Nda : Avec son patronyme, qui semble tout droit sorti d’une bande dessinée de Frank Margerin, Ricky Norton reste fidèle à l’image véhiculée par les héros du 9ème art…issus de l’univers du créateur de Lucien. Rock’n’roller à la ville comme à la scène, il répand la bonne parole avec une abnégation qui force le respect… Un trait de caractère qui lui permet d’être respecté par bon nombre de pionniers anglo-saxons d’un genre, qu’il défend lors de nombreux galas qui se succèdent à longueur d’année. Rencontre avec un artiste pluriel primé au Québec qui, s’il est respecté comme chanteur, est également doué pour l’écriture ou encore la comédie.
Ricky, lorsque tu es arrivé en France à l’âge de 6 ans, quel était l’environnement musical dans lequel tu évoluais alors ?
Je suis arrivé en France en 1969 lorsque j’étais, en effet, tout gamin. Je conserve le souvenir de ma maman et de mon papa, qui interprétaient des chansons populaires portugaises. Il s’agissait de morceaux des années 1960 et d’airs traditionnels.
A ce moment-là, tu ne parlais pas encore français. Penses-tu que ton intérêt, pour le rock’n’roll francophone des années 60, t’a aidé dans ton apprentissage de la langue ?
Oui, bien sûr ! Ceci dit, j’ai rapidement appris le français. D’autant plus que, qu’à l’âge de 6 ans, cela va très vite…puis tout se passait bien à l’école. Lorsque j’ai découvert ces chansons, elles m’ont malgré tout beaucoup apporté d’un point de vue linguistique. Leurs textes étaient simples, efficaces…ils m’ont été très utiles !
A quand remonte, exactement, ta découverte du rock’n’roll. En quoi a-t-elle changé ta vie ?
Etonnement, c’est avec un disque des Chats Sauvages que j’ai trouvé dans un magasin. J’avais vu cette pochette et j’ai demandé au vendeur si je pouvais écouter son contenu. Le commerçant a accepté… Il faut dire que j’étais étonné de voir Dick Rivers au milieu d’un groupe car je ne le connaissais, alors, qu’en tant qu’artiste solo. J’ai, immédiatement, été transporté par le rythme qui se dégageait du 33 tours. Mon deuxième déclic a eu lieu grâce un double album d’Elvis Presley que mon père m’avait offert. C’est là que j’ai compris la technique du chant. Avant j’adorais, principalement, l’énergie qui se dégageait des groupes français. Ces derniers possédaient un bon style qui, souvent, était calqué sur celui des Shadows. Elvis était doté d’une vraie voix de velours qui le servait aussi bien dans le rock’n’roll que dans un registre de crooner. Cette voix m’a porté…
Justement, quand as-tu pris conscience de tes qualités vocales. De quelle manière as-tu travaillé ta voix ?
C’est en copiant ma maman que j’ai travaillé ma voix, dans les rangs de vignes de Saint-Emilion… Puis, je me suis inspiré de ce qui passait à la télévision, c’était l’époque des fameux « Numéro 1 » de Maritie et Gilbert Carpentier. Il faut dire que j’ai toujours adoré la chanson et tout ce qui tourne autour du spectacle. Un jour, j’ai demandé à ma mère ce qu’il fallait faire pour chanter sur une longue durée, sans être fatigué. Elle m’a répondu qu’il ne fallait jamais forcer sa voix, ce qui m’a indiqué la route à suivre. Puis, il y a eu cette fameuse voix d’Elvis… Je pense avoir bien compris comment il faisait. C’est ce côté « chants noirs américains », le gospel qui offre la possibilité de chanter en rythmant ses propres mots, y compris sans musique. C’était une chose très intéressante pour moi, qui n’avait pas encore appartenu à un groupe. Je chantais avec mon propre son et mon propre rythme…
Quels ont été les premiers groupes que tu as intégrés ?
J’ai commencé tout seul avec ma guitare, un instrument que j’avais acheté à un surveillant d’école. Puis, j’ai été élève dans un Lycée Hôtelier au sein duquel j’ai monté mon premier groupe. Nous l’avions appelé Gino Vamps & The Banana Mours (rires) ! Mes premiers musiciens étaient des jeunes de seconde alors que j’étais en terminale. C’était en pleine vogue des Stray Cats, en 1979 ou 1980. Nous avions le look rockabilly qui collait à ce mouvement, foulards autour du cou etc. J’avais, alors, écrit des chansons sur le Lycée Hôtelier, ce qui était assez rigolo. Ensuite, il y a eu Ricky Norton & Délire D’Epoque pour lequel j’écrivais des textes en français. J’ai signé une quinzaine de titres qui ont bien marché dans la région bordelaise. Nous avons beaucoup tourné puis j’ai intégré le groupe Les Frégates qui a, également, très bien marché. Finalement, à partir de 1995, je me suis mis à me produire sous mon propre nom, Ricky Norton…
D’où te vient ce pseudonyme de Ricky Norton, qui semble sortir tout droit d’une bande-dessinée de Frank Margerin ?
