Sandra, tu dis être arrivée dans le monde de la musique un peu par hasard. Peux-tu me parler des circonstances exactes qui t’ont amenée à cette carrière ?
Quand je parle de « monde de la musique », j’évoque en fait l’aspect professionnel de la chose.
J’ai toujours écouté beaucoup de musique, chanté dans les couloirs ou sous ma douche. .. un peu comme tout le monde.
La musique a accompagné tous les moments forts de ma vie même si, à mon adolescence, je voulais d’abord être médecin puis journaliste et enfin professeur.
Je me suis donc inscrite à La Sorbonne où j’ai entamé un cursus de Licence qui devait me mener jusqu’à un Doctorat.
Comme je chantais beaucoup et que je n’étais pas souvent en cours, un ami m’a conseillé de passer une audition pour un groupe qui cherchait un chanteur ou une chanteuse. J’ai relevé ce défi sur un coup de tête, en me disant que cela me ferait une journée un peu moins perdue que les autres. Il faut dire, qu’en arrivant, à la Fac, je me suis retrouvée face un univers très éloigné de celui auquel je m’attendais. Il ne me correspondait pas, tout simplement…
J’ai donc rencontré mon premier groupe, qui se produisait dans un registre funk.
Je pensais que les membres de ce combo s’apercevraient rapidement que je n’étais pas chanteuse, en tout cas que je ne correspondais pas à l’idée que je me faisais personnellement d’une chanteuse professionnelle.
En fait, pas du tout, nous avons continué à travailler ensemble puis j’ai rencontré d’autres musiciens, puis des comédiens, des metteurs en scène etc…
Les chose se sont plutôt enchaînées rapidement et de manière relativement fluide.
Je suis une personne qui est, à la fois, assez grégaire et assez curieuse. Tant que j’ai l’impression d’être en « découverte » et en « surprise », je continue !
J’étais d’autant plus intriguée, que les musiques que j’écoutais étaient à la fois du jazz, de la folk (j’en écoutais beaucoup, du coup le fait d’intégrer ce groupe de funk a été une vraie découverte musicale), du rhythm and blues (celui d’Aretha Franklin et d’Otis Redding) etc…
Puis je suis entrée en contact un chanteur qui s’appelle Juan Rozoff pour lequel je suis devenue choriste. J’ai également collaboré avec le groupe d’electro Ollano, avec les Troublemakers etc…
De fil en aiguille j’ai rencontré Jî Drû (Jérôme) qui est flûtiste. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, notamment au sein de son groupe Ji Mob puis de notre propre combo Push Up. Ensemble, nous avons écrit mon deuxième album « Nothing For Granted » (Jazz Village/Harmonia Mundi).
C’est pour cela que je dit que je suis un « animal grégaire », il y a cette petite famille de musiciens qui me suit et que je suis. Nous faisons toujours des projets les uns avec les autres et les uns pour les autres. Ceci en sachant que pour chaque projet on se fixe un code esthétique, un code d’instrumentations et un code de thèmes. Donc, même si ce sont toujours les mêmes personnes qui travaillent, ce n’est jamais exactement (voire pas du tout) la même musique…
Ces expériences très diversifiées ont été un avantage en ce qui te concerne. C’est certainement elles qui te permettent, aujourd’hui, d’allier avec autant de réussite tous les styles que tu as évoqué…
Je pense surtout que cela donne la possibilité d’explorer des choses que l’on a en soit et que l’on ne pourrait pas exprimer tout seul, ou alors en disposant de beaucoup plus de temps. Je n’en suis pas moins très personnelle, même quand je travaille avec les autres… bien au contraire.
C’est une bonne chose, d’être à la fois l’élément principal d’un moteur puis un élément additionnel.
On en est pas moins important…
Ce qui a de l’importance, c’est le fait de valider un projet artistique. Pour moi, Alan Le Dem qui est au son est aussi important que guitariste Matthieu Ouaki, que Jî Drû et moi-même qui composons les morceaux (le groupe est également constitué de Thibault Brandalise la batterie, Armel Dupas aux claviers, Kenny Ruby à la basse, sans oublier Julien Dufour aux lumières, nda) ou que la personne qui se charge du booking pour nous. C’est vraiment un travail d’équipe et nous sommes tous importants pour le projet. Il est encore plus nécessaire de le rappeler de nos jours, alors que chacun à tendance à creuser un petit sillon individuel.
