Roland Tchakounté
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Roland, pour commencer cet entretien, peux-tu me parler de tes premiers contacts avec la musique au Cameroun ?
Il n'est pas évident de trouver des repères pour répondre à cette question…
Aussi loin que je me souvienne, la musique a toujours été présente dans ma vie. J'aurais du mal à me souvenir quand le lien s'est créé exactement …

Dès ma plus tendre enfance j'ai baigné dans la musique car, au Cameroun, elle accompagne beaucoup de situations telles que les funérailles, les mariages et même, tout simplement, l'envie de s'amuser. C'est un univers qui m'a toujours fait vibrer…

En Afrique il y a toujours cette grande tradition des Griots. Est-ce une influence que tu utilises, aujourd'hui, dans ta musique et te considères-tu comme un Griot du Blues ?
Non, je n'ai pas cette prétention !
Je m'inspire, certes, de leur état d'esprit. C'est-à-dire l'envie d'exprimer quelque chose, tout simplement. Que l'on se sent bien ou mal à tel ou tel moment, par exemple.

Il faut savoir que les Griots font un travail beaucoup plus sérieux. Ils peuvent raconter des histoires qui sont ouvertes sur l'identité même d'une région et transmettent aux jeunes le vécu des anciens, c'est leur rôle. Je répète que je n'ai pas la prétention de me comparer à eux, car je n'en ai pas le talent, mais quand on est Bluesman on l'est un peu quelque part …

L'Afrique est un endroit propice pour évoluer dans ce sens, surtout lorsqu'on y est né et qu'on y a vécu quelques années.

Est-ce en Afrique que tu as découvert le Blues, si oui de quelle façon ?
Oui mais d'une manière détournée. J'ai d'abord découvert le Rythm and Blues avec, pour références, la musique de James Brown, d'Aretha Franklin, de Wilson Pickett et tous ceux qui ont marqué l'histoire de cette musique. Ce sont des gens qui ont bercé mon enfance…

J'ai découvert le Blues grâce à John Lee Hooker. Quand j'ai entendu, pour la première fois, " Crawlin' Kingsnake " ça a été une claque terrible. Je pensais, au départ, que c'était un africain qui chantait en anglais. Je me suis donc dit qu'il y avait un lien entre ce que je connais de la musique africaine et ce que fait ce gars-là. J'ai creusé un peu en découvrant ses albums avant d'écouter des artistes tels que Muddy Waters et les autres…

Je me suis alors dit que ma voie était toute tracée et que j'avais enfin découvert ce que je voulais faire de ma vie. J'ai, cependant, voulu me démarquer en interprétant, sur cette musique, des textes dans une langue qui m'est chère. J'ai donc choisi ma langue maternelle, le bamiléké
A ce jour, personne ne m'a fait de reproche pour cela. Ceux qui écoutent ma musique l'apprécient, donc je continue sur cette même lancée.

Etait-il facile, pour toi, de te procurer des disques au Cameroun, sinon quels étaient les moyens de diffusion du Rythm and Blues que tu écoutais alors ?
J'écoutais surtout la radio car je n'avais pas les moyens de m'acheter les vinyles…
Je profitais aussi des bals de quartiers qui nous permettaient de vibrer au son de cette musique, ça façonnait notre esprit. Cela aussi est à la source de mon désir de pratiquer la musique.

La guitare a-t-elle été ton premier instrument ou as-tu commencé ton apprentissage par la pratique d'instruments africains plus traditionnels ?
J'ai commencé par les percussions mais je n'estime pas être un percussionniste de grand talent.
Je tapais sur un tambour comme n'importe quel africain qui tape sur un instrument quelconque.

C'est bien sur une guitare que j'ai appris à construire des accords avant de m'essayer au piano, puis à l'harmonica ainsi qu'à la basse. Ceci m'aide beaucoup aujourd'hui car j'aime travailler seul mes chansons à l'aide de tous ces instruments. Après je fais appel à des vrais professionnels pour développer l'ensemble.

