RustLess
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Comme l’attestent ses deux premiers disques (parus dans un intervalle d’une année) et ses nombreux concerts, le groupe RustLess cherche à s’exprimer le plus possible.
S’il reste fidèle au blues, il n’hésite pas à en bousculer les codes et à y intégrer des instruments qui ne sont plus guère mis à l’honneur dans cette musique (la flûte par exemple qui, pourtant, dès les prémices de ce registre était particulièrement usitée par des artistes tels que Henry Thomas).
Très motivé, le combo (constitué par Fabrice De Angelis aux guitares, David Schlaflang au chant, Eric Moeglin à la batterie, Pierre Nicolay au saxophone et Cédric Bigot à la basse) trace énergiquement sa voie en allant au contact du public et des médias. La visite de trois membres de RustLess dans l’émission Route 66, pour l’entretien qui suit, tend en tout cas à le démontrer.

Dans un premier temps, pouvez-vous revenir sur vos cursus musicaux ?
David Schlaflang : Pour ma part, je suis un chanteur autodidacte. Depuis toutes mes années de pratique, j’ai intégré 6 ou 7 groupes différents dans des registres très éclectiques (blues, reggae etc.). Le blues étant la musique qui me passionne le plus, j’y suis revenu par l’intermédiaire de RustLess. 66
Fabrice De Angelis : J’ai commencé à jouer de la guitare alors que j’étais très jeune. J’ai suivi un cursus scolaire au Conservatoire, avant d’intégrer une école privée. Au Conservatoire, tout était trop sélectif et « obligatoire », j’y ai surtout assimilé une certaine technique. De plus, le blues n’y était pas spécialement enseigné…puisque le jazz et la musique improvisée y étaient privilégiés. Par la suite, j’ai suivi ma propre route en travaillant énormément…jour et nuit !
Eric Moeglin : Mon parcours est beaucoup plus classique. J’ai commencé à faire un peu de basse au Lycée, puis je suis passé à la batterie. Mes premiers groupes n’ont, pas vraiment, duré. Lorsque j’ai rencontré Fabrice, en 2012, j’ai davantage investi mon instrument et je me suis mis à jouer (essentiellement) du blues. Je n’ai pas fait d’école de musique à proprement parler…

Fabrice, toi qui possèdes une expérience du Conservatoire…peux-tu me dire quelle est l’image du blues dans un établissement de ce type ?
Fabrice De Angelis : Pour ces gens-là, il s’agit d’une musique pour les débutants. Je trouve cela un peu triste… Je jamme toutes les semaines avec des musiciens du Conservatoire. Ces derniers sont très expérimentés mais, en discutant avec eux, je m’aperçoit qu’il existe deux groupes en leur sein. Celui constitué par les musiciens qui n’ont pas d’a priori concernant ce style et celui fait de gens qui n’aiment pas du tout le blues. Ce registre et, pourtant, très ouvert. Il y a une grille de base et on peut faire ce que l’on veut dessus. On peut même y intégrer des plans orientaux, c’est complètement dingue. Cette musique est constituée de beaucoup d’éléments que l’on retrouve dans le jazz. Pour les jazzmen c’est gratuit ! S’ils exploitent ce filon, ils peuvent se permettre énormément de choses et aller très loin. On le constate, d’ailleurs, avec des artistes tels que Robben Ford… Quand ce dernier s’aventure dans le blues, le résultat est une vraie tuerie !

Ce « dédain » du blues, de la part de certains jeunes musiciens de jazz est étrange. Le blues est à la base de leur art…
Fabrice De Angelis : Cela doit être lié à sa base. Cette fameuse grille que nous connaissons tous (7, 8 ou 12 mesures) et qui possède des structures similaires. Il y en a qui trouvent cela « bidon », alors que l’on peut partir « à gauche et à droite » dans le jazz. Ils y trouvent plus de liberté que dans le blues. A titre personnel, je trouve que c’est l’inverse…