Je ne parle même pas d’individualisme, je dis « individuel » car nous sommes tous oppressés.
Les gens pensent que c’est comme cela qu’il faut procéder mais, de mon côté, je reste persuadée que les choses se font plus facilement lorsque l’on est à plusieurs.
Tu vas encore plus loin dans ta démarche sur scène. On sent que tu y déploies tes expériences de comédienne afin de mettre au point une scénographie très originale. Est-ce une chose innée ou, à l’inverse, tes expressions corporelles sont-elles très travaillées ?
C’est une bonne question…
Dans un premier temps, c’est au théâtre que j’ai fait beaucoup de scène (7 pièces de 1994 à 2005, nda)… donc j’ai envie de dire que c’est travaillé. D’un autre côté, ce n’est pas du tout intentionnel. Quand il a été question de transposer mon dernier album sur scène, je ne me suis pas dit que j’allais bouger de telle ou telle façon. C’est vraiment les histoires et l’émotion des personnages qui induisent mon interprétation. Pour moi, le fait d’être comédienne et chanteuse est la même chose. Cela fait partie du même corps de métier. Je me sens, ou le narrateur, ou le personnage…
Selon la position que j’ai, je vais avoir telle ou telle attitude. Par contre, il est important que toutes les personnes présentent sur le plateau soient aussi dans l’histoire. Certains appelleraient cela de la chorégraphie mais, pour ma part, j’évoquerais plutôt de la mise en mouvements ou de la mise en relief de situations. Tout est pensé à l’avance, nous avons conscience que nous avons une proposition à faire… en tout cas un voyage à proposer aux gens. Cependant, j’essaye de faire en sorte que chaque mouvement ou chaque geste soit naturel. J’ai travaillé, quelques temps, avec Pierre Pradinas (metteur en scène et directeur de la compagnie du Chapeau Rouge, nda) au sein d’un spectacle intitulé « Fantômas revient » (une pièce de Gabor Rassov avec, entre autres, Romane Bohringer, Thierry Stremler et Gérard Chaillou, nommé aux Molières en 2005, nda) où des comédiens chantaient et des chanteurs jouaient. Ensemble, nous avons fait un long travail sur le chant sans mouvement. Je me souviens avoir presque pleuré durant ces deux jours passés à chanter la même chanson, en étant obligée de ne pas bouger.
Tant que le mouvement ne venait pas naturellement (donc qu‘il n’était pas nécessaire), il ne fallait pas bouger… C’était un grand travail qui me sert encore.
De temps en temps, je m’aperçois qu’il y a des automatismes et j’essaye de les effacer. Je pense que c’est pareil pour un danseur et pour tous les artisans en général. Un boulanger fera toujours son pain de la manière dont il le ressent à l’instant T, en changeant sa manière de fonctionner. C’est un dénominateur commun propre à tous les métiers qui sont exercés par des passionnés. On a envie de se perfectionner et, surtout, de se renouveler.
Cela passe par le travail, l’exercice pur de l’instrument…de l’objet et des gestes.
Il y a aussi l’intention et c’est elle que l’on propose aux gens. Il faut qu’elle soit instantanée car un spectacle reste un moment spécial avec un public. Même si c’est toujours le même répertoire, ce n’est jamais la même émotion. On a tous des journées et des vies différentes. Le but est de réunir autour d’une idée, des personnes qui sans elle ne se rencontreraient jamais. Pour moi la musique est un moyen de parvenir à cette fin. C’est une manière de proposer un questionnement sur « comment on fait pour vivre ensemble avec nos différences » et, si possible, faire en sorte que nos forces s’additionnent afin de prendre des décisions pour soit. C’est bien de s’insérer dans une société, mais il ne faut jamais oublier qu’il y a des individualités qu’il faut mettre en avant pour ne pas se faire écraser par le « poids du tout ». Certains vivent tordus ou biscornus, mais c’est ce qui fait la richesse de ce monde. Que l’on soit grand, maigre, gros, timide, expansif, il faut tout cela pour que l’humain soit en mouvement. Pour moi c’est le moteur principal. C’est pour cela que j’écris des chansons et que je fais de la musique. En tout cas de la musique, dans le sens « produire des albums et des spectacles » et aller à la rencontre des gens. Quoiqu’il arrive, je chanterai toujours. Ce ne sera pas toujours forcément sur une scène même si cela répondra à mon besoin d’être en contact avec les gens.
