Rod Barthet
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : En 1998, déjà riche d’une carrière de près de 10 ans, Rod Barthet a décidé de passer un cap et de s’exprimer en français à travers l’album « Changer L’horizon » (paru sur le label Dixiefrog), prémisse d’une fructueuse relation professionnelle et amicale avec le mythique parolier Boris Bergman (Alain Bashung, Paul Personne, Aphrodite’s Child…). Depuis, les chemins des deux hommes continuent de se croiser régulièrement…disque après disque. C’est à nouveau le cas en 2019 avec « Ascendant Johnny Cash », un opus à placer au sommet de la riche discographie du chanteur-guitariste…qui y dévoile une personnalité artistique unique et de plus en plus attachante. Cette dernière se faisant, à la fois, l’écho d’un glorieux passé (faut-il rappeler que la route du bonhomme est agrémentée de rencontres pour le moins prestigieuses avec des vedettes telles que John Lee Hooker, Wilson Pickett, Bo Diddley, Mick Taylor, Alvin Lee, Joe Louis Walker, Tommy Castro ou encore Jimmy Johnson ?) et d’un souci permanent d’évolution, voire de folie créatrice. A peine le disque mixé, je décidais de retrouver Rod Barthet chez lui afin de découvrir le résultat final. Confortablement installé dans un fauteuil de son home studio, je me laissais alors littéralement transporté par ces notes et ces mots…en symbiose totale. Après le repas, conscient de la tâche accomplie et toujours aussi humble (bien que très impatient de pouvoir sortir le CD), il n’a eu d’autre choix que de répondre à mes quelques questions…

Rod, d’aucuns disent que le blues est une musique du passé. Cependant, avec ton nouvel album « Ascendant Johnny Cash », tu nous prouves le contraire. Quel a été ton « secret de fabrication » afin de « déringardiser » (aux yeux de certains) ce registre sur le disque ?66
J’ai souhaité donner une suite à mon précédent disque, « Les Filles à L’écoute ». Cela fait, maintenant, plus de 20 ans que je chante du blues en français. Ce processus s’est fait naturellement durant toutes ces années. Il s’agit donc d’une suite logique… Le fait que tu estimes que mes travaux permettent de « déringardiser » ce registre aux yeux de certains m’enchante. Il est vrai qu’il existe toujours ce stéréotype du blues en français, qui rabâche systématiquement les mêmes sujets. Du genre : « Je me suis levé ce matin, ma compagne est partie donc j’ai le blues et je bois du whisky… ». Je m’oppose formellement à ces clichés (rires) !

Il est rare d’entendre des textes en français aussi bien sonner sur du blues. As-tu réalisé un travail de diction dans le but de trouver le ton le plus adéquat ?
J’ai, effectivement, apporté beaucoup de soin à l’enregistrement du chant. Il s’agit d’un travail réalisé, tranquillement, chez moi. J’ai ainsi pu réécouter, reprendre les prises et modifier les ambiances à loisir. Le but final était de faire en sorte que je sois satisfait à 100% du résultat final. Ceci dit, à l’heure à laquelle je te parle, j’aimerais bien tout recommencer. On a toujours envie de refaire les choses, c’est quelque chose de propre à tous les artistes mais il faut bien s’arrêter un jour… Les idées trouvées sur le tard seront utilisées sur un prochain album (rires) !

Une fois de plus tu as étroitement collaboré avec un auteur qui t’es cher, à savoir Boris Bergman. Outre cette personnalité, quelle est l’équipe musicale qui t’a suivi dans l’établissement de ce projet. Comment cet album a-t-il été élaboré ?
Cela fait plus de 20 ans que je travaille avec Boris. Il a signé 5 nouveaux textes sur « Ascendant Johnny Cash », les autres étant sortis de ma propre imagination. J’ai réuni une équipe de musiciens issus de ma région. Nous avons répété ensemble, chez le guitariste du groupe Bijou SVP, dans une maison hyper sympa. La batterie, par exemple, est installée dans son salon. Quand tu arrives chez lui, tu as tout à disposition et lorsque tu fais une pause…tu es déjà dans la cuisine (rires). De ce fait, les séances de travail étaient très agréables. Ces conditions nous ont permis d’établir un solide « brouillon » avant de passer à l’enregistrement final.

