Roots Noise (Aurel King)
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Groupe originaire des Vosges du Nord (si, si…cela est spécifié jusqu’au verso de la pochette de son nouvel album), Roots Noise sort en 2018 l’excellent « Plays Its Faves ». Un disque, sonnant comme la résultante d’un travail collectif, mené par un quartet doté de personnalités artistiques affirmées.Si ces fans de blues authentique (et, en particulier, de pianistes issus de la Nouvelle-Orléans tels que Professor Longhair, Huey « Piano » Smith ou encore James Booker) dénotent de par la pureté de leur son, ils n’en possèdent pas moins une vision globale de leur art.
D’ailleurs, ces derniers n’hésitent pas à se mettre au service des autres…pour mieux se retrouver dans le cadre récréatif de leur projet commun. Ainsi, Jérôme Spieldenner (batterie-chant), Manu Boch (claviers-chant), Laurent Combeau (basse) et Aurel King (guitare-chant) ont à eux quatre accompagnés de nombreuses pointures (Chuck Berry, Golden Gate Quartet, Lisa Doby, Tchéky Karyo, Benjamin Téhoval, Ill River etc.). Le 21 mars 2018, c’est Aurel King qui est venu présenter l’opus aux auditeurs de Route 66. L’homme, qui a été biberonné aux morceaux de Tommy Johnson et qui a terminé son apprentissage de la lecture avec l’ouvrage « Talkin’ That Talk » de Jean-Paul Levet, y a répondu à quelques-unes de mes questions…avec l’humilité qui le caractérise.

Aurel, comment l’idée de fonder le groupe Roots Noise est-elle venue à toi ?66
Elle vient de l’envie de jouer cette musique, dans un environnement au sein duquel elle n’était pas très présente. En effet, elle était supplantée par le rock festif. Mon besoin de jouer du blues était tel que j’ai tout mis en œuvre afin de former mon propre groupe. Cela s’est avéré possible lorsque j’ai rencontré le batteur Jérôme Spieldenner, le bassiste Laurent Combeau et, plus tard, le pianiste Manu Boch. Ensemble, nous souhaitions faire découvrir cette musique, que nous aimons depuis notre plus jeune âge, à un public qui ne la connaissait pas particulièrement.

De quelle manière vous êtes-vous connus avec ce dernier ?
Je connais Manu depuis de nombreuses années. Un jour (au milieu des années 1990), mon cousin m’a emmené à l’auditorium de France 3 Alsace (encore FR3 à l’époque) où était enregistrée une émission sur les prémices du rock’n’roll alsacien. Manu s’y produisait et c’est là que je l’ai découvert. Par la suite, je l’ai revu régulièrement au détour de quelques scènes. Nous avons sympathisé, puis nous avons joué ensemble. J’étais tellement admiratif de ce musicien, que mon rêve était de pouvoir venir chez lui afin d’interpréter « Such a night » (de Dr. John) en sa compagnie.

Tu as, vraiment, découvert le blues alors que tu étais très jeune…
C’était durant une période qui était très favorable à cette musique. Cela était favorisé par l’apparition du support CD qui permettait de découvrir de nombreux enregistrements oubliés, grâce à la parution de nombreuses rééditions. A ce moment-là, la formule « unplugged » était aussi très à la mode. De ce fait, le blues était très diffusé, ne serait-ce que par l’intermédiaire d’un artiste tel qu’Eric Clapton. Ce son tranchait de manière radicale avec tout ce que j’avais pu entendre, lors de ma prime enfance, dans les années 1980 (les émissions de variétés comme Champs-Elysées etc.). Je me demandais d’où cela venait et j’avais l’impression que cette musique était jouée par des extra-terrestres. La recherche de ces disques était une vraie quête et chaque trouvaille (que ce soit à Strasbourg ou, lorsque je le pouvais, au magasin Boogie de Levallois-Perret) se traduisait par un moment important.

Quel a été ton parcours de musicien, avant de fonder Roots Noise ?
Ce groupe est ma première vraie expérience. Avant cela, je fréquentais beaucoup Benjamin Téhoval.