A cette époque, il est vrai que nous étions tous des fans de Margerin. Je l’ai connu par la suite et il est devenu un ami. L’origine exacte de ce pseudonyme est, cependant, la suivante. Vers l’âge de 18 ans, on m’a offert un blouson Teddy Boy rouge et noir sur lequel était brodé le prénom Ricky. De plus, mon batteur de l’époque, qui était surnommé « Be-Bop », m’avait acheté un badge en fer de la marque de motos Norton. Je l’ai immédiatement accroché à un blouson… En 1984, alors que l’on me surnommait déjà Ricky, un producteur est venu à ma rencontre car il voulait s’occuper de moi. Il souhaitait que je prenne un nom à consonance anglo-saxonne. Après avoir regardé mon blouson, je lui ai dit que ce serai Ricky Norton.
Est-ce pour donner davantage d’ampleur à ta carrière que tu as décidé de t’installer à Paris ?
Oui, absolument ! C’est à partir de 1997-1998 que je me suis aventuré dans la capitale avant de débuter une vraie carrière, sur place, en 2000. J’y ai écumé tous les clubs de danse, de jazz et j’y ai donné mon premier concert au Petit Journal Montparnasse (où je me produis encore très régulièrement). Puis, j’ai rencontré les musiciens d’Elvis…il y en aurait à dire (rires) !
Tu as, justement, eu l’occasion de te produire aux côtés de nombreux pionniers du rock’n’roll et autres légendes du genre. Il te sera, probablement, difficile de me répondre mais quelles ont été les rencontres les plus marquantes qui ont jalonné ta carrière ?
Je me souviens, en particulier, de mes premiers enregistrements (pour un 45 tours 4 titres comme cela se faisait à l’époque) avec le guitariste Chris Spedding. Le fait d’enregistrer avec lui était un rêve et, là, j’ai vraiment pu le voir travailler de très près. J’étais fan de Robert Gordon et il m’a proposé d’enregistrer le titre « Rock Billy Boogie ». Pour cela, il m’a donné une partie de basse qui n’avait jamais été prise dans la version de Gordon…c’était un moment extraordinaire ! Puis, j’ai pu donner un concert exceptionnel en compagnie du TCB Band (le guitariste James Burton, le pianiste Glen D. Hardin, le bassiste Jerry Scheff, le batteur Ronnie Tutt, soit les musiciens qui accompagnaient Elvis Presley dans les années 1970). C’était au Trabendo en 2003 et j’ai retrouvé tout ce beau monde à plusieurs reprises. Cette collaboration a fait office de déclencheur pour ma connaissance du style rock’n’roll. Jusque-là, je jouais avec mes musiciens de l’époque et il m’arrivait d’être littéralement épuisé de la façon que j’avais de « leader » le groupe. Je tirais plus le groupe que lui ne me portait. La première fois que j’ai joué avec le TCB Band, j’ai été étonné car c’est eux qui m’ont porté. C’était comme un « souffle » qui vient jusqu’au devant de la scène, on est poussé vers l’avant… Cette rythmique incroyable (en particulier le batteur Ronnie Tutt) m’a impressionné et, grâce à elle, j’ai tout compris. Il est évident que, lorsque j’ai retrouvé mes accompagnateurs habituels de l’époque, ça a été très difficile. Je leur ai, d’ailleurs fait la remarque, car je devais « tirer et tirer » jusqu’à l’épuisement. C’est une chose intéressante à dire, même s’ils vont m’en vouloir… D’ailleurs ils sont très bons et accompagnent, aujourd’hui, d’excellents artistes…ils assurent ! Il faut bien avouer que l’on en apprend tous les jours un petit peu plus…
Outre cet aspect technique, quels sont les enseignements que tu as pu tirer de ces rencontres auprès de telles personnalités ?
J’ai tiré deux enseignements de ces rencontres… Pour les américains, c’est très simple. Lorsqu’ils ont un plan, ils ne le donnent pas à quelqu’un d’autre. Le jeune rêveur que j’étais ne pensait pas cela et partageait beaucoup de plans…alors que l’effet inverse existait peu. Auprès de James Burton, j’ai appris qu’il faut jouer tant que l’on est au top et qu’il ne faut jamais laisser sa place. Grâce à lui, j’ai aussi pris conscience du fait que le business rime avec musique…sinon on n’arrive pas à faire sa musique (rires).