On sait que tu es une artiste qui s’engage physiquement sur scène, mais tu es également une femme engagée dans la vie et dans ton quotidien. Quels sont les combats pour lesquels tu serais prête à te battre aujourd’hui ?
Je ne sais pas si je suis une artiste engagée…
Je pense que je me sens avant tout une citoyenne importante comme nous le sommes tous.
J’essaye d’enjoindre mes concitoyens à se manifester régulièrement et de manière civile.
Le collectif « Les amoureux au ban public » m’a contactée il y a quelques années. Dans son combat juridique, social et politique il ne manquait qu’un pan. Celui du combat de tous les jours, par exemple : savoir comment on fait lorsque l’on vient de passer 3 semaines dans un centre de rétention puis au tribunal.
La musique à cela de magique. Elle offre un petit sas de décompression…
Je n’allais pas aux combats mais j’y participais dans le sens où la vie est jalonnée de moments et que le moment de la musique est important. C’est une manière de dire « moi je n’ai pas cette possibilité juridique et financière mais j’ai une possibilité humaine parce que je suis disponible pour le faire ».
Un ami, récemment, nous a proposé de faire des concerts dans un hôpital (dans le cadre d’un futur festival à Coutances). Nous avons immédiatement accepté cette proposition afin de nous produire devant les enfants mais, aussi, dans un centre de gériatrie.
Nous répondons favorablement à chaque demande si nous sommes disponibles.
Je suis engagée dans le sens ou si mon voisin frappe à ma porte, car il a besoin de quelque chose, je vais lui répondre. L’engagement passe par là… Il passe par trier ses déchets, par donner ses vêtements et ses chaussures à des gens qui en ont besoin…
Il y a un camp de roms à côté de chez moi. Nous sommes en contacts réguliers…
Alors que la plupart des gens sont à la limite de leur cracher dessus nous, nous avons engagé un dialogue. Je discute avec les petits et nos enfants trient leurs livres afin de leur en donner.
Mon engagement il est là, dans la vraie vie…
Puis je vais voter, je m’octroie le droit de dire à mes députés et politiciens « là vous êtes en train de déconner » ou « c’est super, continuez, foncez ». Je pense que c’est une chose importante…
Tu me parlais de tes influences au début de cet entretien. Aurais-tu aussi des modèles parmi les grandes chanteuses militantes ?
J’en aurais trois… Nina Simone, Miriam Makeba et Angélique Kidjo. Cette dernière est toujours debout, bien vivante, active et tellement lumineuse.
Ce sont des femmes dont je respecte beaucoup les trajectoires. Elles donnent la force de s’accrocher à ce en quoi on croit. Encore une fois, pour moi la musique n’est pas un but en soit. C’est un moyen d’être en contact avec les gens et de dialoguer. On peut se retrouver « en dialogue » avec un ouvrier comme avec un énarque. On peut même faire en sorte qu’ils discutent ensemble. En musique et au théâtre c’est possible… alors que ça ne l’est pas forcément dans une cours de récréation, dans la rue ou au supermarché.
La musique a le pouvoir de toucher à l’intime, d’être en relation avec les gens.
En discutant avec toi j’ai percuté sur le fait d’avoir réussi à réunir tous les vœux que j’avais quand j’étais petite. C’est-à-dire à la fois être médecin et journaliste (rires) !
Journaliste dans le sens être en contact avec les gens et discuter avec eux. Médecin parce qu’on touche ces mêmes gens et qu’on leur fait du bien.
Je suis contente de « soigner » les personnes par la musique et par le fait, qu’avec mon équipe, nous sommes à fond dans ce que nous faisons.
Je pense que cela donne aussi un message positif sur comment il est possible d’être auto entrepreneur.
Je dis cela dans le sens « être soi-même la force de sa motivation pour faire que qu’on a à faire ». Il y aura toujours des gens pour vous dire « non ta voie n’est pas celle là, il faut que tu fasses ceci ou cela ». Quelque part, dans nos têtes et dans nos cœurs, nous savons ce qui est bon pour nous. Il n’est pas toujours évident de suivre sa propre route, mais il faut y croire… Pour cela je dis merci monsieur Brassens, qui a toujours œuvré dans ce sens…
Il faut se foutre (mais pas de manière désinvolte) et mettre de côté la « bien-pensance ».