Avant de vous retrouver sous la bannière RustLess, vos goûts respectifs étaient-ils particulièrement divergents ?
Fabrice De Angelis : Nous aimions déjà la même base dans le blues. Nous y avons, chacun, apporté nos touches respectifs. Nos deux premiers CD sont très différents l’un de l’autre, je trouve cette évolution très intéressante. Dans notre disque éponyme (paru en 2016), nous voulions démontrer qu’il y a vraiment du groove dans le blues. Chose qu’Albert King avait déjà prouvé avec la chanson « knockin’ on somebody’s else door » (plus probablement le titre « Breakin’ up somebody’s home » paru en 1972, nda). C’est ce que nous avons apporté avec notre premier disque. Je ne voulais pas d’une grille standard mais d’une musique avec une forte ligne de basse et beaucoup de groove ! L’image du blues est faussée par une habitude que possèdent certains musiciens. Celle de répéter les mêmes accords dont on se lasse vite. Pour notre part, nous sommes dans le mouvement. Nous déplaçons des intros ou des breaks, nous changeons nos grilles. De même, nos textes (écrits par David) ne sont pas répétitifs.
David Schlaflang : En ce qui concerne nos sources d’inspiration, chacun possède une large palette de goûts. Cette diversité enrichie notre musique. Nous ne sommes pas cantonnés à un domaine en particulier. J’espère que cela se remarque sur le résultat final…

Justement, quelles sont les influences que l’on retrouve chez les cinq membres du groupe ?
David Schlaflang : Pour ma part, je me suis beaucoup retrouvé dans les textes et le chant de Ben Harper. Puis, il y a eu Keziah Jones…sans compter les « classiques » tels que Ray Charles ou Cunnie Williams à une certaine époque (tout comme le chanteur de soul de Los Angeles, David possède une voix particulièrement grave, nda). Ce sont ces gens qui m’ont le plus inspiré dans ma manière de chanter et d’écrire des textes…
Fabrice De Angelis : J’apprécie d’autres styles que le blues. Je suis, par exemple, un grand fan de Metallica…un groupe qui n’a rien à voir avec le blues (rires) ! J’aime aussi Pink Floyd. Je possède, principalement, des influences « guitaristiques »… Au final, ce qui a le plus changé mon jeu ou ma manière de composer et le fait d’avoir vu des artistes en live. Des gens comme Eric Gales, The James Hunter Six etc. Lorsque je les ai vus, je me suis dit « ah, c’est comme ça… » (rires) ! Joe Bonamassa m’a aussi beaucoup influencé, tout comme le touché « agressif » de Gary Moore. La touche de ce dernier est très présente sur notre CD « Venom » (2017), avec une Gibson Les Paul très présente… Je voulais vraiment reproduire ce côté « c’est lourd et ça attaque » !
Eric Moeglin : Mes influences sont, aussi, assez diverses. La plus grosse claque que j’ai prise (il y a plus d’une dizaine d’années) est Led Zeppelin. Fabrice est, également, très fan de ce groupe… C’est la découverte qui m’a le plus marqué !

Votre premier EP était, pourtant, très ancré dans le blues traditionnel
Fabrice De Angelis : Notre premier EP est, en effet, très roots. On y trouve, cependant, différents styles car ce disque nous a beaucoup servi en tant que « carte de visite ». Le morceau « Good bad man » est un mélange entre rock, blues et country. Cette chanson est assez courte mais elle est très intéressante … Sur « Rising in love », il y a un groove de folie derrière…c’est super ! Sur « When I was ten », on retrouve un blues digne de ceux des années 1960/70, avec une petite intro et quelques petits breaks. Avec l’attaque au sax et à la guitare, nous nous sommes éclatés dessus ! Sur ce disque, nous avons exposé tout ce que nous savions faire.

De quelle manière votre groupe est-il né ?
Fabrice De Angelis : L’aventure a commencé avec Eric et moi-même. Nous avions déjà d’autres projets, mais lorsque nous avons rencontré David (par hasard, alors qu’il travaillait dans une grande surface d’électroménager) notre projet a pris une forme différente. J’étais allé dans ce magasin pour acheter une chaine Hi-Fi et c’est à David que je me suis adressé. Nous avons discuté et avons, assez rapidement, abordé le sujet de la musique. Il m’a dit qu’il chantait un peu… En rentrant à la maison, mon ex copine a écouté l’enregistrement qu’il nous avait laissé et m’a appelé pour me le faire écouter. J’ai trouvé cela très bien et je l’ai contacté dans la foulée. Aujourd’hui, nous travaillons ensemble !
David Schlaflang : La première fois que je me suis « pointé » à une répétition, j’ai interprété un ou deux morceaux. A l’issue de cet essai, j’ai demandé comment ils trouvaient ma performance. Ils m’ont alors répondu qu’il ne nous restait qu’à trouver un nom de groupe (rires) ! L’aventure était lancée ! J’avais, alors, fait un long break musical puisque mon précédent groupe datait de 10 ans. J’avais lâché l’affaire, tout en continuant de faire un peu de chant et de guitare de mon côté. Auparavant, j’avais déjà intégré un groupe de reprises de blues…mais le fait de travailler sur des compositions originales me motivait davantage. J’ai beaucoup de choses à dire et de nombreux textes dans mes tiroirs… C’est cet aspect qui m’a le plus motivé pour me lancer dans une nouvelle aventure de ce type.