Depuis 1996, tu sors un voire plusieurs albums chaque année. Comment expliques-tu le fait d’être aussi prolifique ?
Je considère, et c’est ma hantise, que personne n’est éternel. Donc, je rêve de faire énormément de choses. Loin de moi l’idée de ne réaliser qu’une chose dans ma vie, que je vais répéter tout au long de mes jours. Je ne peux pas envisager de monter un répertoire qui durerait 15 ou 20 ans. Il faut que je change tous les 6 mois… Il y a, bien sûr, des styles que j’aime bien reproduire. Ceci-dit, lorsque je fais un disque, je me projette déjà dans le suivant. Je peux passer du rock’n’roll au swing, en passant par un registre crooner… Je fais également de la comédie, du théâtre… Si je ne varie pas mes activités, je m’ennuie.
Tu travailles beaucoup et tu peux compter sur un cercle de fans particulièrement étendu (fanzine, fan club…). Cependant, tu es « boudé » des grands médias…est-ce une frustration pour toi ?
Ce n’était pas une frustration pendant de nombreuses années. J’exerce un métier fait de hauts et de bas… A une époque, j’acceptais facilement de ne pas passer dans les médias. Aujourd’hui, j’avoue avoir l’envie de leur dire que je suis là et que j’ai des choses à leur démontrer. D’autant plus que, grâce aux médias, je pourrais chanter pour un public plus large. Ce n’est pas une simple question de se montrer ou pas car, dans les années 1980-90, j’ai fait des dizaines et des dizaines de télévisions. Ce n’est pas dans cet exercice que je suis le plus à l’aise, mais il me semble essentiel de bénéficier d’une certaine couverture pour pouvoir parler de mon actualité. Donc, au final, j’avoue que cela me manque un petit peu.
Ta démarche est admirable de par sa pureté et sa fidélité au rock’n’roll originel. Serais-tu, cependant, prêt à faire une concession à un rock plus actuel ?
Non, car je considère que chaque chanteur possède sa propre touche. Que les musiciens qui m’entourent me donnent un son ou un style différent, je l’accepte. On ne peut pas se refaire. A un moment donné, on est confronté à son âge et à son expérience. Ce qui est un handicap au départ, mais qui fait l’attraction de l’artiste, est le fait de chanter d’une certaine manière. En effet, cela peut être en décalage par rapport à la mode du moment. Un handicap qui peut se transformer en avantage au fil des ans car c’est ce que l’on représente qui permet de travailler dans la durée.Si je donne 50 à 80 concerts par année (je suis monté jusqu’à 150), c’est parce que je possède une certaine personnalité artistique. Si je me mets à faire autre chose du jour au lendemain, c’est la déroute assurée !Il y a une autre question qui se pose. Celle du « produit » étudié pour un certain type de média, mais c’est encore un autre problème…
Je disais que tu es très prolifique, j’imagine donc que tu croules sous les projets. Peux-tu me dévoiler quelques-uns d’entre eux ?
Je participerai à une comédie musicale qui se déroulera du 11 mars à mi-avril 2016 (« Hollywood Nevers Again » de Frédérique Lazarini au Théâtre De La Mare Au Diable). J’y chanterai et y jouerai la comédie… Puis je commence à travailler sur la préparation de l’hommage à Elvis Presley qui marquera les 40 ans de sa disparition en 2017. Douze musiciens m’accompagneront dans ce projet qui voyagera dans toute la France. Enfin, je travaille avec Joey Greco (guitariste new-yorkais, accompagnateur de Johnny Hallydaysur l’album « Les Rocks Les Plus Terribles » et à l’Olympia en 1964). Nous avons déjà enregistré 5 ou 6 chansons et il m’a écrit deux titres que nous allons bientôt mettre en boite. L’idéal serait de finaliser la chose pour la fin de l’année 2016, avant le début de la tournée consacrée à Elvis.
As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Je suis content de chanter mais, encore plus, de fédérer et de générer des projets. Ceci avec des gens de ma génération mais aussi avec des artistes plus âgés, qui ont marqué l’histoire du rock’n’roll. Quand on les voit, c’est un véritable rayon de soleil qui apparait. Ils font que la musique que nous aimons se transforme en musique réelle du moment. Quand on entend cette musique en live, au présent, elle est vraiment très belle. Un disque est figé sur une époque mais la magie de cette musique opère toujours aujourd’hui !
http://ricky.norton.free.fr
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