Sur cet album, tu ne te positionnes absolument pas comme un guitar hero. Au contraire, tu as apporté un soin particulier à des nuances au sein desquelles chaque instrument trouve sa place. Avec tes musiciens, comment vous y êtes-vous pris pour créer ces dialogues musicaux ?
Mon souhait principal résidait dans le fait de servir au mieux chaque chanson. Je voulais, au moment opportun, mettre en exergue des petites notes bien senties. Sur cet album, je voulais être moi-même. J’ai eu la chance d’avoir de longues discutions avec le grand producteur Martin Meissonnier qui a, entre autres, travaillé avec Jimmy Page et Robert Plant dans le passé. C’est lui qui m’a donné conscience du fait qu’il faut absolument être soi-même, d’être au service de la musique et de ne pas essayer de copier les autres. J’ai suivi ce conseil… De plus, je crois que j’ai passé l’âge de dire « Hey regardez, je sais jouer de la guitare »…

Tu prends même beaucoup de recul sur toi-même. Certains textes, s’ils ne sont introspectifs, sont le reflet d’un certain feeling personnel voire d’autodérision. Par exemple, Boris Bergman te fais chanter « J’ai failli être plus grand avec le temps »… Avec lui, quelle a été votre ligne de conduite en ce qui concerne l’écriture de l’album ?
Notre objectif était de refléter ce que nous ressentions à l’instant T. Nous n’avons pas fait de calculs devant des pages blanches. Nous avons utilisé notre feeling du moment et, parfois, des petites bribes de phrases notées dans le coin d’un cahier. Dans mes disques, il n’y a qu’une chose récurrente. Il s’agit d’une chose portée sur l’humanisme… J’aime, à chaque fois, interpréter un titre évoquant la planète. Bien sûr, on y trouve aussi systématiquement des chansons d’amour (un thème inépuisable). En ce qui concerne « J’ai failli être beaucoup plus grand », le morceau est le fruit d’une sorte de bilan personnel…avec ces regrets qui interviennent lorsque l’on prend du recul sur sa vie et son passé. Je ne donne jamais de directives à Boris, j’attends qu’il me propose des choses en fonction de son inspiration du moment. Du fait que nous collaborons depuis une vingtaine d’années, je ne me gène plus pour lui dire que telle ou telle chose ne me correspond pas. De son côté, il fait preuve de la même franchise s’il n’est pas inspiré par l’une de mes musiques. Il nous arrive, simplement, de procéder à des retouches. Sinon, tous les textes qu’il m’a écrits me collent vraiment à la peau !

Pourquoi avoir décidé de citer Johnny Cash dans le morceau qui a donné son titre à l’album ?
C’est une question qu’il faudrait poser à Boris. Depuis le temps, il commence à bien me cerner. Cela peut paraitre prétentieux mais il devait penser que le personnage de Johnny Cash me colle bien à la peau. D’un autre côté, il est clair que je préfère bien davantage Johnny Cash au R&B actuel sans âme que l’on entend à longueur de journée sur certaines radios. Il a décidé de revendiquer cette filiation…

Tout au long du disque, ta voix est frappante de sincérité. Elle n’est pas sans évoquer des artistes tels que Christophe, Jean-Patrick Capdevielle ou Bertrand Cantat dont tu me parlais hors micro. Quels sont les artistes français qui, aujourd’hui, t’inspirent ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer Christophe et j’ai trouvé en lui quelqu’un de phénoménal, d’authentique, doté d’une sensibilité à fleur de peau. De ce fait, entendre cela de ta part me touche beaucoup. Je pense que chaque auditeur donnera son ressenti personnel en écoutant ce disque. Ma voix fera forcément penser à celle d’un autre chanteur, en fonction des propres références de chacun. Je ne fais aucun calcul et ne cherche pas à ressembler à untel ou untel. Je sors simplement ce que j’ai en moi, sans chercher à ressembler à qui que ce soit.

