
Roland, pour commencer cet entretien, peux-tu me
parler de tes premiers contacts avec la musique au Cameroun ?
Il n'est pas évident de trouver des repères pour répondre
à cette question
Aussi loin que je me souvienne, la musique a toujours été
présente dans ma vie. J'aurais du mal à me souvenir quand
le lien s'est créé exactement
Dès ma plus tendre enfance j'ai baigné dans la musique car,
au Cameroun, elle accompagne beaucoup de situations telles que les funérailles,
les mariages et même, tout simplement, l'envie de s'amuser. C'est
un univers qui m'a toujours fait vibrer
En Afrique il y a toujours cette grande tradition
des Griots. Est-ce une influence que tu utilises, aujourd'hui, dans ta
musique et te considères-tu comme un Griot du Blues ?
Non, je n'ai pas cette prétention !
Je m'inspire, certes, de leur état d'esprit. C'est-à-dire
l'envie d'exprimer quelque chose, tout simplement. Que l'on se sent bien
ou mal à tel ou tel moment, par exemple.
Il faut savoir que les Griots font un travail beaucoup plus sérieux.
Ils peuvent raconter des histoires qui sont ouvertes sur l'identité
même d'une région et transmettent aux jeunes le vécu
des anciens, c'est leur rôle. Je répète que je n'ai
pas la prétention de me comparer à eux, car je n'en ai pas
le talent, mais quand on est Bluesman on l'est un peu quelque part
L'Afrique est un endroit propice pour évoluer dans ce sens, surtout
lorsqu'on y est né et qu'on y a vécu quelques années.
Est-ce en Afrique que tu as découvert le
Blues, si oui de quelle façon ?
Oui mais d'une manière détournée. J'ai d'abord découvert
le Rythm and Blues avec, pour références, la musique de
James Brown, d'Aretha Franklin, de Wilson Pickett et tous ceux qui ont
marqué l'histoire de cette musique. Ce sont des gens qui ont bercé
mon enfance
J'ai découvert le Blues grâce à John Lee Hooker.
Quand j'ai entendu, pour la première fois, " Crawlin' Kingsnake
" ça a été une claque terrible. Je pensais,
au départ, que c'était un africain qui chantait en anglais.
Je me suis donc dit qu'il y avait un lien entre ce que je connais de la
musique africaine et ce que fait ce gars-là. J'ai creusé
un peu en découvrant ses albums avant d'écouter des artistes
tels que Muddy Waters et les autres
Je me suis alors dit que ma voie était toute tracée et que
j'avais enfin découvert ce que je voulais faire de ma vie. J'ai,
cependant, voulu me démarquer en interprétant, sur cette
musique, des textes dans une langue qui m'est chère. J'ai donc
choisi ma langue maternelle, le bamiléké
A ce jour, personne ne m'a fait de reproche pour cela. Ceux qui écoutent
ma musique l'apprécient, donc je continue sur cette même
lancée.
Etait-il facile, pour toi, de te procurer des
disques au Cameroun, sinon quels étaient les moyens de diffusion
du Rythm and Blues que tu écoutais alors ?
J'écoutais surtout la radio car je n'avais pas les moyens de m'acheter
les vinyles
Je profitais aussi des bals de quartiers qui nous permettaient de vibrer
au son de cette musique, ça façonnait notre esprit. Cela
aussi est à la source de mon désir de pratiquer la musique.
La guitare a-t-elle été ton premier
instrument ou as-tu commencé ton apprentissage par la pratique
d'instruments africains plus traditionnels ?
J'ai commencé par les percussions mais je n'estime pas être
un percussionniste de grand talent.
Je tapais sur un tambour comme n'importe quel africain qui tape sur un
instrument quelconque.
C'est bien sur une guitare que j'ai appris à construire des accords
avant de m'essayer au piano, puis à l'harmonica ainsi qu'à
la basse. Ceci m'aide beaucoup aujourd'hui car j'aime travailler seul
mes chansons à l'aide de tous ces instruments. Après je
fais appel à des vrais professionnels pour développer l'ensemble.
Ton passage en tant que musicien professionnel
s'est-il passé au Cameroun ou était-ce après ton
arrivée en France ?
C'était au Cameroun où j'ai enregistré quelques disques
qui ne représentaient pas encore la musique que j'aimais vraiment.