Ce que les gens vous imposent comme vision parce que, eux-mêmes, n’ont pas pu prendre de décision pour leurs propres carrières.
J’ai la chance d’être entourée de personnes qui me poussent à être moi-même…
Parmi ces personnes il y a, bien sûr, Jî Drû. Peux-tu me parler de votre manière de travailler ensemble ?
Nous écoutons beaucoup de musique et nous allons voir pas mal de concerts.
Pour l’album, nous l’avons pensé, écrit et composé ensemble en nous donnant, comme cadre, une certaine orchestration et une certaine manière de composer les chansons.
Que ce ne soit pas de la « musique pour la musique » mais qu’elle soit au service du propos, des mots, de l’histoire, des personnages et que le tout soit au service de la voix et de ma personnalité.
Nous sommes allés, autant que possible, vers l’épure avec comme envie de déployer des moments de rage contenue (avec des morceaux dynamiques flirtant avec le pop rock), puis d’autres plus cinématiques et plus introspectifs. Dans ces derniers, la flûte traversière apporte une touche assez magique. Elle y est le relais des mots là les mots ne peuvent pas décrire certaines émotions…
Ensemble, nous avons choisi quand et comment nous allions le faire : dans quel studio, avec quels ingénieurs, comment se ferait le mixage, comment le disque sonnerait etc…
Nous nous sommes donnés une marge en termes de temps et nous avons été, l’un comme l’autre, assez exigeants sur la qualité même des chansons. Quand un titre nous semblait abouti on passait à un autre. Parfois on en laissait « reposer » un pour revenir dessus par la suite. C’est le grand avantage quand on se produit soi-même… on est maître du temps !
Nous avons également choisi les musiciens ensemble, dans le soucis de faire en sorte que le résultat me ressemble le plus possible.
Un album ne représente qu’un moment spécial dans une vie, ce n’est pas une vie entière…
Nous partageons aussi l’amour de l’éclectisme. Nous écoutons autant les Clash que Yusef Lateef, que Miles Davis que les Beastie Boys, que Jack White que Tom Waits que Bob Marley que Camille, que Feist, qu’Anais etc…
Il n’y a pas à choisir… Ce qui détermine ce que nous aimons, c’est l’émotion qui nous traverse lorsque nous écoutons les morceaux.
C’est aussi l’émotion de voir un spectacle avec quelqu’un qui est entier comme la chanteuse Feist.
Elle est vraiment incroyable et singulière pour cela.
Il y a beaucoup d’artistes qui donnent envie de continuer…
Ton précédant album date de 2008. Les gens qui apprécient ta musique vont se sentir frustrés s’il doivent encore attendre près de 4 ans un nouveau disque. As-tu déjà un œil rivé sur l’avenir, des nouvelles chansons en cours d’élaboration ?
Mon premier album date de 2008 mais nous avons commencé à tourner en 2009. Nous avons passé deux ans et demi sur la route avec ce disque d’où cette « attente »…
Etant beaucoup en tournée, il m’était difficile de m’arrêter un moment pour écrire. Il m’a été possible de le faire qu’à compter de 2011, ce qui explique pourquoi mon deuxième opus est sorti en 2012.
Entre temps, j’ai aussi fait des concerts avec Push Up et nous venons de finir le troisième album de Ji Mob, qui devrait sortir en 2013.
Nous écrivons actuellement des chansons pour le deuxième album de Push Up et j’envisage un troisième disque, dont je n’ai pas encore déterminé le cadre, sous mon propre nom. Je le commencerai en 2013 pour une sortie prévue en 2014.
Dans l’immédiat, nous avons des concerts de prévus jusqu’en 2013. Donc, ne vous inquiétez pas, nous sommes sur les routes (rires) !
Je ne travaille pas lentement mais comme je fais beaucoup de choses en même temps (et que j’aime bien ne pas tout mélanger), je prends mon temps… dans un laps de temps très court !
As-tu une conclusion à ajouter ?
Vive le partage (rires) !
Remerciements : Sophie Louvet et Christine Filippi (service de presse du Cognac Blues Passions), Bruno Migliano pour les photos.
www.sandrankake.com
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