Musicalement, on retrouve sur ce disque les fantômes de toutes tes idoles …dont tu continues à honorer les rythmes en leur insufflant un style novateur. En entendant certains morceaux, on pense beaucoup à John Lee Hooker, Chuck Berry etc.
Pour moi, Chuck Berry a tout fait ! Il est à la base de toutes les musiques pop ou rock que nous entendons aujourd’hui. J’ai eu envie de me faire plaisir, je ne révolutionne pas le monde en faisant un morceau dans ce registre mais ça me fait du bien ! Le groupe Téléphone a fait du rock en français avant moi… Le fait de mettre cela à ma sauce m’apporte une grande satisfaction personnelle. Encore une fois, je ne cherche pas à révolutionner le monde de la chanson. Il n’y a pas de mal à se faire du bien (rires) !

Si tu ne cherches pas à révolutionner la musique j’ai, en tout cas, l’impression que le blues français franchi une nouvelle étape avec ce disque. Tu vas même au-delà de ce qu’a pu faire Alain Bashung avec son album « Osez Joséphine » (contenant des titres tels que « Les grands voyageurs »). Quelles sont les contrées inexplorées que tu avais à cœur de nous faire découvrir ?
Si j’ai tenu à mettre des « grosses guitares » sur certains morceaux, je me suis également plongé dans des rythmes africains. Ces derniers sont moins conventionnels et sortent du shuffle et du binaire ordinaire. Le but était d’apporter quelque chose de nouveau en ce qui me concerne. Je suis ravi de savoir que tu trouves cela réussi.

On trouve, en conclusion de l’album, quelque chose de nouveau en ce qui te concerne. Il s’agit d’un morceau très épuré, sur lequel ta voix est uniquement accompagnée par un piano et des cordes. Cette envie germait-elle en toi depuis longtemps ?
Absolument, cela faisait longtemps que j’avais envie de mettre des cordes sur un titre. Pour le coup, nous les retrouverons à deux reprises sur cet album… A Besançon, se trouve Thomas Nicol,un arrangeur de très haut niveau. Il a, d’ailleurs, reporté un prix de la SACEM il y a peu de temps. Il a accepté de collaborer à ce projet et a écrit ces arrangements en une seule nuit. Dès le lendemain, je me suis retrouvé au côté d’un quatuor à cordes…c’était magique ! Le résultat fait penser à un trait noir sur une feuille blanche. On épure tout pour conserver la quintessence de la chanson. Nous n’y trouvons aucune fioriture…

Sur ce disque, tu t’interroges sur la condition humaine…sur nos actes du quotidien. Quels sont les autres thèmes que tu tenais à aborder ?
Il est vrai que le thème sur la condition humaine me tient toujours à cœur. Sur tous les frontons de nos mairie et écoles, nous pouvons lire « Liberté, égalité, fraternité ». Par les temps qui courent, cela semble malheureusement désuet. Pourtant, il s’agit de la devise de notre république et ces trois mots devraient nous servir de guides. J’évoque aussi la planète car nous continuons de polluer les mers. Les paquebots payent des amendes moins onéreuses lorsqu’ils dégazent (dans un port ou au large) que s’ils le faisaient légalement dans un site spécialement dédié à cela. De ce fait, ils s’en donnent à cœur joie et poursuivent leur activité polluante…D’autant plus que, souvent, ils ne se font pas attraper. C’est révoltant ! A force de vouloir gagner du terrain sur tout, l’homme sera bientôt privé du minimum vital. Lorsqu’il s’en rendra compte, il sera trop tard et il pourra applaudir des deux mains son action…celle d’avoir tout saccagé. Je parle aussi de l’enfance car je suis papa. Les enfants posent beaucoup de question, c’est pour cette raison que j’ai enregistré le morceau « Maman ». Sur celui-ci, nous demandons le droit de rester des enfants (rires) ! Après tout c’est vrai, pourquoi devenir des adultes ? Bien sûr, le thème de l’amour est toujours présent…je l’aborderai toujours… Je parle, également, du spleen dans la chanson « En noir et blanc ». Il s’agit, là aussi, d’un thème universel…

Tu parlais d’enfance… D’ailleurs, on a l’impression que tu cultives le droit de rester un enfant sur ce disque. Le fait de pratiquer la musique reste-t-il, avant tout, un jeu en ce qui te concerne ?
Oui, d’autant plus que nous sommes que de passage…nous ne devrions pas nous prendre la tête ! Faire de la musique son métier est une belle chose et je me dis, tous les jours, que j’ai de la chance de l’exercer. Puis, le fait de conserver son âme d’enfant est une chose géniale. La capacité d’y parvenir est une chance et j’ai cette chance là ! J’en suis parfaitement conscient…