Ce dernier est, on peut le dire, devenu ton mentor…
Oui, il s’agit d’un musicien incroyable qui continue de m’impressionner. Il connait toutes les facettes du blues, qui est une musique très variée. Il sait illustrer tous les courants du genre et les relie à son autre grande influence…Bob Dylan. Ce dernier est, également, un artiste qui m’a beaucoup marqué. C’est dire si les conseils prodigués par Benjamin m’ont été précieux. C’est, également, lui qui m’a permis de jouer en live pour la première fois. C’était à ses côtés, dans des pubs strasbourgeois, le temps de 2 ou 3 morceaux…puis davantage !
Il me faisait écouter des disques chez lui et m’expliquait certains plans. Il me parlait de sa vie de musicien. Cette rencontre avec Benjamin Téhoval a été déterminante pour moi ! De plus, c’est un personnage particulièrement humble. Ce n’est pas lui qui dira qu’il a joué au Royal Albert Hall (Londres), il y a quelques semaines, en première partie de Wilko Johnson (ex Dr. Feelgood, qui a produit l’un de ses disques) ou qu’il a fait des tournées au Japon.

Peux-tu évoquer les parcours de tes comparses de Roots Noise ?
Tous sont, en effet, des habitués des scènes françaises… Jérôme Spieldenner est un musicien incroyable, doublé d’un ami qui m’est très cher. Il a joué dans les plus belles salles, dont l’Olympia de Paris, tout en fréquentant les meilleurs festivals. Actuellement, il joue beaucoup aux côté de Tchéky Karyo ou de Lisa Doby. Pour anecdote, il m’a emmené un jour à une répétition de cette dernière. Il y avait de la place dans la voiture et a décidé de m’y conduire. Du coup, je peux vivre des moments dotés d’une grande richesse à ses côté (Aurel King est, par la suite, devenu guitariste pour Lisa Doby, nda).
Laurent Combeau, notre bassiste, je l’ai rencontré presque en même temps que Jérôme. Eux se connaissaient déjà, car ils avaient été élèves à la Music Academy International (MAI) de Nancy. Une véritable complicité était déjà en place entre eux. Le fait de faire quelque chose ensemble, coulait de source. Manu Boch, quant à lui, est aussi bon au piano qu’à l’orgue. Il a joué avec Chuck Berry pendant plusieurs années. Nous sommes tous très proches, très soudés…nous nous aimons (rires) !

Vous vous produisez tous au sein de divers groupes et de personnalités artistiques intéressantes. De ce fait, comment situerais-tu Roots Noise dans vos cursus respectifs. Est-ce un combo né pour votre seul plaisir ou un concept que vous vouez à développer ?
Pour moi, à la base, Roots Noise est une récréation. Une bouffée d’air frais. Nous montons sur la colline le dimanche, le panorama est sublime et on s’y sent bien. Ce groupe est une évasion car nous avons tous des missions à droite et à gauche. Lorsque nous nous retrouvons, nous redevenons des jeunes gens de l’avant ère internet. Nous écoutons religieusement des disques et nous amenons nos idées afin de les échanger. Lorsque nous sommes dans notre capsule, nous nous faisons plaisir. Nos personnalités se reflètent à travers notre nouvel album, qui est la parfaite résultante de l’état d’esprit que nous insufflons au groupe. Pour moi, « Plays Its Faves » c’est ça !

Outre Lisa Doby que tu évoquais, avec quels artistes avez-vous l’habitude de vous produire ?
Avec Jérôme et Manu, nous sommes membres du groupe Ill River mené par le chanteur-guitariste américain Cary T. Brown. Je joue aussi avec Solaris Great Confusion, The Aircraftbusters, SF and theLadyboys… Je te parlais du trajet que je faisais entre le blues et l’univers de Bob Dylan. Si je venais de la musique du Diable, j’ai découvert le travail du mec qui fait ses chansons. Du coup, j’aime participer au processus de création…l’écriture, les arrangements, la concrétisation des idées. Cela me permet de jouer sur deux tableaux et de participer à différents processus. Que ce soit avec Roots Noise, qui est mon premier amour, ou avec ces mecs qui écrivent des chansons…66