Quand on vit dans un univers on se sent parfois obligé de faire
comme tout le monde
La musique la plus populaire dans mon pays d'origine est le makossa
qui me plaisait beaucoup par son côté festif, cependant cela
restait très difficile pour moi.
Il faut dire que depuis le Lycée j'aimais chanter les titres de
James Brown et des autres
Mon désir était vraiment de faire la musique qui me plaisait
le plus mais ce n'était pas évident au Cameroun. Par contre
quand je suis arrivé en France, la porte s'est ouverte et j'ai
eu de multiples possibilités de m'exprimer tel que je le souhaitais.

Donc je n'ai pas hésité
Justement peux-tu me parler de ton dernier album
en date ?
C'est un album acoustique que j'ai enregistré en duo avec Mick
Ravassat (guitares), de façon très simple. Le sous-titre
de ce CD est " Dirty Blues " car il y a des notes qui
accrochent. Nous avons essayé de le faire entre copains, dans un
salon
Je n'aime pas l'esbroufe et aime restituer les choses de manière
naturelle, sans " charger " mon travail.
Visiblement le résultat plait bien aux gens!
J'ai été conforté dans cette idée car, lorsque
j'ai envoyé ce disque à Barry Dolins, le Président
du Chicago Blues Festival, il a été très intéressé
par mon enregistrement alors que je ne m'y attendais pas
J'ai donc été programmé au Chicago Blues Festival
(Roland est le premier français a avoir connu cet honneur sous
son propre nom, nda) avant de faire tous les grands Festivals du genre
comme Cognac etc
En janvier dernier nous étions à l'International Blues Challenge
de Memphis et nous retournerons en juillet au Festival de Jazz de Montréal.
Cet album nous permet vraiment de présenter quelque chose de différent
au public et aux programmateurs d'évènements musicaux.
Quelle a été la réaction
du public nord américain vis-à-vis de ton Blues chanté
dans une langue inédite de ce genre ?
La surprise était grande de m'entendre m'exprimer dans une telle
langue. Cependant je suis têtu donc j'ai foncé.
Le fait d'avoir le soutien de Barry Dolins m'a beaucoup rassuré!
Au final la réaction des gens a été formidable et
l'échange, avec eux, a été très émouvant
malgré la barrière de la langue. C'est un grand souvenir
qui m'a fait très plaisir
Aimerais-tu, un jour, te rapprocher de musiciens
traditionnels africains afin de réaliser des enregistrements comme
ont pu le faire des artistes tels que Taj Mahal ou Eric Bibb dans le passé
et revenir aux sources ?
Bien sûr!
J'ai, justement, beaucoup d'admiration pour Taj Mahal. C'est une de mes
références et je l'ai beaucoup écouté. Il
a une démarche d'ouverture et aller vers les gens sans se cantonner
à un seul style de musique. J'aime cette démarche de ne
pas considérer le Blues comme une sorte de musée.
De mon côté je suis la démarche inverse car je suis
africain et je viens avec ma musique en essayant de faire un pont entre
mes racines et ce que peuvent m'apporter d'autres cultures.
J'ai deux cultures, je suis d'origine africaine et de nationalité
française
Ma démarche correspond à mon histoire et je souhaite encore
m'ouvrir davantage.
Comment te situes-tu sur la scène Blues
française, es-tu un peu à part ou fais-tu partie intégrante
de la famille ?
J'ai la prétention de penser que je fais partie intégrante
de cette famille musicale !
Personne ne me reproche de ne pas chanter en français et je revendique
mon appartenance à la France et à son histoire. J'avais
été programmé dans le cadre de la journée
franco-allemande l'année dernière et on ne m'a pas obligé
de chanter en français. J'ai chanté en bamiléké
mais j'ai représenté la France lors de cet évènement
!
Cela a été accepté
De même, j'ai ma place dans le milieu Blues français et tous
mes amis me soutiennent dans ma démarche.
Travailles-tu sur de nouveaux morceaux actuellement
?
Je rentre en studio le 3 juin 2007 pour mon prochain album qui sera encore
acoustique mais dans une formule trio cette fois-ci.
Je terminerai l'enregistrement après mon passage à Montréal
et souhaite sortir le disque à la rentrée 2007. La date
reste à définir
As-tu une conclusion à ajouter ?
Simplement que je me sens bien, merci!
roland-tchakounte.nuxit.net
www.myspace.com/rolandtchakounte
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