des meilleurs festivals américains ! Je suis très excité à l’idée de m’y rendre…

Dans notre monde actuel, il est très facile d’avoir le blues. Quel est ton état d’esprit par rapport à tout ce qui se déroule autour de nous en ce moment ?
Je suppose que tu fais référence aux émeutes de Charlottesville. C’est très triste… D’autant plus que je pense que beaucoup de gens ne prennent pas cela sérieusement. Ils estiment que ces violences sont le fait de quelques fous. Le problème est que ces quelques fous se font de plus en plus d’amis un peu partout. L’économie se porte mal, de nombreuses personnes n’ont plus d’emploi. Les blancs et les noirs sont tous confrontés à des problèmes et la politique actuelle ne fait qu’amplifier les tensions entre les différentes communautés. A travers notre planète, presque tout le monde s’accorde à dire que le président américain est très mauvais…et j’en fais partie ! Les attentats qui se sont déroulés en France, en Angleterre, en Belgique et en Espagne ne sont pas les premiers du genre. La différence est, qu’aujourd’hui, avec les téléphones portables l’information fait le tour de monde à très grande vitesse. Il est possible de suivre ces drames en direct mais il est déjà trop tard pour faire face à la violence. Je pourrais paraitre « mystique » en disant qu’il faut se pousser à vivre une belle vie mais, parfois, il est compliqué d’être mystique…

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?
La Charité-sur-Loire est une très jolie ville. J’aime toujours venir en France car les habitants de ce pays apprécient vraiment la musique. Je me souviens d’avoir lu un livre consacré à Miles Davis, dans lequel il est spécifié que lors de sa première venue en Europe, il a été accueilli comme un roi. Tout le monde aime l’Europe et j’aimerais vivre sur ce continent durant le reste de ma vie. J’adore les pays méditerranéens que sont la France, l’Espagne, l’Italie… C’est là que j’aime être (rires) !

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Interview réalisée
Festival Blues en Loire -
La Charité-sur-Loire
le 18 août 2017

Propos recueillis par
David BAERST

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