Quand et pourquoi avez-vous, enfin, décidé d’enregistrer un nouvel album (le précédant datant de 2011) ?
Nous sommes très discrets et communiquons avec parcimonie. En fait, depuis 10 ans, nous n’avons jamais arrêté de nous produire dans des endroits très différents les uns des autres. Il y a eu des cafés-concerts, des salles de spectacles traditionnelles mais aussi des prisons, des médiathèques, une synagogue etc. Le groupe n’a jamais cessé d’exister… Pendant tout ce temps, nous avons creusé un sillon et forgé notre son. Il était temps de le capter ! Pour moi, c’est le test des années qui est important. Les choses se valident avec le temps. J’ai besoin de maturation et de laisser les choses grandir. Le moment était venu d’aller en studio et de capter cette énergie qui est celle du live !

Quel est l’apport de chacun d’entre vous au son et aux choix des morceaux que l’on peut retrouver sur « Plays Its Faves » ?
Chacun arrive avec ses morceaux et ses idées lors des répétitions. Nous aimons, également, tous chanter. Si c’est moi qui me charge, principalement, de cette partie…il m’est important de la partager avec d’autres membres du groupe. Jérôme Spieldenner fait beaucoup de chœurs sur ses autres projets. Pour ma part, je tiens vraiment à ce qu’il devienne « lead singer » sur un titre de chacun de nos albums. Il suffit de l’écouter pour en comprendre la raison.

Quelles sont les influences que l’on retrouve, le plus régulièrement, au sein de votre musique ?
Nous arrivons, systématiquement, très rapidement à La Nouvelle-Orléans. C’est une chose qui n’est pas préméditée…mais nous nous sentons vraiment à l’aise avec cette musique. Ce style est « central » sur le disque, même si la volonté de le faire autant apparaitre doit être inconsciente.

Il résulte de votre groupe, un état d’esprit que l’on pourrait qualifier de familial. Selon toi, en quoi vous complétez-vous le mieux ?
Nous sommes des amis très proches. Nous ne faisons jamais de plans. Nous nous contentons de jouer cette musique le plus simplement possible. Nous faisons cela comme des fans de musiques qui célèbrent des morceaux qu’ils aiment. Nous n’estimons pas être des musicologues et ne cherchons pas à donner des cours d’histoire. C’est notre sincérité qui fait le reste…une caractéristique qui m’est essentielle. C’est cela que nous essayons de proposer aux gens.

Vous composez de manière sporadique et consacrez la majeure partie de votre répertoire à de vieux blues. Avez-vous déjà essayé de reprendre des morceaux plus récents ?
Tout ce qui a été créé après 1958 est proscrit (rires) ! J’exagère un peu mais, en fait, je ne me pose pas trop cette question. Je constate simplement, comme toi, que les morceaux ont un certain âge… J’écoute pas mal de choses actuelles et je suis très ouvert d’esprit. Cependant, le fait est là, nous ne jouons pas de titres « modernes »…