Qu’est-ce qui vous touche le plus dans le blues ?
David Schlaflang : Pour moi, ce sont les origines de cette musique qui me marquent beaucoup. Le côté « champs de coton » évoqué sur notre titre « Chained meat » par exemple. A travers mes textes, j’ai des messages à véhiculer et des coups de gueule à donner. L’ossature de cette musique permet de faire plein de choses. Au niveau du chant, j’y trouve de la flexibilité…

Quel est la signification que vous donnez au nom de votre groupe, RustLess ?
Fabrice De Angelis : La traduction littérale du mot serait « sans rouille ». Pour nous, cela évoque l’immortalité de cette musique…quelque chose qui dure longtemps. Nous tenons à faire perdurer cette culture musicale, qui se perd aussi bien au niveau des concerts que de la radio. Beaucoup de gens se portent, dorénavant, sur des sons beaucoup plus édulcorés et c’est dommage ! Pourtant, lorsqu’on leur fait découvrir des grands classiques, des musiciens tels que Herbie Hancock, ils trouvent cela vachement bien. Heureusement, aujourd’hui, il existe des artistes qui font de la « vraie » musique. A titre personnel, j’estime qu’une composition est toujours intéressante si elle est faite par l’humain. Dès que c’est fait par une machine, ça ne m’intéresse plus du tout.

Comme nous le disions précédemment, votre premier EP attestait d’un son relativement roots. Pouvez-vous revenir sur ce disque qui portait votre nom ?
Fabrice De Angelis : David avait ses textes et le restant du groupe avait ses structures. Notre but était donc de « coller » les deux ensemble et de voir comment cela allait se passer. Avec David, nous avons fait notre première chansons tous les deux, chez lui. Il s’agissait de « Frisco blues » qui est, plutôt, une ballade. Nous avons sélectionné avec soin les chansons et en avons parlé à Bill, qui a enregistré le disque. Notre but premier était de nous servir de ce disque afin d’assurer la communication du groupe. C’est pour cela que chaque morceau est différent, afin de montrer l’étendue de notre blues. Nous aimons beaucoup ces chansons, qui nous ont permis de postuler un peu partout et de nous faire connaitre.

N’êtes-vous jamais passés par la case « reprises » ?
David Schlaflang : Non, sauf pour agrémenter nos sets à nos débuts. Très rapidement, nous avons eu une quinzaine de compositions à notre actif. Elles nous ont permis d’élaborer nos deux premiers disques et nous en avons gardées de côté afin de pouvoir les peaufiner.

La composition est donc un exercice assez aisé en ce qui vous concerne…
David Schlaflang : Oui, il nous est même arrivé de terminer une répétition en ayant trouvé deux nouveaux morceaux.

Comment ces chansons viennent-elles à vous ?
David Schlaflang : Je m’inspire de riffs venus de l’imagination de Fabrice. En fonction du feeling du moment, ces derniers peuvent m’évoquer la révolte, les rapports amoureux etc.

Vous inspirez-vous des textes issus des traditions séculaires afro-américaines ?
David Schlaflang : Oui, la chanson « Chained meat », par exemple, est venue à nous lors d’une répétition. Lors de nos concerts, nous utilisons une grosse chaine qui agrémente le son de la batterie. Cette dernière m’a, immédiatement, fait penser à l’esclavagisme. Les quatre couplets ont été « pondus » en moins d’une heure et demie. Le morceau a été testé, sur scène, deux jours plus tard et a tout de suite été « sur les rails ». Le titre évoque des heures douloureuses des Etats-Unis, sans oublier la France…qui connait aussi son lot de désolation.

A votre avis, peut-on dissocier le blues de tout l’environnement sociologique qui l’entoure ? Pensez-vous à cela lorsque vous vous produisez sur scène ?
David Schlaflang : Oui, surtout lorsque je chante cette chanson là. J’essaye de l’incarner du mieux que je peux et de penser à ce que je dis.
Fabrice De Angelis : Je pense que nous avons des preuves de cela. Sur des photos de la récente release party (organisée à l’occasion de la sortie de notre nouveau disque), on voit David chanter en soulevant en rythme cette chaine de 10 kilogrammes. Il faut vraiment pouvoir tenir 6 minutes dans ces conditions, en la percutant tous les deux temps. Rien qu’à travers ces photos, on ressent la rage qui traverse David. Les gens qui assistent à nos prestations sont toujours bluffés par ce passage…