A tes débuts, tu étais une grande valeur montante du blues rock français. Tu as beaucoup tournée à l’étranger et tu as travaillé aux Etats-Unis. Aujourd’hui tu fais preuve de beaucoup plus de nuances dans ta musique et tu t’exprimes, souvent, dans la langue de Molière. Cela a-t-il dérouté une partie de ton public ?
Je le pense… Certains résument le blues au blues rock interprété en anglais. Je trouve que trop de français se précipitent dans cette brèche alors que, souvent, ils ne maitrisent pas parfaitement la langue anglaise. Il est regrettable qu’auprès d’un certain public, ils trouvent plus de crédit que quelqu’un qui s’exprime dans sa langue maternelle. Je préfère chanter des choses, que je ressens très profondément, en français plutôt que de le faire en anglais…même si je maitrise un peu cette langue. Je n’ai pas de passé ni de culture anglophone ancrée en moi, c’est pour cela que j’ai fait ce choix. Sur scène, cependant, j’interprète toujours quelques classiques américains…

A l’heure où l’industrie du disque connait de plus en plus de difficultés, le fait de choisir de faire du blues en français ne constitue-t-il pas une prise de risques supplémentaire ?Tu aurais pu t’assurer d’un certain confort en te contentant de proposer des reprises…
Il est vrai que le fait de continuer à faire du blues rock en anglais aurait pu être beaucoup plus confortable. Ceci parce qu’il s’agit du « schéma naturel » de cette musique. Pour ma part, je tenais à proposer quelque chose de personnel et c’est pour cela que je me suis lancé dans cette aventure en français. Je persiste à chanter en français depuis 20 ans. Certaines personnes me félicitent pour cela ! Mon ami Aurélien Morro qui est, également, chanteur-guitariste rêverai de faire un album de blues en français. Je l’encourage à franchir le cap car j’estime qu’il faut toujours faire ce que l’on ressent. Quand il m’arrive de faire du blues rock en anglais, je m’éclate toujours car j’adore ça. Par ailleurs, il n’est pas exclu que je refasse un disque dans cette veine dans le futur. Cependant, lorsque j’enregistre sous mon propre nom, je trouve naturel de proposer un travail qui reflète au mieux ma personnalité. Dans ce cas de figure, le français et les compositions originales s’imposent !

Comme je le disais précédemment j’ai, à titre personnel, l’impression que tu as permis au blues français de franchir une nouvelle étape avec ce disque. De ton côté, quel est ton ressenti vis-à-vis de celui-ci ?
Je n’ai pas conscience de cela… J’essaye simplement de faire ce que je sais faire depuis toujours. C’est-à-dire composer et écrire des morceaux…puis les chanter. En fonctions des critiques et chroniques, l’avenir me dira ce qu’il en est. Actuellement, je ne possède pas le recul nécessaire pour savoir si c’est bon ou non. Je t’avoue que j’ai le sentiment que ce n’est pas trop mal… En tout cas, je sens qu’il y a une évolution par rapport à mes précédents albums. Il faut dire que j’ai œuvré pour cela et que j’ai essayé de mettre tous les atouts de mon côté. Tout le reste ne m’appartient plus…

Quelles sont tes attentes en ce qui concerne l’avenir ?
Tout ce que l’on peut me souhaiter est le fait de jouer le plus possible. Bien sûr, j’espère aussi que le disque sera bien accueilli…mais c’est sur scène que je m’épanouis vraiment. J’adore cet élément !

Souhaites-tu ajouter une conclusion à cet entretien ?
Merci de t’être déplacé jusqu’à chez moi afin d’écouter l’album en avant-première. Je tiens, également, à remercier toutes les personnes qui m’ont fait jouer et qui m’ont fait confiance depuis mes débuts. Merci, aussi, à celles qui me feront confiance à l’avenir (rires) !

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Interview réalisée
Chez Rod - Chaffois
le 21 mars 2019

Propos recueillis par

David BAERST

En exclusivité !


 

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