Ton passage en tant que musicien professionnel s'est-il passé au Cameroun ou était-ce après ton arrivée en France ?
C'était au Cameroun où j'ai enregistré quelques disques qui ne représentaient pas encore la musique que j'aimais vraiment. Quand on vit dans un univers on se sent parfois obligé de faire comme tout le monde…

La musique la plus populaire dans mon pays d'origine est le makossa qui me plaisait beaucoup par son côté festif, cependant cela restait très difficile pour moi.
Il faut dire que depuis le Lycée j'aimais chanter les titres de James Brown et des autres…

Mon désir était vraiment de faire la musique qui me plaisait le plus mais ce n'était pas évident au Cameroun. Par contre quand je suis arrivé en France, la porte s'est ouverte et j'ai eu de multiples possibilités de m'exprimer tel que je le souhaitais.

Donc je n'ai pas hésité…

Justement peux-tu me parler de ton dernier album en date ?
C'est un album acoustique que j'ai enregistré en duo avec Mick Ravassat (guitares), de façon très simple. Le sous-titre de ce CD est " Dirty Blues " car il y a des notes qui accrochent. Nous avons essayé de le faire entre copains, dans un salon…

Je n'aime pas l'esbroufe et aime restituer les choses de manière naturelle, sans " charger " mon travail.
Visiblement le résultat plait bien aux gens!

J'ai été conforté dans cette idée car, lorsque j'ai envoyé ce disque à Barry Dolins, le Président du Chicago Blues Festival, il a été très intéressé par mon enregistrement alors que je ne m'y attendais pas…

J'ai donc été programmé au Chicago Blues Festival (Roland est le premier français a avoir connu cet honneur sous son propre nom, nda) avant de faire tous les grands Festivals du genre comme Cognac etc…

En janvier dernier nous étions à l'International Blues Challenge de Memphis et nous retournerons en juillet au Festival de Jazz de Montréal.

Cet album nous permet vraiment de présenter quelque chose de différent au public et aux programmateurs d'évènements musicaux.

Quelle a été la réaction du public nord américain vis-à-vis de ton Blues chanté dans une langue inédite de ce genre ?
La surprise était grande de m'entendre m'exprimer dans une telle langue. Cependant je suis têtu donc j'ai foncé.

Le fait d'avoir le soutien de Barry Dolins m'a beaucoup rassuré!
Au final la réaction des gens a été formidable et l'échange, avec eux, a été très émouvant malgré la barrière de la langue. C'est un grand souvenir qui m'a fait très plaisir…

Aimerais-tu, un jour, te rapprocher de musiciens traditionnels africains afin de réaliser des enregistrements comme ont pu le faire des artistes tels que Taj Mahal ou Eric Bibb dans le passé et revenir aux sources ?
Bien sûr!
J'ai, justement, beaucoup d'admiration pour Taj Mahal. C'est une de mes références et je l'ai beaucoup écouté. Il a une démarche d'ouverture et aller vers les gens sans se cantonner à un seul style de musique. J'aime cette démarche de ne pas considérer le Blues comme une sorte de musée.

De mon côté je suis la démarche inverse car je suis africain et je viens avec ma musique en essayant de faire un pont entre mes racines et ce que peuvent m'apporter d'autres cultures.
J'ai deux cultures, je suis d'origine africaine et de nationalité française…
Ma démarche correspond à mon histoire et je souhaite encore m'ouvrir davantage.

Comment te situes-tu sur la scène Blues française, es-tu un peu à part ou fais-tu partie intégrante de la famille ?
J'ai la prétention de penser que je fais partie intégrante de cette famille musicale !
Personne ne me reproche de ne pas chanter en français et je revendique mon appartenance à la France et à son histoire. J'avais été programmé dans le cadre de la journée franco-allemande l'année dernière et on ne m'a pas obligé de chanter en français. J'ai chanté en bamiléké mais j'ai représenté la France lors de cet évènement !
Cela a été accepté…
De même, j'ai ma place dans le milieu Blues français et tous mes amis me soutiennent dans ma démarche.

Travailles-tu sur de nouveaux morceaux actuellement ?
Je rentre en studio le 3 juin 2007 pour mon prochain album qui sera encore acoustique mais dans une formule trio cette fois-ci.
Je terminerai l'enregistrement après mon passage à Montréal et souhaite sortir le disque à la rentrée 2007. La date reste à définir…

As-tu une conclusion à ajouter ?
Simplement que je me sens bien, merci!

roland-tchakounte.nuxit.net

www.myspace.com/rolandtchakounte

 

 
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