Cette chaine est un accessoire lourd de sens… A travers des images telles que celle-ci, essayez-vous de faire passer des messages à caractères sociaux qui nous sont plus proches ?
David Schlaflang : Dans l’absolu, notre musique reste du blues de blancs. C’est une musique culturelle que nous possédons tous, plus par le cœur que par l’histoire. L’idée, de par ces textes, est de prendre notre part sur la notion de message à passer (ouverture d’esprit, tolérance…). Quand on creuse dans les paroles des chansons, l’idée est de parler de toutes ces choses là…

Vous venez de sortir un nouveau disque, « Venom ». Les morceaux qui le constituent ont-ils été puisés dans votre « réserve » ou ont-ils été écrits spécialement pour cet EP ?
David Schlaflang : Ce sont des morceaux récents…
Fabrice De Angelis : Nous avions des titres sympas, mis de côté mais je venais toujours avec de nouveaux « trucs ». Sur ce disque, j’ai été un peu « égoïste » au niveau du style car je voulais représenter celui que j’apprécie le plus (inspiré par des guitaristes comme Gary Moore). Tous les membres du groupe ont pu y apporter la touche nécessaire, afin que le résultat donne un superbe EP…que j’adore. Tout s’est fait en moins d’un mois, car les 5 chansons sont venues très rapidement à nous.

L’enregistrement s’est-il déroulé aussi rapidement, en live par exemple ?
Fabrice De Angelis : Non, nous avons tous enregistré séparément en commençant par la batterie. J’adore le travail de studio et je pourrais y passer mes journées entières. J’ai donc accompagné Eric lors de ses sessions… Ces dernières se sont déroulées au studio Try & Dye, où l’on travaille « à l’ancienne ». On peut y fumer nos clopes tranquillement et y boire une bière sans aucun stress…ce qui est loin d’être le cas partout. Une véritable aisance s’est donc installée et cette « décontraction » nous a été bénéfique. Après la batterie, j’enregistre les riffs de guitare (la piste de la structure) pour que la basse puisse s’installer dessus. Après, j’y ajoute la « vraie » guitare puis s’est au tour du chant et du saxophone (et des instruments complémentaires) d’être enregistrés.

Deux EP sont déjà sortis (en 2016 et 2017) et deux autres sont déjà prévus dans l’avenir. Pourquoi privilégier ce format, plutôt que celui de l’album « classique », alors que vous avez suffisament de morceaux pour cela ? Est-ce pour représenter un style par EP et éviter d’être trop disparates ?
Fabrice De Angelis : Il y a de cela, mais la raison principale est l’aspect financier. De plus, le studio avec lequel nous travaillons ne fait pas les albums…même si Bill nous a dit qu’il serait prêt à passer ce cap avec nous. Le fait que ce mec, qui est depuis des années dans le métier, nous dise cela fait très plaisir ! Nous réfléchissons donc à la question… C’est faisable, mais il faudrait qu’un label prenne part à cette aventure. Nous ne faisons déjà pas appel à une agence de booking, car je gère cet aspect seul. J’ai mes contacts et le fait d’avoir une agence de booking, qui prend 20% des cachets pour des plans payés dix fois moins chers que les miens, ne m’intéresse pas. Ce système est une blague et je le proclame haut et fort. Nous avons notre propre association et nous aidons les artistes qui veulent jouer.
David Schlaflang : L’avantage du multi EP est aussi de permettre aux gens d’acheter un disque à un coût plus bas que celui d’un album. Les gens peuvent également choisir en fonction de la gueule de la jaquette ou des morceaux qu’ils ont retenus. Chaque EP permet de nous découvrir d’une manière différente…

Vous avez donc quelques groupes sous votre tutelle…
Fabrice De Angelis : Non, mais c’est en cours… Nous avons les statuts et nous allons lancer cette structure. En plus d’une résidence et de l’enregistrement de trois clips en live, c’est notre grand projet actuel. Nous voulons aider les groupes sans leur soutirer d’argent, puisque notre association sera à but non lucratif.

Avez-vous déjà une idée de la couleur musicale de votre prochain disque ?
Fabrice De Angelis : Il sera plus axé sur le blues lent. C’est un travail difficile, qui demande de la maitrise et beaucoup de technique. Nous aurons, probablement, quelques invités dont Abdelkader Kacher aux percussions, qui était déjà présent sur notre premier EP. Ce dernier représente l’une de nos belles rencontres musicales et il lui arrive, aussi, de nous rejoindre sur scène. Nous somme comme cela, nous fonctionnons à l’humain…

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Interview réalisée au
Studio RDL - Colmar
le 14 juin 2017

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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