Tu vis à Meisenthal (57), qui est un village très axé sur la culture. Peux-tu évoquer les structures qui y sont mises en place et qui lui donnent un certain rayonnement ?
Je vis, effectivement, à Meisenthal alors que Jérôme habite juste à côté (à Goetzenbruck). Ce village a été notre « tremplin ». C’est un endroit où on peut trouver un « laboratoire » qui s’appelle Artopi. Il s’agit d’un lieu de créations pour artistes en tous genres (principalement pour les plasticiens et pour le théâtre). La musique est parvenue à y trouver une belle place. Cette énergie provient de la culture du verre, du travail de cette matière… A l’époque, on y fabriquait de l’art au quotidien. On y trouvait de grands artistes verriers tels que monsieur Emile Gallé. Les gens comme lui ont su insuffler une vraie énergie artistique à cette vallée.
Musicalement parlant, beaucoup de groupes y ont donné des concerts inoubliables (l’un des moments les plus mythique demeure le concert des Stray Cats en 1992…on entendait même Brian Setzer s’exercer à la guitare depuis sa chambre de l’Auberge des Mésanges) ou en sont issus (Gamesdoglar…). Voir ces gens, produire une musique d’une telle qualité, dans des pubs est une chose incroyable. En m’y installant, j’ai été bouleversé par cette région. On y trouve de belles énergies et on y fait des rencontres incroyables avec des gens authentiques. Puis, il y a cette facilité pour y concrétiser des idées. J’en avais en tête depuis que j’étais gamin…c’est là-bas qu’elles se sont concrétisées. Pour moi, Meishental (et de manière plus large les Vosges du Nord) est très important… C’est un véritable état d’esprit comme l’atteste la Halle Verrière qui va, bientôt être, rénovée... Il devrait y avoir encore plus de concerts…

Comment vous situez-vous sur la scène blues française, vous qui êtes si discrets ?
Cela est, peut-être, lié au fait que nous constatons que les bluesmen que j’écoutais plus jeunes avaient déjà tous un certain âge. Inconsciemment, j’ai dû me dire que rien ne presse…que nous avons le temps et qu’à 70 ans nous seront plus crédibles (rires) ! Le plaisir de jouer entre nous est ce qui prime. Si cela peut mener à des scènes tant mieux…mais il faut que cela se fasse naturellement. Malgré tout, nous avons participé à de nombreux festivals comme le Cognac Blues Passions. Nous nous sommes, également, régulièrement produits en Suisse Italienne. Les retours ont toujours été positifs... Nous sommes d’accords pour faire plus de festivals, même si nous avons tous d’autres engagements aux côtés de divers artistes. Nous aimons cette musique plus que tout. De ce fait, comment pourrions-nous refuser un concert ? Pour tout te dire, nous nous verrions bien comme « backing band ».Untel ou Unetelle avec Roots Noise, ce serait bien !

Comment l’enregistrement de « Plays Its Faves » s’est-il déroulé ?
L’enregistrement s’est étiré sur 4 jours pour les prises (principalement dans les conditions du live). Le mixage, quant à lui, s’est fait en 3 jours. Tout à été réalisé à Lahr (Neuwerk Studio), en Allemagne. J’y avais déjà travaillé avec le groupe SF and the The Ladyboys (dont le guitariste, Stéphane Fischer, est quelqu’un avec qui j’adore bosser). Je suis totalement tombé amoureux de la pièce qui sert de studio d’enregistrement (on peut y vivre, il m’arrive même d’y dormir) et j’adore le mec qui tient le lieu (André Horstmann). Il arrive à produire un « son à la prise ». C’est ce qui m’importait dans ce projet !

La pochette du disque est, également, très intéressante…
Elle est signée Thomas Rebischung qui vient, également, du pays de Bitche. Je l’ai rencontré à Artopi, à quelques mètres de chez moi…Le dessin a été, spécialement, créé pour l’album. Je tenais particulièrement aux étoiles… C’était chouette de bosser avec un artiste qui soit autant à l’écoute que lui. Il sait honorer une commande sans trop se prendre au sérieux. Ces allers et retours, entre lui et moi, ont abouti à cette belle pochette que j’aime beaucoup…

Pour bien te connaître, je m’attendais à ce que tu fasses un hommage à Chuck Berry (qui est l’un de tes maîtres) sur cet album…
Au final, je trouve que cet hommage est présent par l’intermédiaire du morceau « High blood pressure ». Je trouve qu’il y a un lien très fort entre Huey « Piano » Smith et Chuck. D’ailleurs, le texte de « Rockin’ pneumonia and the boogie woogie flu » aurait pu être écrit par Berry. Nous n’évoquons pas directement le regretté chanteur-guitariste mais il est bien présent ! Comment ne pas aimer Chuck Berry…

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Interview réalisée au
Studio RDL - Colmar
le 21 mars 2018

Propos recueillis par David BAERST

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